n; iv f BOUNO AT THE ^ ■Hi:iii\ïïiii; i'i!i'»': L Camp— Karachi. À ^ ^ ^ 4^ ^' ^ DUKE UNIVERSITY LIBRARY Treamre 'B^om UTOPIA OS/, V. ^l \ Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from Duke University Libraries http://www.archive.org/details/lesterresducielvOOflam LIVRE PREMIER ^ NOTRE VOISINE LA PLANÈTE MARS CHAPITRE PREMIER Voyage interplanétaire : du globe terrestre au globe de Mars Pendant les douces soirées d'été, en cette heure charmante où la dernière note de l'oiseau qui s'endort reste suspendue dans les bois, où les caresses de l'atmosphère parfumée glissent comme un frisson TERP.KS 1)0 CIEL. LES TEllUES DU CIEL à travers le feuillage, où les gloires éteintes du crépuscule ont déjà fait place aux mystères de la nuit, nous aimons à rêver en contem- plant la transformation magique du grand spectacle de la Nature, en assistant à cette glorieuse arrivée des étoiles qui s'allument une à une dans les vastes cieux, tandis que le Silence étend lentement ses ailes sur le monde. Jamais l'âme n'est moins seule qu'en ces ins- tants de solitude. Nulle parole n'est plus éloquente que ce profond recueillement. Notre pensée s'élève d'elle-même vers ces lointaines lumières ; elle se sent en communication latente avec ces mondes inaccessibles. Mars aux rayons ardents, Vénus à la lumière argentée, Jupiter majestueux, Saturne plus calme, nous apparaissent, non plus comme des points brillants attachés à la voûte céleste, mais comme des globes énormes, roulant avec nous dans l'abîme éternel, et nous savons que l'éclat dont ils resplendissent n'est que le reflet de la lumière solaire qui les inonde ; nous savons que la Terre brille de loin comme ces autres planètes, et que, par exemple, elle éclaire la Lune comme la Lune nous éclaire ; nous savons que ces autres mondes sont matériels, lourds, obscurs par eux-mêmes; que, si le Soleil s'éteignait, nous ne les verrions plus; que toute l'illumi- nation solaire que chaque planète reçoit est condensée en un point, à cause de l'éloignement qui nous en sépare; nous savons qu'ils gra- vitent comme nous autour du foyer radieux, à des distances diverses; qu'ils tournent sur eux-mêmes, ont des jours et des nuits, des saisons, des calendriers spéciaux ; et nous savons aussi que la Terre est un astre du Ciel. Mais cette contemplation ne tarde pas à laisser en nous im certain sentiment de vague mélancolie, parce que nous nous croyons étrangers à ces mondes où règne une solitude appa- rente et qui ne peuvent faire naître l'impression immédiate par laquelle la vie nous rattache à la Terre. Ils planent là-haut comme des séjours inaccessibles, et parcourent loin de nous le cycle de leurs destinées inconnues ; ils attirent nos pensées comme un abîme, mais ils gardent le mot de leur énigme indéchiffrable. Con- templateurs obscurs d'un univers si grand et si mystérieux, nous sentons en nous le besoin de peupler ces îles célestes, et, sur ces plages désespérément désertes et silencieuses, nous cherchons des regards qui répondent aux nôtres. 11 devait être réservé à l'Astronomie du XIX" siècle de donner un LES TERRKS DU CIEL corps aux vagues aspirations dos philosophes du passé, et de répondre à l'heureuse divination des Pythagore, des Anaxagore, des Xéno- phane, des Lucrèce, des Plutarque, des Origène, des Cusa, des Bruno, des Galilée, des Kepler, des Montaigne, des Cyrano, des Kircher, des Fontenelle, des Huygens, de tous ces penseurs qui, dans les temps passés, et à des degrés divers, se sont élevés dans la haute contemplation de la Vérité. A ces noms illustres devaient se joindre au siècle dernier ceux des philosophes de la nature : Buffon, Kant, Voltaire, Bailly, d'Alembert, Herschel, Lalande, Laplace ; glorieuse phalange continuée en notre siècle par d'éminents esprits, parmi lesquels nous ne pouvons nous empêcher de signaler les sympathiques figures de sir John Herschel, François Arago, David Brewster et Jean Picynaud. Oui ! c'est à l'Astronomie de notre époque qu'il était réservé de couronner le lent et gran- diose édifice des siècles, par cette doctrine sublime de la Pluralité des Mondes, qui répand dans l'infini les splendeurs de la vie et de la pensée, et qui donne un but rationnel cà l'existence de l'Univers. Le moment est venu de faire un voyage astronomique sur tous ces mondes extra-terrestres, de réunir en une même synthèse l'ensem- ble des documents fournis par les merveilleux progrès de la science contemporaine, et d'exposer en une description spéciale l'état actuel de nos connaissances sur ces autres « terres du Ciel* » qui gravitent en même temps que la nôtre, bercées dans l'ondoyante cadence de l'attraction universelle. Déjà nous avons esquissé les grandes lignes du tableau général de la création. Dans notre Ast7'0- nomie jmpulaire, nous avons exposé l'ensemble des théories de la science sur l'Univers, expliqué les mouvements, les lois, les forces, qui animent et régissent l'organisation des systèmes suspendus dans l'espace. Dans le Supplément de cet ouvrage, dans les Étoiles et les Curiosités du Ciel, nous avons fait connaître les étoiles, soleils de l'infini, nous avons décrit les constellations, étudié leur histoire, exposé en un mot les faits de « l'Astronomie sidérale ». Aujourd'hui notre but est de nous occuper spécialement des planètes, de donner une exposition descriptive de V Astronomie planétaire, de développer sous les yeux de nos lecteurs tout ce que nous savons actuellement sur ces différents mondes qui nous environnent, qui appartiennent comme nous à la grande famille du Soleil, et qui LES TKRRES HU CIEL se présentent à nous comme autant de terres inconnues à découvrir, comme autant de pays mystérieux à visiter. L'Astronomie est à la fois la science do l'univers matériel et la science de l'univers vivant, la science des mondes et la science des êtres, la science de l'espace et la science du temps, la science de l'infini et la science de l'éternité. Déchirant le voile antique qui nous cachait les spk'ndeurs de la création universelle, elle nous montre dans l'immensité qui s'étend sans bornes tout autour de la Terre, elle nous montre les mondes succédant aux mondes, les soleils succédant aux soleils, les univers succédant aux imivers, et l'espace sans fin peuplé d'astres sans nombre développant jusqu'au delà des derniers horizons que la pensée puisse concevoir les séries indéfinies des créations simultanées et successives. L'évidence est là dans sa vertigineuse grandeur. Ni les timidités des âmes craintives, ni les sophismes des esprits légers, ni les négations de ceux qui ne veulent point voir, n'empêchent la Nature d'être et de rester ce qu'elle est. Le globe que nous haliitons ne constitue pas à lui seul la création entière, mais ail contraire il n'en est qu'une partie infiniment petite et un rouage presque insignifiant. A côté de lui voguent dans l'espace des mondes habités comme lui. Des millions de systèmes planétaires analogues au nôtre planent dans l'immensité profonde. Les étoiles ne sont pas fixes ni inaltéra- bles ; elles marchent, elles volent à travers les cieux avec une vitesse inimaginable; elles s'associent en systèmes stellaires ; elles sont accompagnées de planètes qui les dérangent dans leur cours, chacune d'elles est un soleil, répandant comme le nôtre les radia- tions fécondes qui sèment la vie dans toutes les régions de l'Univers. El la Terre n'est qu'un point obscur perdu dans la multitude; et l'humanité terrestre n'est qu'une des familles innombrables qui habitent les célestes séjours; et il n'y a d'autre ciel que l'espace vide dans le sein duquel se meuvent les mondes ; et nous sommes actuellement dans le ciel, aussi complètement que si nous habi- tions Jupiter ou Sirius ; et toutes les idées qui ont eu cours jusqu'ici sur la Création, sur la Terre, sur le Ciel, sur la situation de l'homme dans la nature et sur nos destinées doivent aujourd'hui subir une transformation radicale et absolue. Le soleil de l'Astronomie brille sur nos tètes! La nuit est finie. Il fait jour! L.\umiii.int avec suiu ia p.aiicto rappiotiu-e, i us-lronoiiii- u.stingue et ue^^in':? les ci iiiinonis , i^s i,\a^es, les îles de la géographie de Mars . . , LES TERRES DU CIEL Sans doute, il n'y a qu'un très petit nomLiP iriionmics, et même d'astronomes, qui s'aperçoivent île cette révolution calme et paci- fique, commencée il y a ])i(MitiH trois siècles par Galilée, et qui marche à grands pas vers son terme. On vit encore aujourd'hui comme si le firmament de Josué était toujours fermement étahli sur nos têtes; et l'on ne sent pas que l'Astronomie, en calculant les distances des astres, en prédisant leurs mouvements, en découvrant leur constitution physique et chimitpie, a jeté un lien de secrète sympathie entre la Terre et ses sœurs de l'infini. Ce n'est plus seu- lement des masses des corps célestes qu'elle s'occupe aujourd'hui^ la science des Copernic, des Kepler et des Newton ; mais c'est encore des conditions dans lesquelles la vie doit se trouver à leur surface. Faisant éclater en morceaux la sphère qui l'étouffait ici-has, la vie s'est tout d'un coup répandue dans le ciel; en agrandissant l'Univers, l'Astronomie a agrandi en môme temps la sphère de la vie. Ce ne sont plus des hlocs inertes roulant inutilement dans l'espace que la science pèse aujourd'hui; ce n'est plus un désert infini se déroulant en silence dans la nuit étoilée que le doigt d'Uranie nous montre à travers l'immensité; c'est la vie, l\ Vie universelle, éternelle, agi- tant les atomes sur tous les globes, palpitant dans les ondulations de la lumière, rayonnant autour de tous les soleils, s'infiltrant dans les atmosphères tièdes et lumineuses, faisant entendre ses chants divins sur toutes les sphères, et vibrant à travers l'infini dans les accords multipliés d'une harmonie immense et inextinguible ! Si donc, dans l'ensemble de toutes les sciences, quelque sujet est particulièrement digne d'être étudié par nous, c'est sans contredit celui qui nous occupe ici, car cette étude n'est autre que l'étude intégrale de l'Univers. La synthèse astronomique embrasse tout; en dehors d'elle il n'y a rien; à côté d'elle il y a... l'erreur. Où sommes- nous? Sur quoi marchons-nous ? En quel lieu vivons-nous? Qu'est- ce que la Terre? Quelle place occupons-nous dans l'infini ? D'où venons-nous et où allons-nous? — Qui pourrait nous répondre, si l'Astronomie se taisait ? Quel que soit le sentiment que chacun de nous garde en sa ■conscience sur le problème de la vie actuelle et sur celui de l'immor- talité, l'Astronomie se place au-dessus de toutes les autres sciences par son intérêt direct, par son importance et par sa grandeur. LKS TKlilSKS Dr Cl KL Cette thèse, je l'ai soutenue avec l'ardeur d'une conviction innée dès la première œuvre que j'ai osé publier sur cette science suliliine, lorsqu'il y a bii'uli'it un ijuart de siècle j'écrivis la l'Iitra/i/é (/es mondes habités. Depuis vingt-cinq ans, des progrès tout à fait inattendus ont illustré l'Astronomie physique. La thèse proposée dans «la Pluralité des mondes habités » peut maintenant être gran- dement développée et absolument confirmée. Tel est le but de ce livre-ci. Nous ne considérons plus seulement aujourd'luii la doctrine de l'existence de la vie en dehors de la Terre dans son caractère général et philosophique, mais nous pouvons pénétrer dans les détails, prendre les preuves en mains, nous arrêter sur chaque pla- nète, et constater les témoignages irrécusables de l'existence de la vie à leur surface. Ce livre est donc, répétons-le, un traité descriptif iVAs/ro)iomie planétaire. On y essaye, pour la première fois, une description détaillée de chacune des planètes qui accompagnent la Terre dans le système solaire, un exposé aussi complet que possible de leur état climatologique, météorologique, et même géographique, c'est-à-dire de leur situation organique comme séjours d'habitation. Le progrès accompli en ces dernières années par l'Astronomie est en effet considérable, et à cet égard les tendances de la science ont véritablement changé de face. Alors, il faut bien le dire, les savants qui partageaient mes convictions et mes espérances n'étaient qu'en faible minorité : l'Astronomie mathématique dominait et éclipsait si complètement l'Astronomie physique, que celle-ci s(>mblait végéter comme la violette à l'ombre au pied du grand cliènc ; le ciel n'était qu'une page de chillïes, et les aspirations de l'âme humaine vers les mondes célestes, qui commençaient à se révéler, étaient taxées de rêveries et d'inutilités. Aujourd'hui, l'esprit scien- tifique a subi la plus complète métamorphose. Le parfum de la violette a fait arrêter l'observateur dans sa marche jusqu'alors indifférente, et l'Astronomie physique a doucement attiré l'atten- tion sympathique du penseur. Des astronomes habiles se sont révélés; une nouvelle science, l'analyse spectrale, est née, comme Minerve, tout armée pour d'étonnantes conquêtes; des instruments nouveaux ont été inventés suintement; des observatoires exclusive- ment consacrés à l'Astronomie pliysiqueont été fondés en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, en Autriche, en I5(dgique, en LES T EUR ES bV CIEL Amérique, sur lo glulic tuut entier; de puisrianles lunettes et d'iin- menses télescopes ont été construits, et un graml nombre d'uhser- vateurs se sont mis à étudier avec persévérance la constitution phy- sique du Soleil, de la Lune, des planètes, des comètes et des étoiles. Grâce aux progrés accomplis, l'astronome se consacre aujourd'hui fructueusement à la plus intéressante des études : examinant avec soin la planète rapprochée, il distingue les détails caractéristiques des autres mondes; il dessine les continents, les rivages, les iles de la géographie de Mars;... ce n'est pas sans émotion que nous avons . La ToiTO csl l'une des plus petites planètes de notre système . . . reçu l'année dernière la carte géographique des singuliers canaux nouvellement découverts sur cette patrie voisine. Quelles énigmes tiennent en réserve ces points d'interrogation suspendus sur nos tètes? Au sein du recueillement profond et du calme silence des nuits étoilées, notre pensée curieuse s'envole vers ces îles de lumière pour leur demander leurs secrets. Nous croyons qu'elles nous voient, qu'elles nous entendent; et nous les prenons à témoin de nos serments. Mais l'Astronomie nous a fait connaître leurs distances, nous a montré en elles des soleils et des planètes, et nous a appris que ces planètes sont des terres analogues à la nôtre. Oui, des TERRES, vastes, immenses, formées de matériaux lourds et obscurs; des terres dont le sol est composé d'argile comme le nôtre, et dont les terrains, variés comme ceux de notre propre . .. Nous las prenons U ti-muin da nos sormt^nts. TKKP.js iir riKL LES TERRES DU CIEL glpbftv formeatides mcaitagaes et\xi^ -vaUéesj.^ deb pl|aleaiix et des plaines;.- .qmiiserv.eu't dé lieroeaux aux paysages qMi^s'y succèdent de siéck'iea siècle. Ces terres sont lourdes comme lai, uô.tre, et roulent coiame. .elle, dans l'esi^acc indéfini qui n'a ni haut. ni bas, ni direc- tion'ni. mesure. Elles ne sont douées d'aucune lumière propre, et ne paraissent brillaulcs que parce que le Soleil les éL-laire comme il éclaire la ïerrii, et que l'éloignement rapetissant leur disque, toute la lumière de midi qui les inonde est condensée en un seul point. De même la Terre brille de loin dans l'espace, présente des phases comme la Lime, jVlercure, Vénus, Mars, nous, en offrent, et plane, brillaute étoile, daus le ciel des autres mondes. Quelles .choses,.- .quels êtres, les forces delà féconde Nature ont- elles ■.■eiafauté.s sur cesmoud.es différents du nôtre?... Ici, dans tel étatidditeaoapérature,' de: lumière, d'air, d'humidité,, de combinaisons chimiques,, de densité, de pesanteur, de temps, de jours, d'années, la:jaatm'o a produit les choses et les êtres qui nous environnent, en nwDidiliaut d'ailleurs ses œuvres et ses spectacles .-suivant les siècles etsiiivaut les conditions changeantes de; la' planète elle-même. Oqt'îest-ce (.qweiicesmèmes foïoes ont enfanté sar. les autres terres du ciel?. AUimilien des conditions si variées qui distinguent Mercure de Nèpt|Une, Saturne, de la Terre, Mars d'Uranus ou Jupiter de Vénus, quels élémeiats auront prédominé sur l'une et sur l'autre ? A quelles foiVmes biizarx'jRs, ii.quels.-iHres fantastiques,- les -expansions de la puissiHiGe- créatricce n'aurontrellès -pqis -domné naissance? Quel est ra.six?ct organique de cGsniond:és? La Vénos: iiOiUentoie est mons- trueuse pour nonsj-et pourtant; eatrDl'Em'ope. et l'Afrique, il n'y a qu'iune simplja'difféîen'eetddiaï.ititàelrOijiellfe.n 'est-pas la variété, la bizarrerie, rîneûkét'enceiipparQntp des formes vivantes appartenant aux différents globes dé noLvu systémeiMil si-fflOiUS-jious. transportions de notre famille solaire dans Gellesde!.Siï'ius!,.-dé..V6ga, d'Aldébaran, d'Antarés, ou de Castor, combien natre^ voyage ne serait-il pas incomparablement plus prodigieux et plus fantastique que tous ceux du Dante, de l'Arioste, du Tasse, de Milton et de Swift réunis ! Là brille un auti'e soleil,. là descend du ciel une autre lumière, là souftléun air qui n'est point tea'restre; là fleurissent des plantes qui ne sont point des plantes, là coulent des eaux qui ne sont pas des eaux ; là reposent des paysages, des lacs, des forêts, des mers, que i.i;s Ti:nuEs du ciel nos yeux n'ont point vus, ot qu'ils ne pourraient point reconnaître. Et pourtant le téieseope y conduit nos regards terrestres; et pourtant nos àuies s'y transportent, malgré les millions et les milliards de lieues cpii nous en séparent; et pourtant l'analyse spectrale découvre la constitution chimique des matériaux qui composent ces mondes perdus dans l'infini ! Qu'est-ce que la Terre? Une planète du système solaire, et l'une des plus médiocres: un habitant de Jupiter ou de Saturne ne la regarderait qu'avec dédain, et, d'ailleurs, vue de ces mondes gigan- tesques, qui gravitent à 155 et 318 millions do lieues de notre orbite. £.tt Les autres planeles sont di!S terres, variées comme notre plobc, montrant des continents ot des mers. . - (FBACMEST de la GEOGRAniIE DE MARS : nÉCIONS KQl"ATOI\IALES ) notre île flottante n'est qu'un point. Qu'est-ce que tout notre système planétaire, y compris la Terre et ses destinées? C'est un chapitre, un feuillet, une page du grand livre de l'Univers : des millions et des millions do soleils plus magnifiques et plus riches que le nôtre remplissent l'immensité. Et qu'est-ce que tout cet ensemble d'étoiles, tout l'univers que nous connaissons, au milieu de l'in- fini? C'est un nid perdu dans une forêt, une fourmilliére dans une campagne. Cherchez la Terre : vous ne la trouvez plus. L'antique erreur de l'immoijilité de la Terre supposée fixe au centre du monde s'est perpétuée, mille fois plus extravagante, dans cette causalité finale mal enteudue dont la prétention (>st de s'obsti- 1.ES TERRKS DU (.lEL tiiun- à placer notre globe au premier rang des corjjs célestes. Notre planète n'a reçu de la nature aucun privilège spécial. Nous nous ima- ginons naïvement que, parce que nous sommes ici, notre pays doit être supérieur en essence à toutes les autres contrées de l'Univers: c'est Icà un patriotisme de clocher, enfantin, puéril, sans excuses. Si demain matin nul de nous ne se réveillait, et si les quinze cent millions d'humains qui s'agitent en ce moment tout autour de notre mondicule s'endormaient du dernier sommeil, cette fin du monde terrestre, cette disparition de la race humaine, n'apporterait pas la plus légère perturbation dans le cours des cieux; elle passerait inaperçue dans l'inexorable mouvement des choses, et, sans contre- dit, chez nos plus proches voisins, les habitants de Mars et de Venus... les valeurs de la Bourse n'en baisseraient pas d'un centime ! On rencontre encore aujourd'hui certains esprits, et même des esprits éclairés, qui, tout en reconnaissant que la Terre est un astre insignifiant dans l'ensemble de l'Univers, s'imaginent néan- moins que la vie n'existe qu'ici, et que les millions de milliards de mondes qui peuvent graviter dans l'immensité infinie doivent être inhabités, parce qu'ils ne nous ressemblent pas, parce qu'ils ne sont pas identiques à notre fourmillière ! Le bon vieux Plutarque raisonnait mieux mille ans avant Tin- vention du télescope et du microscope. « Si nous ne pouvions approcher de la mer, dit-il dans son intéressant petit Traité sur la Lune (De facie in orbe Lun.e), et si, la voyant seulement de loin, nous savions que l'eau en est amère et salée, nous prendrions pour un visionnaire, nous contant des fables dénuées de toute vraisem- blance, celui qui viendrait nous assurer qu'elle est habitée par toutes sortes d'animaux qui vivent dans ce lourd élément aussi confortablement que nous dans l'air léger. Telle est précisément notre situation d'esprit lorsque nous soutenons que la Lune n'est pas habitée parce qu'elle ne nous ressemble pas. S'il y a là des habitants, il ne doivent pas admettre à leur tour que la Terre puisse être peuplée, enveloppée comme elle l'est de brouillards, de nuages et de lourdes vapeurs, et ils croient sans doute que c'est là l'enfer. » A notre époque scientifique, les raisonnements contre lesquels s'élève Plutarque sont moins excusables que de son temps : la Science Vue ilp Mars, di's le coucher du snicil. la Terre brille rl:ins le ciel comme noe éloile LES TERRICS DU CIEI. tout entière s'élève de toutes parts pour en proclamer l'insuffisance. Il y a quelques années encore, les naiuralistes à courte vue ne déclaraient-ils pas que la vie est impossible au fond des mers^ parce que la pression y est si énorme qu'elle écraserait les êtres; parce que, en cette perpétuelle obscurité, l'assimilation du carbone est interdite, et pour cent autres bcmnes petites raisons. Des savants moins siirs d'eux-mêmes, et plus curieux, ont l'idée de vérifier : on jette la sonde, et l'on ramène... des merveilles! des êtres si délicats, si frêles, si ravissants, que, sous cette effroyable pression, ils res- semblent à des papillons se jouant au milieu des fleurs! Il n'y a pas de lumière : i-»3 en fabriquent! et sont phosphorescents. Le monde de la mer est déjà tout différent du nôtre. Jamais un démenti plus formel n'a été donné aux esprits étroits qui ne veulent pas — ou ne peuvent pas — élargir le cende de l'observation immédiate, et qui s'imaginent, selon la parole de saint Augustin, enfermer l'océan dans une coquille de noix. Notre planète nous apparaît comme une coupe trop étroite pour contenir la vie, laquelle se manifeste dans toutes les conditions imaginables et inimaginables, et se développe, à ses propres détri- ments, en vie parasitaire multipliée. Le sol, les eaux, les airs, tout est plein d'êtres, d'embryons, de germes, de fécondité. La vie- déborde littéralement de toutes parts, et elle transforme ses mani- festations suivant les temps et suivant les lieux. Il y eut une époque sur la Terre où le sol, l'atmosphère, la température, les climats, les conditions organiques générales, étaient bien différents de ce qui existe aujourd'hui. Alors les êtres vivants étaient aussi tout différents de ce qu'ils sont. Ressuscitez le monde informe des igua- nodons, des ichthyosaures, des plésiosaures, de l'archéoptérix, du ptérodactyle, et voyez quelle singulière figure feraient ces monstres antédiluviens dépaysés sur nos continents pacifiques, au milieu de nos calmes paysages illuminés de la transparente lumière d'un ciel d'azur! Enfants du globe primitif, ces colosses à la puissante armure respiraient une atmosphère mortelle pour nous, les échos retentissaient de leurs rugissements, et les flots agités des mers vomissaient, les uiDUstrueuses épaves de leurs titanesques combats; les témoins comme les acteurs étaient appropriés à la scène sauvage des siècles primordiaux. Au milieu de ces commotions violentes,. I.KS TKllKKS nu CI Kl, l;i douce sensitive fût morte de frayeur, le rossignol eût senti les perles de sa voix étouffées dans sa gorge, et jamais Eve n'eût osé s'asseoir, nonchalante et rêveuse, sur la mousse des bosquets en fleurs. La Terre actuelle est une planète toute différente de la Terre de l'époque houillère. La nature, puissante et féconde, produit des ■-(Buvres adaptées aux milieux changeants, et organisées pour ainsi dire par ces millieux eux-mêmes. Si nous pouvions renaître dans un million d'années, non seulement nous chercherions en vain les nations qui existent actuelhnnent, car il n'y aura plus alors ni Fran- çais, ni Anglais, ni Allemands, ni Espagnols, ni Italiens, ni Euro- péens, ni Américains; mais encore, nous ne reconnaîtrions même pas notre type humain actuel dans nos successeurs sur la scène du monde. De siècle en siècle, d'âge en âge, tout se transforme, tout se métamorphose. Pour juger sainement, il faut nous affranchir de tout préjugé terrestre, avoir l'esprit dégagé des choses immédiates, oulilicr notre berceau, et arriver devant le concert des mondes comme si nous ■descendions de Saturne, d'Uranus, ou d'une province quelconque du Ciel Si notre esprit développé par les nobles contemplations de la Science veut embrasser l'Univers sous son véritable aspect, nous devons songer d'une part, que la Terre où nous sommes et l'huma- nité qui l'habite ne sont pas 1(> type de la création, et, d'autre part, cpu^ notre époque n'a pas l'importance spéciale que nous lui attri- buons, — et il y a encore ici un jjréjugé inné dont il est difficile de s'affranchir. Nous oublions, en effet, le passé et l'avenir pour le présent qui nous intéresse personnellement, et lorsque notre pensée s'envole vers les sphères célestes pour les peupler d'êtres variés disséminant la vie sur toutes les plages de l'infini, nous avons une tendance à appliquer nos raisonnements à l'époque actuelle. C'est encore là un jugement à courte vue. Dans l'éternité, notre époque passe comme une ombre transitoire, de même que dans l'infini l'étendue de notre patrie terrestre disparait comme une goutte d'eau au sein de l'océan. La Terre a été pendant des millions d'années sans être habitée,, et le jour viendra où la dernière famille humaine s'étant endormie dans les glaces du refroidissement définitif, le globe terrestre roulera dans l'espace comme un sépulcre sans épita- LES TERKES DU CIEI, plie et sans histoire. Avant l'existence du premier homme sur la Terre, les étoiles brillaient au Ciel comme aujourd'hui, et déjà, depuis bien des siècles de siècles, les soleils radieux de l'immensité sans bornes illuminaient et régissaient les humanités sidérales gravitant dans leur rayonnement. Après le dernier soupir du dernier homme, les mondes continueront de circuler dans la joyeuse et féconde lumière des soleils de l'avenir. Lors donc que nous saluons la vie universelle dans l'infini, nous devons associer à cette idée celle de la vie s'étendant le long des âges passés et futurs, et c'est seule- ment éclairée par cette double lumière que notre contemplation de la nature peut être adéquate à la réalité. Ainsi, dans notre propre système planétaire, tandis que Mars et Vénus se présentent à nous comme actuellement habitables, Jupiter nous apparaît comme arrivant seulement à la genèse des époques primordiales de la vie, et la Lune, au contraire, comme atteignant déjà sans doute les derniers jours de son histoire. Ici des nébuleuses sont eu turmatiim, là des mondes s'écroulent dans la décadence et l'agonie. Dans la description des autres mondes que nous entreprenons aujourd'hui, nous suivrons un ordre plutôt naturel que techni- «pie. Comme il ne s'agit pas ici d'un traité de cosmograpliie, nous ne nous astreindrons pas à commencer notre étude par le Soleil, (•(^ntre, foyer du système du monde, et à décrire les planètes dans l'ordre de leurs distances à cet astre illuminateur. Notre voyage sera plus pittoresque. Nous commencerons, tout naturellement, par la terre céleste que sa proximité et sa situation favorable pour nos observations nous ont fait le mieux connaître, par notre coisinr la planète Mars, dont nous connaissons déjà la j)hysiologie géné- rale, les saisons, les climats, la météorologie, la géographie même ; — sur LKjuelle nous observons des continents et des mers analo- gues à ctnix qui diversifient la géographie terrestre; — sur laquelle nous distinguons même les embouchures des grands fleuves, les rivages méditerranéens où voltigent les nuages; — sur laquelle nous pourrions déjà choisir les pays qu'il est le plus agréable d'ha- biter à cause de la pureté de leur ciel et de la tranquillité de leur atmosphère, — sur laquelle bientôt peut-être nous reconnaî- trons des traces indiscutables de civilisation;... oui, nous com- mencerons notre voyage par cette natrie voisine que le lél(>s(;opo Le monde Je I,i mer est di-jj loul ditïi'Tent du n.dr TERRES DD CIBL. LES TERRES DU CIEI. met aujourd'hui à la portée de notre main et qui, la première, vient nous prouver que la doctrine de la pluralité des mondes n'est ni une chimère ni une utopie, mais qu'elle est l'expression de l'une des plus grandioses, des plus magnifiques vérités enseignées par la Nature. Mais en même temps que ce voyage sera pittoresque, il doit être instructifet laisser dans nos esprits des notions scientifiques précises. Aussi ne décrirons-nous aucune planète sans faire connaître tout d'abord sa position dans le système du monde, sans tracer le plan de notre voyage uranographique. 11 importe poumons de ne pas imiter ^^^^«-^Î^'-Ptox^e,,^ Fig. 8. — Plan du système solaire pour les planètes les plus proclies du Soleil. (Échelle : 1°"° = 2 millions de lieues.) ces voyageurs indifférents qui vont, par exemple, visiter l'Italie sans cartes et qui, lorsqu'ils s'arrêtent à Milan, à Venise, à Florence, à Rome, à Naples, ne savent même pas oii ils sont et perdent ainsi volontairement les trois quarts des jouissances intellectuelles (jui ac- compagnent un voyage bien compris dans son ensemble et dans ses détails. Aussi, avant même de nous arrêter sur la planète que nous allons visiter, devons-nous commencer par nous rendre exactement compte de sa situation relativement à l'île céleste que nous habitons. Tout le monde sait que la Terre où nous sommes est la troisième des planètes qui circulent autour du Soleil; que sa distance à cet astre est, en moyenne, de 148 millions de kilomètres ou 37 LES TEnUK.S Di: (,IKL millions (le li(>ues, cl qu'elle parcourt sa révolution ;uinuollo autour do lui eu ;{Gô jours, G heures. (Voyez plus haut le petit [ilan (fig. 8), traeé à récliell(> de I millimètre pour -i uiilliuns de lieues.) La planète Mars est la quatrième planète. Elle vient immédiate- ment après nous dans l'ordre des distances à l'astre illuminateur, et circule également autour de cet astre, à la distance moyenne de 525 millions de kilomètres oudeSG millions de lieues, en une révo- lution annuelle qu'elle emploie 687 jours à accomplir. Fig. 9. —Rapports entre l'urbite do Mars et celle de la Terre, Il en résulte (pi'entre la route suivie par la Terre autour du Soleil et la route suivie par Mars, il y a une distance moyenne de 77 millions de kilomètres, ou 19 millions de lieues. Remarquons maintenant que les orbites décrites autour du Soleil par Mars comme par la Terre ne sont pas tout à fait circulaires. Klles sont un peu ovales, ou pour mieux dire, elliptiques, de sorte que l'in- tervalle qui les sépare varie sensiblement d'un point à un autre. Cet intervalle, qui est en moyenne de 19 millions de lieues, est, en cer- tains points, diminué jusqu'à 1 '», c'est-à-dire à 56 raillions de kilomè- LES TEItUES UU CIEL très. (On se rendra bien ronipto do cet élal de clinses par l'examen de notre fig. 9j. La planète Mars se trouve donc de temps en temps à cette distance relativement faible — astronomiquement parlant — Et comme alors précisément la Terre passe entre elle et le Soleil, nous la voyons éclairée en plein et brillant dans le ciel de minuit avec l'éclat d'une magnifique étoile de première grandeur. Elle n'a par elle- même aucune lumière. Mais elle est illuminée par le Soleil, et comme sa surface entière éclairée est rapetissée par la distance à la dimension d'un simple point, toute cette lumière reçue du Soleil est par cela même condensée en un point minuscule, de sorte que la planète brille poumons à l'œil nu comme une étoile. Mais si nous l'observons à l'aide d'un instrument d'optique, ce point lumineux devient un disque de dimensions sensibles qui d'abord, pour nous servir d'une expression familière, ressemblera à un pain à cacheter. Si nous employons un instrument plus puissant, les dimensions augmenteront en proportion du pouvoir amplifiant du télescope. La vivacité de l'éclat lumineux de la planète diminue dans la môme proportion. Si l'instrument est assez puissant, on re- marque d'abord des taches blanches marquant juste la place des pôles ; ensuite on distingue des taches grises sur un fond jaune, etréclairc- ment général de ces aspects géographiques ne paraît pas supérieur à celui des paysages terrestres éclairés par une belle journée d'été. Mais abordons sans tarder siu" cette patrie voisine. Nous avons dit qu'aux époques de ses plus faibles distances, elle passe à 56 millions de kilomètres d'ici. Un train express qui court à la vitesse régulière (le 1 kilomètre par minute, emploierait par conséquent 56 millions de minutes pour y arriver. Ce serait un peu long, car en partant aujourd'hui nous n'arriverions que dans 1095 ans... Nous serions tous trop âgés pour jouir du voyage. — Un boulet de canon vole plus vite : supposons-nous emportés vers Mars avec sa vitesse de 50U mètres par seconde ou 30000 mètres par minute. Cette vitesse étant trente fois plus rapide que la précédente, nous arriverions dans 36 ans. C'est encore trop long. — Choisissons plutôt la vitesse d'un rayon de lumière : 300000 kilomètres par seconde! Voilà Mars qui brille dans le ciel, bien reconnaisable à la coloration rougoàtre de sa lumière. Partons ! . . . En trois minutes nous sommes arrivés. CHAPITRE II Les analogies de Mars avec la Terre. — La géographie de Mars. En abordant sur ce nouveau monde, la première impression res- sentie par notre âme n'est pas une impression étrangère à celle que les spectacles de la nature terrestre nous imposent. Nous nous trouvons transportés sur un globe singulièrement analogue au nôtre. Les bords de la mer y reçoivent comme ici la plainte éternelle (les flots qui se brisent en s'éteignant sur le rivage; car là, comme ici, le souffle des vents ride la surface de l'eau et donne naissance aux vagues qui se succèdent et retombent. Si le ciel est pur et l'atmo- sphère calme, le miroir des eaux reflète comme ici le soleil éblouis- sant et le ciel lumineux; et sans la coloration spéciale et la forme étrange des plantes, nous pourrions nous imaginer facilement nous retrouver sur les bords de la Méditerranée ou devant un lac do la douce Helvétie. Les Alpes couronnées de neiges perpétuelles ne manquent pas à l'analogie du tableau; ni les montagnes; ni les vallées; ni les cascades argentées; ni le bruit lointain du vent dans les campagnes; ni la tiède chaleur du soleil printanier; ni la succes- sion lente des heures du jour; ni le bonheur de se sentir vivre au sein d'une nature calme et bienveillante. Le villageois européen qui, jeté par le flot de l'émigration sur les rives de l'Australie, se réveille un beau jour au milieu d'un pays inconnu, où le sol, les arbres, les animaux, les saisons, le cours du Soleil et de la Lune, sont d'un aspect tout différent de ce qu'il a vu jusqu'alors dans son pays LA PLANÈTE MAHS natal, n'est pas luoiiis surpris ai muins dépaysé quo nous nv le sommes lîn arrivant sur la plauèle Mars. Se transporter de la Tcito sur Mars, c'est simplement chauj-'or de latitude. Lorsque nous considérons avec attention ce monde voisin, nous ne pouvons nous empêcher d'être tout d'abord frappés par certaines analogies remarquables qui nous font immédiatement songer à notre propre habitation terrestre. Et d'abord, cette planète se montre à nous environnée d'une atmosphère assez épaisse pour absorber une grande quantité de lumière, rendre ses aspects géogra- phiques invisibles pour nous lorsqu'ils arrivent aux bords du disque, cl atténuer considérablemeul l'iuLensité de la coloration rougeàtrc- (le ses continents. Cette atmosphère contient comme la nôtre do la vapeur d'eau en suspension : l'analyse spectrale le démontre d'une part, et d'autre part les neiges polaires que nous apercevons d'ici, et qui varient d'étendue suivant les saisons, ne pourraient ni se former, ni se fnmlre, ni s'évaporer, si l'eau ne remplissait pas sur cette planète lui n'ile analogue à celui (pi'elle joue dans notre propre météorologie. Le partage de la siu-lace du sol en régions claires et foncées con- duit, d'autre part encore, à conclure que les régions sombres nous représentent des étendues d'eau qui absorbent la lumière, tandis que les continents la réfléchissent. Ces étendues d'eau sont, comme nous le verrons plus loin , variables elles-mêmes, suivant les sai- sons. Quant à ces saisons, elles ont précisément la même intensité que les nôtres, car l'inclinaison de l'axe de rotation du globe de Mars- est à peu près la même que celle de notre propre planète. L'année, toutefois, y étant près de deux fois plus longue que la nôtre (elle dure 687 jours terrestres), les saisons y sont également prés de deux fois plus longues et durent prés de six mois chacune; toutefois elles sont plus inégales qu'ici. Le jour martien est un peu plus long que le j(jur terrestre; la durée précise de la rotation de la planète autour de son axe est aujourd'hui connue à moins d'une seconde près : elle est de 2't heures 37 minutes '23 secondes. Il y a beaucoup moins de nuages sur Mars que sur la Terre. II s'en forme fort rarement dans les régions équatoriales, et c'est surtout vers les régions polaires qu'ils se condensent. Toutefois,. I.A PLANÈTE MARS Tapparition, la dispai'ilinn, le driihieemcnt, sur fcrtaiiios coiilivcs, «L parfois môinc jusqu'à l'Equateur, de taches blanches rivalisanl d'éclat avec les neiges polaires, signalent la formation de ])rouil- lards et de nuages qui nous apparaissent vus d'en haul, cMuimi' lorsque nous les observons en ballon, d'une éclatante blancheur, parce que leur surface supérieure réfléchit la lumière solaire avec autant d'intensité que la neige fraîchement tombée. Ces nuages comme les nôtres, se résolvent en pluies, qui donnent naissance à des sources, à des rivières et à des fleuves. Les neiges polaires varient considérablement d'étendue suivant les saisons. Toutes les observations s'accordent pour établir qu'elles attiMgnent leur maximum après l'hiver de l'hémisphère auquel idh^s appartiennent, et leur minimum après l'été. La variation d'étemliie est plus grande au pôle sud (pi'au pôle nord, ce qui concorde avec IVlTet de l'excentricité de l'orbite, qui donne à l'hémisphère austral dt^ saisons plus marquées qu'à l'hémisphère boréal. C'est ce qui arrive aussi pour notre yiropre globe. De même que sur notre planète, le centre du froid ne coïncide pas avec le pôle géographique, mais en est éloigné de 5° à 6°. Pendant les observations de 1877 et 1870, le pôle sud est resté plusieurs st^maines complètement découvert. Comme sur la Terre aussi, ces n'^ions polaires sont occupées par des mers. Ce sont là les principales analogies que la planète Mars présente avec le monde (pie nous habitons. Pour tout esprit impartial, affranchi des préjugés terrestres dont nous parlions tout à l'heure, la logique rationnelle va un peu plus loin que les yeux : notre pensée pénétrante devine, sent, perçoit que les forces de la nature n'ont pu rester inactives, n'ont pu être frappées dans leur œuvre par un miracle permanent de stérilisation. Là comme ici, en effet, il y a des jours et des nuits, des matins et des soirs, des rayons de soleil ot des ombres, des heures lumineuses et des jours couverts, des nuages et des pluies, des terres et des eaux, des printemps et des hivers, des tempêtes et des calmes, des paysages gracieux et des steppes improductives. Là comme ici le vent mugit dans les falaises, souffle à travers les bois, glisse sur l'onduleuse prairie; là comme ici l'arc-en-ciel succède à l'oi-age, les parfums des fleurs imprègnent .^'atmosphère, et sans doute aussi, là comme ici, le printemps peuple LA PLANfcTE MAliS les bois de nids ot do diansons. N'est-il pas naturel de songer à ces heures charmantes du soir dont nous parlions dés la première page de cet ouvrage, heures qui rrpaudrnt la rêverie sur Mars comme sur la Terre ! De là, nous brillons au Ciel comme Vrnus brille pour nous. N'est-il pas naturel de nous demander s'il y a là des êtres qui nous contemplent, des humains, des frères qui peut-être connaissent mieux notre patrie que nous ne connaissons la leur, des intelligences douées de facultés analogues ou supérieures aux nù- trcs?... Gomment regarder ces continents et ces mers sans penser aux habitants ? Comment ne pas songer à ces rivages, à ces embou- chures, à ces havres, à ces plaines, à ces campagnes, et ne pas imagi- ner qu'il puisse exister là aussi des oasis, des hameaux solitaires, des villages paisibles, des cités populeuses, des capitales glorieuses, des travaux industriels, des œuvres d'art et tous les produits d'une civilisation séculaire? Sans doute, certainement même, les formes des êtres vivants ne doivent point ressembler à celles des enfants de notre planète. Mais, sous des manifestations différentes des manifes- tations terrestres, la perpétuelle adolescente, la divine Nature, jeune et intarissable mère des êtres et des choses, a donné le jour à des productions vivantes dont l'organisation est adaptée aux conditions vitales inhérentes à ce séjour. Avant d'entrer dans les détails de la constitution physique spéciale de ce monde voisin, étudions d'abord sa géographie, au point oii les dernières découvertes télescopiques nous conduisent aujdurd'luii. On peut se demander d'abord de quelle grandeur apparente se pré- sente à nous le globe de Mars. En ses époques de plus grand rappro- chement, il peut atteindre un diamètre de 30". Comparativement à la pleine lune, dont le disque mesure 31 '24", c'est un diamètre 63 fois moindre. (En représentant la Lune par un disque de 63 centi- mètres de largeur. Mars serait figuré par un disque de 1 centimètre.) Il en résulte qu'une lunette grossissant seulement 63 fois, nous montre le globe de Mars de la même grosseur que nous voyons la Lune à l'œil nu. C'est déjà suffisant pour distinguer ses neiges polaires, aux époques d'excellente visibilité. Un télescope armé d'un grossissement dix fois plus fort, ou de 630 fois, montre Mars dix fois .plus large en diamètre, ou cent fois plus étendu en surface, que nous ne voyons la Lune à l'œil nu. La LA PLANÈTE MARS plupart des grands instruments dont on s'est servi pour l'étude de cette planète supportent des grossissements de cet ordre-là. On a même employé parfois des oculaires amplifiant 1000 et 1200 fois l'image de l'astre. Avec ces pouvoirs amplificateurs, les mers, les continents, les golfes, les configurations géographiques, en général, sont parfaitement visibles. Mais ce que les observateurs recherchent le plus, ce n'est pas tant ragrandissemcut i[ur la netteté des images. I-'ig. 10. — Aspect tL'Icscopiqiie de la planète Mars, dans un instr (ePOQOE de 7EASE MARQDËE). l'nt do moyenne puissance. Aussi est-il important d'appliiiuor à crtte éfudo d(>s lunettes ou des télescopes de 20 à 25 centimètres de diamètre au. moins. Ou peut se former une idée de l'aspect de la planète dans un instrument de moyenne puissance par la gravure ci-dessus {/ùj. 10), qui reproduit l'un des dessins que j'ai pris pendant la période particulièrement favorable de l'année 1877. L'instrument employé est un télescope Foucault de 20 centimètres armé d'un grossissement de 240 fois; l'observation est du 30 juillet 1877, à II"" du soir, un mois environ avant que la planète passât juste derrière nous relati- vement au Soleil, ce qui fait qu'elle n'est pas tout à fait ronde et montre une phase sensible. On remarque dès le premier coup d'œil une énorme tache blanche ovale : c'est la calotte polaire neigeuse ; en août, septembre, octobre, elle a jjeaucoup diminué de grandeur TERRES DU CIKL. 1.A PLANÈTE MARS par suite de la fonte des neiges. On distingue ensuite, descendant le long du méridien central, une tache grise triangulaire : c'est une mer à laquelle on a donné le nom de « mer du Sablier » . Les autres configurations sont plus indécises ('). Pour que l'observation de Mars puisse fournir de bons résultats, deux conditions sont requises, en outre de sa proximité relative à l'époque de son opposition. Il faut que l'atmosphère de la Terre soit pure dans le lieu de l'observation, et il faut aussi que l'atmosphère de Mars ne soit pas chargée. En d'autres termes, il faut que le temps soit au beau pour les habitants de cette planète comme pour nous. En effet, Mars est entouré d'une atmosphère aérienne, qui de temps en temps se couvre do nuages aussi bien que la nôtre. Or, ces nuages, en se répandant au-dessus des continents et des mers, forment un voile blanc qui nous les cache, totalement ou partiellement. L'étude de la surface de Mars est dans ce cas difficile ou même impossible. 11 serait aussi stérile de chercher à distinguer cette surface quand le ciel de Mars est coMvei't, que de chercher à distinguer les villages, rivières, routes ou chemins do fer de la France lorsqu'on la traverse en ballon au-dessus d'une opaque couche de nuages (ce qui m'est, pour ma part, arrivé plusieurs fois). On voit par là que l'observa- tion de cette planète n'est pas aussi facile qu'on le supposerait à pre- miéro vue. Néanmoins, après la Lune, c'est Mars qui est le mieux connu de tous les astres. Aucune planète ne peut lui être comparée sous ce rapport. Jupiter, la plus grosse, Saturne, la plus curieuse, toutes deux beaucoup plus importantes que lui et plus faciles cà observer dans leur ensemble à cause de leurs dimensions, sont enveloppées d'une atmosphère constamment chargée de nuages, de sorte que nous ne voyons presque jamais leur surface. Uranus et Neptune ne sont que des points brillants. Mercure est presque toujours éclipsé, comme les courtisans, dans le rayonnement du Soleil. Vénus, Vénus (') La petitesse do Mars, l'exiguïté des détails de sa surfacej elles voiles qui troublent souvent son atmosphère, font que l'étude de cette planète est moins accessible que celle de Jupiter, de la Luue, des taches solaires, de certaines étoiles doubles et de certaines nébuleuses, aux instruments de moyenne puissance. Ce rl'est qu'en des circonstances atmosphériques très rares que l'on peut obtenir des résultats satisfaisants à l'aide de l;i lunette classique de 11 centimètres : il faut au moins une luuette de 15 ou 16 centimè- tres ou uu télescope de 20. Un bon objectif de 23 ddniie deà résultats excelletits. GÉOGRAPHIE DK .MARS seule, pourrait être comparée à Mars : elle est aussi grosso que la Terre, et par conséquent deux fois plus large que Mars en diamètre; elle est plus voisine de nous et peut même s'approcher à moins de 10 millions de lieues d'ici. Mais elle a un défaut, c'est de graviter entre le Soleil et nous, de sorte qu'à sa plus grande proximité, nous ne voyons que son hémisphère obscur, bordé d'un mince croissant (ou pour mieux dire, nous ne le voyons pas). Il en résulte que sa sur- face est plus difficile à observer que celle de Mars. Ainsi c'est Mars qui l'emporte, et c'est, de toute la famille du Soleil, le personnage avec lequel nous pouvons entrer en relation la plus intime. Remarquons, à ce propos, que la Terre est pour Mars dans le même cas que Vénus pour nous. Nous connaîtrons plus tôt la géographie de Mars qu'il ne connaîtra la nôtre, et tandis que nous sommes si peu avancés sur celle de Vénus, sans doute les astronomes de Vénus connaissent maintenant parfaitement la géographie de notre pays céleste. Mais entrons tout de suite ici dans quelques détails. Parmi les nombreux dessins de cette planète qui ont été faits par un grand nombre d'astronomes, signalons d'aburd ceux de Béer et Mildler. Flg. 11. Aspects de Mars los 11 septembre et 20 octobre 1830, et le IG décembre 1832. Nous avons reproduit sur notre figure 1 1 trois de leurs dessins, faits en d'excellentes conditions atmosphériques, le l 'i septembre 1830. le 20 oc- tobre de la même année, et le 16 décembre 1832. Le point principal de ces dessins sur lequel nous appelons l'attention, c'est la petite tache arrondie qui, reliée à une plus grande par un ruban contourné, ressemble un peu à un serpent. Nous aurons tout à l'heure à nous occuper spécialement de cette tache. CÉOGUAPHIE DK MARS Pendant l'oppûsilion (') de 1858, le P. Secclii a fait à Rome, en des con- ditions éminemment favorables aussi, un grand nombre de dessins dont nous reproduisons huit fac-similé, sur nos lig. 67 et 08. Les quatre de la figure 12 sont dos 5, 6, 7 et 10 juin. Les neiges polaires y sont bien mar- quées; la mer qui entoure le pôle supérieur y est nettement visible, ainsi que la Manche qui en descend et t^ue les continents qui s'étendent à l'est et à l'ouest. Les dessins de la fig. 13 sont des 13, 14, 17 et 18 juin; ils présentent d'autres mers et d'autres continents. Remarquons surtout, sur les deux supérieures, la mer foncée qui descend en s'amincissant et finit Fig. 12. — Aspects de Mars les 5, 6, 7 et W juin 1858. par une bifurcation dirigée vers l'est : l'astronome romain l'avait appellée X Atlantique de Mars. Nous avons également reproduit les importants dessins faits en 1862 et 1864 par Kaiser, directeur de l'Observatoire de Leyde. Notre figure 14 représente ses vues télescopiques des 31 octobre, 23 novembre, 10 et (') Une pianote ost dite en opposition avec la Terre lorsqu'elle passe derrière nous relativement au Soleil, la Terre se trouvant entre elle et le Soleil, et la planète étant par conséquent ainsi diamétralement opposée au Soleil. Il est clair que cette situation est la plus favorable pour nos observations. — Se souvenir de la signification de ce terme, car il sera souvent employé dans les pages suivantes. GEOGRAPHIE DE MARS 29 14 décembre 1862. Sur la première, remarquons la tache en forme de ser- pent (c'est la mémo que celle de Mâdler) ; sur la deuxième, une tache en forme d'œil, qui dans le même temps était attentivement dessinée en Angleterre par Lockyer ; sur la troisième, une tache en forme de V, et sur la quatrième la tache qui longe parallèlement la grande mer. — Signalons enhn les quatre dessins de notre figure 15, faits également par Kaiser, les 19 et 22 novembre, 18 et 19 décembre 186i. — Nous discuterons tout à l'heure ces différents tracés. ^;;-^WI^^ s^ ^^^ Fig. 13. — Asiiccts de Mars los i;i. M, 17 et IK juin 1&:«. A ces observations, qui nous permettent de conserver ici les prin- cipaux dessins obtenus pendant ces anciennes oppositions de la pla- nète, ajoutons celles qui ont été faites pendant l'opposition de 1877, la dernière et la meilleure de toutes au point de vue des résultats conquis. Parmi une quantité considérable de croquis dont nous avons la collection sous les yeux, dessinés par les meilleurs observa- teurs de l'Europe et de l'Amérique, nous reproduisons (fig. 16) quatre fort belles vues dues à l'astronome anglais Green, qui s'était rendu exprés sous le climat si favorable de l'île de Madère pour étu- CÉOORAPniE PE MARS dier la planète à l'aido d'un excellent télescope de 33 centimètres de diamètre, installé sur une montagne élevée à 660 mètres au-dessus du niveau do la mer, et armé de grossissements variant de 200 à 400 fois, donnant des images extrêmement nettes. Ces (|uatre dessins Fig. I-t. — Aspects (le Mars les 31 oclobre, 23 novembre, 10 et U décembre 1862. montrent quatre faces de la planète prises à 90 degrés ou à angle droit l'une de l'autre, et représentent à eux quatre l'ensemble total du globe de Mars. Sans multiplier outre mesure ces dessins, quelque intéressants qu'ils soient en eux-mêmes, remarquons que par leur comparaison respective, nous pouvons arriver aujourd'hui à nous former une idée fort exacte de l'état géographique de la planète. Ceux qu'on a obtenus depuis dix ans suffiraient, à eux seuls, pour permettre de r.ftOr.RAPHIK II F, MARS construire une carte ih\ ce globe voisin. Mais nous sommes plus riches, et les anciens dessins ne doivent pas toujours être dédaignés. Depuis longtemps déjà, une attraction spéciale pour ce monde, frère du nôtre, m'avait conduit à en étudier tout particulièrement les aspects, et dès la seconde édition de La Pluralité des Mondes (1864), j'avais publié en frontispice une comparaison de l'aspect géographique de Mars avec celui de la Terre. Depuis cette époque, Fi;<. IJ Aspects de Mars les 10 ot "ii noveiiibre 18 et 19 décembre 18Gt. je suis parvenu à réunir plus de *2500 dessins de cette planète, dont les premiers sont vénérables, âgés de prés de deux siècles et demi, et remontent au régne de Louis XIII, à l'année 1G.'](J, Le premier astronome qui ait observé des taches sur la planète Mars est Fontana, à Naples, en 1636 et en 1638. Dans ces dessins, très rudimentaires (voy. p. 35), on voit, en 1636, Mars sous la forme d'un disque rond avec une tache sombre au milieu, et en 1638, une phase très marquée. Les taches de Mars ont été observées aussi, en 16-40, à Rome, par Zucrlii; en 1614, à Naples, par Bar(oli;en 1656, 1659, etc.,àLeyde, parlluygens; en 1666, ti Londres, parîlooke; en 1666 aussi, à Bologne, par Cassini, et en 1670 parle même à l'Obser- GKOCHAlMlli; DE MAKS vatoire de Paris, dès les j)remiers mois de; sa fondât ion. A l'insu de Cassini, Huygens avait déjà beaucoup étudié ces taclies en 1659 et découvert, par leur déplacement, la rotation diurne de la pla- Dète. Ces observations furent continuées à l'Observatoire de Fig. 16. Aspects de Mars les l", '2'J, 18 et 1j septembre ISTT, représentant l'ensemble rie la planète. Paris, principalement par Maraldi, neveu de Cassini, qui fit une étude spéciale de la planète en 1704 et 1719. Elles se faisaient à l'aide des grands objectifs de Campani, que l'on tenait à la main, soit sur le haut de la tour orientale de l'Observatoire, soit dans les charpentes de la machine de Marly, alors transportée dans le jardin Premières obscrvalions ilc iluuctes faites sous Louis XIV, i l'Observatoire de Pans. TEnr.ES DU ciKi,. 5 GEOGRAPHIE DK MARS expressément pour ce but; l'observateur, placé sur le sol, et tenant son oculaire à la main, était obligé de chercher à grand'peine l'image de l'astre. C'étaient des lunettes sans tubes. L'un de ces objectifs avait son foyer à 300 pieds de distance! Nous reproduisons, d'après une figure du temps, l'image de ces anciennes observations, ainsi qu'un spécimen de ces premiers dessins. On voit aussi (p. 41) une monture assez curieuse de la même époque, tirée de la Machina Cselestis d'Hévélius (1673) ('). Parmi les anciennes séries de dessins, les meilleurs sont ceux de Huygens et de Schroëter; ces deux excellents observateurs ont passé bien des nuits, ont consacré bien des veilles, dans l'étude de cette planète voisine ; mais le Ciel ne les en a guère récompensés. Le pre- mier, qui, dès la fondation de l'Académie des sciences, en 1666, avait été désigné par sa réputation pour le nouveau cénacle scienti- fique et, — appelé par Louis XIV, — s'était, sur la foi des traités, fixé dans cette France, qu'il illustrait, fut une des victimes de l'inepte et cruelle révocation de l'édit de Nantes et obligé, pour obéir au fanatique caprice du Père De Lachaise et de M""" de Maintenon, d'aban- donner son observatoire, sa bibliothèque, ses amis, ses travaux, sa seconde patrie (octobre 1685). Le second, après avoir consacré sa vie à l'étude pacifique du ciel, avoir complété un grand nombre d'observations et accumulé des centaines de dessins de planètes, eut la douleur, le désespoir, de voir une armée en fureur se précipiter, comme il le dépeint lui-même en termes émus, dans la « vallée des lys » (Lilienthal, prés de Brème, où son observatoire était installé), mettre la ville entière au pillage (20 avril 1813), incendier ce qui n'était pas détruit et briser, réduire en pièces, tout ce qui avait échappé au pillage et à l'incendie. Le pauvre astronome perdit tout. Faut-il l'avouer? cette armée était une armée... française! et le gé- néral responsable s'appelait Vandamme. Tant il est vrai que, même chez les peuples les plus policés, la guerre est encore plus stupide qu'elle n'est exécrable. (') Ces grands objectifs, formés d'une seule lentille, irisaient les images comme des prismes, lorsqu'ils avaient une trop grande courbure ou un court foyer. De là, la néces- sité de ces énormes distances focales. Aujourd'hui, les objectifs des lunettes sont com- posés de deux lentilles qui se neutralisent mutuellement comme couleurs, de sorte que les images restent pures ou achromatiques. Un objectif de 30 centimètres de diamètre 1 son foyer à 8 mètres. f.KOf;i!Al>HIE DE MARS Mais rovoïKiiis k Mars, — non pas au dieu des conilints, qui no mériterait que nos anathèmes, — mais à la planète. Si l'on compare entre elles toutes les vues télescopiques, on ne tarde pas à reconnaître certains rapports entre les dessins anciens et les modernes. En tenant compte de la différence des instruments et aussi de la différence des observateurs, on retrouve des indices Fig. 18. — Anciens dessins de l.i planète Mars. iir siècii). certains de l'existence ancienne des taches que nous oliservons ha- bituellement aujourd'hui. Les taches grises ou claires observées par nos aïeux sont fixes à la surface du globe martien, et on peut les retrouver sur la plupart des anciens dessins aussi bien que sur les modernes. (Ainsi, la mer triangulaire est visible dans les dessins de 1659 et 1719: voy. fir/. 18.) On remarque aussi qi.e sur un grand nombre do ces figures, la planète offre de tout autres aspects, dans lesquels les configurations géogra- phiques sont déformées, masquées, ou même absolument absentes. Ces différences s'expliquent par certaines perspectives sous lesquelles GEOGRAPHIE DE MARS le globe de Mars peut se présenter à nous et par les variations môme? de l'état atmosphérique de cette planète : il y a des jours, des sai- sons entières même, où cette atmosphère est brumeuse, nuageuse, sur une grande étendue géographique, de telle sorte qu'on ne dis- tingue plus la surface et que la planète paraît beaucoup plus blan- che, à cause de l'éclairement supérieur de ces nuages par le soleil. Nous avons nous-mème obtenu, depuis l'année 1871 principale- ment, un grand nombre de dessins de cette planète voisine; mais ces observations auraient été bien insuffisantes pour nous permettre de construire une carte géographique satisfaisante, et lorsque, à l'époque de la première édition de cet ouvrage (1876), nous avons voulu dessi- ner cette carte, nous avons pris soin de nous entourer de tous les dessins qu'il nous avait déjà été possible de recueillir. Cette Map- pemonde géographique de la planète Mars a été, depuis 1876, corrigée et complétée deux fois. Trois ans plus tard, en effet, nous avons pu la perfectionner sensiblement pour notre ouvrage l'Astronomie jwpulaire (1879). Trois ans plus tard encore, cette carte a été refondue pour notre Revue viensuelle (V Astrono- mie jmpulaire (juillet 1882). Depuis un an, de nouveaux docu- ments, dus surtout aux observations de MM. Trouvelot, à Cam- bridge; Burton, Dreyer, lord Rosse et Bœddicker, en Irlande; Schia- parelli, à Milan; Cruls, à Rio-Janeiro, nous permettent de construire aujourd'hui une carte plus précise encore, mais non encore parfaite et définitive assui^ment, car le progrès ne s'arrêtera pas ('). Donnons une description succincte de la mappemonde géogra- phique de la planète Mars (suivre sur la carte, PI. I, p. 37). Le degré zéro des longitudes aréograpliiques a été placé au point choisi par Béer et Mâdler. Il n'y a pas de raison pour adopter un point plutôt qu'un autre comme méridien, pas plus que sur la Terre; mais l'ob- '1) La première carte de Marsa été tracée, ily a quarante-cinq ans, par Mâdler et Heer, astronomes hanovriens, d'après leurs propres observations, faites de 1828 à 1836. Ils ont dessiné une double projection polaire représentant les principales taches, et formant en quelque sorte le premier canevas d'une géographie de Mars. Après les oppositions de 1802 et 1864, Kaiser, directeur de l'Observatoire de Leyde, traça, également d'après ses propres observations, une autre carte de Mars, qui diffère en plusieurs points de la précédente, quoique plusieurs analogies soient évidentes. Il y a surtout une étude attentive de la région équatoriale, s'étendant jusqu'à 55° de latitude, où les contours sont nettement tracés. Un nouvel essai fut mené à bonne fin GÉOGRAPHIE DE MARS jet important est de s'entendre. La cause du choix des deux observateurs précédents a été la grande visibilité d'une tache située sur cette ligne. « Une petite tache d'un noir très prononcé, disent-ils, se distingua si fortement des autres par sa netteté, dès notre première observation (10 septembre 1830), et était si proche de l'équateur, que nous crûmes devoir la choisir pour notre tache normale dans la déterminalion de la rotation. » Cette tache avait déjà été remarquée dès 1798 par Schrœter, qui la voyait aussi sous forme d'un globule noir. Elle avait été également dessinée en 1822 par Kunowsky. Ou la comparait à une balle suspendue à un fil contourné (voy. fîg. II, p. 27). Pendant l'opposition de 1862, elle a été souvent dessi- née par Kaiser et placée sur sa carte à 90° ; mais elle n'est pas ronde comme sur les dessins de Mâdler, et le ruban qui l'attache est beaucoup plus large (voy. fîg. 14, 31 octobre). Dawes, qui l'avait beaucoup observée en 1852, sans lui remarquer de forme particulière, la trouva fourchue en 1862 et en 1864. Lassell l'a également dédoublée en 1862. On la revoit toutes les fois que les circonstances sont favorables. Ainsi cette tache, choisie comme origine des longitudes martiennes, n'est pas produite par des accidents atmosphériques, mais reste fixe au sol et tourne avec lui. Notre figure 19 représente cette région importante del'aréographie ('). La configuration la plus anciennement connue de la géographie de Mars est la mer verticale sombre que l'on voit descendre au-dessous de l'équa- teur, vers le 70" degré de longitude, s'amincir et se terminer par un coude qui se dirige vers l'est en forme de canal. Au-dessous se trouve une autre mer qui s'avance dans l'intérieur des terres en formant un angle. Lorsque le globe de Mars est tourné de façon à nous présenter cette région à peu près de face, et lorsqu'on se sert d'un télescope de faible puissance, ou en 1869 par M. Proctor, astronome anglais, d'après les observations faites par son célèbre compatriote Dawes, en 1864. La construction de cette carte, plus complète que les précédentes, a fait faire un pas considérable à la connaissance générale de la planète. Vint ensuite une synthèse laborieuse et patiente faite par M. Terby, de Louvain, qui parvint à collectionner presque tous les dessins faits sur la planète depuis qu'on l'observe au télescope, et à réunir ainsi tous les éléments de cette géographie. Quoique l'astronome belge n'ait pas dessiné de carte d'après cet ensemble d'observations (au nombre desquelles les siennes propres doivent être comptées), son travail mérite d'être signalé ici comme un nouvel essai pour la géographie niartienne.plus complet que tous les précédents. Il a été publié en 1874. — La carte que j'ai construite en 1876 était donc déjà en réalité un cinquième essai. Depuis cette époque, M. Green, astronome anglais, a publié une nouvelle carte, excel- lente; M. Schiaparelli, directeur de l'observatoire de Milan, en a publié trois, et M.M. Bur- ton et Dreyer en ont dessiné une nouvelle, qui offre de grandes analogies avec celle de M. Green. La géographie de Mars n'est pas encore faite, toutefois, car un grand nombre de détails restent problématiques. (') La géographie de Mars pourrait s'appeler Varéographie, le radical grec de Mars étant Af,;, de même que la géographie de la Lune s'appelle la sélénographie de SiXtiv»), Lune. GEOGRAPHIC DE MARS que les conditions de visibilité ne sont pas excellentes, ces deux mers paraissent réunies vers le coude, et l'ensemble rappelle la forme d'un sablier. William Herschel et les astronomes anglais la désignaient sous ce même nom : the Bour-glass sea. La première observation que nous ayons de cette tache date du 28 no- vembre 1659, et est due à l'astronome Huggins, le même qui écrivit plus tard un ouvrage sur la pluralité des mondes, son Cosmotheoros, et qui devinait déjà l'analogie qui existe entre Mars et la Terre, — analogie que nous prouvons seulement aujourd'hui, plus de deux siècles après. Hooke a dessiné cette même tache en 1666, et il en fut de même de Gas- sini et Gampani. Huggins l'a revue de nouveau en 1672, en 1683 et en 1694, Maraldi en 1719, William Herschel en 1777, Schrœter de 1785 à 1800, Béer et Màdler en 1832, et tous les astronomes contemporains l'ont revue maintes fois (c'est celle que l'on voit sur mon dessin du 30 juil- let 1877, p. 25) : elle offre un des aspects typiques de la planète. Cette mer, représentée sous forme de sablier par tous les anciens obser- vateurs, a, coïncidence bizarre, servi véritablement de sablier, ou de mesure du temps, pour déterminer la durée de la rotation de la planète. C'est en effet par l'e.xamen de sa marche, de sa fuite et de son retour, qu'on a connu la rotation de Mars et estimé sa durée ; elle a plus servi qu'aucune autre, à cause de son évidence. Il semble donc, pour toutes ces raisons historiques, que la meilleure désignation à donner à cette mer, c'est de lui conserver son nom déjà vénérable de mer du Sablier. Aucune dénomination n'a jamais été si légitime. Le P. Secchi a proposé le nom de « mer Atlantique », et M. Proctor celui de « mer Kaiser ». Or, d'une part, elle est bien étroite pour mériter le nom d'Atlantique, et d'autre part, si elle devait porter un nom d'astronome, ce serait celui d' Huggins, qui l'a découverte. Pour toutes ces raisons, il nous a paru logique de lui con- server définitivement le nom de meh du Sablier ('). Elle est généralement plus sombre et mieux marquée que la plupart des autres taches, surtout vers le centre. Du reste, les diverses taches qui par- sèment le disque de la planète sont loin d'avoir une même intensité. La mer du Sablier et I'ogéan Newton, dont elle est le prolongement, forment la configuration la plus anciennement connue du disque de Mars. On peut leur associer la mer de Maraldi, vue aussi par Huggins en (1) On voit cette mer triangulaire vers le milieu de l'hémisphère de droite de notre carte, entre le 285' et le 305" degré de longitude. La branche gauche ou occidentale de cette mer et de l'océan Newton, qui s'étend du 285° degré au 260% à la mer Ilooke, a reçu sur la carte publiée par les Mémoires de la Société royale astronomique de Londi-es (tome XLIV, 1879), le nom de Mer Flammarion. Que l'astronome Green, auteur de cette carte, devenue classique chez nos voisins d'outre-Manche, veuille bien recevoir ici le témoignage de notre gratitude pour cette délicate attention. 11 est agréable d'avoir des propriétés sur les autres mondes. Il serait plus agréable encore de pouvoir aller les visiter. CÉOCnAIMIIE DE MARS 1659, sous forme de bande analogue à celles de Jupiter. Hooke l'a des- sinée en 16G0 et Maraldi en 170i. On lit notamment dans VAstronoinic de Cassini : « Entre les différentes taches que M. Maraldi observa en ITO'i. il y en avait une en forme de bande vers le milieu de son disque, à peu près comme celles que l'on voit dans Jupiter; elle n'environnait pas tout le globe, mais était interrompue et occupait seulement un peu plus d'un hémisphère. Cette bande n'était pas partout uniforme, mais à 90° ou envi- ron de son e.xtrémité occidentale, elle faisait un coude dirigé vers l'hé- misphère septentriona];cette pointe, bien nette, servit à vérifier la rota- tion. » On voit par cette citation que le coude formé par la mer de Maraldi, au détroit de la mer Huggins, a été remarqué dès 1704. La mer de Maraldi a été suivie depuis par Herschel en 1783, Schrreter en 1798, Arago Fig 19. — Géographie de Mars : la Baie du Mcridifii. en 1813, Madler en 1830, Kaiser en 1862, ainsi que la mer de Hooke Le P. Secchi avait donné le nom de « Marco-Polo » à la merde Maraldi; mais il est évident que ce dernier nom lui convient à tous les titres. Le GOLFE DE IvAiSEn, dont l'extrémité orientale forme la baie four- chue (longitude 0°), est, comme la mer du Sablier et les mers de Maraldi et de Hooke, l'une des configurations géographiques de Mars les plus anciennement dessinées. On en trouve un vestige dans un dessin de Huggins, de 1659, et dans un autre dessin du même astronome, de 1683. William Herschel a dessiné le même golfe en 1777 et en 1783, notamment le fer à cheval formé par le golfe d'.\rago avec celui de Kaiser, et il est même le premier qui ait bien figuré ces détails. — William Herschel, Schrœter, Béer et Madler, Jules Schmidt, Kaiser, Lockycr, lord Rosse, s'accordent pour détacher ces golfes de l'océan Kepler. Celte baie fourchue que sa situation même désigne sous le litre de Baie iln Mcrnlien parait être Y embouchure dun grand fleuve. GEOGRAPHIE DE MARS A l'est du golfe de Kaiser, on rencontre : d'abord une baie émergeant au nord de l'océan Kepler (la baie Burton); et plus loin une Manc/ie condui- sant de cet océan à la mer inférieure. Cette Manche, comme cette mer, sont également connues depuis fort longtemps. La Manche est dessinée dans les vues des astronomes hanovriens en 1841, dans celles du P. Secchi en 1860 (voy. fîg. 12), où elle est nommée « isthme de Franklin », dans celles de Dawes en 1864, de lord Rosse en 1869, de Knobel en 1873, etc. Ce bras de mer qui s'étend de l'océan Kepler à la mer inférieure, qui est si caractéristique, et pour lequel le nom de Manche est certainement la déno- mination qui convient le mieux, est surtout connu par les dessins du P. Secchi. La mer inférieure se partage en plusieurs au milieu desquelles il y a une terre : c'est du moins ce qui résulte des observations les plus mo- dernes, entre autres celles de Jacob en 1854, de Secchi en 1858,deSchmidt en 1867, de Terby, de Knobel, de Wilson et des miennes en 1871 et 1873. L'océan Kepler est connu par un grand nombre d'observations, dont les plus anciennes remontent à William llerschel et Schrœter, à la fin du siècle dernier. 11 a été principalement dessiné depuis par Béer et Mddler, Jules Schmidt, Secchi, Dawes, Lockyer, lord Rosse. On remarque à l'est une tache ronde sombre, qui a reçu le nom de mer Terby. Cette pe- tite mer est très curieuse : on la voit dessinée pour la première fois par Béer et Mâdler en 1830, et elle se trouve déjà dans leur carte sur le 270' degré de longitude et le 30' degré de latitude, mais isolée de l'océan Kepler, dont la limite orientale ne dépasse pas le 274* degré. On la re- trouve en 1860 dans les dessins de Schmidt, d'Athènes, isolée aussi. En 1862, le P. Secchi l'a prise pour un cyclone, à cause de la forme circulaire de son entourage. La même année, le même jour (18 octobre), elle était dessinée en Angleterre par M. Lockyer, et il la nommait « mer Baltique ». On la voit en même temps dans les dessins de Lassell, qui lui trouvait, avec quelque vraisemblance, la forme d'un œil, et, en effet, dans plusieurs descriptions, on l'appelle ocuius. En 1877, M. Schiaparelli en a fait un très grand nombre de dessins : il la nomme le « Lac du Soleil ». On a vu au milieu de l'océan Kepler une tache blanche brillante qui pourrait être produite par une île montagneuse couverte de neige. La comparaison des cartes et des dessins nous a conduit au tracé du détroit sud-est de l'océan Newton et à celui du détroit sud de l'océan Kepler, etc.... Mais ce serait certainement abuser de la patience du lecteur que d'entrer dans tous les détails de la construction d'une carte géogra- phique, quelque rudimentaire qu'elle soit. Qu'il nous suffise d'ajouter qu'il n'y a ici aucune fantaisie, aucune œuvre d'imagination, mais que chaque tracé résulte d'une minutieuse comparaison des vues prises au télescope. 11 nous a paru convenable de donner les noms des illustres fondateurs de l'astronomie moderne aux continents et aux océans principaux, et nous avons d'abord inscrit les noms immortels de Copernic, Galilée, Tycho, GEOGRAPHIE DE MARS Kepler, Newton, Laplace. Se sont ofl'erts naturellement ensuite les noms des astronomes qui se sont le plus occupés de l'étude de Mars : Huygens, Fontana, Cassini, Hooke, Maraldi, Schrœter, Herschel, Mâdler, Béer, pour citer d'abord les plus anciens; puis ceux de notre époque : Arago, Dawes, Secchi, Kaiser, Schmidt, Webb, Locliyer, Phillips, Procter, Terby." Les deux grands océans qui s'étendent sur la région centrale ontreçu le Fig. 20. — Lunette de ÎOO pieds d'Ilévélius (d'après une figure du temps, 1673). nom des doux esprits immortels auxquels nn doit la tliêorie du système du monde : Kepler, Neirton. Los rfuatre principaux continents ont recules noms de Copernic, Galilée, [Iiii/rietifi et Hersrhel. Viennent ensuite les terres de Tycho, Laplace, Schrœter, Cassini, Secchi. Béer et ALadler sont restés associés comme pondant leur vie par les mers qui portent leurs noms, etc. ('). (') M. Proctor ayant dojà proposé un ensemble de noms pourles diverses ronfi^iiralions de Mars, mon désir eût été de les conserver, et j'ai lait ce que j'ai pu pour cela. Mais je TEnr>E.s DU ctEL. 6 «2 GEOGRAPHIE DE MARS GEOGRAPHIE DE MARS POSITIONS DES CONFIGURATIONS DIVERSES ET TABLEAU DES DÉNOMINATIONS MERS POSITION APPROCBÉE Longitude Latitude (i) F. PROGTOR GREEN SCHIAPARELLI 0° 0° Baie du méridien Dawes forked Bay Dawes forked Bay Fastigium Aryn 22° 5» B Baie Burton Béer Bay Burton Bay Ostium Indi 350» à 32° 30° k 0° Détroit Aiago Arago strait Arago strait Margaritifer sinus 320° à 60° 40° k 5° A Océan Kepler De La Rue Océan De La Rue Océan Mare erythrœum 27° à 33° 2° B k 30° B Canal J. Reynaud Dawes strait » Hydaspes 50° 5» A k 23° A Canal Fontenelle » -> Jamuna 34° & 64° 5° A k 25B» La Manche .. » Ganges 40° k 60° 30» k 5° A Baie Chrislie » Christie bay Aurorse sinus 0° il 30° 40° k 63° A Mer Lassell Newton sea Newton sea » 350» à 30° 30» k 50» B Mer Knobel Tycho sea Knobel sea Nilus 30° à 65° 32» B Mer Lacaille Tycho sea Tycho sea L. Niliacus 63° à 103° 33» B Mer Airy Airy sea Airy sea Lunse lacus 75° à 135° 53° k 72° B Mer Faye » Campani sea Ceraunus sinus 10-2» 15°Bkl2°A Canal d'Alembert » » Iridis 90» 22» A Mer Terby Lockyer sea Terby sea Solis lacus 67° 22° A ■> u Schiaparelli sea Fons nectaris 73° k 105° 7° k 13° A Mer Dawes Dawes sea >> Agathodsemon 107° 17° A » » Bessel lake Lacus phœnicis 60° k 110° 30° k 60° A Mer De La Rue » » Bosphorus 0° k 360° 60° k 80» A Mer australe " De Cottignez et Jonhson sea Mare australe 135» k 193° 55» A „ > Maunder sea Mare chronium 134° k 176° 39° k 20° A Mer Schiaparelli Maraldi sea (orient) Maraldi sea (orient.) Mare sirenum 330° k 75° 35° k 70° B Mer Mâdler » » » 135» k 200° 60° k 20° B Mer Oudemans Oudemans sea Oudemans sea Mare boreum 171° 18° A Baie Trouvelot » Trouvelot bay Sinus Titanorum 135° k 225° 60» k 80° B Mer boréale -> Schroeter sea . 225» k 260° 25» k 50° B Mer Delambre » Delambre sea Alcyoneus sinus 223° k 330° 50» k 80° B Mer Béer > Delambre sea » 162° k 340° 40° k 8° A Mer Maraldi Maraldi sea Maraldi sea Cimmerium maie 200° k 223° 18°Bkl6°A Mer Hugpins Uuggins inlet » Cyclopum mare 195° k 260° 57° A Mer Phillii)S Pliillips sea Maunder sea Sinus Promethei 225° k 260° 42° A k 0° Mer Hooli Hook sea Hooksea Tyrrhenum mare 260° à 285° 20° k S» A .. » Flammarion sea Tyrrheuum : occ 284° à 303° 5° A k 44» B Mer du Sablier Kaiser sea Kaiser sea Syrtis magna 275° ■ 3° B Golfe Main Main sea Main sea Lacus Moeris 280» i 336» 40° B Canal Nasrayth Nasmyth inlet Nasmyth inlet Nilus GÉOGRAPHIE DE MARS MERS POSITION APPROCHÉE F. PBOCTOH GREEN SCHIAPARKLl.l Longitude Latitude (i) -260° à -277° -20° k 53° A Mer ZôUner Zallner sea Zôllner sea Adriaticum marc '285° k 3-20° 5» k 30» A Océan Newton Dawes océan Dawes océan lapygia 315" k 340° 35» k 60° A Mer Lambert Lambert sea Lambert sea Hellespontus aSO" k 360° 30» A Courant Foucault Newton strait " Erythrœum mare (orient.) 3-20'' k 7° 20» A k 0» Golfe Kai3er Herschel 11 strait Herschel II strait Sinus Sabeus CONTINENTS »90° à 17° 10» A k 3-2» B Coiitin'. Copernic Dawes contin. Béer continent Aeria, Arabia Éden, Thymianata 1-2» k 60» 10» A k 40° B Continent Halley „ Mâdler continent Chryses 35° k 103° 15°Ak30°B Contin. Galilée Hiidler contin. M&dlercoDtinent Ophir, Tharsis 103» k 218° 30°Ak30»B Contin. Huygens Secchi contin. Secchi continent Memnûnia, Amazo nis.Zephiria, yEulis 210° k 283° 10»Ak30»B Contin. Herschel Herschel 1 continent Herschel 1 continent jElhiopis, Amen thés, Isidis. -0° k 107» 45» k 10° A Terre de Tjcho Kepler land Kepler land Thauniasia -270° k315" 57° k 28° A Terre de Secchi Locliver land Lockyer land Hellas 236° k 272° 57° k 20» A Terre de Cassini Cassini land Cassini land Ausonia -262» k 330° 47° Terre de Laplace .. Laplace land ■ 330° k 330° 60» k 30» B Terre de Le Verrier Le Verrier land » 16» k 78° 43» B Terre de Lalande . Rosse land » ltO° k 200° 23» k 33» A Terre de Lagrange Lagrange land Lagrange peniiisula Iracia, l'haelon- tis. Elcctris 160« i. 180° 40° k 30° A Terre de Webb .. .. Atlautis I 205» k 236» 43» A Terre de Green » •' Eridania 220° k 235° 40° k 10» A Terre de Hall Buri-kUardt land Burchard land. Hcspcria 193° k 213» 58° k 77» A Terra de Rosse .. Gill land Thyle 11 136» k 183» 55» k 75° A Terre de Gill . Gill land Thyle 1 20° k 48° 40» k 33» A Terre de Schroeter > Jacob land Argyre 330» k 13° 32° k 68» A Terre de Jacob • Kunoswski et Jacob land Noachis 200° k 238° 13» k 46» B Terre de Fontana Fontana land Fontana land Elysium 348° 7° A Cap Proctor » Proctor cap " 270° k28-2» 5» A Péninsule de Hind . Hind péninsule Libya 220» 37° A Isthme de Niesten ■ Niesten isthmus n'ai pas tardé à me sentir contraint à plusieurs changements par la force même des choses : i' parce que le tracé de ma carte n'est pas le même que celui de la sienne; 2» parce que les noms des fondateurs de l'astronomie y étaient en partie oubliés ; 3° parce que le nom d'un même astronome se trouve répété plusieurs fois sur la carte ancienne (ex. Dawes 6 fois : Dawes océan, — Dawes continent, — Dawes sea, — Davces strait, — Dawes isle, — Dawes bay ; Béer 2 fois, Lockyer 2 fois, etc.), ce qui est inutile et peut GÊOC i; Al'HlE Ut MAIi^ Depuis la construction de cette carte en 1876, elle a été enrichie d'un certain nombre de noms nouveaux empruntés au planisphère con- struit en 1878 par l'astronome Green, notre savant collègue de la Société royale astronomique de Londres, et publié dans les Mémoires de cette Société (tome XLIV, 1879). Cette carte, avec ses dénominations, parait adoptée par un grand nombre d'astronomes anglais. Notre illustre ami, M. Schiaparelli, directeur de l'Observatoire de Milan, a construit aussi, de son côté, de nouvelles cartes, auxquelles il adonné des dénominations tirées de la géographie ancienne. Quelle nomenclature nous survivra? C'est ce qu'il serait prématuré de décider. Nos cartes actuelles ne peuvent être que provisoires. Cependant, il importe de nous y reconnaitre. Aussi, pour ceux d'entre nos lecteurs qui seraient conduits à faire une étude spéciale de la planète, avons-nous cru utile de publier ici, en même temps que les positions géographiques des configurations et les noms qu'elles portent sur la mappemonde de Mars, le tableau synoptique des dénominations données sur les trois autres cartes. Très certainement il reste encore des points douteux, surtout à partir du 60' degré de latitude boréale, et principalement au nord; mais telle qu'elle est, cette carte représente exactement l'état actuel de nos connais- sances sur la géographie de ce monde voisin. Du reste, nous aurions mau- vaise grâce à nous montrer trop exigeants, car sur notre propre planète les contrées arctiques et antarctiques sont encore aujourd'hui complète- ment ignorées. En fait nous connaissons mieux le pôle sud de Mars que le pôle sud de la Terre. Nous allons maintenant entrer dans les détails pittoresques et parfois inattendus de cette géographie martienne ; mais il importait d'en poser d'abord les principes, et malgré ce que les sept pages qui précèdent peu- vent avoir eu d'aride, nos lecteurs nous pardonneront cette description technique en faveur du but sérieux et instructif qu'elle comporte. Nous ne faisons pas ici un voyage imaginaire. Nous marchons, pas à pas, dans la connaissance réelle de l'immense univers. donner lieu à des confusions; et 4°, comme on l'a déjà vu, parce que les deux anciennes mers du Sablier et de la Manche sont si simplement et si naturellement nommées ainsi, que leur nom indique en même temps leur forme et même leur histoire. Ce n'est donc point dans un sentiment critique contre les dénominations données par M. Proctor que j'ai agi; au contraire, j'ai respecté ses propres désignations aussi souvent que je l'ai pu, et de plus, j'ai cru légitime de donner son propre nom à l'une des configurations les plus curieuses de la géographie martienne, déjà proposée par M. Terby. Le plus simple serait peut-être de ne donner aucun nom, et de désigner simplement les configurations par les lettres de l'alphabet. Mais on ne tarde pas à s'apercevoir que dans ce cas toute description devient difficile, confuse, fatigante, et qu' il y a pour le langage un immense avantage à nommer chaque objet. CHAPITRE III Suite de la géographie de Mars. — Continents. — Mers. — Golfes. — Iles. ■ Marais. — Inondations. — Canaux. — Variations singulières. Avant de pénétrer dans ]es détails de la géographie de Mars, il importe de répondre à une question que plusieurs de nos lecteurs ont pu s'adresser à eux-mêmes en lisant le chapitre précédent. Les astronomes parlent des 7yiers et des continents AqMslt^. Mais com- ment sait-on que ces taches visibles sur le disque de la planète repré- sentent vraiment des étendues d'eau ou des étendues de terres! En fait, on ne voit que des taches de diverses nuances. Quels documents posséde-t-on pour se convaincre qu'il s'agisse bien là, en effet, d'une configuration géographique analogue à celle qui existe sur notre propre planète ? Eh bien ! c'est précisément l'analogie de cette planète avec la nôtre qui conduit naturellement à ces déductions. La Terre vue de loin oilnrait cet aspect: les eaux, absorbant la lumière, paraîtraient fon- cées; les terres, réfléchissant mieux la lumière, paraîtraient plus claires. Il y aurait donc d'abord là une grande analogie d'aspects. Maintenant, d'autre part, qu'il y ait de l'eau sur Mars, ce n'est pas douteux, puisque noua la coyo/is sous forme de glace dans les neiges polaires et sous forme de brouillards dans les nuages de la planète. Ces neiges et ces nuages se comportent exactement comme dans la météorologie terrestre. De plus, le spectroscope dirigé sur Mars a toujours constaté dans son atmosphère la présence de la vapeur d'eau : cette atmosphère est imprégnée comme la nôtre de vapeurs ([ui s'exhalent des eaux et de la surface du sol. CEOGUAPHIE DE MARS Ainsi, il est très rationnel de considérer les régions claixes comme des terres et les régions sombres comme des mers ('). Nous verrons plus loin que les études de détail et les variations observées confir- ment cette manière de voir et nous autorisent à ne pas douter de la nature de ces configurations géographiques. Les documents publiés dans le chapitre précédent nous per- meitent d'entreprendre aujourd'hui sur cette planéto voisine un voyage assurément plus complet que ceux qu'on a pu faire sur v.o^se propre planète pendant tous les siècles qui ont précédé Christophe Colomb. On voit d'abord, dès l'inspection de la carte, que la configuration géographique de cette planète est fort difi'érente de celle du monde que nous habitons. Tandis que les trois quarts de notre globe sont couverts d'eau, et que la terre ferme est formée de trois continents principaux (les Amériques, l'Afrique et l'Asie dont l'Europe est le pro- longement), sur Mars il n'y a ni vastes océans, ni grands continents, mais seulement des méditerranées, des îles, des presqu'îles, des détroits, des caps, des golfes, des canaux étroits, en un mot une découpure beaucoup plus détaillée. Les continents occupent une étendue presque égale à celle des mers et se distribuent surtout le long de l'équateur et au-dessous. Les formations géologiques n'ont pas été les mêmes qu'ici, où nous voyons tous les continents se terminer en pointes vers le Sud. Les mers sont très découpées et sans doute, en général, peu profondes, car il semble qu'on en aper- çoive le fond en certaines régions qui sont beaucoup moins sombres, et qu'elles subissent de temps à autre des variations, retraits, inon- dations, perceptibles d'ici : les teintes représentées sur notre carte existent sur la planète. Ainsi, en premier lieu, il y a moins d'eau sur Mars que sur la Terre. Une partie de l'eau qui devait exister à la surface de cette planète a dû être absorbée dans l'intérieur du sol. Pendant des millions (1) On peut s'en rendre compte sur notre figure 22, qui montre la Terre vue de l'es- pace (du côté éclairé par le soleil) ; par exemple, un mois après l'équinoxe du prin- temps, le 20 avril, à midi et à 6 heures du soir. Sur le premier dessin, le méridien do Paris passe par le centre du disque terrestre ; la France, l'Espagne, l'Angleterre, l'Afrique occidentale, sont éclairées en plein par le soleil. Sur le second, la France, l'Espagne, l'Afrique sont arrivées au bord du disque, à droite, et c'est l'Amérique du Nord qui arrive à midi. GÉOGRAPHIE DE MARS d'années, en effet, la chaleur solaire a vaporisé comme ici, les oavix, les océans de Mars pour les transformer en nuages et les faire retom- ber ensuite à l'état de pluie, soit sur ces océans eux-mêmes, soit dans les bassins des rivières et des fleuves, qui les ramènent égale- ment à leur source. Mais toute l'eau qui tombe n'est pas intégrale- ment ramenée à la mer; une faible partie s'imprègne dans l'intérieur des terres, descendant au-dessous des couches imperméables sur les- quelles la majeure partie des eaux glisse pour donner ensuite nais- sance aux sources, aux rivières et aux fleuves. Il n'y a sans doute chaque année qu'une très faible quantité d'eau qui soit ainsi absorbée Fig. 2-2. — La Tnrre vue de l'espare 'rnti' du soleil : iO avril à midi et à 6 heures du soir). parla planète; mais si l'on additionne ensemble un grand nombre de siècles et si l'on considère l'histoire géologique d'une planète, dont les périodes se développent le long de plusieurs millions d'années, cette quantité devient considérable et peut même arriver à surpas- ser la quantité d'eau restante. Les effets de ce procédé sont visibles dans la configuration des mers martiennes. Non seulement elles n'occupent plus même la moitié de la surface de la planète, mais encore elles sont rétrécies le long des anciennes vallées sous-ma- rines, comme il arriverait pour la Terre, si l'on supprimait la moitié de l'eau qui existe encore, et, de plus, leurs variétés de teintes montrent qu'elles sont peu profondes, et que même certains dis- tricts dessinés comme des mers, sur nos cartes, doivent être, non GÉOCRAPIIIE DE MARS pas de véritables mers, mais plutôt des terrains submergés, variés, entrecoupés d'îles, d'îlots, de lacs dont la nature et l'étendue parais- sent môme varier suivant les circonstances météorologiques. Cet état de choses s'accorde avec l'âge cosmogonique que nous sonmies conduits à attribuer à la planète ; car dans la théorie la plus probable de la formation des mondes par la condensation en globes, d'anneaux gazeux primitifs successivement détachés de la nébuleuse solaire, les planètes les plus éloignées sont les plus an- ciennes, et l'ordre de leur naissance est le même que celui de leurs distances : AGE RELATIF DES PLANETES par ordre d 'ancienneté. Neptune Mai's Uranus La Terre Saturne Vénus Jupiter Mercure. Petites plam^trx Neptune est la plus ancienne; Mercure la plus jeune. Leur histoire géologique, météorologique, climatologique, organique dépend en- suite de leur volume, de leur masse, de leur constitution physique. La théorie mécanique de la chaleur montre que la condensation du Soleil a dû produire une température de 28 millions de degrés centi- grades, celle de la Terre 8988% et celle de Mars 1995° seulement. Mars doit être refroidi jusqu'à son centre. On sait d'ailleurs que la chaleur interne du globe terrestre n'a aucune action sur les phénomènes vitaux de la surface. Mais l'histoire géologique de Mars n'en a pas moins été plus rapide que celle de la Terre; il est tout naturel d'ad- mettre qu'une partie des eaux ait été absorbée, que les mers soient moins immenses et moins profondes, qu'il y ait moins d'évaporation et moins de nuages que sur la Terre, et c'est, en effet, ce que l'obser- vation révèle. Les mers martiennes sont moins étendues que les mers terrestres; elles sont aussi moins profondes. D'une part, il semble qu'on en dis- tingue le fond en certaines régions parfois très étendues, car la teinte arrive à y être presque aussi claire que sur la terre ferme; d'autre eiii>; uu tu li^iiiiv ? uuauri el OÙ U uuit invitu à la miïUiliitlon. U.llUtS IIU CIEl. CEOCnAPHIE DE MARS part, certaines plages doivent être peu élevées au-dessus du niveau moyen, car elles paraissent tantôt découvertes et tantôt inondées; d'autre part encore, les continents ne doivent pas être hérissés de chaînes de montagnes aussi colossales que nos- Andes et nos Cordil- lères, car de longs canaux rectilignes les traversent en divers sens, comme s'il n'y avait là que de vastes plaines, et le relief du fond des mers ne peut être géologiquement différent de l'orographie des con- tinents. Ces divers témoignages s'unissent pour nous montrer dans Mars une planète moins montagneuse que la Terre, Vénus et la Lune, baignée de mers peu profondes, aux plages unies, douces et pares- seuses. Ainsi déjà les progrès de la science nous permettent de pénétrer dans la constitution organique de ce monde voisin, d'assister à ses phénomènes météorologiques et aux spectacles que la nature déploie sur ces campagnes, ces paysages, ces lacs, ces collines, ces golfes, ces falaises. Lorsque le soir, à l'heure où la nature s'endort et où les êtres vivants cherchent le repos préparé par les fatigues du jour, en cette heure de calme et de quiétude dont parle le Dante au deuxième chant de l'Enfer : Lo giorno se n'andava, e laer bruno Toglieva gli animai che sono in terra Dalle fatiche loro... en cette heure où les étoiles allumées dans le ciel assombri invitent à la méditation des éternels mystères, lorsque nos regards s'arrêtent sur l'étoile rouge de Mars, nous ne songeons pas que c'est là une terre géographiquement variée comme celle où nous vivons, et que déjà nous pouvons y habiter parla pensée et étudier son histoire géo- logique et physique. C'est, du reste, la première fois, depuis le com- mencement du monde, qu'il nous est donné d'entrer véritablement en relation avec une seconde patrie. Nous avons dit tout à l'heure que déjà des variations, perceptibles d'ici, sont reconnaissables dans les aspects géographiques de ce inonde voisin, notamment dans les teintes de certaines mers sans doute peu profondes ('). (') Lorsqu'on passe en ballon au-dessus d'un large fleuve, d'un lac ou de la mer, si l'eau est calme et transparente, on distingue le fond, quelquefois si complètement que l'eau paraît dispurue (c'est ce qui m'est arrivé notamment un jour, le 10 juin 1867, à 7 heures du matin, en planant à 3000 mètres au-dessus de la Loire] ; sur les bords de la CÉOGKAPIIIE DE MABS Il paraît peut-être téméraire d'imaginer que nous puissions être témoins d'ici d'inondations, do débordements ou de dessèchements sur cette planète éloignée de nous à quinze et vingt millions de lieues dans les meilleures circonstances de visibilité. C'est pourtant ce que l'observation télescopique elle-même nous invite à croire. Pour que ces variations d'aspect soient visibles, il faut, il est vrai, qu'elles s'ef- fectuent sur de larges surfaces, sur des étendues d'une centaine de kilomètres de largeur au minimum, et de plusieurs centaines de kilo- mètres de longueur. Mais il y a déjà plusieurs années que la comparai- son attentive de ces variations nous inspire cette explication naturelle. Déjà, en 1876, en rédigeant la première édition de cet ouvrage, j'écrivais : « Il semble que les mers de Mars ne soient pas invariables; car, depuis 1830, il y a quelques changements qui paraissent incon- testables : par exemple, le golfe de Kaiser, qui présentait alors, comme à la fin du siècle dernier, l'aspect d'un fil terminé par un disque, et qui depuis 1862 est beaucoup plus large et se termine non par un cercle noir isolé, mais par une baie fourchue. Peut-être y a-t-il sur cette planète des déplacements d'eau et des variations de couleur qui n'existent pas sur la nôtre. » Revenant sur ce point en 1879, je résu- mais dans les termes suivants (') l'impression résultant de l'examen de ces variations problématiques : mer, on entrevoit le fond jusqu'à 10 mètres et 15 mètres de profondeur, à plusieurs cen- taines de mètres du rivage, suivant l'éclairement et selon l'état de la mer. Dans cette hypothèse, les mers claires de Mars seraient celles qui, comme le Ziiiderzée, par exem- ple, n'auraient que quelques mètres d'eau de profondeur ; les mers grises seraient un peu plus profondes, et les mers noires le seraient davantage. Ce n'est pas là toutefois la seule explication à donner, caria nuance de l'eau peut pari'aitement dilTérer elle-même suivant les régions ; plus l'eau est salée et plus elle est foncée, et l'on peut suivre dans nos mers terrestres les courants qui, tels que le Gulf-Stream, coulent comme des fleuves moins denses à la surface de l'Océan qui forme leur lit; la salure dépend du degré d'évapora- tion, et il n'y aurait rien de surprenant à ce que les mers équatoriales de Mars fussent plus salées et plus foncées que les mers tempérées. Une troisième explication se présente encore à L'esprit. Nous avons sur la Terre : la mer Bleue, la mer Jaune, la mer Rouge, la mer Blanche et la mer Noire ; sans être absolues, ces qualifications répondent plus ou moins à l'aspect de ces mers. Qui n'a été frappé de la couleur vert émeraude du Rhin à Bàle et de l'Aar à Berne, de l'azur profond de la Méditerranée dans le golfe de Naples, du lit jaime de la Seine du Havre à Trouville, visible sur la mer, et de toutes les nuances variées que présentent les eaux des rivières et des fleuves? Les trois explications peu- vent donc s'appliquer aux eaux de la planète Mars aussi bien qu'aux nôtres. Les régions claires peuvent n'être que des marais ou des terres submergées, des mers parsemées d'îles nombreuses. (') Astronomie populaire, p. 484. (■.R«i(;iiAi'iiiL m: maiis Une ditlV'i'onco siM'clale avec la Torro, (■crivais-jc alors, est offerte p;ir lu variabilité do (juchiues-unes de ses conligurations géogra[)hi(iues. L'étude constante du golfe de Kaiser pourrait conduire sur ce [)i)int à des résultais fort curieux. En 1830, Màdler l'a plusieurs fois très nettement et très distinctement vu tel qu'il est représenté au point .V //y. "^'i . Kn l.Si);', M. Lockyer l'a vu avec la même netteté comme il est dessine à celle dati', cl. eu 1877, M. Schiaparelli l'a représenté tel ipn' nous le voyons repro- duit. Ce point, vu rond, noir et net en 1830, si nel en realite (pie Miidler le choisit pour origine des longitudes martiennes comme étant le point le plus noir, déjà vu sous la même forme par Kunowsky en 1821, et indiqué aussi dès 1798 par Schrœter comme globule noir, n'a pu être distingué en 1858 par Sccchi, malgré la recherche spéciale qu'il en a faite. Ce même point a été vu bifurqué par Dawes en 18()i, et il l'est certainement : mais la région qui l'environne au Sud parait couverte de marais el variable Fig. 24. — Variations observées sur la planëte Mars. I.o Rolfe Kaiser et la Baie du Méridien en I8:!;i, ISi;-i cl IS7 d'aspect suivant les années; les dessins de 1877 ne montrent plus cette même tache comme un disque noir suspendu à un 111 serpentant, mais le 111 s'est élargi au point de ne plus pouvoir soutenir cette compai'ai- son : le golfe est aussi large au centre et à l'origine ipi'à son extrémité orientale. Actuellement la tache la plus noire et la plus nette, celle que l'on choi- sirait de préférence pour marquer l'origine des méridiens, serait le lac circulaire de Terby : on la choisirait certainement de préférence à la l)rennère. En 1830, Mâdler a expressément déclaré au contraire que celle-ci était la plus nette et la plus sombre, et il l'a choisie pour origine : sur plusieurs dessins on voit les deux faire exactement pendant de chaque côté de l'océan Kepler. Ces tracés ne pourraient plus être dc*Ssinés aujourd'hui. Voilà une première variation. — Une deu.xième est présentée par l'aspect même de la tache : en 18G2, les différents observateurs l'ont vue allongée de l'Est à l'Ouest; en 1877, on l'a vue au contraire parfaite- ment ronde (correction faite d(^ la perspective' et certainiMUêut non CKdl.HAIMIIK I)K MA lis 53 allongéo dans le premier sens. — Truisieme variation : elle paraissait, en 180-2, réniiie à l'océan Kepler par un détroit, et en 1877, instruments de même puissance et observateurs de môme habileté n'ont rien vu de ce détroit et en ont distingué un autre au Nord-Est. Assurément, il ne faudrait pas prendre pour des changements réels toutes les différences qui existent entre les observateurs. Ainsi par exemple, en 1877, plusieurs ont vu réunies à l'Occident les mers de riook et de Maraldi, tandis que la séparation est restée visible pour les autres; l'œil est différemment impressionné, et l'on pourrait presque dire (jue pour certains détails il n'y a pas deux yeux qui voient identiquement de la même façon, même les deux yeux d'une même personne. Mais lorsque l'attention s'est tout .spécialement fixée sur certains points remar- qua!)les qui auraient dû être rendus parfaitement visibles dans les instru- ments employés, et que l'on constate ainsi des différences ([ui paraissent Fig. 25. — Variations nbsorvi'es sur la planète Mars. La mer Tcrby en 1831). l8fi-2 et IS7T. incompatibles avec les erreurs d'observation. la probabilité penche en faveur de la réalité effective des changements signalés. De quelle nature sont ces variations? c'est ce que l'avenir nous apprendra. Nous ne pourrions émettre actuellement que de vagues con- jectures à cet égard. Ces considérations, que j'exposais alors avec toute la réserve que nous devons toujours apporter dans l'interprétation des faits scienti- fiques nouvellement observés, se trouvent aujourd'hui confirmées et développées par les observations spéciales de M. Scliiaparelli, dont on lira l'exposé plus loin. J'hésitais encore à attribuer ces change- ments observés à des inondations ou à. des retraits dans les eau.x ; maintenant cette hypothèse se présente très naturellement à nous, comme la plus probable, on pourrait presque dire connue certaine. CÊOGItAPlUE DE MARS Pendant ses patientes observations faites en janvier et en février 1882, l'astronome de Milan a constaté que « des centaines de milliers de kilomètres carrés de surface sont devenus sombres, tandis qu'ailleurs des régions sombres se sont éclaircies » . Cherchant la cause de ces variations, il balance entre l'hypothèse d'un changement dans les eaux et celle d'une végétation qui varierait avec les saisons et se propagerait rapidement sur de vastes étendues. La première cause paraît plus probable : 1° parce que c'est dans le voisinage des mers et dans les mers elles-mêmes que ces effets se présentent; 2° parce que la nuance de ces golfes variables, de ces canaux, est la même que celle des mers; 3° parce que les canaux qui traversent les conti- nents sont toujours, et à leurs deux extrémités, en communication avec les mers. Dans l'hypothèse d'une cause végétale, nous serions graduellement conduits à admettre que les taches sombres de Mars ne sont pas des mers, mais des forêts, des prairies, ou autre chose, ce qui est beaucoup moins probable. Un autre exemple des changements observés sur Mars peut être pris dans la région située au-dessous du lac foncé circulaire que M. Schiaparelli appelle le lac du Soleil, et que, de concert avec les astro- nomes anglais, nous appelons la mer Terby. En 1830, Béer et Mâdler ont observé au-dessous de ce lac et dessiné sur leur carte une grande tache grise assez foncée, qui a reçu le nom de mer Dawes (270° degré de longitude). — Voy. notre carte. — En 1877, M. Trouvelot, à Cam- bridge, cherchant précisément cette tache, constata avec certitude son absence. Le 14 octobre, à minuit 40"" (temps moyen de Cam- bridge), ce lac circulaire arrivait vers le méridien central en d'excel- lentes conditions d'observation, par une nuit calme et transparente. On apercevait distinctement deux bandes grisâtres, traversant la terre de Tycho, venant de l'océan Kepler; mais juste au-dessous du lac, le terrain était blanc, libre, sans aucune tache. Les observations des 27 août, 2, 3 septembre, 1", 6, 10 octobre, 6, 9, 13 novembre de la même année, montrent le même aspect. Si l'on compare les dessins faits en même temps à Milan, par M. Schiaparelli, on remarque qu'ils concordent assez bien avec cette description, car sur ces dessins, il n'y a qu'une sorte de jonction de canal extrêmement fine qui peut fort bien avoir échappé à l'observation de M. Trouvelot. En 1881, au contraire, à partir du 16 décembre et jusqu'en février 1882, M. Trou- GÉOGRAPHIE DE .MAIiS velut a observé lu, quoique la plauète fut alors beaucoup plus éloignée de la Terre et dans de moins bonnes conditions d'observation, une forte taclie presque aussi foncée que le lac. Cette tacbe est également visible avec de grandes ramifications sur les dessins faits à Milan à la même époque. On se rendra compte de ces variations sur notre? figure 26, qui reproduit fidèlement les dessins de cette même région faits en 1830 par Màdler, en 1877 par M. Schiaparelli et en 1881 par M. Trouvelot. Malgré les différences imputables aux conditions de visibilité, il n'est pas douteux que la région marquée A sur cette figure, ne soit le siège de grandes variations, parfaitement percep- tibles d'ici. Comment de telles inondations et de tels dessécliements alternatifs 1830 ^°" Fi;;. -IC. — Variations observées sur la planète Mars. La mer Dawes en 1830, 1877 et 1881. peuvent-ils se produire? Supposer des exliaussements et des affaisse- ments dans le niveau du sol, comme il s'en produit, par exemple, sur les bords de la Méditerranée, entre autres à Pouzzoles (oi!i l'on voit le temple de Sérapis tour à tour au-dessus et au-dessous du niveau de la mer), serait une hypothèse assurément extrême. C'est plutôt dans la quantité d'eau qu'il faut chercher les variations. Mais comment cette quantité peut-elle varier? Par les gelées, par la fonte des neiges, par les pluies. Or il n'est pas rare d'observer sur Mars des régions couvertes de neige assez étendues pour être visibles d'ici [voir, plus loin, la carte de M. Schiaparelli). D'autre part, à certaines époques, ces neiges disparaissent coniplèteuKMit. Nous en reparlerons tout à l'heure. Le procédé météorologique des transformations de l'eau parait être le même sur cette planète ([ue sur la nôtre; seulement il est pro- CEOCUAPHIE UE .MAl'.S bable que les variations sont beaucoup plus importantes là qu'ici; que les mers ont beaucoup moins d'eau et subissent des cbange- ments relativement considérables pour elles; que les rivages sont plats, et qu'en certaines régions les plaines sont juste au niveau de la mer. On ne peut pas attribuer ces modifications à des marées, car quoi- qu'il y ait deux satellites pour les produire, l'un tournant en sept heures trente-neuf minutes et l'autre en trente heures dix-huit mi nutes, ces deux satellites ont une masse trop faible pour causer de tels effets, et d'ailleurs ces effets ne présentent ni la rapidité ni la périodicité correspondantes aux révolutions de ces minuscules satel- lites. Ces variations considérables nous mettent dans un grand embarras. Assurément, ce ne sont pas des mers comme les nôtres, aux bassins profonds, aux rivages fixes et arrêtés. Les taches se montrent fixes dans leur ensemble, mais bizarrement variables dans les détails. Seraient-ce des plaines liquides et végétales à la fois? des lacs peuplés de plantes aquatiques? Les pluies suffiraient pour inonder les bords, les plaines basses, les vallées, comme il arrive pour nos rivières dans les inondations, ou peut-être, suivant certaines circonstances météo- rologiques, la végétation varie-t-elle rapidement sur toute l'étendue des prairies humides... On peut chercher; on peut faire des conjec- tures; mais, sans doute, la nature de Mars étant différente de la nature terrestre, nous ne pouvons pas deviner. Il ne faut pas s'étonner toutefois des différences que l'on rencontre entre les diverses vues télescopiques de Mars. Vue de loin, la Terre serait exactement dans le même cas : ses configurations un jour par- faitement nettes et distinctes seraient, un autre jour, confuses, diver- sifiées, modifiées par les nuages et les brames. La réapparition d'une tache prouve mieux en faveur de son existence que cinquante cas d'invisibilité. Considérons, par exemple, la France et ses environs, vue de loin : 1° par un jour de beau temps; 2° par un jour nuageux [fig. 21). Sur notre second dessin, il n'y a pourtant que deux nappes •le nuages, l'une cachant le nord de la France et une partie de l'An- gleterre; l'autre, s'étendant de l'Italie au détroit de Gibraltar. Ce voile suffit pour effacer les contours principaux de la France, de l'Angle- terre, de la lioUande, de l'Italie, de l'Algérie, et pour rendre nos pays GEOGRAPHIE DE MAUS méconnaissables. L'Espagne et le Portugal sont réunis à l'Afrique, et la Manche a disparu ! (Juclquos-unes de ces différences doivent être dues, d'autre part, aux variations de transparence qui arrivent dans l'atmosphènî de Mars connue dans la ui')tre, aux différences de visibilité qui on résul- tent pour l'ubscrvateur et aux tendances de tout dessinateur à tei'- miner des cduldurri à peine accusés. Lorsqu'on distingue vaguement, par exeuipli', une tache allongée, et qu'on veut la représenter par le Fig. '27. — La France ot ses enviions vus de loin ; 1° p^r un ciel pur; 2" avec deux nappes de nuaRes. dessin, on a une tendance à la terminer en pointe. Des conligurations géographiques d'une faible étendue, vues quelquefois parfaitement en détail, peuvent être facilement masquées par une simple briuiie (pie l'on prend pour le prolongement d'un continent. Yuici, par exemple (/?//. 28), une vue téîescopique de Mars, remarquablement nette, prise à Malte par M. Green, notre savant collègue de la Société royale astronomique de Londres, le 2 septembre 1877, à l''10"du matin : on y distingue entr'autres une petite tache foncée (a) appelée par cet observateur « lac Schiaparelli », et une petite tache blanche [b) TEKIIES DU CIEL. 8 GEOGUAI'IIIE DE MAKS appelée depuis longteinpri « île neigeuse ». Eh bien! cette région est particulièrement fertile en variations atniosphériipies. L'île neigeuse est parfois adniirabhuuent visible, comme un puiuL blanc, et parfuis complètement invisible; sa blancheur parait due à de la neige qui couvrirait là de hautes montagnes et serait fondue en certaines saisons, ou bien, pliU()t encore (à cause des variations plus rapides observées) à des nuages qui s'accumuleraient sur les sommets de ces hautes montagnes. Le lac Schiaparelli disparaît aussi sur certaines vues d'ailleurs tout à fait satisfaisantes. Ainsi, le 24 octobre 1879, à 2"^ du matin, M. Burton, en Irlande, dessinant le croquis ci-dessous {fuj. 29), fait la remarcpie suivante : La continuité de l\.'sqiiissL' de l'oecau Kepler, au sud-est de la baie Fig. «s. — Aspect de M;irs le 2 septomlu-c 1877 (l''in"' Au matin). Ghristie, est interrompue par une sorte de huDjue pointue dont l'extrémité orientale cache l'île neigeuse. Cette bande est évidemment formée par une traînée de nuages. Cette région est particulièrement sujette ù la for- mation des nuages. Toutefois, ces nuages-ci paraissent moins blancs, moins lumineux que ceux de la Terre vus d'en haut. J'ai plus d'une fois remarqué que ces voiles ou brumes temporaires n'étaient pas très bril- lants, et même un jour, j'ai observé que l'une de ces taches était certaine- ment beaucoup moins blanche que les neiges polaires, un peu grise et presque de la teinte orangée des continents ('). (') William Herschel avait déjà fait cette remarque assez bizarre d'une tache nua- geuse foncée. Cependant, il semble que les nuages éclairés par le soleil devraient tou- jours, vus par leur surface supérieure, paraître blancs. Il faut croire que, dans ce cas, ce .sont des vapeurs à demi-transparentes nui passent sur des régions très foncées. CÊOllRAPHIE DE MARS Le même observateur écrit à propos d'une autre tache blanche : On aperçoit un point brillant tout près du bord occidental, à peu près dans la position de l'ile Hirst. C'est la seule occasion où nous ayons pu apercevoir cette tache pendant l'opposition de IST'J, i^uoic^u'on l'ait très souvent observée en 1877. Nous reviendrons plus loin sur les nuages et sur les montagnes de Mars. Nous ne signalons en ce moment ces observations qu'au point de vue des variations géographiques apparentes observées sur la planète. Remarquons encor(> à ce propos que le petit lac Schiaparelli, mal Fig. -J'J - As|ic;<'t (le Mars le il octobre 1871) (•:'' du inalinl. VU dans certaines circonstances et simplement estompé, donne l'idée d'une ligne sombre réunissant la mer Terby à l'océan Kepler et a souvent été représenté de la sorte. De quelque nature qu'elles soient, ces variations considérables sont pour nous un témoignage que ce monde voisin est le siège d'une énergique vitalité. L'éloignement rend pour nous ces mouvements calmes et silencieux. En réalité ils sont formidables et nous décèlent une vie planétaire inconnue. Mais nous arrivons ici à un problème plus extraordinaire encore, à la question des canaux de Mars. On a donné ce nom à de longues lignes grises mesurant de -OUO kilomètres à 5000 kilomètres de longueur, plus de 100 kilo- GEOGRAPHIE DK MARS mètres de largeur, généralement droites ou peu courbées, traver- sant les continents, faisant communiquer les mers entre elles et se croisant mutuellement suivant des angles variés. C'est comme un réseau géométrique continental. Considérez, en ef- fet, la figure suivante (p. 61). C'est là sans contredit un as- pect véritablement étrange, inattendu, fantastique. Deux im- j^A'essions immédiates frappent notre esprit à la vue de ce bizarre tracé géographique : la première, que ce n'est pas réel, que l'observateur' a été dupe d'une illusion, qu'il a mal vu ou exa- géré; la seconde, que, si c'est vrai, si ces canaux sont authen- tiques, t/s ne parxcissént 2)as naturels et semblent plutôt dus aux combinaisons d'un raisonnement, représenter l'œuvre industrielle des habitants de la planète. Vous avez beau vous en défendre, cette impression pénètre l'esprit, et plus nous analysons le dessin, plus elle s'impose à notre interprétation. •Nous allons examiner la vraisemblance de cette authenticité. Donnons d'abord la parole à M. Schiaparelli, directeur de l'Observa- toire de Milan, l'auteur delà découverte de ces canaux énigmatiques. La dernière opposition de Mars a pu être observée à Milan en d'excel- lentes conditions météorologiques, écrit M. Schiaparelli lui-même (*). Nous avons eu, du 26 décembre 1881 au 13 février 1882, un grand nombre de jours particulièrement beaux. Les hautes pressions atmosphé- riques qui ont dominé à cette époque ont produit une série de belles journées, calmes et sereines, extrêmement favorables pour les observa- tions. Pendant seize jours on a pu utiliser toute la puissance de notre excellent équatorial ('), et pendant quatorze autres jours l'atmosphère n'a laissé que fort peu à désirer. Aussi, quoique le diamètre apparent de la planète n'ait pas surpassé 16", tandis qu'il avait dépassé 19" en 1879 et 25" en 1877, il a été possible, dans cette troisième période d'opposition observée par moi, d'obtenir sur la nature physique de ce monde un ensemble de renseignements qui surpassent, par leur nouveauté et leur intérêt, tout ce que j'avais obtenu précédemment. La série des mers intérieures comprises entre la zone claire équatoriale et la mer australe s'est montrée mieux dessinée qu'en 1879. Dans la mer Cimmérienne ('), on voyait une espèce d'ile ou de traînée lumineuse qui (•) Revue mensuelle d'Astronomie populaire, août 1882. (•) Objectif de Merz, de Munich, de 0'°,218 de diamètre et de 3",25 de longueur focale; oculaires grossissant 322 fois et 468 fois. (') M. Schiaparelli a donné, comme nous l'avons dit, aux configurations géogra- CËOCRAPHIE DE MARS la partageait dans sa longueur, ce qui lui donnait de l'analogie avec l'aspect de la mer Erythrée. Plus surprenante encore est la variation d'aspect présentée par la grande Syrthe qui a envahi la Libye et s'est étendue, en forme de ruban noir et large, jusqu'à 60° de latitude boréale. Le Népenthés et le lac Mœris ont augmenté de largeur et d'obscurité, tandis qu'il restait à peine quelques vestiges d'un marais parfaitement visible sur la carte de 1879. Ainsi, des centaines de milliers de kilomètres carrés de surface sont devenus sombres, de clairs qu'ils étaient, et, à l'in- verse, un grand nombre de régions foncées sont devenues claires. De telles métamorpho:ies prouvent que la cause de ces taches foncées est un agent mobile et variable à la surface de la planète, soit de l'eau ou un autre liquide, soit de la végétation, qui se propagerait d'un point à un autre. Mais ce ne sont pas encore là les observations les plus intéressantes. Il y a sur cette planète, traversant les continents, de grandes lignes sombres auxquelles on peut donner le nom de canaux, quoique nous ne sachions pas encore ce que c'est. Divers astronomes en ont déjà signalé plusieurs, notamment Dawes en 1864. Pendant les trois dernières opposi- tions, j'en ai fait une étude spéciale, et j'en ai reconnu un nombre consi- dérable qu'on ne peut pas estimer à moins de soixante. Ces lignes courent entre l'une et l'autre des taches sombres que nous considérons comme des mers, et forment sur les régions claires ou continentales un réseau bien défini. Leur disposition paraît invariable et permanente, au moins d'après ce que j'en puis juger par une observation de quatre années et demie: toutefois leur aspect et leur degré de visibilité ne sont pas tou- joiirs les mêmes et dépendent de circonstances que l'état actuel de nos connaissances ne permet pas encore de discuter avec certitude. On en a vu en 1879 un grand nombre qui n'étaient pas visibles en 1877, et en 1882 on a retrouvé tous ceux qu'on avait déjà vus, pendant les opposi- tions précédentes, accompagnés de nouveaux. Quelquefois ces canaux se présentent sous la forme de lignes ombrées et vagues, tandis qu'en d'autres occasions ils sont nets et précis comme un trait fait à la plume. En général ils sont tracés sur la sphère comme des lignes de grands car- des : quelques-uns montrent une courbure latérale sensible. Ils se croisent les uns les autres, obliquement ou à angle droit. Ils ont bien 2 degrés de largeur, ou 1 20 kilomètres, et plusieurs s'étendent sur une lon- gueur de 80 degrés ou 4800 kilomètres. Leur nuance est à peu près la même que celle des mers, ordinairement un peu plus claire. Chaque canal se termine à ses deux extrémités dans une mer ou dans un autre canal : phiqiies de sa carte de Mars les noms de l'antique géographie terrestre. La mer Cimmérienne correspond à la mer Maraldi de notre carte, la mer Erythrée à l'océan Kepler, la grande Syrthe à la mer du Sablier, etc. Voyez le tableau synoptique de la page 4!.. GEOGRAPHIE DE MARS il n'y a pas un seul exemple d'une extrémité s'arrétant au milieu de la terre ferme. Ce n'est pas tout. En certaines saisons, ces canaux se dédoublent, ou, pour mieux dire, se doublent. Ce phénomène paraît arriver à une époque déterminée et se produire à peu près simultanément sur toute l'étendue des continents de la planète. A.ucun indice ne s'en est signalé en 1877, pendant les semaines qui ont précédé et suivi le solstice austral de ce monde. Un seul cas isolé s'est présenté en 1879 : le 26 décembre de cette année (un peu avant l'équi- noxe de printemps, qui est arrivé pour Mars le 21 janvier 1880), j'ai remarqué le dédoublement du Nil, entre le lac de la Lune et le golfe Géraunique. Ces deux traits réguliers égaux et parallèles me causèrent, je l'avoue, une profonde surprise, d'autant plus grande que, quelques jours avant, le 23 et le 24 décembre, j'avais observé avec soin cette même région sans rien découvrir de pareil. J'attendis avec curiosité le retour de la planète en 1881 pour savoir si quelque phénomène analogue se présen- terait dans le même endroit, et je vis reparaître le même fait le 1 1 janvier 1882 un mois après l'équinoxe de printemps de la planète (qui avait eu lieu le 8 décembre 1881) : le dédoublement était encore évident à la fin de février. A cette même date du II janvier, un autre dédoublement s'était déjà produit : celui de la section moyenne du canal des Gyclopes, à côté de l'Elysium. Plus grand encore fut mon étonnement lorsque, le 19 janvier, je vis le canal de la Jamuna, qui se trouvait alors au centre du disque, formé très correctement par deux lignes droites parallèles, traversant l'espace qui sépare le lac Niliaque du golfe de l'Aurore. Tout d'abord je crus à une illusion causée par la fatigue de l'œil et à une sorte de strabisme d'un nouveau genre ; mais il fallut bien se rendre à l'évidence A partir du 19 janvier, je ne fis que passer de surprises en surprises; successivement rOronte, l'Euphrate, le Phison, le Gange et la plupart des autres canaux se montrèrent très nettement et incontestablement dédoublés. Il n'y a pas moins de vingt e.\emples de dédoublement, dont dix-sept ont été observés dans l'espace d'un mois, du 19 janvier au 19 février. En certains cas, il a été possible d'observer quelques symptômes pré- curseurs qui ne manquent pas d'intérêt. Ainsi, le 13 janvier, une ombre légère et mal définie s'étendit le long du Gange; le 18 et le 19, on ne dis- tinguait plus là qu'une série de taches blanches; le 20, cette ombre était encore indécise, mais le 21 le dédoublement était parfaitement net, tel que je l'observai jusqu'au 23 février. Le dédoublement de l'Euphrate, du canal des Titans et du Pyriphlégéton commença également sous une forme indécise et nébuleuse. Ces dédoublements ne sont pas un efl'et d'optique dépendant de l'accroissement du pouvoir visuel, comme il arrive dans l'observation GEOGRAPHIE DE MARS des étoiles doubles, et ce n'est pas non plus le canal lui-même qui se partage en deux longitudinalement. Voici ce qui se présente : A droite ou à gauche d'une ligne préexistante, sans que rien soit changé dans le cours et la position de cette ligne, on voit se produire une autre ligne égale et parallèle à la première, à une distance variant généra- lement de 6° à 12°, c'est-à-dire de 350 à 700 kilomètres ('); il parait même s'en produire de plus proches, mais le télescope n'est pas assez puissant pour permettre de les distinguer avec certitude. Leur teinte paraît être celle d'un brun roux assez foncé. Le parallélisme est quelquefois d'une exactitude rigoureuse. Il n'y a rien d'analogue dans la Géographie terrestre. Tout porte à croire que c'est là une organi- sation spéciale à la planète Mars, probablement rattachée au cours do ses saisons. Voilà les faits observés. L'éloignement de la planète et le mauvais temps empêchèrent de continuer les observations. Il est difficile de se former une opinion précise sur la constitution intrinsèque de cette géo- graphie, assurément fort différente de celle de notre monde. Si le phéno- mène est réellement lié aux saisons de Mars. Tout instrument capable de faire voir sur un fond clair une ligne noire de 0",2 de largeur et de séparer l'une de l'autre deux lignes comme celle-là, écartées de 0",5, pourra être employé à ces observations. Dans l'élat actuel des choses, il serait prématuré d'émettre des con- jectures sur la nature de ces canaux. Quant à leur existence, je n'ai pas besoin de déclarer que j'ai pris toutes les précautions commandées pour éviter tout soupçon d'illusion : je suis absolument sûr de ce que j'ai observé. (') Quels sont les objets les plus petits que, dans l'état actuel de l'Optique, nous puis- sions apercevoir à la surface de Mars? C'est là une intéressante question, que les obser- vations de M. Schiapai-elli viennent en partie de résoudre. Sa lunette, dont l'objectif mesure 0",2i8 de diamètre, armée d'oculaires grossissant l'un 322 fois, l'autre 4G8 foi^, et dont la longueur est de 3", 25, lui a permis de distinguer : t" des taches lumineuses iur fond obscur et des taches obscures sur fond lumineux, mesurant une demi-seconde; 2» des lignes lumineuses sur fond obscur mesurant seulement un quart de seconde; 3° des lignes obscures sur fond lumineux mesurant également un quart de seconde. 11 en résulte que, dans d'excellentes conditions atmosphériques, on distingue des taches dont le diamètre n'est que le cinquantième de celui de la pkinète, c'est-à-dire de 137"" : la Sicile, les grands lacs de r.\frique centrale, l'île Ceylan, l'Islande y seraient visibles. Semblablement, une ligne dont la largeur ne serait que le centième de celle de la pla- nète, ou de 70'", y serait perceptible ; on y distinguerait donc : l'Italie, l'Adriatique, la mer Rouge, etc. Le grand équatorial de Washington doit montrer des détails trois fois plus petits, larges d 44'" et de 24'". Au lieu de continuer le duel avec les canons de 80 tonnes, de 100 tonnes, de 150 tonnes et les plaques blindées, ne serait-on pas mieux inspiré de suspendre un instant cette pure perte de centaines de millions payés par les contribuables, et d'en consacrer la centième partie à des essais capables de nous ouvrir les divins secrets de la nature ? CËOCiîAI'HIK Dli MAliS Ainsi parle 1p savant astronome italien. Considérons nous-mêmes avec attention tct étrange réseau. Assurément, plus nous l'exami- nons, plus il nous paraît bizarre, moins il nous semble naturel. Ces (( canaux » nous mettent, à vrai dire, dans un tel embarras pour être expliqués, n(ni seulement par leur aspect individuel, mais en- Fig. 31. — Le lover du solei! sur les canaux do M:ir;. core à cause des différences qu'ils présentent avec la carte géogra- phique de Mars publiée plus haut, que le plus simple, avouons-le franchement, serait de rejeter au chapitre des illusions d'optique ce qu'ils offrent d'anormal et d'embarrassant. Mais c'est assez diffi- cile. M. Scliiaparelli n'est pas le premier venu; c'est un astronome de valeur, depuis longtemps c(>lébre par sa découverte de la théorie cométaire des étoiles filantes et par d'autres travaux. On a remar- TEP.r.ES DU CIEL GEOGRAPHIE DE MARS que, il est vrai, que les astronomes mathématiciens sont assez sou- vent mauvais observateurs. Mais tel n'est pas le cas ici, car le directeur de l'Observatoire de Milan a fait de bonnes observations de Saturne ; ses mesures d'étoiles doubles sont exactes et précises ; de plus, la carte de Mars elle-même lui doit un grand progrès : il est parvenu à tiaire, pour la première fois, une véritable triangulation de la planète et à fixer la position géographique de 1 14 points de la surface, déter- minés d'après un ensemble de mesures micromètriques s'élevan '. au chiffre de 482. C'est là une œuvre capitale. Ajoutons encore que M. Schiaparelli n'est pas un homme d'imagination ; au con- traire. On peut objecter que si l'astronome italien a bien vu, si tout cela est exact, il est assez singulier que personne avant lui n'ait aperçu ces canaux, même en observant la planète à l'aide d'instruments plus puissants que ceux de l'Observatoire de Milan. Voici quelques réponses à cette objection : 1° L'équatorial de Milan est un instrument excellent, dont les qualités optiques sont depuis longtemps reconnues; quoiqu'il ne soit que d'^ moyenne taille (0™, 216), il est supérieur à beaucoup d'instruments plus gigantesques; on sait d'ailleurs que pour la netteté des images danj l'observation des planètes, ce ne sont pas les plus grands instruments qui ont donné les meilleurs résultats. 2° Le climat de Milan est particulièrement favorable aux observations astronomiques; son atmosphère est pure, calme, et d'une température homogène. 3° L'hiver de 1881-82 a été exceptionnel pour la beauté du ciel; tout le monde en a été frappé à Nice et dans le Midi. 4* M. Schiaparelli a mis dans ses observations une persévérance en rapport avec les résultats obtenus. Toutes ces circonstances réunies nous portent à croire que ces nouvelles observations ne sont pas imaginaires. Sans doute, pour certains détails, et notamment pour le doublement des canaux, il convient d'attendre une vérification lors du prochain retour de Mars. Mais quant aux principaux canaux eux-mêmes, observés et mesurés, il est difficile de nier leur existence. D'ailleurs, leur position s'accorde avec certains tracés antérieurs dus à d'autres observateurs. Ainsi l'Hydaspe et l'Agathodémon ont été vus par GEOGRAPHIE DE MARS Dawes; le Gange est reconnaissable sur les dessins de Secchi, etc. Nous nous trouvons donc ici en présence d'une situation assurément bizarre. D'une part, il est probable que la carte de M. Schiaparelli est exacte, au moins dans son canevas fondamental. D'autre part, on se demande comment la nature seule aurait pu dessiner ces lignes droites ou légèrement courbes qui semblent destinées à mettre en communication toutes les régions de la planète entre elles. L'hypothèse d'une origine intelligente de ces tracés se présente d'elle-même à notre esprit, sans que nous puissions nous y opposer. Quelque téméraire qu'elle soit, nous sommes forcés de la prendre en considération. Tout aussitôt, il est vrai, les objections abondent. Est-il vraisemblable que les habitants d'ane planète construisent des œuvres aussi gigantesques que celles-là? Des canaux de cent kilomètres de largeur? Y pense-t-on? et dans quel but? Eh bien (circonstance assez curieuse), dans Vhypotlièse d'une origine humaine de ces tracés, on pourrait en trouver l'explication dans l'état de la planète elle-même. D'une part, les matériaux sont beaucoup moins lourds sur cette planète que sur la nôtre. D'autre part, la théorie cosmogonique donne à ce monde voisin un âge beaucoup plus ancien que celui du globe où nous vivons. Il est naturel d'en conclure qu'il a été habité plus tôt que la Terre, et que son humanité, quelle qu'elle soit, doit être plus avancée que la nôtre. Tandis que le percement des Alpes, l'isthme de Suez, l'isthme de Panama, le tunnel sous-marin entre la France et l'An- gleterre paraissent des entreprises colossales à la science et à l'in- dustrie de notre époque, ce ne seront plus là que des jeux d'enfants pour l'humanité de l'avenir. Lorsqu'on songe aux progrès réalisés dans notre seul dix-neuvième siècle, chemins de fer, télégraphes, applications de l'électricité, photographie, téléphone, etc., on se demande quel serait notre éblouissement si nous pouvions voir d'ici les progrès matériels et sociaux que le vingtième, le vingt et unième siècle et leurs successeurs réservent à l'humanité de l'avenir. L'es- prit le moins optimiste prévoit le jour où la navigation aérienne sera le mode ordinaire de circulation; où les prétendues frontières des peuples seront effacées pour toujours; où l'hydre infâme de la guerre et l'inqualifiable folie des armées permanentes seront anéan- ties devant l'essor glorieux de l'humanité pensante dans la lumière GEOGRAPHIE DE MARS et dans la liberté ! N'est-il pas logique d'admettre que, plus ancienne que nous, l'humanité de Mars est aussi plus perfectionnée, et que dans l'unité féconde des peuples, les travaux de la paix ont pu atteindre des développements considérables? Nous ignorons ce que peuvent être ces longs tracés sombres à travers les continents, si toute leur épaisseur est homogène, et rien ne nous prouve assurément que ce soient là des canaux pleins d'eau. On peut faire là-dessus mille conjectures. Mon ami M. Courbebaisse ne serait pas éloigné d'y voir des travaux de drainage des eaux deve- nues rares sur la planète; M. Considérant, le vieux phalanstérien, y reconnaîtrait de préférence une sorte de cadastre de cultures collec- tives sur un globe « arrivé à la période d'harmonie »; M. Proctor^ l'astronome anglais, traitant ce même sujet dans un intéressant article du Times, suggère l'idée que « les habitants de Mars doivent être engagés en de vastes travaux d'ingénieurs, attendu que ces lignes sont tracées dans toutes les directions et gardent entre elles une distance constante et significative» ; à la séance de la Société Royale astronomique de Londres du 14 avril 1882 ('), M. Green, l'habile observateur de Mars, signalant cette interprétation de M. Proctor, ajoute qu'il n'a aucunement l'intention d'introduire un sujet de plaisanterie dans une matière scientifique aussi importante, mais que de tels aspects géographiques méritent la plus grave atten- tion et qu'il est du plus haut intérêt de les vérifier; M. Maunder, de l'Observatoire de Greenwich, a fait remarquer que ce qu'il y a de plus étrange, c'est que ces canaux paraissent changer de place et sont tantôt visibles et tantôt invisibles; pour plusieurs observateurs, ce ne seraient pas des canaux proprement dits, mais plutôt des bor- dures de districts plus ou moins foncés ; les dessins de Mars obtenus à Greenwich pendant l'opposition de 1881 concordent mieux avec ceux de Milan de 1879 qu'avec ceux de 1881; sans doute la diffé- rence est-elle due à l'atmosphère, qui n'aura pas permis de distin- guer en Angleterre les détails observés en Italie. Quant aux double- ments des canaux arrivés sous les yeux de M. Schiaparelli, si cet effet n'est pas dû à l'objectif de sa lunette (et vraiment, tout en la signalant comme possible, nous ne pouvons regarder cette illusion (') Voir The Observalory, inay 1882, p. 13S. CËOGRAPIIIE DE MARS comme probable de sa part), il faut avouer qu'un tel phénomène est bien fait pour nous surprendre et nous confondre. Quelle que soit l'hypothèse vers laquelle on penche, origine natu- relle ou origine industrielle de ces canaux, leur existence n'en con- stitue pas moins un problème du plus haut intérêt, et l'un des plus singuliers sujets d'études que l'astronomie physique nous ait encore offert. Assurément, ce doit être là un fort curieux spectacle à voir du haut d'un ballon ou du haut d'une montagne escarpée, surtout au lever ou au coucher du soleil, lorsque la lumière éblouissante du dieu du jour vient embraser toutes ces eaux de reflets d'or ou de pourpre... Quels yeux contemplent ces scènes? quels peintres les reproduisent? quelles âmes rêvent devant ces lumineuses et sereines splendeurs? Nous ne nous attarderons pas plus longtemps en ce moment dans ces curieux et mystérieux détails de la géographie de Mars. L'impor- tant pour nous était de nous en former d'abord une idée générale, afin de prendre immédiatement possession, dans notre esprit, de cette planète considérée comme « terre du ciel ». Remarquons, à ce propos, que, depuis le commencement du monde, depuis l'origine de l'humanité terrestre, c'est pour la première fois que l'esprit humain se met en rapport direct avec un autre monde, pour la première fois qu'il nous a été possible de construire une carte géographique d'une planète étrangère à la nôtre, mais assez analogue pour nous inviter à conclure qu'elle est actuellement habitée par une race intelli- gente peu différente de la nôtre. La science, la philosophie, font en ce moment un pas considérable en avant de tout ce qui a été fait jus- qu'ici dans toutes les branches des connaissances humaines, un pro- grés gigantesque, calme, tranquille, pacifique, dont nous n'appré- cions pas encore nous-mêmes la portée, mais qui transformera la face des choses. Révolution intellectuelle plus profonde que toutes celles du sabre et du canon. C'est seulement à dater d'aujourd'hui que nous pouvons vraiment nous sentir citovexs du ciel. Le XX" siècle sera le premier siècle de la vraie philosophie — si l'humanité continue de marcher en avant et de suivre la devise de la Science : Excelsior ! Mais revenons à l'étude astronomique de Mars. CHAPITRE IV Aspect de Mars à l'œil nu. Sa coloration rouge. — Idées des anciens sur la planète. Astrologie et histoire. — Mouvement de Mars autour du Soleil. Phases. — Volume. — Densité. Nous nous sommes laissés eaiporttn- un peu rapidement, dans les descriptions précédentes, par l'intérêt et par la nouveauté du sujet; nous avons pu nous croire un instant envolés au-dessus des méditerranées et des lacs de cette patrie voisine; nous avons cru assister h la formation des nuages qui viennent couronner ses mon- tagnes, contempler ses îles et ses rivages, naviguer sur ses canaux énigmatiques. Bientôt nous pénétrerons davantage encore dans la connaissance de ce nouveau monde, nous nous rendrons compte des aspects particuliers de sa surface, nous admirerons les phénomènes météorologiques de son ciel, les splendeurs des couchers de soleil sur ses montagnes alpestres et l'étrange spectacle de ses deux lunes cou- rant ou planant dans son ciel en produisant des éclipses aussi bizarres que multipliées. Mais avant de nous répandre dans les mille détails pit- toresques de la découverte d'un nouveau monde, il importe poui' nous de posséder d'abord la planète au point de vue de sa description astronomique. Nous devons donc sans tarder reprendre l'étude de cette quatrième province du système solaire, apprendre à la recon- naître nous-mêmes dans le ciel, à la trouvera l'œil nu, à l'observer ASPECT DE MARS A L'OEIL NO à l'aide des instruments qui peuvent être à notre disposition, à nous rendre compte de sa position dans l'espace et de sa marche autour du Soleil ; en un mot, nous devons en prendre d'abord complète- ment possession au point devue uranographique. A l'œil nu, la planète Mars brille dans le ciel comme une étoile do. première grandeur. Elle se distingue particulièrement par son éclat rouge et dans tous les temps elle a été remarquée pour cette colora- tion ('). Le nom qu'elle portait chez les Hébreux signifie embrasé. Chez les Égyptiens de la XIX^ dynastie, aux temps pharaoniques, elle est nommée Har-tesch et Armachis, avec le signe de la rétrogradation, qui caractérise son mouvement, et dans le Zodiaque de Dendérah, qui date de l'époque romaine, on l'appelle Horus le rouge. Chez les Grecs, Mars, qui s'appelait aussi Ap/,; et Hercule, avait pour épi- théte habituelle TropÔEi;, ou twcawc^escen^. Chez les Chinois, il portait le nom de Tch'i-Sing {la planète rouge) et de Young-houo [lueur vacillante). Chez les Indiens, il était nommé Angaraka {charbon ardent), et se nommait aussi Lohitanga [le corps rouge). C'est, sans aucun doute possible, cette coloration rouge qui a fait appeler Mars le dieu du sang et des combats, à l'époque primitive où l'on croyait que les destinées humaines étaient réglées par les astres. Aussi a-t-il toujours personnifié le dieu de la guerre dans les mythologies an- ciennes, et le signe j* sous lequel nous continuons de le représenter doit-il être un vestige de l'union de la lance et du bouclier. Dans tous les siècles, les peintres et les sculpteurs ont représenté cette planète avec les attributs du combat, suivant en cela les antiques traditions de la poésie. L'une des dernières représentations classiques du dieu guerrier, et en même temps l'une des plus belle^, est assurément celle que nous reproduisons ici (/î//. 32), due au crayon de Raphaël, qui a voulu rappeler en môme temps les influences astro- logiques de la planète. Ce tableau peut être placé en regard de celui du Soleil, du divin Apollon lançant ses flèches d'or dans l'espace. (') Lorsque les Grecs et les Romains voulaient parler d'une étoile rougeâtre, ils pre- naient toujours Mars pour point de comparaison. Aujourd'hui encore, cet astre est le plus rouge de tous ceux que l'on voit à l'œil nu. (Il y a des étoiles télescopiques qui sont d'un rouge sang.) Le nom de l'étoile rougeàlre Anlarès a lui-môme Mars pour origme : avt-SîT)?, rivale de Mars. — Depuis plusieurs milliers d'années donc, le carac- tère particulier de la lumière que cette planète nous réQéchit n'a pas été altéré. IDKES l)i;s ANCIENS SlMt MARS Dans l'ancienne astrologie, Mars était associé aux deux constella- tions zodiacales du Scorpion et du Bélier, et l'on combinait les pré- Fig. 3-2. Sll^-l>rl„^u ,r^ JPia/s ScoijyÙLf^ j?7//i//.f pnncipaïur ,Ancj tendues influences de ces signes avec les siennes propres pour tirer les horoscopes et calculer les destinées. Nous avons sur ce point de IDKKS DKS ANCIENS S i; F! .M A 11 S fort ancions documents, oiitn> antn^s uno série do médailles do l'oin- poreiir Antunin, t'rappéos on Égyi)t,o l'an Ii5 do notre ère, précisé- c^ianeéanim. meaius e/ maaumus- COcjnUùr ^lis À en mont ;i l'époqne où Ptoléméo rédigciit V.lh/inf/r>ifp.Coii médailles sont actuellement à Paris, à la Bililiothéquc nationale; elles repré- TEflRES DC CIEI. lO ASTRONOMIE ET ASTKULOIJIE sentent (Voy. ftg. 34) l'empereur Antonin, — la Lune sui' le Scor- pion— le Soleil sur le Lion — Mercure et la Vierge — Vénus et la Balance — Mars et le Scorpion — Jupiter et le Sagitaire — Saturne Fig. ai. — Méilaillc^ plunùtaires frappées en Égj'ple sous TompeiTur Antonin. associé au Capricorne et au Verseau — Jupiter sur les Poissons — Vénus sur le Taureau. Une dernière résume ces combinaisons en un même tableau. ASTIIONOMIE ET ASTROLOGIE A cette époque, en Egypte, l'astrologie faisait partie intégrante de la religion. Nous aurons lieu, plus tard, de revenir sur cet intéressant sujet historique. Florissante aux premiers siècles de notre ère, l'astrologie était encore en grande faveur à la cour de France sous les Médicis, et mènie sous Louis Xl\, Gassini y croyait encore. A la naissance du a4-«.44 ■ -> Scpteoibris D. H. M. 425 11. T. A. vero. 2) 15. ïftimato. Latitudo 49. Ex^TabulisB-udoJph. .it Laticudiaes 0. j7 M.D 0. ss S. D }. 20 M.D 9 0- 1} M.A 5 0. 47 S. D z. i& M.D Fig. 35. — Uoroscopo Ju Louis XIV lii'i; le jour do sa uaissancu. roi, Anne d'Autriche avait fait venir l'astrologue Morin pour tirer l'horoscope du nouveau-né. Morin parait convaincu de sa science ('). 11 donne lui-même dans son livre l'horoscope du roi, reproduit ici, l'ail à Saint-Germain, le -4 septembre 1638, à SS'lo"" (c'est-à-dire le ô a 1 liô™) et raconte qu'il le remit au cardinal de Richelieu, que l'enfant a eu deux maladies, uu érésipéle, le l'2 mars 1644, et la (') J"ai (lo lui, dans ma bibliothèque, un (■norme in-folio de 78* pages sur deux colonnes, tout entier consacré à l'Astrologie, bourré d'Iioroscopes de grands person- nages, de villes et de provinces, et dédié à.... JÉsis-CnniST en personne : Aslrologia yallica, La Haye, 16G1. Pour l'auteur, la Terre est fixe au centn; du monde et les astres régissent toutes les actions humaines. Morin était un médecin renommé. 11 se basait sur les positions des planètes pour soigner ses malades, lesquels ne s'en portaient pas plus mal. ASTRONOMIE ET ASTKOLOCIE petite vérole le 11 novembre 1647, mais que l'influence de Jupiter a déjoué celle de Saturne et de la Lune. C'est là le dernier livre écrit sur l'Astrologie. Pourtant nous trouvons encore plus tard dans un ouvrage dédié au roi (') les influences planétaires exposées, et notam- ment celle de Mars avec la figure ci-contre représentant un siège en règle, au-dessus duquel plane la planète, la vraie, telle qu'on l'obser- vait déjà au télescope. On trouve des traces de la connaissance de la planète Mars aux plus anciennes époque de l'histoire. Nous pouvons conjecturer qu'elle a été la troisième distinguée des étoiles fixes par les pre- miers observateurs. Vénus et Jupiter ont dû être remarquées les deux premières, à cause de leur éclat sans rival. Les annales de l'astronomie ont conservé d'antiques observations de la planète Mars ainsi que des plus brillantes planètes. L'une des plus reculées est assurément la curieuse remarque consignée par les Chi- nois, que sous le règne de l'empereur Chuen-Kuh (petit-fils de l'em- pereur H\vang-Te (Hoang-Ti), le premier jour de la première lune du printemps, on vit les planètes Mars, Jupiter, Saturne et Mercure réunies auprès de la Lune dans la constellation Shih, qui correspond au Verseau et aux Poissons. Cet empereur a régné 78 ans, de l'année 2513 à l'année 2436 avant notre ère, et la conjonction a eu lieu vers l'an 2441. Voilà donc une observation de planètes qui date de plus de quatre mille trois cents ans. C'est, pour notre science, un titre de noblesse bien antérieur aux croisades. Aucun quartier héraldique ne peut soutenir de comparaison avec ceux-là. Et pourtant, ce n'est pas le plus ancien, car l'établissement du calendrier dont se servent encore actuellement les habitants du céleste empire remonte encore plus haut dans la nuit des temps. Ce système de chronologie se compose de cycles de 60 ans. On est entré en 1864 dans le 76° cycle. La première année de cette série est donc: 75x60(^=4500) — 1863, et remonte par conséquent à l'an 2637 avant notre ère. Cette année a, du reste, un caractère parfai- tement historique, car elle est la 60° du règne de l'empereur Hwang-Te, monté sur le trône l'an 2698 avant notre ère. Ce prince lettré est regardé par les Chinois comme ayant découvert le cycle ('} Description de l'Univers, par AUain Manesson Mallet. Paris, 160^', ASTlUINd.MIt: KT ASTROLOf.lE lunaire de 19 ans qui ramène les éclipses dans le mèuio ordre, cycle redécouvert deux iiiillr ans plus tard par Méton chez les Pig. 3C. — La planète Mars et les batailles. (Figure de l'an 1693). Grecs et exposé à la Grèce assemblée lors des jeux olympiques (l'an -'i;{3 av. J.-C). Les Athéniens inscrivirent en lettres d'or h; cycle di; Méton sur les monuments publics ; c'est de là que le L'ASTRONOMIE IL Y A QUARANTE SIÈCLES numéro de l'année du cycle prit le nom de Nombre d'or, qu'il porte encore aujourd'hui dans nos almanachs. Nous possédons encore, sur la planète Mars et sur ses compagnes des A^estiges d'observations presque aussi anciennes, mais provenant d'une contrée bien différente de la Chine. 11 y a un certain nombre d'années déjà, en 1845, M. Layard, descendant d'une famille française protestante chassée de France par la révocation de l'édit de Nantes, découvrit sur la rive gau- che du Tigre, à l'est de Nemroud, de curieuses ruines de l'ancienne Ninive qu'il recueillit avec soins et fit transporter en Angleterre, sa seconde patrie. Ce savant retrouva, dans la région du Palais-Royal de Ninive appelée des habitants actuels Koyoundijk, — bâtie sous le règne d'Assourbanipal, le dernier des conquérants Assyriens, — la salle des archives et la bibliothèque. Cette bibliothèque, bien singulière pour nos idées et nos habitudes, se composait exclu- sivement de tablettes plates et carrées, en terre cuite, portant sur l'une et l'autre de leurs deux faces une page d'écriture cunéiforme cursive, très fine et très serrée, tracée sur l'argile encore fraîche, avant sa cuisson. Chacune était numérotée, et formait le feuillet d'un livre dont l'ensemble était constitué par la réunion d'une série de tablettes pareilles, sans doute empilées les unes sur les autres dans une même case de la bibliothèque. Les Babyloniens et les Assyriens n'avaient pas, du reste, d'autres livres que ces « coctiles laterculi », comme les appelle Pline. Ils ne traçaient les signes de leur écriture ni à l'encre, ni avec le calame ou le pinceau, sur le papyrus, des peaux préparées ou des bandelettes de toile, ni à la pointe sèche, sur des planchettes, des feuilles de palmier ou des écorces d'arbres. Faute d'autres ressources facilement à leur portée, ils les dessinaient en creux sur des briques d'argile qu'ils faisaient cuire ensuite pour les conserver. De là l'apparence de leur écriture ; car l'élément tout particulier, qui produit l'aspect original des écri- tures cunéiformes et y devient le générateur de toutes les figures, le trait en forme de coin ou de clou, n'est autre que le sillon tracé dans l'argile par le style en biseau dont on se servait pour cet usage, et dont on a trouvé de nombreux échantillons dans les ruines de Ninive. Ajoutons que cette bibliothèque publique était organisée à peu prés comme l'est de nos jours notre bibliothèque nationale : L'ASTRONOMIE IL Y A QUARANTE SltCLES on a môme retrouvé les registres où les visiteurs inscrivaient leur nom et leur adresse... Nil sub sole novum ! Les fragments de tablettes recueillis parles ouvriers de M.Layard, dans la salle où Assourbanipal avait établi sa bibliothèque, montent à près de dix mille, et proviennent d'ouvrages qui traitaient des sujets les plus différents : mythologie, astronomie, astrologie, grammaire, histoire, droit, histoire naturelle, etc. Depuis cette époque, plusieurs savants anglais, notamment MM. Smith, Sayce et Bosanquet, se sont occupés de déchiffrer ces tablettes et d'en dégager la valeur scientifique. Le résultat de leurs travaux est que ces tablettes sont des copies faites dans le septième siècle. avant notre ère, par ordre d'Assourbanipal, d'après un exemplaire original très ancien qui existait dans la ville d'Ou- rouk en Chaldèe (l'Erech du chapitre x de la Genèse). Cet ori- ginal remontait à l'époque du premier empire de Chaldée, dix-sept siècles au moins avant notre ère, et même probablement plus haut ; il était donc fort antérieur à Moïse. Comme il est écrit en langue accadienne, il doit être de plus de deux mille ans antérieur à notre ère. On peut dire en thèse générale que les documents écrits en langue accadienne sont antérieurs au XX'' siècle, que ceux écrits en langue sémitique sont compris entre 2000 et 1000 avant notre ère, et que la période assyrienne proprement dite, occupe le dernier millénaire avant notre ère. Cette antiquité des obser- vations babyloniennes s'accorde avec les observations d'étoiles rapportées dans un planisphère de la même époque, dans lequel la position de Régulus, de Capella et de la constellation du Scor- pion correspondent à l'état du ciel 2120 ans avant notre ère. En ces temps reculés, le calendrier babylonien était déjà constitué : il était lunaire comme le calendrier Israélite ; les éclipses de lune arrivaient vers le 14 du mois, et les éclipses de soleil vers le 29. ' Dans ces ruines de Ninive, on a trouvé entre autres un ouvrage intitulé : les Observations de Bel. Cet ouvrage, divisé en LX livres, était resté dans les ruines du palais de Sardanapale, appartenait anciennement à la bibliothèque publique de cette capitale, et était dédié au roi Sargon, d'Agané, en Babylonie. Or, l'un des livres de cet ouvrage est consacré à la planète Mars, un autre à Vénus, un autre à l'étoile polaire (qui était alors l'étoile a du L'ASTRONOMIE IL Y A QUARANTE SIÈCLES Dragon), etc. Les cinq planètes Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne étaient connues dès cette époque ; la semaine de sept jours consacrés aux sept astres [cinq planètes, plus le Soleil et la Lune (')] était peut-être déjà en usage au commencement des obser- vations assyriennes et accadiennes, c'est-à-dire vers l'an 2500 avant notre ère. Nous possédons aussi des observations d'entrées et de sorties de la planète dans les signes du zodiaque datant de la XIX° dynastie des rois d'Egypte. Mais la plus ancienne mesure de position de Mars qui nous soit parvenue date de la 52* année qui suivit la mort d'Alexandre le Conquérant (486 de l'ère de Nabonassar), ou de l'an 272 avant notre èi-e. Le 17 janvier (21 athir) de cette année, la planète passa tout près de l'étoile |3 du Scorpion. Cette observa- tion nous a été conservée dans VAlmageste de Ptolémée. Le cours de Mars était connu depuis longtemps à cette époque. Non seulement l'astronomie est la première et la plus ancienne des sciences, non seulement elle est aujourd'luii la plus importante («) Lundi, Lunae dies, jour de la Lune. Mardi, Martis dies, jour de Mars. Mercuedi, Mercuris dies, jour de Mercure. Jkudi, Jovis dies, jour de Jupiter. Vendredi, Veneris dies, jour de Venu*. Samedi, Saturni dies, jour de Saturne. Dimanche, dies dominica, jour du Seigneur ou Solis dies : Sunday, Sonntag, jour du Soleil. Les signes sous lesquels les planètes sont représentées datent probablement de la fin de l'époque romaine, du temps où l'astrologie chaldéonne florissait dans toute son expansion. Les voici : Le Soleil 0 Mars (f La Lune <ï Vénus $ Saturne f) Mercure Ç Jupiter ^ Les deux premiers, un disque pour le Soleil et un croissant pour la Lune, sont très anciens : ils sont naturels et on les retrouve dès l'ancienne astronomie égyptienne. Le signe de Saturne est la faux du Temps; celui de Jupiter paraît être la première lettre de son nom grec Zeus; celui de Mars est une lance attachée à un bouclier; celui de Vénus, qui rappelle la croix ansée des Égyptiens, pourrait bien être la réunion des attributs de la fécondité (un petit cercle et un trait droit), mais on y voit aussi un miroir; celui de Mercure a certainement pour origine un caducée. Ce signe est gravé sur les médailles de l'empereur Antonin reproduites plus haut (p. 74). Dans un autre ouvrage [Astronomie populaire, p. 548), nos lecteurs ont pu remarquer une bague romaine sur laquelle sont gravés les signes des planètes. Ainsi, ces signes datent de l'époque romaine. !M|iii>lelles. iiiiiics et poussicrel los n.Wolulions liuniaini's mais les c'toiles sont toiijouis Ik, TElil'.ES Df CIKI.. «1 L'ASTRONOMIE ET LHISTOIRE entre toutes et la plus indispensable à connaître pour toute instruc- tion qui veut être sérieuse; mais encore elle a servi de base à toutes les anciennes religions : la charpente du Ciel physique a été néces- saire à toute construction métaphysique, et les planètes en particu lier ont été découvertes, implorées, adorées antérieurement aux plus anciennes mythologies, car ce sont elles qui en forment les orincipaux personnages. Oui, cette étoile rouge de Mars que nos yeux peuvent suivre actuellement dans le ciel (en ce moment, août 1883, elle revient vers nous, se lève à minuit et ajoute son ardente lumière à celle des étoiles du Taureau), cette planète associée par nos aïeux au destin des batailles a été l'objet des observations, des contemplations de nos prédécesseurs sur la scène du monde, à une époque où l'Assyrie, l'Egypte, la Chine brillaient au plus haut degré de la civilisation, et c'est sur les terrasses élégantes des palais antiques, dans les jardins parfumés des bosquets du printemps, devant le miroir des pièces d'eau silencieuses qui reflètent les feux de la voûte céleste, que les admirateurs du ciel contemplaient les beautés du firmament. Du haut des terrasses de Babylone, l'astronome assyrien observait Mars il y a quarante siècles. Ces observatoires, ces palais, ces jardins sus- pendus, ces temples, se sont écroulés. Les bibliothèques, les salles de lecture, les lecteurs, les curieux, les passants ont été ensevelis sous les décombres. Les yeux qui observaient se sont fermés; les corps qui agissaient se sont couchés pour ne plus se relever; il n'en reste rien : chaque molécule de ces êtres, astronomes, pontifes, guerriers, rois et esclaves, princesses et courtisanes, est retournée à la terre et à l^tmosphère; tout a disparu, et ce n'est qu'au prix i'extrêmes difficultés que l'archéologue de nos jours parvient à ras- sembler quelques lambeaux des splendeuis ensevelies. Oui, lef> hommes ont disparu. Squelettes, ruines et poussière! les révolutions humaines ont tout renversé; mais les étoiles sont toujours là, im- muables, permanentes, impérissables symboles de la Vérité. Et les hommes d'aujourd'hui sont les mômes que leurs aïeux de quatre mille ans. Pour un sage, mille fous. Pour un penseur, mille aveugles. Ils continuent de vivre sans savoir où ils sont. Ils continuent d'adorer les faux dieux fabriqués par eux-mêmes. Ils continuent de jouer aux soldats et de stériliser leurs forces dans la brutale sottise des MOUVEMENT DE MARS AUTOUR DU SOLEIL armées permanentes. Les nations les plus civilisées de la fin du dix- neuvième siècle sont juste au niveau des troupeaux humains du temps de Sésostris. Mêmes généraux et mêmes députés. Étrange planète! Au surplus, nous avons peut-être tort de nous en étonner et d- jegretter que chaque être humain ne vive dans la tranquille et char mante contemplation de la Vérité. Puisque, — s'ils le voulaient, — les hommes seraient rationnels dans leurs croyances, indépendants, libres et heureux, et qu'ils ne le veulent pas, c'est qu'ils préfèrent l'esclavage. Laissons-les donc à leurs oripeaux, et pour nous, inté- ressons-nous à l'étude du vrai, et vivons doublement par le bonheur de penser. Les traditions humaines nous ont fait parcourir un instant l'his- toire de l'astronomie, et, à propos de Mars, nous avons pris une idée générale des anciennes observations planétaires. Revenons à l'étude personnelle de la planète. Nous avons déjà vu (p. 18) qu'elle circule autour du Soleil le long d'une orbite tracée à la distance moyenne de 56 millions de lieues du centre solaire, que l'orbite de la Terre est à la distance moyenne de 37 millions de lieues du môme astre, et que l'orbite de Mars entoure celle de la Terre à 19 millions de lieues de distance, en moyenne. Mars emploie 687 jours pour accomplir sa révolution autour du Sobil, suivant une orbite elliptique dont voici les éléments princi- paux : DISTANCES EXTRÊMES ET MOYENNE AU SOLEIL La Terre étanl 1. En kilomètres. En lieues. Distance périhélie 1,38-26 20'i520000 51130000 Distance moyenne 1,5237 225400000 563.50000 Distance aphéhe 1,6658 246280000 61570000 La variation de distance est considérable et atteint près du cin- quième de la distance moyenne (l'excentricité est de 0,09326). Man est de 10 millions de lieues plus près du Soleil au périhélie qu'à l'aphélie ('). (') La connaissance du mouvement de Mars est due à l'infatigable persévérance de l'immortel Kepler, et c'est à son analyse du mouvement de cette planète que nous devons la découverte des lois qui régissent le système du monde. Si l'orbite de Mars MOUVEMENT I> E MARS ADTOUR DU SOLEIL Le développement total de l'orbite mesurant 350 millions de lieues et étant parcouru en 687 jours, ce monde vogue à raison de plus de 500000 lieues par jour, ou de 23850 mètres par seconde : il marche donc un peu moins vite que la Terre, dont la vitesse moyenne est de 29500 métrés. La translation de Mars autour du Soleil ne s'accomplit pas tout à fait dans le même plan que celle de la Terre, mais sur un plan incliné légèrement de 1° 51'. Si l'on combine le mouvement de la Terre avec celui de Mars, on trouve que les deux globes tournent dans le même sens autour du Soleil, à la façon des aiguilles d'un cadran; seulement ici c'est la petite aiguille qui tourne le plus vite. A quels moments les deux aiguilles (les deux planètes) se rencontrent-elles en perspective? à quelles époques Mars et la Terre se trouvent-ils sur une même ligne relativement au Soleil? Tous les 779 jours ou tous les 2 ans 49 jours. Nous avons déjà rappelé qu'une planète est dite en opposition avec nous lorsqu'elle passe à l'opposé du Soleil relativement à nous, lorsqu'elle se trouve sur le prolongement d'une ligne menée du Soleil à la Terre. Comme on a divisé la circonférence du Ciel en 360° de longitude, une planète est en opposition avec le Soleil lorsque sa longitude diffère de 180° avec celle du Soleil, en conjonc- tion lorsqu'elle se trouve, au contraire, du côté du Soleil et à la même longitude que lui, en quadrature lorsqu'elle se trouve à angle droit avec lui ou à 90° (Voy. /?(/. 39). Mais, par suite de l'incli- naison des plans des orbites, de la figure de ces orbites, qui ne sont se fût rapprochée du cercle, comme celle de Vénus, au lieu d'être une ellipse très accusée, nous ne connaîtrions peut-être pas encore les lois de l'astronomie. Tyclio- Brahé avait fait une longue série d'observations de Mars extrêmement précises. Kepler les lui demanda à étudier, et Tycho les lui confia, « sous condition de ne pas s'en servir pour prouver le système de Copernic ». Mais la science le prouvait malgré Kepler lui- même. Pendant quinze années consécutives, il tourna et retourna ces observations pour les concilier avec la doctrine ancienne, qui enseignait que tout se meut en cercle parfait dans l'univers. Il arriva à conclure qu'il était absolument impossible de les faire concorder avec cette figure, et que très certainement, les planètes ne décri- vent pas des cercles, mais des ellipses. C'est à cette découverte que l'on doit la véritable fondation de la mécanique céleste, y compris la découverte newtonienne de l'attraction. En souvenir des diflicultés de ce travail, Kepler raconte que Reliiicus avait voulu avant lui réformer l'astronomie, mais que décontenancé par le mouvement de Mars, il avait évoqué son génie familier, lequel arriva, le saisit par les cheveux, l'éleva jusqu'au plafond et le laissa retomber en lui disant : « Voilà le mouvement de Mars. >- MOUVEMKNT BE .MARS AUTOUK 1)L SOLEIL pas circulaires mais elliptiques, et des mouvements respectifs de la Terre et de Mars, la planète en opposition ne passe pas nécessaire- oivnrr£«,. . ' QunH Fig. 39. — L'opposition, la conjonction et les quadratures. ment au méridien à minuit juste, ni à sa plus grande proximité de la Terre, le jour même de son opposition. Ainsi voici, par exemple, oi^ .s^J Fig. 40. — Cycle des oppositions de Mars. quatre révolutions de Mars indiquant les périodes actuelles aux- quelles la planète passe prés de nous dans ses meilleures con- ditions d'observation : MOUVEMENT DE MARS Distance minimum, le 2 septembre 1877 : 55746000 kilomètres. Opposition, le 5 septembre. Passage au méridien à minuit, le 6 septembre. .. l Distance minimum le 4 novembre 1879 : 71400000 kilomètres I Opposition, le 12 novembre. Passage au méridien à minuit, le 9 novembre. j„ 1 Distance minimum, le 21 décembre 1881 : 89216000 kilomètres 1 Opposition, le 26 décembre. Passage au méridien à minuit, le 27 décembre. j„ j Distance minimum, le 30 janvier 1884 : 99000000 de kilomètres, j Opposition, le 31 janvier. Passage au méridien à minuit, le 4 février. C'est en 1877 qu'elle est passée le plus près, comme on le voit en comparant les chiffres précédents. Le périhélie de Mars arrive lorsque ia planète se trouve à la position céleste, à la longitude, où la Terre se trouve le 27 août. La plus grande proximité des deux planètes arrive donc lorsque Mars passe en opposition vers cette date. En 1877, elle en était bien près. En 1892, elle passera plus près encore. On se rendra exactement compte de ces intervalles d'oppositions, qui reviennent tous les deux ans environ, ainsi que des mois auxquels ils se reproduisent et des variations de distances à chaque opposition, par l'examen de notre figure 40, construite à l'échelle de 1 millimètre pour 2 millions de lieues. Ce diagramme géométrique est le complément de ceux que l'on a vus plus haut (p. 18 et 19). Les distances entre la Terre et Mars sont inscrites en millions de lieues (en nombres ronds) pour chaque opposition. A chacune de ses oppositions, la planète ne revient pas juste à la môme distance. Nous venons de voir que c'est en 1877 qu'elle a atteint son minimum. Si nous voulions figurer année par année mois par mois, cette marche céleste relativement à la Terre suppo- sée immobile, nous obtiendrions le curieux diagramme ci-dessous, {fig. 41), .sur lequel on peut lire ce mouvement depuis la dernière opposition minimum de 1877 jusqu'à la prochaine de 1892, c'est-à- dire pendant un cycle entier. Il est facile de concevoir, en effet, qu'en raison de la double marche de la Terre et de Mars autour du Soleil MOfVE.MK.NT DE MARS les disfnnoos entre les deux planètes varient rapidement i>t cimsidéra- lilenicut. Nous av(ins vu qu'à ses époques de [ilus jurande pnixiinili'', la planète arrive à l'i millions de lieues de nous lorsqu'elle se trouve en opposition vt'rs la, fin d'août ou au commencement de septembre. Mais lorsque l'opposition arrive en février, le rappnjche- ment des deux planètes ne descend pas au-dessous do :2G millions Ko ::o Fig. 11. — .Mouvement de Mars par rapport à la Terre. de lieues. Si maintenant nous considérons Mars lor.squ'il s'éloigne Je la Terre dans raufre côté de son orbite et qu'il passe en conjonction au delà du Soleil, sa distance à la Terre peut s'élever à 87 millions de lieues, btrsque la conjonction arrive en février, et elle peut même atteindre 00 millions de lieues, lorsque la conjonction arrive en août. On voit donc que la distance entre les deux planètes varie de 14 à 00 millions de lieues. Remarquons, en passant, combien un tel mouvement serait plus LE SYSTEME PLANETAIRE compliqué que le mouvement réel des deux planètes autour du So- leil, et combien ce seul aspect devait rendre peu probable l'hypo- thèse de l'immobilité de la Terre, laquelle hypothèse obligeait toutes les planètes à tourbillonner ainsi pour permettre d'expliquer les variations de position et d'éclat observées. Il faut constater, du reste, en l'honneur du génie de l'homme, qui sait s'élever au-dessus des apparences vulgaires et dominer les illu- sions des sens, que bien des siècles avant Copernic, le système qui porte son nom était enseigné par les philosophes, par les penseurs indépendants. Vers l'an 530 avant notre ère, Pythagore enseignait le mouvement de rotation diurne de la Terre, et il en fut de même de ses disciples Hicétas de Syracuse et Ecphantus. Philolaûs (le pre- mier pythagoricien qui ait laissé des écrits) expliquait les aspects célestes, quatre siècles avant notre ère, par le mouvement de rota- tion diurne et par le mouvement de révolution annuelle de la Terre autour du Soleil en 365 jours et demi, ainsi que par la translation des autres planètes autour de l'astre du jour. Ptolémée, dans son Almageste, a longuement discuté cette opinion des pythagoriciens sur le double mouvement de la Terre : il trouve qu'elle est « du dernier ridicule » et tout à fait contraire au plus simple bon sens. C'est à lui qu'on doit le retard éprouvé à cet égard par le progrès des sciences et de la philosophie. Son esprit n'a pas su s'élever au-dessus des apparences vulgaires. Au cinquième siècle de notre ère, mille ans avant Copernic, l'as- tronome hindou A'ryabhata, auteur du traité astronomique et astro- logique VA'ryabliata-Siddkanta, écrivait : « La sphère des étoiles est stalionnaire, et la Terre, en tournant sur elle-même, produit les levers et couchers des étoiles et des planètes. » Mais cette doctrine ne devait pas prévaloir non plus dans l'astronomie indienne. Au commencement du septième siècle_, Brahmagupta réfutait l'auteur précédent, tout comme Ptolémée avait réfuté les pythagoriciens, en objectant que si la Terre tournait, les objets ne devraient pas rester en équilibre, mais tomber par-dessous, etc. C'est le mouvement de Mars qui donnait le plus de peine, à cause de la grande variation de distance de la planète. C'est cette difficulté même qui a conduit Kepler à découvrir les véritables orbites plané- taires MOUVEMENT DE .AIAUS La combinaison de son nionvcnient autour clu Soleil avec celui qui nous emporte nous-mêmes dans notre révolution annuellt; fait qu'il décrit sur la sphère céleste une ligne irrégulière, marchant généralement, comme toutes les planètes, de l'ouest à l'est, de droite à gauche le long des constellations du zodiaque, mais s'arrè- tant à certaines époques, rétrogradant vers l'ouest, s'arrètant de nouveau et reprenant son coui'S vers l'est. Notre figure 4'2 représente Fi;;. 1-2. — .Marche cl posilions de hi |i;;inéle Mars sur la b-phi son mouvement apparent parmi les étoiles, pendant sa i)ériode ac- tuelle de visibilité. Chacun peut s'en rendre compte tous les soirs à l'o'il nu ('). (') Ct'ltf pctiti' carte pi'iiiirl à chacun do trouver Mars parmi les t'toilcs, rcconnais- sahlo d'ailleurs par sa coloration rouge et par son niani|uo de scintillation. Le 15 anùl. il se levé a 1 est à minuit et passe au méridien au sud à 8 heures du matin. I.e 1.5 sep- tembre, il se lève à 1 l'i^O" du soir et arrive au méridien à T'ai"" du matin. Le 15 oc- tobre, il se lève à Kt'iS'" du soir et passe au méridien i\ «'38°. Le 15 novembre, lever a O'o" et passage au méridien à oMS"". Le lo décembre, lever à 8'36™ et passage an méridien à 4'V'". Il avance ainsi de mois en mois pour planer sur nos nuits d"hiver Telles sont les positions actuelles de Mars. Ce serait sortir du cadre d'un ouxragi" popu- laire et d un livre d'astronomie descriptive que de calculer ici les épliémérides de ses positions futures. Mais ceux d'entre nos lecteurs qui s'intéressent à suivre eux-mêmes, soit à l'œil nu, soit à t'aide d'instruments de moyenne puissance, les divers phénomènes célestes, trouveront toutes les indicatinns désirables dans notre Revue itte'isuclle iV.islro- nomie populaire, qui préparu perpétuellement toutes les obsenations ii l'aire. TERRES DU CIEL. 12 MOIVE.MKNT DE MARS Far suite de ce mouvement de Mars le long du zodiaque, et du mouvement de toutes les planètes dans la intl-me zone, plusieurs planètes peuvent se trouver momentanément réunies dans la même région du ciel. C'est précisément ce qui vient d'arriver : eu juil- let 1883, toutes les planètes visibles à l'œil nu pouvaient être vues en même temps dans le ciel le matin avant le lever du soleil. Au mois de juin I88I, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne sont passés les uns prés des autres dans la constellation des Poissons. Quelquefois, deux planètes passent si près l'une de l'autre qu'elles Fig 43. Conjonclion île Jlars avec Saturne le 1'' juillet 1879. n'en font plus qu'une cà l'œil nu et que dans le champ d'une lunette elles sont voisines comme les deux composantes d'une étoile double. Ainsi, par exemple, le T"" juillet 1879, à 5''16'° du matin, Mars et Saturne se sont rencontrés dans le ciel en perspective. Les deux planètes sont passées à 87" seulement l'une de l'autre, d'un centre h l'autre. Saturne se montrait, dans une lunette de huit pouces, environné de trois satellites, et Mars semblait appartenir au môme système. Sa couleur était d'un jaune orangé bien prononcé, tandis que Saturne paraissait jaune verdàtre pâle et beaucoup moins in- tense que Mars en lumière. Ouclquetbis trois planètes peuvent se rapprocher ainsi. Le -23 dé- r H AS ES DK M A 11 s cembre 1769, Mars, Jupiter et Vénus se sont trouvés réunis dans lui même champ de 1 degré de diamètre. Ce rapprochement si curieux est môme arrivé pour quatre planètes, pour Mars, Jupiter, Vénus et Mercure, le 17 mars 17:25. Les anciens attribuaient une importance spéciale à ces conjonctions planétaires et nous ont conservé un grand nombre d'observations, sur lesquelles il serait superflu de nous étendre davantage. Cette même combinaison des uiouvcnients de Mars et de la Terre autour du Soleil fait que Mars est loin de nous présenter toujours de face son hémispliére éclairé par le Soleil. 11 en résulte par consé- Fig. -U. — Les phases de Mars. quent que nous lui observons des phases, moins complètes que celles de la Lune, mais pourtant assez sensibles, et même parfois évidentes du premier coup d'œil. Nos lecteurs ont déjà pu en remar- quer une (p. 2'.]). La partie obscure peut s'étendre davantage encore et atteindre le huitième du disque. "Ces phases ont été remarquées dès l'année 1610, aussitôt qu'on eût dirigé la lunette astroDomique vers l'astre de la guerre. Galilée écrivait au père Castclli, le .30 décembre de cette année, que cet astre ne lui paraissait pas entièrement rond. Le 24 août 1638, Fon- tana observant sous le ciel de Naples, dessina la planète évidem- ment amincie ou gibbeuse. C'était une confirmation de la théorie que cette planète, comme les autres, ne brilh^ pas plus que la Terre niMENSlONS DE MARS par sa propre lumière, mais seulement par celle qu'elle reçoit du Soleil et réfléchit dans l'espace. La grandeur apparente de Mars varie naturellement en raison de sa distance. A ses époques de plus grande proximité, cette pla- nète brille comme une étoile de première grandeur, rivalisant presque d'éclat avec Vénus et Jupiter, et pouvant même devenir visible en plein jour. Lorsqu'elle est très éloignée de nous, elle des- cend au contraire au rang de la seconde et môme de la troisième grandeur. Le diamètre de son disque télescopique peut des- cendre jusqu'à 3" ; aux époques d'opposition, il atteint au minimum 13" et peut, au maximum, s'élever jusqu'à 30"; ce qui est arrivé en 1877, et ce qui se reproduira en 1892. Cette époque favorable revient tous les quinze ans, et coïncide avec celle de la disparition des anneaux de Saturne lorsqu'ils se présentent à nous par leur tranche. On se rendra compte de la variation de la gran- deur apparente de Mars à l'examen de notre figure 45, dessinée à l'échelle de 2""° pour 1". A chaque opposition consécutive, le disque apparent de la planète varie dans la proportion suivante : 1877=30"; 1879 = 23"; 1881 = 18"; I88't=16"; 1886=14"; 1888=18"; 1890=23"; 1892 = 30". Mais la distance et la diminution de gran- deur ne jouent pas un aussi grand rôle qu'on le croirait pour la visibilité des détails. En supposant Mars placé à la distance du Soleil, prise pour unité dans les mesures célestes, son diamètre serait de 9"35 (mesures concordantes de Bessel, Kaiser, Main et Hartwig). A cette même unité de distance, le diamètre de la Terre est de 17"72. En combinant la grandeur apparente de Mars avec la distance, on trouve qu'elle correspond à un diamètre de 6850 kilomètres, soit 1700 lieues en nombre rond. Le tour du monde de Mars est donc de 5375 lieues. On voit que cette planète est plus petite que la Terre. Son dia- mètre n'est guère que la moitié du nôtre (0,54). Sa surface n'est que les 29 centièmes de la surface du globe terrestre, et son volume n'est que les 16 centièmes du nôtre. Étant six fois et demie plus petit que la Terre en volume. Mars se trouve être sept fois et demie plus gros que la Lune, et trois fois plus gros que Mercure. Dimensions de .mars Combien pèse-t-il ? Avant la découverte des satellites de Mars, faite en 1877, il était assez difïicile de déterminer exactem3nt la masse de cette planète. Cumment pèse-t-on les mondes? Le procédé le plus simple; à employer pour peser un astre, c'est de comparer la vitesse avec lujuelle il fait tourner un corps céleste soumis à sa puissance avec Dimensions apparentes de Mars à ses disUinres pjilrèmes et raoycnnos. (Écbeus 2»" = I"). celle que la Terre imprime à la Lune : la proportion des vitesses conduit à la proportion des masses ou des poids. C'est ainsi que nous avons pesé le Soleil. Quand la nature ne fournit pas ce moyen direct, il faut prendre un moyen détourné, tel que les perturbations que la planète fait éprouver à ses compagnes célestes dans leur cours à travers l'espace, ou à quelque comète vagabonde qui s'ap- pnielie suffisamment pour subir une influence sensible. C'est ainsi qu'on a déterminé les masses de Mercure, de Vénus, et celle de Mars jusqir(>n lS77.Mais lor?;qu'il y a un satellite, l'opénifiDU esta la fois MARS.— VOLUME, POIDS ET DENSITE incomparablement plus rapide et plus précise. L calcul de la masse de Mais fait par Le Verrier représente un siècli entier d'observa- tions et plusieurs mois consé. itifs de calcul, plus de mille bcures de numération ! A peine les s tellites de Mars étaient-ils décou- verts, au contraire, que quatre nuits d'observation et vingt minutes de calcul ont suffi pour prouver que cette planète pèse neuf fois et demie moins que la Terre. Le poids de notre globe étant, par exemple, représenté par le nombre de 1000, celui de Mars serait x'eprésenté par 106 ('). La densité des matériaux consécutifs de ce globe est égale aux ô9 centièmes de la densité moyenne de la Terre. Ainsi, tandis que le globe terrestre est environ cinq fois et demie plus lourd qu'un globe d'eau de même dimension. Mars est seulement quatre fois et demie plus dense. La pesanteur des objets à sa surface ne surpasse guère le tiers de celle des objets terrestres, ne dépasse pas les 37 centièmes de la nôtre. Des huit planètes principales, c'est la plus faible intensité de pesanteur : cent kilogrammes transportés sur Mars et pesés au dynamomètre n'y pèseraient que 37 kilogrammes. Nous pouvons très facilement voir que ces résultats sont déter- minés avec une certitude mathématique et constater nous-mêmes, par un exposé sommaire de la méthode employée, qu'il n'y a ici aucune œuvre d'imagination. Le poids des corps, l'intensité de la pesanteur à la surface d'un monde dépendent : 1° de la masse ou du poids intrinsèque de ce globe; 2" de son volume ou de la distance de la surface au centre. Ainsi, par exemple, si la Terre, tout en gardant le même volume, était dix fois plus dense, dix fois plus lourde qu'elle n'est, nous pèse- rions dix fois plus, nous serions attirés dix fois plus fortement par elle, et un corps abandonné à la pesanteur, au lieu de parcourir 4"'90 pendant la première seconde de sa chute, serait attiré avec une vitesse (•) En effet, la Terre fait tourner la Lune, à la distance de 384i00 kilomètres, en 27 jours 7 heures 43 minutes 11 secondes, et Mars fait tourner l'un de ses satellites, à ladislancede-237()0kiloniètres, en 30 heures 17 minutes 54 secondes. Puisque les carrés des temps sont entre eux comme les cubes des distances, si ce satellite do Mars était éloigné de la planète à la distance à laquelle gravite la Lune, il tournerait autour de la planète en un temps beaucoup plus long que celui que notre satellite emploie à circuler autour de nous. C'est la proportion entre ces deux durées qui prouve que Mars est neuf fois et demie moins fort que la Terre. Al Ai!s. — vdi.iMi:, i'()ir>s r.ï nicNsni-; de 49 métros. Mais, d'autre i)art, la pesanteur décroît avec la, distance au {■("utro d'attraction dans le rapport do cette distance multipliée par (dlo-iuérae, ou du carré. Ainsi, si la Terre, tout en pesant exac- Iciiirnl ce qu'elle pèse actuellement, était dix. fois plus lari^e en dia- mètre, nous serions dix fois plus éloignés de son centre (pu- nous le sonmies actuellement, et nous pèserions cent fois moins. I kilo- gramme actuel ne pèserait plus que dix grammes; abandonné à la jH'santeur, il ne tomberait qu'avec une vitesse de 49 millimètres pendant la première seconde de cbute. Fig. 16. Grandeur comparée de la Terre, Mars. Mercure et la Lune. Faisons nous-mêmes ici le calcul de ce qui doit exister sur ce point à la surface de la planète Mars : Nous venons de dire que ce globe pèse neuf fois et demie moins que la Terre. S'il avait le même volume que notre globe, le poids des corps y serait donc réduit dans la même proportion, et 1 kilogramme trans- porté là et pesé au dynanomètre n'y pèserait que 95 grammes. Mais ce globe est plus petit que la Terre, la surface est plus rapprochée du centre, et la pesanteur s'accroît en raison du carré du rapprochement. Lt' rapport des diamètres est de 53 à 100. Étant près de moitié plus proche ilu rentre, les objets sont attirés près de quatre fois plus exactement 3,7). -Nos U5 grammes deviennent donc 95 x3,7 ou 350 grammes. Tel est par iousé(|aent le poids de 1 kilogramme terrestre transporté à la surface de la planète dont nous nous occupons. Ou voit, pur parenthèse, (pie ces calculs sont aussi simples et aussi LA PESANTEUR A LA SURFACE DE MARS clairs que tous ceux de la vie quotidienne : ils demandent la même atten- tion, ni plus ni moins, et chacun conviendra sans peine qu'ils sont beaucoup plus intéressants que toutes les banalités du monde vulgaire.) De légères différences dans les mesures du diamètre et de la masse de Mars conduiraient à des différences correspondantes dans les résultats. Au lieu de 35 centièmes, on pourrait, par exemple, trouver 36 ou 37 cen- tièmes. Ces différences n'empêchent pas la méthode d'être e.xacte et mathématique. II résulte de ce que nous venons de dire qu'un corps qui tombe, au lieu de se précipiter avec la vitesse de 4"'90 dans la première seconde de chute, comme il arrive sur la Terre, ne descend, sur Mars, qu'avec la vitesse de 4°,90x0,35, ou i™,??. Voici, par exemple {fig. 47), deux colonnes, dont l'une est supposée sur la Terre et l'autre sur Mars. Si nous imaginons que deux hommes se précipitent du haut des tours,, après deux secondes de chute, l'expé- rimentateur terrestre aura parcouru 19",60, tandis que celui de Mars n'aura parcouru que 5"°, 16. Le premier arrivera à terre avec uno vitesse suffisante pour lui donner un choc mortel, tandis que Ij second n'aura probablement fait là qu'un exercice inoffensif. En d'autres termes, les corps sont très légers sur cette planète. Un kilogramme terrestre transporté là n'y pèserait plus que 350 grammes, et un homme pesant ici 70 kilogrammes n'en pèse- rait plus que 24. Nous verrons tout-à-I'heure, que, transporté sur l'un de ses satellites,^ ce même homme n'y pèserait plus que 117 grammes. Transporté dans l'espace pur, ce même sujet d'expé- rience ne pèserait plus rien du tout, et, couché dans le vide, ne tomberait jamais, à moins d'être attiré par une étoile. Cet état de la pesanteur jouant le premier rôle dans l'organisation des êtres, pour la force des tissus organiques, pour les muscles de la locomotion, pour les modes de locomotion eux-mêmes, il n'est pas douteux que les habitants de Mars soient plus légers que nous et soient constitués autrement que nous. C'est le problème que nous discuterons tout-à-I'heure, dans notre chapitre spécial sur les habitants de Mars. Ces considérations nous montrent que, pour nous rendre aptes à juger librement des phénomènes observés sur les autres planètes, il faut avant tout savoir nous dégager des influences terrestres, consi- LA l'ESAM'Klll A 1, A STRFAC.K 1)K M A I', S dérer qiio l'état des phosps y est tout autre qu'ici, que les forces do la nature s'y exercent en d'autres conditions, et que, par conséquent, nous ne devons ni rejeter à priori ce ([ui nous paraît en contradic- tion ;ivec notre monde habiluel, ni vouloir quand même tout expli- V I - 1 - — Inti'nsitO C'jiiipari'O Je la pesanteur sur la Terre et sur llar-. quer immédiatement par les seules lumières de nos observations terresti'es. Telle est la condition uranoj,'rapliique de la planète Mars. Nous allons maintenant en étudier les consèijuencc^s physiologiques, et faire connaissance avec son l'alendrier, ses années, ses jours, ses saisons et ses climats. TERRES DL- riEI. «3 CHAPITRE V Le calendrier des habitants de Mars Révolution annuelle et rotation diurne. — Le jour et la nuit. — Années. Saisons. — Coloration des continents. — Neiges polaires et climats tropicaux. On entend quelquefois des personnes irréfléchies demander « à quoi sert l'Astronomie ». Une pareille question fait sourire celui qui sait que sans l'Astronomie nous serions incapables de connaître même la date du jour où nous vivons. Le calendrier, base de l'his- toire, est l'un des premiers monuments des sciences d'observa- tion. Sans l'Astronomie, nous ne saurions pas ce que c'est que la Terre, nous ne saurions pas où nous sommes, nous n'aurions aucune idée saine sur la composition et la grandeur de l'Univers, nous serions comme des aveugles dans une cave, il eût été impossible de diriger la navigation, il serait impossible de déterminer la position précise d'un point sur le globe ni de fixer une date dans l'histoire, et même nous pouvons dire que sans cette science nous ne pour- rions avoir aucune idée générale positive sur quoi que ce soit; en un mot, sans l'Astronomie, l'homme serait encore à l'état d'i- gnorance de la sauvagerie primitive ('), Actuellement, au moment où j'écris ces lignes, les Chrétiens sont (') Sans que nous nous en doutions, l'Astronomie nous enveloppe en tout et partout. En prenant une tasse de café, nous appliquons l'Astronomie, car si les navigateurs n'avaient pas su déterminer les longitudes par l'observation des éclipses des satellites de Jupiter, le café n'aurait pas été exportable à des prix populaires et ne serait pas entré dans les mœurs. En datant une lettre, en regardant la pendule, nous faisons de l'astronomie sans le savoir; etc., etc. LE CALENDRIER DES HABITANTS DE MARS à l'année 1883 de leur ère, comptée à partir de la naissance de Jésus ; les Musulmans en sont à l'an 1301 de Mahomet ; les Israélites sont à l'année 5643 de la création du monde, selon la Bible; les Chi- nois inscrivent sur leur calendrier la 20' année du 76' cycle de 60 années Institué au XXVIP siècle avant notre ère, etc., etc. ; toutes ces manières de mesurer et de compter le temps étant d'ailleurs réglées par le cours apparent du Soleil et de la Lune. Demander en quelle année on est actuellement sur Mars, serait une question oiseuse, puisque même sur la Terre il y a un grand nombre d'ères différentes. L'ère chrétienne n'est pas plus connue dans le Ciel que l'ère chinoise ou l'ère arabe, et ce qu'il y a d'assez surprenant, c'est de voir des hommes intelligents s'imaginer que nos fêtes chrétiennes aient un écho dansTempyrée: que le vendredi-saint, par exemple, on soit triste « dans le Ciel ï ; que le jour de Pâques ou de l'Ascension la gaieté rayonne; que le jour de l'Assomption la Sainte-Vierge reçoive nos prières; que les Saints entendent les invo- cations qui leur sont adressées dans les cha^^elles chaque jour de l'année; etc., etc. Il faut croire qu'il déplaît aux hommes de faire usage de leur raison. Ce sera le complément de l'œuvre de l'Astro- nomie dans l'avenir. Du reste, notre calendrier lui-même est, dans sa forme mondaine, un tissu d'inconséquences. Pour n'en signaler qu'une parfaitement bizarre, n'est-il pas étrange de voir le premier jour de notre calendrier a chrétien » consacré à... la circoncision! Quelle singulière anomahe pour des peuples étrangers à ce rite physiologique ! Ce mot est pourtant le premier que toute jeune fille doit lire, et celui qu'elle a constamment sous les yeux, chaque fois qu'elle consulte l'élégant petit carnet doré sur lequel elle inscrit ses promesses ou ses souvenirs. On peut espérer que sur Mars la rédaction du calendrier est plus rationnelle qu'ici, et qu'au lieu de Jeter, par exemple, le retour de l'année au milieu de la plus mauvaise saison, les habitants de la planète ont su s'entendre pour placer cette fête au printemps. En lui-même, le calendrier, la mesure du temps, est réglé là comme ici par les mouvements célestes, par la combinaison du mouvement diurne de rotation de la planète sur elle-même, et de son mouve înent annuel de translation autour du Soleil. Ils ont des années e. des jours, mais ils n'ont pas de mois, ou pour mieux dire, ils n'eu LE CALENDRIER ULs UADITANTS DE MAKS ont (|u'uri petit (le cinq jours, produit par la combinaison du mou- vement du satellite extérieur avec la rotation de la planète. Ce petit mois minuscule leur sert sans doute de semaine, et peut-être ont-ils aussi donné à ces jours des noms dérivés des cinq astres qu'ils voient le mieux : le Soleil, leurs deux lunes, Jupiter et la Terre. La durée de la rotation diurne de Mars est connue avec autant de précision que celle de notre propre monde. Elle a été déterminée dès l'an 165!) par Huygens. Aux époques de bonne visibilité, une observation attentive de quelques lieures suffit pour permettre de Kig, 49. — Comment on observe la rotation diurne de Mars. constater cette rotation par le déplacementdes taches, et, en quelques jours, si l'on a remarqué une tache bien définie, on peut la voir revenir par le méridien central du disque et ainsi faire soi-même une première constatation approximative de la durée de la période. Ainsi, par exemple, voici trois dessins faits le même soir (28 sep- tembre 1877), le premier à 7 heures 30 minutes du soir, le second à 9 heures 30 minutes, le troisième à 1 1 heures 30 minutes : ils suffisent pour montrer que la tache circulaire grise a marché de la droite vers la gauche (pôle sud en haut), et qu'en quatre heures elle a parcouru, en apparence, plus de la moitié de l'hémisphère. Gomme les bords d'un globe sont vus en raccourci, elle emploie beaucoup plus de temps pour parcourir le premier et le dernier quart. En fai!, on constate que pour aller d'un bord à l'autre, elle met plus de douze heures, c'est-à-dire plus de vingt-quatre pour faire le tour complet. LA KOTATION DIURNE DE HAHS 1111 Cet examen du mouvement des taches donna en 1666 à Cassini 24 heures 40 minutes pour la période de rotation. Maraldi, en 1704 et en 1719, William Herschel et Schroëter à;la fin du même siècle, Kunowskien 182-2, Miidler en 1830, Kaiser en 1882, Wolfen 1866, Proctor en 1869, Crulls en 1877, perfectionnèrent la môme recher- che, et nous connaissons aujourd'hui, à une seconde près, la durée exacte de la rotation diurne de ce monde, qui est de 24 HEURES 37 MINUTES 23 SECONDES. La durée du jour et de la nuit est donc à peu près la même sur Mars que sur la Terre : elle surpasse la nôtre d'un peu plus d'une demi-heure seulement. Il est extrêmement remarquable que cette durée soit sensiblement analogue pour les quatre planètes Mercure, Vénus, la Terre et Mars. Nous ne connaissons pas la raison de cette similitude. La distance au Soleil ne paraît pas enjeu ici commue pour la durée de l'année, ni le volume de la planète. La densité paraît entrer pour la plus grande part dans cet établissement du temps de la rotation, comme je l'ai montré dans un travail antérieur. Les quatre planètes dont la rotation s'effectue en une période voisine de 24 heures sont les plus denses. Les quatre planètes géantes, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, tournent beaucoup plus vite : en une période voisine de 10 heures, et ce sont aussi les mondes de la plus faible densité. Pendant la durée de sa révolution autour du Soleil, Mars tourne 669 fois sur lui-môme. Dans l'année de Mars il y a 669 rotations ou jours sidéraux (669^), et par conséquent 668 | jours solaires ou ci- vils ('). De môme que le jour terrestre est de 2't heures, surpas- sant de 4 minutes la durée de la rotation terrestre, laquelle est de 23 heures 56 minutes, le jour martien est également un peu plus long que la rotation ; il dure, tout compté, 24 heures 39 minutes 35 secondes. Il y a sur trois ans une année courte de 668 jours et deux longues de 66), autrement dit, deux années bissextiles sur trois. Le jour et la nuit suivent sur ce globe le môme cours que sur la Terre. A l'équateur, ils sont d'égale durée, de 12 heures 19 minutes (') 11 y a, pour chaque planète, un jour de moins que de rotations par an. Ce fait, trè* simple d'ailleurs, sera expliqué au chapitre de la Terre. LA UOÏATION DIURNE DE MARS 47 secondes eldemie pondantrannée entière. Il en est de même pour tous les pays du monde martien le jour de l'équinoxe. L'empiéte- ment du jour sur la nuit pendant l'été, et de la nuit sur le jour pendant l'hiver, y suit la même loi qu'ici, et varie semblablemen, suivant les latitudes. A la latitude correspondante à celle de Paris, la durée du jour au solstice d'été surpasse 16 heures; au cercle polaire, elle atteint 24 heures 39 minutes; au pôle même, elle est d'une demi-année martienne, ou de onze mois et demi et l'hiver y est encore plus sombre, plus triste et plus glacial que celui de nos régions polaires. Le régime cliraatologique est presque le même qu'ici, mais plus lent. On voit qu'entre Mars et la Terre la différence est peu sensible, sous le rapport du mouvement de rotation : les phénomènes qui en sont la conséquence, la succession des jours et des nuits, le lever et le coucher du soleil et des étoiles, la fuite des heures, rapides ou lentes suivant l'état de l'âme, les travaux, les joies ou les peines; en un mot, le cours quotidien de la vie et la marche habituelle des choses s'y développent à peu prés dans les mêmes conditions que chez nous. Les mesures faites sur Mars ne sont pas concordantes quant à son aplatissement polaire. Herschel a trouvé ^j, Schroëter ^'^, Arago ~, Hind ^, Main ^, Kaiser-^, et Young, en 1879, ^f^. Les premières de ces valeurs sont beaucoup trop fortes pour la théorie de l'attrac- tion. Ce globe tournant moins vite que la Terre et étant plus petit, ne développe qu'une faible force centrifuge, et son aplatissement devrait être inférieur à celui de notre planète, qui est de ^fj-- Peut-être la planète s'est-elle formée en plusieurs fois, et les couches voisines de la surface sont-elles plus denses que la densité moyenne. 11 y a là quelque mystère : cette planète est petite, et il y en a plu- sieurs centaines plus petites derrière elle ; nous verrons plus loin que l'un de ses satellites tourne plus vite qu'elle ne roule elle-même. C'est la plus excentrique des planètes principales. Autant de faits à expliquer ('). (•) D'après les mesures du diamètre de la planète et des plus grandes élongations des satellites, combinées avec la durée de la rotation de Mars et celle des révolutions des satellites, on conclut que le rapport de la force centril'uge à la pesanteur à l'équateur ■^e Mars est environ ^^. Il suit de là que si la planète était homogène, son aplatisso INCLINAISON DE L'AXE DE M Ali S La connaissance si exacte que nous avons du mouvement de ro- tation de la planète Mars (elle est tout aussi précise, en vérité, que celle du mouvement de la Terre elle-même) a permis de détermi- ner non moins exactement l'inclinaison de son axe de rotation sur le plan de son orbite. Les mesures de William Herschel avaient conduit au cliiiïre de 28°'i-2' pour l'inclinaison de l'axe de rotation : c'est la valeur adoptée dans tous les traités d'Astronomie. Cette inclinaison Fig. "jO. — Inclinaison de Mars sur son axe : les trois zones. produirait des saisons analogues aux nôtres, seulement un peu plus prononcées l'on sait que rinrlinaisnn de l'axe de la Terre est de •2.'^°-27'L Les mesures de Bcssel, réduites par Oudemans, conduiseni au chiffre de '2~°[C)'. Tout récemment, en 1877, 1878 et 1881, M. Schiaparelli a repris la même recherche avec des soins particuliers et a trouvé pour résultat ?i"5'2', ce qui ramène nii'iit serait de -^ piiviroii. Si. au lieu d'ilrr' lioiiiofrène, sa donsilé interne varie selon la même loi que relie de la Terre, de telle sorte que cet aplatissement soit à la force centrifuge dans le uièine rapport relatif que sur la Terre, cet aplatissement serait de ,-7;. Selon toute prohahilité, il est roiupris entre ces limites. INCLINAISON DE L'AXK l)E MARS les saisons de Mars à une identification presque absolue avec les nôtres. Nous savons d'ailleurs par la seule inspection, et lors même que les variations météorologiques, visibles d'ici sur cette planète voi- sine, ne nous l'auraient pas démontré de visu, que ses saisons ne sont pas très différentes des nôtres, quant à leur variation d'in- lensité entre l'été et l'hiver. Un astronome de la Terre n'a pas besoin de faire le voyage de Mars pour connaître ses climats. Ce monde présente comme le nôtre trois zones bien distinctes : la zone torride, la zone tempérée et la zone glaciale. La première s'étend, de part et d'autre, de l'équateur jusqu'à 24°52'; la zone tem- pérée s'étend depuis cette latitude jusqu'à 65°8'; la zone glaciale entoure chaque pôle jusqu'à cette distance ('). Ainsi, la durée des jours et des nuits, leurs différences selon les latitudes, leurs variations suivant le cours de l'année, les longues nuits et les longs jours des régions polaires, en un mot tout ce qui concerne la distribution de la chaleur, sont autant de phénomènes presque semblables sur Mars et sur la Terre. Entre les deux planètes cependant, il y a une très notable différence, c'est celle qui existe entre la durée des saisons. Cette durée y est beaucoup plus longue. En effet, nous avons vu au chapitre précédent que l'année martienne dure 687 jours terrestres ; chacune des quatre saisons est donc aussi près du double plus longue qu'ici. De plus, l'orbite de Mars étant très allongée, l'iné- galité de durée des saisons y est plus marquée que chez nous. Poui en faire la comparaison exacte, choisissons l'hémisphère de Mars (') Remarquons, à propos du calendrier de Mars, que la planète tournant comme 1? Terre dans le zodiaque, le Soleil tourne également en apparence pendant son annét devant les douze constellations zodiacales. Seulement, au solstice d'été de l'hémisphère nord, ce n'est pas dans le Cancer que le Soleil se trouve, mais dans le Verseau, et au solstice d'hiver, ce n'est pas dans le Capricorne, mais dans le Lion : de sorte que nous pourrions appeler les tropiques de Mars, tropiques du Verseau et du Lion. Il est opportun d'ajouter d'ailleurs que les habitants de Mars ne désignent certaine- ment pas leurs constellations sous les mêmes noms que nous désignons les nôtres, quoique la différence de perspective soit si faible pour les étoiles vues de là ou d'ici, que les configurations y restent absolument les mêmes. Là comme ici, les sept étoiles de la Grande Ourse forment un char. Castor ai. Pollux donnint l'idée de jumeaux, la Couronne, la Flèche, peuvent porter les mêmes noms dans les langues de Mars, le Scorpion ressemble à un scorpion, , mais y a-t-il des scorpions sur cettp planète? SAISONS ET CLIMATS S l! U M A li S analogue à celui que nous habitons sur la Terre, son hémisphère boréal , et comparons les durées des saisons sur les deux planètes. Dl'IÎKK DKS SAISONS Sur la Terre. Printemps 93 jours Icrrosfres. Élé 'J3 Automne . 90 Hiver 89 363 Sur Mars. 191 jours martiens 181 119 147 008 On voit que les saisons de Mars sont beaucoup plus lentes et sen- siblement plus inégales que les nôtres. Gomme nous l'avons vu Graaiieur comparée Ju Soleil vu de Mars et vu de la Terre. tout à l'heure, le jour de Mars est de 31) minutt's plus long que le nôtre, et son année compte 668 jours martiens, 669 dans les années bissextiles. Chaque saison dure presque six de nos mois. Ainsi le printemps et l'été de l'hémisphère boréal de cette planète durent 372 jours, tandis que l'automne et l'hiver n'en durent que 296. La chaleur solaire doit donc s'accumuler dans l'hémisphère boréal en ([iiautité notablement plus grande que dans l'hémisphère austral. Mais il y a, comme sur la Terre, une compensation pro- venant de ce que l'orbite de Mars n'étant pas circulaire, la planète est beaucoup plus proche du Soleil au périhélie qu'à l'aphélie : la TERRES DU CIEL. *'* SAISONS ET CLIMATS SDR MARS différence est de 5 millions de lieues. C'est au solstice d'été de son hémisphère sud que cette planète est actuellement à sa moindre distance du Soleil, et par conséquent reçoit de cet astre le maximum de chaleur. Il résulte de ce fait que les neiges polaires australes doivent beaucoup plus varier d'étendue que celles du pôle boréal, et c'est aussi ce que montre l'observation. Cette variation dans la longueur des saisons, quoique fort carac- téristique, ne doit avoir aucun effet désagréable sur les conditions de la vie. Un astronome anglais, M. Ledger, remarquait même derniè- rement ('), à ce propos, que la faible quantité de chaleur et de lu- mière que Mars reçoit du Soleil, peut avoir pour résultat une plus grande lenteur dans la végétation, ainsi que dans les récoltes; de telle sorte qu'une année et des saisons du double environ plus longues que les nôtres, doivent être parfaitement appro- priées à l'état de la planète. Il y a néanmoins ici, dans cette diffé- rence de chaleur et de lumière, quelques considérations qui s'imposent d'elles-mêmes à notre attention, à propos des habitants de Mars. En moyenne, la lumière et la chaleur reçues du Soleil, n'ont là qu'une intensité égale aux ~ ou à peu près aux | de celles que nous recevons. Le Soleil présente à un observateur martien un diamètre égal aux deux tiers de celui qu'il nous présente à nous-mêmes (voy. fig. 51), attendu que la distance de Mars au Soleil surpasse de une fois et demie celle de la Terre, et que la lumière et la chaleur reçues varient comme la surface du disque apparent, c'est-à-dire comme le carré de 'ou comme |; la valeur exacte est -^ *'*'' 100- Nous disons « en moyenne » attendu que l'ellipticité de l'orbite de Mars change considérablement la distance de la planète, tout le long de son année, sa distance minimum au Soleil descendant à 51 millions de lieues et sa distance maximum s'élevant au-dessus de 61. Il en résulte une variation correspondante dans le diamètre apparent du Soleil, s'élevant à environ 77 de sa valeur moyenne ; en d'autres termes, cediamètre du disque solaire varie aux différentes époques de l'année martienne comme les nombres 10, 11 et 12, et (*) The Scn, itsplanets and their salellUes, London, 1882. SAlSUNb ET CLIMATS SUR MAUS la lumière ainsi que la chaleur comme les carrés de ces nombres, c'est-à-dire dans la proportion de 100 à 121 et 144, ou, en définitive, plus simplement, comme les nombres 5, 6 et 7. Telle est la varia- tion apparente du disque solaire, ainsi que de la lumière et de la chaleur reçues dans le cours de l'année des habitants de Mars. En somme, cette variation n'a rien d'excessif, et la plus grande différence entre les conditions d'habitabilité examinées sous ce point de vue spécial, consiste dans la quantité de chaleur et de lumière reçues, laquelle est inférieure, comme nous l'avons dit, à la moitié de celles que nous recevons nous-mêmes de l'astre central. Il est certain, en supposant que l'atmosphère de Mars ne soit pas constituée de façon à accroître cette valeur, que l'humanité terrestre pourrait fort bien s'acclimater à ces conditions mômes, car elle le fait déjà sur la Terre en s'adaptant aux climats de l'Afrique centrale, du Groenland et de la Sibérie. Mais il est presque superflu de notre part de nous inquiéter de cette adaptation, non seulement parce que les espèces vivantes sont, parla nature même, appropriées aux conditions organiques spéciales de chaque monde, mais encore parce que la température générale de la planète Mars ne parait pas du tout aussi froide que nous aurions lieu de le craindre. En effet, si telle était la température de ce globe, un thermomètre placé dans ses régions équatoriales ne devrait pas s'élever plus haut que nos thermo'Tiètres observés vers notre 62* degré de latitude. Or, les neiges polaires de Mars n'offrent pas l'extension qu'elles devraient avoir, s'il en était ainsi. Nous pouvons étudier d'ici ces variations climatologiques, et cette étude est une des plus intéressantes qu'il nous soit donné de faire, car elle transporte notre pensée au sein d'une nature physique offrant avec la nôtre une sympathique analogie. L'inclinaison de Mars sur son orbite fait qu'il ne se présente pas à nous dans un sens que nous pourrions appeler vertical, avec ses deux pôles placés juste en haut et en bas de son disque, mais penché vers nous. Comme le milieu de l'été de l'hémisphère austral de Mars coïncide avec son périhélie, c'est cet hémisphère qui est le plus facilement visible pour nous, c'est celui que nous pouvons observer quand la planète est à sa distance minimum, aussi con- naissons-nous beaucoup mieux cet hémisphère austral que l'hémi- SAISONS ET CLIMATS SUH MARS sphère boréal. Il se passera dos milliers d'années avant que le pôle boréal de Mars soit visible de la Terre à moins de la moitié de la distance de la Terreau Soleil, ;ï moins de 18 millions de lieues. Pour donner mit.' idée dos observations i\n(: nous pouvons faire au télescope sur les climats et saisons de cette planùtc voisine, je rappellerai ici celles que j'ai laites en 1873, époque fort avantageuse pour l'étude de son hémisphère se})tentriunal, le plus difhcile ù observer. Sans tourner son pôle nord tout à fait vers nous, elle en laissait alors parfaitement voir Lus siiisoiis sur Mars : asiiuct Ju Ui plauL'li' It i'JjuiM 1873. une certaine partie. Ce pôh^ était marqué [)ar une taclie blanchi' ovale, si blanche et si éclalanlc, ({u'elle paraissait dépasser le bord du disijue par un effet d'irradiation. Cette calotte neigeuse n'était pas très étendue. « Les neiges polaires boréales, disais-je alors dans un rapport à flnstitut, ne s'étendent pas actuellement (juin 1873) au delà du 80" degré de latitude. On sait qu'elles couvrent parfois une étendue beaucoup plus considérable, puisque dans certaines années elles ont dépassé le 60° degré. « La planète Mars, ajoutais-je. est actuellement dans la saison d'au- tomne de son hémisphère nord. La plus grande ])artie des neiges polaires boréales sont fondues, tandis qu'elles s'amoncellent autour du pôle aus- tral, en ce moment invisible pour nous. La région sud est visiblement marquée d'une traînée blanche près des bords. Est-ce la neige qui des- SAISONS i;r climats siin mars rendrait jusqu'au 40' dej,a-é do latitude sud? Il est plus i)r(jl)able que ce sont des nuages ('). » La ligure précédente, que j'ai dessinée avec le plus grand soin d'après uion observation du 29 juin (à 10 heures du soir), montre au premier couj) d'orul cette tache polaire boréale, ainsi que l'aspect géographiiiue de Mars ce jour-là. Une phase déjà sensible diminue le disque de la planète sur la ilroite. Los dimensions dos taches polaires correspondent à la saison. En se reportant ;i notre ligure 40, p. 80, qui représente l'orbite de Mars et Fig 53. — Les saisons sur la pluuèlc Mars. celle de la Terre, on peutyremarquerquo l'opposition de 1871 est arri- vée au mois de mars,. c'est-à-dire pendant l'été boréal de la planète; aussi, cette année-là, la farho neigeuse boréale est-elle apparue constamment très petite à cause de l'action do l'été, mais très visible à cause de l'inclinaison de l'extrémité nord de l'axe vers nous. L'opposition de 187.'^ est arrivée en mai, ce qui correspond au moisdo septembre du calendrier de Mars, c'est-à-dire au commencement de son automne : la neige polaire boréale ne formait plus qu'un petit (•) Comptes rendus de l'Académie des Sciences du 28 juillet 1873. SAISONS ET CLIjMATS SUR MARS cercle. En 1875, l'opposition est arrivée au mois de juin, après le milieu de l'automne : la tache polaire boréale était si réduite, qu'on la distinguait à peine, tandis que les neiges du pôle austral, (pii venaient de subir l'hiver entier, étaient très étendues. En 1877, l'opposition est arrivée 13 jours avant le solstice d'été de l'hémi- sphère austral; en 1879 elle est arrivée 90 jours après, et en 1881, 178 jours après ('). Ce solstice est arrivé le 18 septembre en 1877, le 14 août en 1879, le l" juillet en 1881. On a pensé que les taches polaires blanches pouvaient être pro- duites, non par la neige, mais par des nuages amoncelés sur les pôles. C'est beaucoup moins probable, et l'on peut même être assuré qu'il n'en est rien, quoique des nuages peuvent fort bien s'ajouter aux glaces polaires en ces froids climats. D'abord leur aspect n'est pas celui des nuages que l'on voit sur la planète. Ensuite la tache blanche est trop fixe pendant des mois entiers, diminue et s'accroît trop régulièrement, et offre des contours trop nets. Ainsi, par l'aspect comme par la forme, il n'est pas douteux que ce soient bien là des neiges. Il résulte des mesures prises en 1830 par Bessel, en 1862 par Kai- ser, Lockyer et Linsser, en 1877 par Hall et Schiaparelli, que la tache polaire australe, lorsqu'elle est réduite à ses moindres dimen- sions, après les solstices de l'hémisphère austral, occupe toujours à peu prés la même place sur la planète, vers 19" de longitude et 5°-j de distance au pôle. Cette position ne diffère pas sensiblement de celle qui a été déterminée par M. Schiaparelli, après le solstice de 1877, époque pendant laquelle les intéressantes observations sui- vantes montrent que la tache polaire a régulièrement diminué par la fonte des neiges : (') On peut se rendre compte des saisons de Mars par la figure ci-dessus (53). Sur ce diagramme, les points marqués A et P représentent respectivement l'aphélie et le péri- iiélie de la Terre et de Mars. 1-,'ordre et la succession des saisons sur cette planète dans le cours de son année y sont clairement indiqués. Dans la moitié droite de son orbite, lorsqu'elle passe à sa plus grande proximité de l'orbite terrestre, son hémisphère nord est en hiver, tandis que son hémisphère sud tourné vers le Soleil, est admirablement visible pour nous. C'est le contraire dans l'autre moitié de l'orbite. Voilà pourquoi nous connaissons moins bien le pôle nord que le pôle sud de Mars. Les prochaines oppositions spécialement observées, avanceront sans doute de beaucoup la science sur ce point. Qui sait'? des indices inattendus nous apprendront peut-être un jour lequel des deux hémi- sphères est le plus civilisé I SAISONS KT CLIMATS SI:R .MAHï< lit iiiMiMTKiN i>i:s Ni;ii;i:s polaiiiks m: mm!s ai solstice detk Il A ri; liI.l.MKTRE dfs observations. Ue la luclie polaire. ili a(u\t 1877 .... 2G jours ;i\ant le solstirp dotù, 28",6 :! sc|ilomlirc. . . . i:i — — 20°,6 Il — .... 7 — 20", 2 18 — .... jour (lu solstice iy°,i ■2i -- ... 4 jours après le solstice d'été. . 14", 7 :io - .... 12 — — 12",;; m lu-Uilirc 22 — — 10°,4 i:{ — ... 23 — - 9°,3 i iiincililin' .... 47 — — 7",0 Kig. jl. — Neiges polaires de Mars après leté ; 1S7" et 18T9. L;i taclii'. pukiiriî ue disparut pas cutiLTeiiiciit et elle (■(Uniiu'ura de nouveau à s'accroître à partir de déceml)re : c'est là un iilirnomène identirpie à ce qui se passe sur la Terre. L'astronome de Milan fait remarquer à ce propos que sur notre monde « la saison la plus propice à la navigation polaire retarde notablement par rapport au solstice d'hiver » ; que sur Mars le solstice d'été est arrivé le 18 septembre de ictte année là, et l'équinoxe suivant le 22 février; que le retard a donc été de deux mois et demi environ, et que sur la Terre il est un peu plus court, comme il convient à la moindre durée des > lisons ('). (') En 1830. Madler a vu la ralottn dos f;laros pnlairos australes fondre, diminuer, de 13" à 6°: en J86î, l.assell et I.orkyer lont vue descendre de 20° à 6": en 1877, M. Scliia- parelli a mesuré une diminution de 28° à "*. I.e minimum arrive de eux mois et demi SAISONS ET CLIMATS SUR MARS Sur Mars comme sur la Terre, le Soleil se lève et se couche chaque jour pour tous les pays situés dans la zone tempérée et dans la zone torride. Là comme ici, le Soleil ne se couche plus au solstice d'été, et la durée du jour surpasse vingt-quatre heures, à partir du cercle polaire, et sans doute aussi là comme en Islande, comme en Lapo- nie, comme en Suède, des excursions s'organisent pour aller admi- rer le Soleil de minuit le jour de la Saint-Jean d'été, — ou du moins le jour qui correspond à cette fête des feux solaires dans le calendrier des habitants de Mars. Nous avons vu plus haut que le pôle sud de Mars est beaucoup mieux connu que le pôle sud de la Terre. Les observations faites prouvent de plus que sa connaissance poiu'rait n'être pas inutile aux géographes terrestres. Mon ami regretté Gustave Lambert (qui est tombé victime du dernier combat de l'incompréhensible guerre de 1870), était arrivé par certains calculs de physique, à la convic- tion que la mer polaire est libre sur notre planète, et que la durée de la présence du Soleil au-dessus de ces horizons, compensant am- plement la faiblesse de son élévation, les glaces sont fondues au pôle même. Eh bien, il est certain qu'en 1877 le pôle de Mars est resté parfaitement dégagé des glaces, lesquelles, au mois de novembre, étaient réduites au petit triangle de 7° de diamètre que l'on a vu sur la figure précédente. L'astronome de Milan pense que pour maintenir «es neiges, il doit y avoir là quelque île ou quelque bas-fond. Quoi qu'il en soit, si les saisons de Mars sont plus longues que les nôtres et si les hivers y sont plus rudes qu'ici (nous étudierons le sujet au point de vue de la radiation atmosphérique dans le chapitre prochain), le printemps revient chaque année comme ici dénouer les liens qui retenaient les eaux dans les glaces hivernales, les neiges fondent, les eaux circulent, les sources gazouillent, le soleil brille, et la nature reprend avec joie son œuvre d'activité, de travail et d'amour. à trois mois après le solstice d'été. L'effet optique bien connu de la diffraction fait paraître cette tache blanche beaucoup plus grande qu'elle n'est en réalité (elle semble parfois sortir du disque) ; l'astronome italien estime que lorsqu'elle est réduite à 4°, elle n'a en réalité que 2° de diamètre, c'est-à-dire 120 kilomètres, car un degré de grand cercle sur le globe de Mars équivaut à 0°o33 de l'équateur terrestre ou à 60 kilomètres. Notre figure 53 représente ces neiges polaires de Mars à l'époque de leur minimum en 1877 et en 1879, mesurées micrométriquement par M. Schiaparelli. SAISONS KT CLIMATS SUR MARS 113 On lo vdit, on résumé, depuis plus de deux siècles, nous olisorvons de la Terre les faits principaux de la météorologie marlienni'; nous Kig. SS. - Le soleil de minuit sur la planMc M^rs. nssistons d'ici à la formation dos glaces polaires, à la clmli- et à la fiinte des neiges, aux intempéries, nuages, pluies et tempêtes, et au retour des beaux jours, en un mot à toutes les vicissitudes des TERRES DD CIEL <5 LES COMIMENTS JAUNES DE MARS saisons. La succession de ces faits est aujourd'hui si bien établie, que les astronomes peuvent prédire d'avance la forme, la grandeur et la position des neiges polaires, comme l'état probable, nuageux ou clair, de son atmosphère, laquelle subit beaucoup plus com- plètement qu'ici l'influence des saisons. Ainsi donc ce monde offre avec le nôtre les analogies les plus I curieuses : les habitants de Vénus voient notre planète sous des apparences à peu près semblables à celles que Mars nous présente ; comme les pôles de Mars, les nôtres sont couverts de neiges et de glaces; c'est aussi notre pôle austral qui est le plus envahi, et pour les mômes raisons, par ces produits de la congélation de l'eau. Enfin les pôles de froid, sur Mars comme sur la Terx-e, ne coïncident pas avec les pôles de rotation. Un mot encore sur la coloration spéciale de la planète. Les mers de Mars sont légèrement teintées de vert, et les conti- nents fortement nuancés de jaune orangé. La couleur de l'eau martienne parait donc être la même que celle de l'eau terrestre. Quant aux terres, pourquoi sont-elles rougeâtres? On avait d'abord supposé que cette teinte pouvait être due à l'at- mosphère de ce monde guerrier. De ce que notre air est bleu, rien ne prouve en effet que celui des autres planètes doive avoir la même coloration. 11 serait donc possible de supposer celui de Mars rouge. Les poètes de ce pays célébreraient cette nuance ardente au lieu de chanter le tendre azur de nos cieux; au lieu de diamants allumés à la voûte azurée, les étoiles y seraient des feux d'or flamboyant dans l'écarlate, les nuages blancs suspendus dans ce ciel rouge, les splen- denrs des couchers de soleil centuplées, ne laisseraient pas de pro- duire des effets non moins merveilleux que ceux que nous admi- rons sur notre globe sublunaire. Mais il n'en est rien. La coloration de Mars n'est pas due h son atmosphère, car, bien que ce voile s'étende sur toute la planète, ses mers ni ses neiges polaires ne subissent l'influence de cette coloration. De plus, les bords de la planète étant moins colorés que le centre du disque, prouvent que cette coloration n'est pas due à l'atmosphère ; car, dans ce cas , les rayons qu'ils nous renvoient ayant plus d'air à traverser que ceux qui nous viennent du centre, seraient au contraire plus colorés que ceux-ci. LES cont:>:en'ts jaunes de mai!s Cette couleur caractéristique de Mars, si sensible à l'œil nu, et qui a donné naissance à la personnification guerrière dont les an- ciens ont gratifié cette planète, serait-elle due à la couleur de l'herbe et des végétaux qui doivent couvrir ses campagnes ? Aurait- on là-bas des prairies rouges, des forêts rouges, des champs rouges? Nos bois aux douces ombres silencieuses y seraient-ils remplacés par des arbres au feuillage rubicond, et nos coquelicots écarlates seraient-ils l'emblème de la botanique martienne? On peut remar- quer en effet qu'un observateur placé sur laLune ou même sur Vénus verrait nos continents fortement teintés de la nuance verte. Mais en automne, il verrait cette nuance se modifier sur les latitudes où les arbres perdent leurs feuilles; il verrait les champs varier de nuances jusqu'au jaune d'or, et ensuite la neige couvrir les campa- gnes pendant des mois entiers. Sur Mars, la coloration rouge paraît constante, et, à part les neiges, elle subsiste sur toutes ses lati- tudes, aussi bien pendant l'hiver que pendant l'été ; elle varie seu- lement suivant la transparence de son atmosphère et de la nôtre ('). De toutes les explications que l'on puisse donner de cette colora- tion, celle qui l'attribue à la végétation inconnue qui doit revêtir .sa surface continentale est la plus rationnelle. N'y eùt-il là que de la mousse, il doit exister sur le scil un revêtement quelconque. Autre- ment il faudrait supposer que, par un miracle constant de stérili- sation, le sol est resté partout aride, nu, et tout à fait improductif. Or, comme ce n'est pas l'intérieur du sol, mais sa surface, que nous voyons, nous sommes conduits à penser que le revêtement de cette surface, quel qu'il soit, a pour couleur dominante la couleur rouge, puisque toutes les terres de Mars offrent ce curieux aspect ('■'). (>) Certaines difteirnees de miaiioes se iiianiresleal iieuiimoiiis. Ainsi, pendant la période de 1877, la couleur d(^ Mars, vu au grantl éqnatorial de Washington, a paru jaune d'or. Les mers étaient teintées d'une légère nuance de bleu indigo, et les taches polaires se sont montrées parfaitement blanches. Cj Quelque temps après la présentation à IWcadémie des sciences de nos observations sur Mars en 1873, notre savant ami le docteur Iloefer objecta, a l'explication qui pré- cède sur la couleur de Mars, que ce ne peut être celle des végétaux, parce qu'elle ne varie pas avec les saisons, et qu'il est beaucoup plus probable que c'est simplement celle du sol. Celle du sol? Mais alors ce sol serait absolument nu. Le soleil, la pluie, l'air, l'au- raient laissé stérile à tiavers les siècles?... Le docteur Iloefer, qui est un partisan fer- vent de la doctrine de la pluralité des mondes, ne peut admettre cette stérilité contraire LES CONTINENTS JAUNES DE MARS D'ailleurs cette végétation inconnue est plutôt jaunâtre que rou- geâtre. Par des comparaisons spéciales laites pendant l'été de l'an- née 1875, j'ai constaté que la couleur dominante de cette planète n'est pas aussi rouge qu'on se l'imagine ordinairement; elle a seulement la nuance du gaz d'éclairage, c'est-à-dire jaune orangé. C'est la nuance de nos blés et de nos céréales. Vu de ballon, un champ de blé bien mûr rappelle exactement la colora- tion de Mars. Remarque assez curieuse : la Terre elle-même a été couverte de plantes jaunes pendant des milliers de siècles, car les premiers végétaux terrestres ont été des lycopodes, dont la couleur est d'un jaune roux tout martien. Nous avons vu aussi que la météorologie martienne est une re- production très ressemblante de celle delà planète que nous habitons. Sur Mars comme sur la Terre, en effet, le Soleil est l'agent suprême du mouvement et de la vie, et son action y détermine des résultats analogues à ceux qui existent ici. La chaleur vaporise l'eau des mers et s'élève dans les hauteurs de l'atmosphère ; cette vapeur d'eau revêt une forme visible par le môme procédé qui donne naissance à nos nuages, c'est-à-dire par des différences de température et de saturation. Les vents prennent naissance par ces mêmes différences de température. On peut suivre les nuages emportés par les cou- rants aériens, sur les mers et les continents, et maintes observa- tions ont pour ainsi dire déjà photographié ces variations météo- à tous les effets connus des forces de la Nature. 11 faut bien qu'il y ait quelque chose sur ces terrains, ne serait-ce que de la mousse. L'objection de l'invariabilité de la couleur pendant l'année martienne n'est pas fon- damentale, et il suffit de voir les choses un peu largement pour en reconnaître l'insuf- fisance. Pourquoi astreindre la Nature à avoir construit sur Mars des végétaux de même espèce que les nôtres? Les conditions de milieux, de température, de densité et de pesanteur s'y opposent ; donc la différence qui existe forcément entre la végétation martienne et la végétation terrestre peut parfaitement s'étendre jusqu'aux variations de couleurs. Mais il y a plus : sur la Terre même la Nature répond à cette objection en nous montrant des espèces végétales qui ne changent pas. Dans le Midi, les oliviers, les citronniers, les orangers, les palmiers, les lauriers, les eucalyptus, sont aussi verts en hiver qu'en été. Dans le Nord, le sapin, l'if, le cyprès, le buis, le houx, le lierre, le rhododendron, etc., conservent leur verdure au milieu du froid. Dans nos latitudes mêmes, l'herbe des prés et mille espèces végétales ne varient guère. Comment donc rejeter une explication si simple, quand ici même nous avons de tels exemples, et quand les différences de conditions ne peuvent pas avoir développé sur cette planète la même végétation (lu'ici? SAISONS ET CLIMATS SUR MARS riquos ('). Si l'on ne voit pas encore précisément la pluip lomhrr sur les campagnes de Mars, on la devine du moins, puisque les nuages se dissolvent et se renouvellent. Si l'on ne voit pas non plus la neige tomber, on la devine aussi, puisque, comme chez nous, le solstice d'hiver y est entouré de frimas. Toutefois, toutes les cam- pagnes ne se montrent pas couvertes comme les nôtres de vastes nappes de neige et la précipitation aqueuse y est beaucoup moins abondante que chez nous. Ainsi il y a là, comme ici, une circu- lation atmosphérique, et la goutte d'eau que le Soleil dérobe cà la mer y retourne après être tombée du nuage qui la rece- lait. Il y a plus: quoique nous devions nous tenir solidement en garde contre toute tendance à créer des mondes imaginaires à l'i- mage du nôtre, cependant celui-là nous présente, comme dans un miroir, une telle similitude organique, qu'il est difficile de ne pas aller encore un peu plus loin dans notre description. En effet, l'existence des continents et des mers nous montre que cetteplanète aétécomme la nôtre le siège de mouvements géologiques intérieurs qui ont donné naissance à des soulèvements de terrains et à des dépressions. Il y a eu des tremblements et des éruptions modifiant la croûte primitivement unie du globe. Par conséquent, il y a des montagnes et des vallées, des plateaux et des bassins, des ravins escarpés et des falaises. Comment les eaux pluviales retour- nent-elles à la mer ? Par les sources, les ruisseaux, les rivières et les fleuves. La goutte d'eau tombée des nues traverse comme ici les terrains perméables, glisse sur les terrains imperméables, revoit le jour dans la source limpide, gazouille dans le ruisseau, coule dans la rivière, et descend majestueusement dans le fleuve jusqu'à son embouchure. Ainsi, il est difficile de ne pas voir sur Mars des scènes analogues à celles qui constituent nos paysages terrestres : ruisseaux (') On distingue parfois sur Mars des nuages emportés par le vent au-dessus de ces continents et de ces mers. Citons entre autres une observation de M. l-ockyer, qui, le 3 octobre 1862, remarqua, vers dix heures du soir, qu'une partie du continent, qui aurait dû être visible, était cachée par un long voile blanc, qui s'étendit ensuite sur 1 océan voisin. Le même soir, après minuit, Dawes remarqua aussi cette traînée de nuages, qui occupait alors une place plus éloignée au sud. J'ai souvent observé que du jour au lendemain, à la même heure martienne et dans les mêmes conditions optiques, l'aspect Je la planète était singulièrement changé. C'est ainsi que le 22 juin 1873, à neuf lii'ures du soir, une vaste traînée nuageuse, tendue vers l'équateur, lui donnait un certain air de ressemblance avec Jupiter. SAlSOiNS ET CLIMATS SUR MARS courant dans leur lit de (mUIoux dorés par le soleil; rivières Ira- versant les plaines ou tombant en cataractes au fond des vallées; fleuves descendant lentement à la mer à travers les vastes cam- pagnes. Les rivages maritimes reçoivent là comme ici le tribut des canaux aquatiques, et la mer y est tantôt calme comme un miroir, tantôt agitée par la tempête ; elle y est même aussi bercée du mou- vement périodique du flux et du reflux, car il y a là deux lunes pour le produire, sans compter les marées causées par l'attraction du Soleil, mais ces marées ne sont guère plus sensibles que celles de la Méditerranée. Ainsi donc, voilà dans l'espace, à quelques millions de lieues d'ici, une terre presque semblable à la nôtre, où tous les éléments de la vie sont réunis aussi bien qu'autour de nous : eau, air, chaleur, lumière, vents, nuages, pluies, ruisseaux, fontaines, vallons, mon- tagnes. Pour compléter la ressemblance, rappelons-nous que les saisons y ont à peu prés la môme intensité que sur la Terre, qu'elles y sont seulement plus longues, comme les années elles-mêmes. C'est là assurément un séjour peu différent de celui que nous habitons, et, quoique cette planète ne soit certainement pas absolument iden- tique à la nôtre, elle est, très probablement, parmi toutes ses sœurs de l'espace, celle dont les habitants doivent offrir la plus grande ressemblance avecles membres de l'humanité terrestre. CHAPITRE VI L'atmosphère de Mars. — Sa constitution physique et chimique. Météorologie de cette planète. — Eau. — Mers. — Nuages. — Pluies. Neiges. — Montagnes. — Géologie et géographie. Un ;intiquo et A'énérable proverbe assure qu'il n'y a rien de nou- veau sous le Soleil. Si, pourtant, Pythagore, Hipparque, Ptolémée, Copernic, Galilée, Kepler revenaient sur notre planète, quelle ne serait pas leur surprise, leur admiration ! Nos lecteurs sont trop accoutumés à apprécier à leur valeur les choses de l'esprit pour qu'il ait été nécessaire de souligner l'intérêt des détails exposés dans les pages précédentes sur cette connaissance si précise que nous avons aujourd'hui d'un monde différent du nôtre. Quelles exclamations ne jetterait pas l'astronome Ilévélius, lui (jui n'avait pour observer Mars, comme Copernic et comme Tycho, que des règles i.v- bois et de cuivre montées sur des cercles admirablement tonstruità, il est ATai, et fort artistiques, mais dépourvus de verres et munis seulement d'alidades et de pinnnles, lui qui soutenait que ces instruments étaient aussi précis que ceux de l'optique nouvelle et qui les préférait même, quelles exclamations ne jetterait-il pas .s'il hii él.iit (loiuié d'oliserver Mars dans nos télescopes modernes (*). (J llivcliiis alVi'CtioiiiKiit paflii-iilit'nMiii^nt IVlégant instninii^nt reproduit ri-rnntre, (il Vaille (liKiiicl il o])ti'nait en clVet des nsiillats très précis). Cniiinii' souvenir de cet ôi;e astroii(iiiiii|ue — milieu du XVII' siécli; — nous reproduisons en même temps le frontispice de son ouvrage, dans lei|uel il représente Copernic- et Tycho-nralié debout devant un globo céleste mesuré par Ptolémée. La Ciéoniétrie et rArillimétique condui- sant dans le ciel le char de l'.Xstronomie. « Multa détecta! » neaiicnup do choses sont découvertes!" Sed quam plurinuin poslcris relicta ». Mais combien d'autres ne sont pas réservées à la postérité ! Les aun's de la science et du progrès ne devraient-ils pas reve- nir tous les siècles passer quelque temps sur la Terre! luflruraents astronomiques du temps d'ilovélius. ff-i-.".: > nu citL Fiuiil:*!'., ■ ili; rouvrait; d ilOvùliu^. 46 L'ATMOSl'HÈIiE DE MAUS On peut dire assurément que les instruments d^jbservation, et les méthodes modernes ont transformé l'astronomie en créant vérita- blement ce qu'on peut appeler Isiphytiiologie du ciel. Nous arrivons ici à l'étude des conditions mêmes de la vie sur la planète Mars, à l'étude de l'atmosphère au sein de laquelle ses enfants respirent, vivent et meurent. Le globe de Mars est environné d'une atmosphère analogue à celle de la Terre. L'existence de cette atmosphère se manifeste de trois manières différentes : 1° le disque de la planète est plus blanc, plus lumineux le long de son contour que dans la région centrale; 2° les configurations géographiques perdent leur netteté lorsque la rotation de la planète les conduit près du bord, où elles ne sont vues qu'à travers une pliis grande épaisseur atmosphérique; 3° on voit des traînées blanches vaporeuses se déplacer sur le disque de la planète, et ces traînées ne peuvent être que des nuages soutenus dans une atmosphère. Dès que les instruments employés à cette étude ont été suffisants, on a distingué nettement des nuages mobiles, couvrant tantôt une latitude, tantôt une autre, se déplaçant exactement comme le font les nôtres. Or, pour supporter des nuages, il faut une atmosphère. Que dis-je? pour former les nuages eux-mêmes, une atmosphère est indispensable. Ainsi le fait seul, bien avéré, de l'existence de nuages sur Mars a prouvé en même temps l'existence de son atmos- phère. D'un autre côté, lorsque les taches fixes de la surface sont au centre de l'hémisphère martien tourné vers la Terre, onies distingue nettement. Mais lorsque, emportées par la rotation, elles arrivent vers les bords du disque, non seulement elles se présentent en rac- courci suivant la perspective géométrique de leur position sur la sphère tournante, mais encore elles perdent leur netteté, deviennent pâles et cessent d'être reconnaissables avant d'atteindre le bord. Cet effet est causé par l'atmosphère, qui absorbe les rayons lumineux, et interpose un voile de plus en plus épais à mesure que le rayon visuel approche du bord. De plus, le bord de la planète est tout autour, dans son intérieur, plus pâle que la région centrale, (voy. fig. 59) à cause de la même absorption atmosphérique. Ces consta- tations s'unissent pour prouver l'existence de l'atmosphère. Cette clarté du bord du disque n'est pas constante. Parfois la I.ATMOSl'HKllL DE MAI!^ zone périmétralc plus lumineuse est fort large, quelquefois elle est si étroite qu'elle se réduit à un mince anneau collé intérieurement au contour du disque, ce qui s'est manifesté entr'autres au mois d'octobre 1877 dans les observations de Milan : l'atmospbére de Mars s'est montrée alors absolument transparente, d'où l'on peut Cl inclure qu'elle est comme la nôtre imprégnée de vapeurs vési- culaircs du de corpuscules qui réfléchissent la lumière solaire et qui varient de qiuxntité suivant l'état météorologique. Un a remarqué que cette atténuation (.es taches géographiques de Fii;. i.'J. - iuUo almosiilRTinuu sur lo cunloiir nikTieiir de lu jihmL'te. la planète lorsqu'elles arrivent près des bords et sont vues à travers le maxinnnn d'épaisseur atmosphérique est beaucoup plus pro- noncée sur k' biu'd occidental' que sur le hord oriental, ce qui indique que « le lever du soleil sur Mars est généralement plus beau, plus clair que le coucher du soleil ». — U nous semble que Udtre planète est ù peu prés dans le môme cas; du moins l'atmo- sphère de l'aurore est-elle d'une limpidité remarquable, et la pratique de la photographie montre-t-ellc (pic la lumière du matin est plus photogénique que celle de l'après-midi ('). ('l Comme nous voyons toujours, de Murs, le coté éclairi- et échauffé directement par le Soleil, il est possible que le ciel n'y soit pas toujours aussi clair qu'il le paraît, et qu'il se couvre de brunies le soir et pendant la iiuil. Nous no savons pas ce que devient l'atmosphère de Mars pendant le l'roid de la nuit. Nous pouvons mC-me ajouter que le L'ATMOSPHERE DE MAllS Les phénomènes météorologiques dont nous avons parlé au cha- pitre précédent étahlissent d'autre part une analogie pres(|ue com- plète entre cette atmosphère et la nôtre. Déjà, en 1840, les astro- nomes Béer et Mtidler, après avoir observé Mars pendant douze années consécutives, écrivaient dans leurs Fnujinents sur les corps célestes : Les différences que nous avons remarquées sur les taches blanches polaires variant avec les saisons, s'accordent [)arfaitement avec Thyiio- thése qui voit en elles un précijnté analogue à notre neige ; et il est en effet presque impossible de rejeter une supposition qui se confirme d'une mauière aussi surprenante. Notre Terre, vue de la distance d'une planète, d.jit présenter des phénomènes tout à fait semblables; seulement, chez elle, le rapport entre les deux hèmisjjhères est moins inégal. Les autres taches de la planète paraissent pour l'essentiel appartenir à des parties constantes de la surface. Vu la position et l'éloignement du globe de Mars, on ne pourrait sous aucune condition imaginable, dis- tinguer des ombres produites par des montagnes, quelque gigantesques qu'elles fussent. Les teintes observées sont donc des différences dans la réflexion de la lumière, qui doivent provenir des mêmes causes que celles qui existent sur notre Terre. Ainsi, quoique ces taches elles-mêmes ne paraissent pas analogues à nos nuages, cependant on voit en elles des effets optiques rappelant les condensations de nos nuages ; elles se mon- trent plus précises et plus intenses dans leur été, plus vagues, plus pAles et plus confondues dans leur hiver. Si les taches polaires sont véritablement de la neige, leur diminution à l'approche de l'été ne peut avoir lieu que par la fonte et l'évaporation con- tinuelle; l'épaisseur de cette neige est, d'après toute vraisemblance, très considérable; ces parties de la surface se disposant à s'évaporer doivent, par conséquent, être extrêmement humides : or, un sol vaporeux et maré- cageux est certainement celui qui est le moins susceptiljle de rétlexion, et qui doit, par conséquent, nous apparaître le plus foncé. D'après l'ensemble des observations, ce ne serait pas aller trop loin ({ue de regarder Mars comme un corps présentant une très grande ressem- blance avec notre monde, comme une image de la Terre telle qu'elle nous apparaîtrait au firmament, vue à une pareille distance. fait est rendu probable par les observations, attendu que les bords de la planète sont plus indistincts qu'ils ne devraient l'être par ia seule influence de l'absorption atmos- phérique dont nous avons parlé, et que d'autre part l'héniisphèro d'hiver parait tou- jours fort brumeux. La condensation atmosphérique est donc encore plus sensible là qu'ici, le ciel y est rarement pur pendant le froid de l'hiver et pendant celui de la nuit; le matin et le soir, le ciel est très souvent couvert, tandis qu'il est remarquablement pur dans le cours de la journée. L'ATMÛSI'llEKE Di; MARS Si les astronomes s'exprimaient déjà en pareils termes dès l'année 1840 sur les ressemblances climatologiques entre la planète Mars et la Terre, que dirons-nous aujourd'hui, après plus de quarante nouvelles années d'observations constantes qui n'ont fait que con- linnoi et développer les inductions formulées par les deux émi- nents observateurs dont nous venons de rappeler les paroles? Aujourd'hui, la géographie de Mars, qui n'était alors qu'ébauchée, est faite pour ainsi dire; sa météorologie est connue dans ses grands mouvements, et la composition chimique elle-même dg son atmosphère est déterminée par l'analyse spectrale. En dirigeant le spectroscope sur Mars, on constata d'ab(jrd dans les rayons lumineux émis par cette planète une identité parfaite avec ceux qui émanent de l'astre central de notre système. Mais en employant des méthodes plus minutieuses, M. Huggins trouva pen- dant les dernières oppositions de la planète, que le spectre de Mars est coupé dans sa zone orangée par un groupe de raies noires coïncidant avec les lignes qui apparaissent dans le spectre solaire au coucher du soleil, quand la lumière de cet astre traverse les couches les plus denses de notre atmosphère. Or, ces raies révéla- trices sont-elles causées par notre propre atmosphère? Pour le savoir, on dirigea le spectroscope vers la Lune. Si les raies dont il s'agit étaient causées par notre atmosphère, elles auraient du se montrer dans le spectre lunaire comme dans celui de Mars, et même avec plus d'intensité. Or, elles n'y furent même pas visibles. Donc elles appartenaient évidemment à l'atmosphère de Mars. Cette atmos- phère ajoute ses caractères particuliers à ceux du spectre solaire, caractères établissant qu'elle est analogue à la nôtre. Mais quelle est la substance atmosphérique qui produii ces lignes accusatrices! En examinant leur position, on constate que c'est la vapeur d'eau. Donc il y a de l'eau dans l'atmosphère de Mars comme dans la nôtre. Les taches vertes de ce globe sont bien des mers, des étendues d'eau analogues aux eaux terrestres. Les nuages sont bien formés de vésicules d'eau analogues à celles de nos brouil- lards; les neiges sont de l'eau solidifiée par le froid. Il y a plus, cette eau révélée par le spectroscope étant de même composition chimique que la nôtre, nous savons qu'il y a là aussi de l'oxygène et de l'hvdrogène. L'ATMOSIMlÈliE DE MARS L'astroiioine Vogel a fait, de son côté, une étude spéciale du spectre de Mars : Dans ce spectre, dit-il, ou retrouve un très grand nombre de raies du spectre solaire. Dans les portions les moins réfrangibles du spectre appa- raissent quelques bandes qui n'appartiennent point au spectre solaire, mais qui coïncident avec celles du spectre d'absorption de notre atmos- phère... On peut conclure avec certitude que Mars possède une atmos- phère qui, pour la composition, ne diffère pas essentiellement de la nôtre, et doit être riche, en particulier, en vapeur d'eau. La coloration rouge de Mars semble résulter d'une absorption qui s'exerce généralement sur les rayons bleus et violets dans leur ensemble; au moins, il n'a pas été pos- sible de discerner, dans cette portion du spectre, des bandes d'absorption tranchées. Dans le rouge, entre B et G, on devine des raies qui seraient spéciales au spectre de Mars, mais il n'a pas été possible de fixer leur position, à cause de la trop faible intensité lumineuse... Ce n'est pas un des résultats les moins importants de notre analyse spectrale, d'avoir ainsi démontré l'analogie et presque l'identité de composition chimique des ditïérents mondes de notre système. Nous savions déjà qu'ils sont frères d'origine; mais les conditions diverses dans lesquelles chacun d'eux s'est développé auraient pu modifier profondément les états de la matière et mettre entre eux des séparations essentielles. Telle n'a pas été l'œuvre du temps et des forces cosmiques. Une parenté inaliénable est restée entre tous ces mondes, et nous savons aujourd'hui que leurs matériaux constitutifs, leurs terres, leurs eaux, leurs fluides atmosphériques, sont les mêmes que les éléments terrestres ana- logues qui nous entourent, ou du moins n'en différent que dans les proportions. Au surplus, tous les mondes de notre système pro- viennent de la nébuleuse solaire primitive, et sont formés, par conséquent, des mêmes éléments originaires. Nos lecteurs connaissent les principes de cette merveilleuse ana- lyse spectrale, qui nous permet aujourd'hui de déterminer la cons- titution chimique des atmosphères planétaires. Sans revenir sur ces principes ('), rappelons seulement que les planètes réfléchissent (') L'analyse spectrale a été expliquée dans notre Astronomie populaire, livre III, chapitre vu, pages 388 à 400, et le tableau colorié des spectres a été donné dans le Sup- plément de cet ouvrage, les Étoiles et tes Curiosités du Ciel, page 224. l/ATM(ISlMli:i!E IIK M Ali S dans l'espace la lumière qu'elles reçoivent du Soleil, (!t qu'on luisant arriver leur lumière sur un prisme placé devant l'oculaire d'une lunette, cette lumière donne naissance à un petit spectre coloré des sept couleurs de l'arc-en-ciel, et qui est l'image parfaite du spectre solaire. D'autre part, si l'on examine le Soleil lorsqu'il n'est pas très élevé au-dessus de l'horizon, avant son coucher, par exemple, on remarque qu'il présente non seulement les lignes caractéristiques des éléments qui brûlent dans cet astre, mais encore d'autres lignes, qui sont d'autant plus noires et plus épaisses, que l'astre est plus Las. Ces lignes-là sont produites par l'atmosphère terrestre, et surtout par la vapeur d'eau dont cette atmosphère est constamment imprégnée. On se rendra compte de ce fait à l'examen de notre figure GO, qui Fig. 60. — Raies atmosphériques du spectre solaire que l'on n-trouve dans le ^peitu; de Mars. représente les raies principales du spectre solaire et, au-dessous, leur épaississement et leur multiplication par l'absorption, dans ce spectre due à la vapeur d'eau, lorsqu'on l'observe quelque temps avant le coucher du soleil. Eh bien, cette dernière figure est ana- logue à celle du spectre de Mars, lors même qu'on IVibserve à une très grande hauteur au-dessus de l'horizon, et dans des condi- tions telles que notre propre atmosphère ne peut pas modifier sensiblement sa lumière. Certes, c'est là un résultat qui peut paraître tout à fait incroyalile aux personnes qui ne se tiennent pas au courant du progrès des sciences. Il est merveilleux, en (>fFet, que nous soyons aussi surs de l'existence de l'eau dans cette planète, que si un messager céleste avait pu nous en apporter un tonneau à l'état liquide ou un mor- ceau à l'état de glace, et, à franchement parler, ces procédés de l'a- nalyse spectrale sont de ceux qui mettent le mieux en lumière la puissance conquérante du génie de i'homme. Lorsque nous savons qu'une étendue de glace de la dimension de la France, n'est guère L'ATMOSPHÈRE DE MARS vuesiir le disque de Mars, que delà grosseur d'une tête d'épingle, et que la Méditerranée tout entière se réduit à un petit nuage bleuâtre tracé à la pointe du pinceau, on a le droit d'admirer de pareils ré- sultats. La météorologie de cette teri'e voisine n'a plus aujourd'hui les mystères qui l'obscurcissaient hier encore. Nous pouvions nous demander, en effet, si les taches blanches qui environnent les pôles de Mars et paraissent être de la neige sont vraiment de la neige, la même neige que celle de nos hivers, c'est-à-dire de l'eau congelée dans l'atmosphère, formée en flocons et tombée sur le sol; — si ces nuages qui flottent au-dessus de ses continents et de ses mers sont vraiment des nuages comme les nôtres, c'est-à-dire constitués de vésicules d'eau suspendues dans l'air; — si cette eau, l'eau de ces nuages, de ces neiges, de ces mers, est la même eau qu'ici? Nous ne nous demandions pas, il est vrai, avec le père Kir- cher « si cette eau serait bonne pour baptiser et pour célébrer la messe », car aucun motif ne peut nous faire supposer que l'on ait in- venté le baptême ou l'eucharistie sur cette planète voisine ; mais nous pouvions nous demander si c'est bien la même eau chimique que la nôtre, composée de la combinaison d'un équivalent d'oxygène avec un équivalent d'hydrogène. Oui, maintenant nous pouvons l'affirmer: l'atmosphère de Mars est analogue à la nôtre; ses nuages mobiles comme ses neiges po- laires sont composés de la même eau que celle qui circule dans notre propre atmosphère, et sa constitution physique et chimique ne pa- rait pas sensiblement différente. Les phénomènes météorologiques qui s'accomplissent dans cette atmosphère ont fait l'objet d'observations nombreuses. L'existence de la vapeur d'eau sous forme gazeuse est démontrée par le spec- ) troscope ; sa présence sous forme vésiculaire résulte de l'observa- tion directe. Quand les nuées de Mars se projettent sur les conflgurations fon- t^^ cées de la planète, elles se montrent sous l'aspect de traînées ' vaporeuses mal définies, généralement très blanches, quelquefois grisâtres, un peu transparentes, mais couvrant néanmoins comme un voile les contrées sur lesquelles elles passent. Ainsi, par exemple, dans la soirée du 10 octobre 1877, après avoir observé sans difficulté MÉTÉOROLOGIE DE MAliS la région comprise entre le 240* et le 350^ méridien, M. Schiaparelli ayant interrompu son observation pour examiner la comète décou- verte quelques jours auparavant par Tempel, et étant ensuite revenuà l'exploration de Mars, écrivait sur son registre : « Planète très belle; la mer Érithrée est en grande partie obscurcie par des nuées ; la Noacliide est obscure ; la terre de Deucalion est à peine visible ; au contraire l'Arabie est très claire et le golfe Sabeus très distinct. » Le jour suivant, le même observateur écrivait : « La tempête observée bier se continue sur la Noaclude et la mer Érithrée; je ne puis dire avec précision quand cet état de cboses a commencé, mais ce Fig. (il. — Nuages sur Mars (20 décembre 1881 ) fut certainem.ent entre le 4 et le 10 octobre; le 14 la mer Érithrée était bien découverte à l'Est, et le 4 novembre elle l'était entière- iiient ». On le vuit, le mauvais temps sur Mars, nous l'observons d'ici, et les météorologistes de la Terre pourraient s'instruire sur la marche des tempêtes en étudiant cette planète voisim». En comparant la riche collection de dessins télesci Cliques de Mars que nous avons sous les yeux, nous en remarquons de fort caracté- ristiques à ce point de vue. Tel est par exemple celui que nous venons de reproduire (fig. 61), dessin fait le "20 décembre 1881 à l'Observatoire de lord Rosse, à Birr Castle, Irlande, par M. Otto Bœddicker ; il montre bien l'aspect des nuages, couvrant presque la moitié de l'hémisphère alors tourné vers nous. TERRES DU CIEL iT MÉTEOROLUGlt DE MARS Si les nuages de Mars sont visibles par vision positive, c'est-à-dire directement eux-mêmes sur les régions foncées de la planète, leur présence sur les régions claires se reconnaît par vision négative, en ce sens qu'ils empêchent de voir ce qui est au-dessous. Pendant l'opposition de 1877, de septembre à décembre, une grande partie de la planète a été encombrée de nuages, principale- ment le continent équatorial entre la mer du Sablier et la Manche. Les grands canaux dessinés cette année-là sur la carte de M. Schia- parelli, n'ont été vus qu'en février et mars, quoique la planète fut alors quatre à cinq fois plus éloignée de la Terre qu'en septembre. « Sans doute, dit l'auteur, le Soleil en arrivant à l'équateur a dissipé le voile impénétrable, qui d'abord avait rendu ces détails inacces- sibles à l'observation » . Les dessins faits pendant l'opposition de 1 862, montrent que pendant cette année les nuages ont été beaucoup plus étendus et plus denses qu'en 1877; la mer polaire notamment est restée cachée ainsi que les golfes qui y conduisent. Remarquons encore que la transparence fréquente de ces nuées laisse conjeclurer qu'elles n'ont qu'une faible densité ou qu'une faible épaisseur. Il y a là, comme on le voit, de grandes analogies entre la météo- rologie de Mars et celle de la Terre. Mais il y a aussi des différences essentielles bien dignes d'attention. Ainsi les observations faites sur les tropiques aux époques où les rayons du Soleil dardent directe- ment sur eux, montrent qu'il n'y a là rien d'analogue à nos zones de pluies et à nos calmes équatoriaux. 11 semble qu'à l'époque des solstices, un hémisphère entier dv Mars soit consacré à l'évaporation et l'autre à la condensation. Aux époques intermédiaires, une zone d'évaporation parait limitée au Sud et au Nord par deux calottes de condensation. On sait que les navigateurs reconnaissent de loin les îles par les nuages qui s'amoncellent au-dessus d'elles : il parait eu être de même sur Mars. L'analogie entre le régime météorique de Mars et celui de la Terre se confirme non seulement par les phénomènes de conden- sation de la vapeur d'eau, dont nous sommes témoins, mais encore parla diversité même des teintes des mers martiennes. Il est digne d'attention, en effet, que les mers les plus foncées de la planète soient celles qui avoisinent l'équateur et la zone torride, et que les moins foncées soient celles qui avoisinent les pôles. Il en est de même sur MÉTÉOROLOGIE DE MARS 131 la Terre. « On peut estimer la salure des eaux maritimes à leur couleur, écrit le commodore Maury dans sa Géographie physique, de la mer ; plus la teinte est verdâtre, moins l'eau est salée, et cette différence de degré dans la salure suffit pour expliquer le contraste qui existe entre le vert clair de la mer du Nord et des mers polaires et l'azur foncé des mers tropicales, spécialement de l'Océan Indien. » Voilà une nouvelle coïncidence entre Mars et la Terre, qui ne peut guère être un effet du hasard. Les mers martiennes paraissent donc avoir les mêmes propriétés physiques que les mers terrestres ('); elles sont probablement salées aussi, ce qui n'offre rien de surpre- nant, le chlorure de sodium étant l'un des corps les plus communs de la chimie minérale. Maintenant que nous connaissons si bien l'atmosphère de Mars, pouvons-nous compléter cette connaissance en déterminant sa hau- teur et sa densité? Cette hauteur et cette densité ont été l'objet d'obser- vations directes pour la planète Vénus; mais il n'en est pas de même pour Mars, car ce globe ne présente aucune des conditions accessibles à l'observation des réfractions que son atmosphère peut subir. Mars n'est pas exposé, comme sa compagne du ciel olympique, à passer devant le Soleil, et à la distance où il plane, nous ne pour- rions pas voir cette atmosphère déborder autour de son disque, (') Ainsi l'état de l'atmosphère martionne, la présence de la vapeur d'eau sous tous ses aspects, les nuages, les neiges, les glaces, tout s'accorde pour nous montrer que les taches grises de la planète ne ressemblent en rien à celles de la Lune et sont incontesta- blement des mers liquides. On s'est demandé si l'on ne pourrait, et même si l'on ne devrait pas, voir l'image du Soleil réfléchie dans ces mers. Le calcul montre, par exemple, qu'aux époques où la planète est la plus proche de nous, le Soleil, ri'll('chi par le miroir de ces mers lointaines, devrait nous être renvoyé sous l'aspect d'un petit point lumineux, d'une intensité égale au quart de l'éclat de l'étoile Capella, c'est-à-dire comme une belle étoile de 3' grandeur. Sans tenir compte de l'irradiation, l'image du soleil ainsi réfléchie mesurerait -^ de seconde. La boule d'un thermomètre renvoie l'image solaire à 25 mètres de distance comme une belle éloile de 1" de diamètre, très brillante à l'œil nu. Or un grossissement de 300 appliqué à Mars amplifie j; de seconde à 15". Cette réflexion de la lumière solaire devrait être visible au télescope. On ne l'a jamais vue, et quelques observateLTs on» présenté cette absence d'observation comme une objection contre l'existence des mers martiennes. Mais nous pouvons répondre que l'on ne pourrait observer le point lumineux qu'en des circonstances exceptionnelles, et qu'il n'est pas probable que la surface des mers soit toujours là aussi calme qu'un miroir : le vent doit rider cette surface et donner naissance à des vagues qui rendent cette réflexion confuse et nébuleuse au lieu de lui laisser l'aspect d'un point net très tirillant. METEOROLOGIE DE MAKS lors même qu'elle serait beaucoup plus élevée que la nôtre. Une hauteur de 80 kilomètres ne lui donnerait encore qu'une épaisseur de 0"3 lorsque la planète est la plus rapprochée de nous. En 1672, Cassini a observé le passage de Mars devant l'étoile i|/ du Verseau, de 5^ grandeur, et comme l'étoile avait disparu à 6' du bord de la pla- nète, il en avait conclu l'existence d'une énorme atmosphère, opi- nion exagérée et fondée sur une observation mal interprétée, attendu que c'était simplement l'éclat de Mars qui empêchait de voir l'étoile. L'astronome South a observé deux occultations et un contact sans la moindre variation dans l'éclat des étoiles devant lesquelles cette planète est passée. Cette atmosphère paraît être sensiblement moins dense que celle que nous respirons. D'une part, nous y observons beaucoup moins de nuages et de condensations que sur la Terre. D'autre part, le globe de Mars étant beaucoup plus petit que le globe terrestre, doit être enveloppé d'une atmosphère moins considérable. D'autre part encore, l'intensité de la pesanteur étant beaucoup plus faible là qu'ici a pour résultat de moins condenser l'atmosphère vers la sur- face et de lui donner une moindre densité. Chaque mètre carré de la surface de la Terre supporte un poids atmosphérique de 10330 ki- logrammes; si l'atmosphère de Mars était égale à la nôtre, la pres- sion atmosphérique sur chaque mètre carré de la surface de la pla- nète ne serait que de 4000 kilogrammes; de sorte que la densité des couches atmosphériques inférieures ne surpasserait pas les | de celle de l'atmosphère terrestre au niveau de la mer. Ce n'est guère que la densité de l'air qui existe surnos plus hautes montagnes; et en admettant que la quantité totale de l'atmosphère martienne fut réduite dans la proportion de la masse de Mars à celle de la Terre, la raréfaction serait encore plus grande. S'il en était ainsi, les neiges de Mars ne s'arrêteraient pas à quel- ques centaines de lieues aux environs des pôles ; elles couvriraient d'un éternel linceul la planète tout entière, et nous n'aurions sous les yeux qu'un bloc de glace. Nous sommes donc conduits à conclure que l'atmosphère de Mars est constituée de telle sorte que loin de laisser se perdre dans l'es- pace la chaleur reçue du Soleil, elle la conserve et l'accumule comme une serre. L'aspect de la géographie de Mars prouve que l'eau y est LES NUAGES DE MAKrt à l'état liquide, et les phénomènes météorologiques observés prou- vent qu'elle s'y évapore et donne comme ici naissance à des vapeurs, des brouillards, dos nuages, des pluies cl des neiges. On est généralement porté à croire (|ue la Lenqjérature moyenne des planètes est déterminée par leur distance au Soleil, que sur ... Bien souvent, dans la nacelle de l'aérostat, j'ai assisté à la formation des Diiagcs... Mercure cette température est 7 fois plus élevée que celle de la Terre, et que sur Neptune elle est DUO fois moindre. Un tel raison- nement pèche parla base ; le sommet du mont Blanc est constamment glacé, et, à ses pieds, la douce vallée de Chamounix est une serre chaude; pourtant ces deux points sont à la même distance du Soleil. ("eut la constitudon de V atmosphère qui joue le plus (jrand LES NUAGES DE MARS rôle dans V établissement des températures. Il peut faire beau- coup plus chaud sur Mars que sur la Terre, comme il pourrait y faire, beaucoup plus froid. L'atmosphère agit comme une serre. Elle laisse arriver les rayons du Soleil jusqu'à la surface du sol, mais ensuite elle les retient et s'oppose à ce que la chaleur emmagasinée s'échappe dans l'espace. Sans l'atmosphère, toute la chaleur solaire reçue pendant le jour fuirait pendant la nuit, et la surface du sol serait gelée chaque nuit, en été comme en hiver. Mais sait-on quelles sont les molécules atmo- sphériques qui opposent l'obstacle le plus efficace à la déperdition de la chaleur absorbée par la Terre ? Les molécules d'oxygène et d'azote, c'est-à-dire l'air proprement dit, sont à peu prés indiffé- rentes, etlaissent tranquillement perdre cette précieuse chaleur. Mais il y a dans l'air de la vapeur d'eau en suspension, à l'état de gaz invisible. C'est cet élément qui est le plus efficace. Le pouvoir absorbant d'une molécule de vapeur aqueuse est 1 6 000 fois supérieur à celui d'une mo- lécule d'air sec! Cette vapeur est une couverture plus salutaire pour la vie végétale que nos vêtements ne le sont dans les plus grands froids. Supprimez pendant une seule nuit la vapeur aqueuse contenue dans l'air qui couvre la France, et vous détruirez, par ce seul fait, toutes les plantes que le froid fait mourir; la chaleur de nos champs et de nos jardins se répandra sans retour dans l'espace, et lorsque le soleil se lèvera, il n'éclairera plus qu'un champ de glace. La vapeur d'eau n'est pas la seule qui jouisse de ce privilège. Les expériences de Tyndall ont montré que les vapeurs de l'éther sulfu- rique, de l'éther formique, de l'éther acétique, de l'amylène, du gaz défiant, de l'iodure d'éthyle, du chloroforme, du bisulfure de car- bone, exercent la même influence, à des degrés divers. Les parfums que les fleurs répandent le soir autour d'elles leur servent, pendant la nuit, d'un voile protecteur contre les atteintes de la gelée ('). (') « On a publié, écrivait Tyndall lui-même, des livres curieux pour prouver que les planètes les plus éloignées sont inhabitables. En appliquant la loi de la raison inverse des carrés de leurs distances au Soleil, on trouve que la diminution de température doit être si grande que la vie humaine y serait impossible; mais dans ces calculs on avait omis l'influence de l'enveloppe atmosphérique, et cette omission faussait tout le raisonnement. Par exemple, une couche d'air de deux pouces d'épaisseur, saturée de va- peur d'éther sulfurique, olTrirait une très faible résistance au passage des rayons solaires ; mais j'ai trouvé qu'elle intercepterait 33 pour 100 de la radiation planétaire. 11 n'v LES NUAGES I) K .M A I! S Certains savants se placent en dehors de la nature, en dehors de la vérité, lorsqu'ils s'imaginent que l'Univers entier doit être la répé- tition de notre habitacle, et lorsqu'ils croient pouvoir juger l'im- raensité d'après l'observation de notre atome. Une atmosphère de (juelques mètres d'épaisseur, et absolument transparente pour la vue, pourrait envelopper la Lune et faire de ses vallées un séjour délicieux. Ne craignons pas de le répéter, le champ de nos expériences terrestres est très restreint, il ne suffit pas pour faire juger l'Univers entier; mais chaque particularité peut servir d'enseignement, de point de départ, pour commencer le réseau d'une science comparée, qui pourra s'étendre jusqu'aux autres séjours. Chacun sait combien est instable l'équilibre atmosphérique, et quelles imperceptibles variations dans la température suffisent pour (Innner naissance à la formation des nuages et des brouillards. De la vapeur d'eau, à l'état invisible, est en suspension dans l'air. Qu'un li'ger abaissement se produise dans la température, et voilà un nuage formé. Qu'un léger échauffement succède, et voilà le nuage dissipé. Bien souvent, du haut des Alpes, ou dans la nacelle de l'aé- rostat, j'ai assisté à ces curieuses et instructives transformations: los nuages se forment et se dissolvent à la moindre influence. La pression atmosphérique, la tension de la^ vapeur d'eau agissent constamment, silencieusement, doucement, mais énergi- qui'ment. (Par exemple, pendant la majeure partie du mois de jan- vier 1882, la France presque entière, la Belgique, l'Allemagne, l'An- gleterre sont restées ensevelies sous un brouillard opaque, coïnci- dant avec la permanence d'une haute pression barométrique, tandis que l'Italie, l'Espagne, le midi de la France, sous l'influence de cette même pression, jouissaient d'un ciel sans nuages, d'une pure lu- mière et d'une printanière chaleur). De faibles modifications dans la constitution physique et chimique de notre atmosphère eussent pu amener dans cette atmosphère une opacité perpétuelle. Nous eus- sions habité alors une planète brumeuse, un brouillard sans fin, et jamais nous n'eussions connu l'existence des étoiles, de la Lune, ni aurait pas besoin d"une couche d'une épaisseur démesurée pour doubler celte absorp- tion ; et il est bion évident qn'avoc une enveloppe protectrice de ce genre, qui permet- lr;iit à 1;» rhalenv ifentrer et l'enipèrheniit de sortir, on aurait des climats tempérés à la surlace des planètes les plus éloijj'nées. » I.KS NIAT. KS DE M AU S peut-être même celle du Soleil, qui ne nous eût jamais apparu que sous l'aspect d'une clarté vague et blafarde; l'Astronomie n'eut pu naître sur un tel séjour; il eut été impossible à l'humanité t<'r- restre de se rendre compte du lieu qu'elle habite; c'eut été une tout autre race, arrêtée dès le début de son développement, myope, terne, grise, bornée, figée, plus animale qu'humaine... A quoi tiennent les destinées d'un monde? A l'invisibilité d'un nuage! Fort heureusement pour la planète Mars, son atmosphère est transparente; le ciel y est même moins souvent couvert que chez Fig. 63. — Fragment de la géographie de Mars : Vile neigeuse. nous. Toutefois, les nébulosités blanches que l'on aperçoit de temps à autre le long des rivages, et les nuages plus éclatants encore que l'on remarque sur les régions polaires, montrent que les procédés météorologiques n'y diffèrent pas essentiellement des nôtres, quoi- qu'il y ait moins d'eau qu'ici. Mais, sans contredit, une différence essentielle avec le monde que nous habitons est présentée par ces variations, qui n'ont riim d'analogue sur la Terre. On a de temps en temps remarqué à la surface de Mars quelques points d'une éclatante blancheur, que l'on a, ajuste titre, considérés comme représentant des montagnes couvertes de neige. Les observa- tions sont assez concordantes pour montrer que ces points blancs ont certainenK^nt existé. Quelquefois, cependant, c'est en vain qu'on les 1. lit! neigeuse vue de l'océan Kepler ; inéléorologie martienne TERRES VI CIEL £^ LES NUAGES DE MAHS a cherchés, sans doute précisément parce qu'alors les neiges étaient fondues. Signalons, entre autres, dans l'océan Kepler, vers 48° de longitude et 25° de latitude sud, le district auquel on a donné le nom d'île Neigeuse, qui se trouve loin des régions polaires. Tous les faits observés s'accordent pour montrer qu'il y a là une île couverte de hautes montagnes de temps en temps blanchies par les neiges ou par les nuages. L'astronome anglais Dawes a notifié là de curieux changements : il a notamment dessiné une tache blanche, parfaitement visible les 21, 22 et 23 jan- vier 1865, et, aa contraire, complètement invisible les 10 et 12 novembre 1864. M. Proctor l'a surnommée l'île neigeuse de Dawes et M. Green l'île de Hall. Le 4 avril 1871, M. Webb a revu la. même tache, puis elle est devenue invisible. On l'a revue en 1877. Cette île paraît s'élever au milieu des eaux, cime solitaire souvent • blanchie par les neiges et surtout environnée de nuages qui se condensent là comme ceux que l'on voit suspendus aux sommets des Alpes toutes les fois que l'air humide est un peu rafraîchi. C'est l'île de Ténériffe de Mars, plus élevée sans doute, mais ne plongeant point comme les Alpes et les Pyrénées jusque dans la région des neiges éternelles. Vue de quelques lieues de distance, d'un banc de l'océan Kepler, elle doit se présenter au spectateur sous l'aspect rappelé par le dessin qui précède. Quels pâturages, quels chalets, quels villages s'abritent dans ses phs? quels êtres habitent ses ri- vages? quels navires sillonnent ces mers? Cette rive maritime, aussi variable comme climat que celles de nos côtes normandes, n'est-elle pas peuplée de bains de mer où les jeux mondains agitent leurs grelots? n'est-elle pas le rendez-vous des plaisirs des jeunes Martiennes tout occupées des lois de la dernière mode? Ne voit-elle pas aussi des champs de courses sur lesquels le cheval se montre supérieur à l'homme? Ou bien, plutôt, sur ce pic du Midi, n'a-t-on pas élevé un observatoire météorologique d'où les tempêtes sont annoncées aux diverses nations de l'hémisphère austral? Peut-être en ce moment, un veilleur de nuit découvre-t-il dans une éclaircie notre planète brillant comme un phare, et publie-t-il que, la Terre étant calme et lumineuse dans un ciel transparent, promet un beau temps aux navigateurs et aux touristes. Li;S NLAOKS DE MARS Plusieurs autres régions de la planète sont aussi remarquables que l'île neigeuse par leurs intermittences d'éclat. Ainsi, par exemple, M. Schiaparelli a constaté que la terre de Secchi, appelée par lui Hellas, paraît quelquefois aussi brillante que le pôle ('). On a signalé également de brillants ménisques ou croissants le long des bords oriental et occidental du disque, qui paraissent dus aussi à une cause atmosphérique. Un grand nombre des taches foncées de Mars, et spécialement cellfi dont les bordures septentrionales forment une bande irrégulière au- dessus des régions équatoriales, sont bordées de ce côté par une ligne blanche, suivant toutes leurs sinuosités. Ces bordures blanches ne sont pas permanentes, mais variables. Quelquefois elles parais- sent très proéminentes* et d'un vif éclat, à ce point qu'elles rivalisent même avec les neiges polaires. A d'autres époques au contraire, elles deviennent si légères qu'on peut à peine les distinguer, et même par- fois elles" disparaissent tout à fait, quoique l'atmosphère soit claire et que les taches sombres se montrent parfaitement bien définies. Notre figure 65 reproduit l'un des meilleurs dessins que nous possé- dions à cet égard ; il a été fait par l'astronome anglais Phillips, le 15 octobre 1862, avec un ôquatorial de 6 pouces, à Oxford; on voit au premier coup d'œil toute la ligne de côtes bordée par une blanche hgne de nuages. Mon savant ami M. Trouvelot, qui a fait une étude spéciale de ces traînées blanchâtres rapporte (*), qu'aux époques où elles étaient invisibles, il les a souvent cherchées pendant plusieurs heures sans pouvoir en discerner aucune trace, mais qu'en plusieurs circons- tances cependant, il a eu la bonne fortune d'en voir quelques-unes se former graduellement sous ses yeux dans l'intervalle de moins (') Peniianl les mois de novembre et décembre 1879, une bande blanche s'étendait sur le iO* degré de latitude australe, du 260' au 360' degré de longitude, et unissait en une longue ligne blanche les trois îles de l'océan Newton (fin de la terre de Cussini, petite ile et ile allongée au-dessus du golfe Kaiser). A l'est de cette dernière, cette traînée lunii neuse tournait vers l'équateur et, passant entre la baie du méridien et la baie Burton atteignait le continent Ilalley. Le même aspect avait déjà été vu en 1830 par Béer et Màdler et en 1862 par Lockyer; mais en 1877 il n'y avait rien de semblable et l'on dis- tinguait au contraire des demi-teintes qui ont fait dessiner ces trois îles sur la c.irte (,iles submergées?) [Obs. de M. Green en 1879]. Est-ce encore ici de la neige qui fond? Ne seraient-ce pas plutôt des brumes éclairées par le soleil? (•) The Trouvelot .islronomical Drawings, New-York, 1882, p. 68. LES NUAGES DE MARS de deux heures, sur des points où il n'y en avait certainement au- cune trace auparavant. Cet habile observateur attribue ces i'rangcs à des nuages, à des condensations de vapeurs le long des côtes des mers martiennes, principalement autour des pics élevés ou des chaînes de montagnes, qui peuvent sculpter les reliefs de ces rivages, comme les Andes et les montagnes rocheuses sculptent les côte^ de l'Océan pacifique. Des cimes élevées condensant les vapeurs en brouillards ou en nuages, comme il arrive dans nos pays de Fig. Co. — Météorologie de Mars - Tryinée de nuages le long des côtes. montagnes, suffiraient certainement pour donner naissance aiix aspects observés. Les pics les plus élevés pourraient môme avoir leurs somme 's couverts de neiges perpétuelles. Les alternatives de visibilité cl d'invisibilité des taches blanches aperçues de temps à autre sur Mars, de même que les changements ultservés, peuvent facilement s'expliquer ainsi. M. Trouvelota fait à ce sujet, en 1877 et 1879, des observations particulièrement intéressantes. Pendant les époques où le disque de Mars n'est pas circulaire, mais présente une phase marquée, il a suivi ces taches blanchesemportéespar la rotation du globe jusqu'au NUAGES, NEICKS, MONTAGNES moment où elles arrivaient au bord de l'hémisphère éclairé, c'est- à-dire sur la ligne de séparation de la partie éclairée avec la partie obscure de la planète. En ces conditions, ces taches blanches ont été vues comme des bosses, aspérités, et ainsi elles ont montré ([u'elles sont en réalité plus élevées que le niveau moyen de la surface de la planète. D'autre part, des sinuosités, des abais- sements dans le cercle terminateur correspondant aux larges taches sombres, indiquent clairement aussi la dépression de ces taches au- dessous du niveau général, (''(^st là une o])servation que l'on peut Fig. r.i; Aspect lie M.irs le ill scpliMiibre 1877 à U lieures (in soir. faire presque tous les soirs sur la Lune, que l'on a obtenu également pnur Vénus et Mercure, mais qui ii'avnil pas encore été faite sur la planète Mars. D'après ces observations, les plateaux montagneux les plus élevés de la planète seraient situés entre le 60' et le TU"" degré de latitude australe, vers l'extrémité occidentale de la Terre de Gill. « La chaîne de montagnes qui forme presque complètement cette terre, dit l'astronome cité plus haut, est si élevée en certains points que le cercle terminateur en est tout bouleversé et que le bord même de la planète en est modifié. Il y a là un sommet si blanc, si brillant, qu'il a été pris pour la tache polaire par plusieurs obser- vateurs, comme on peut s'en rendre compte par la position erronée qu'ils ont assignée à cette tache sur leurs dessins. Cette région alpestre est située entre le 180" et le 190" degré de longitude. » 142 M'ACES, NEIGES, MONTAGNES Une ligne nuageuse de côtes s'étend également le long des rives septentrionales de l'océan Kepler. Nous avons vu plus haut que c'est dans cette région que l'on a observé l'île neigeuse aux blan- cheurs intermittentes. Ces traînées blanchâtres se montrent plus permanentes et plus intenses sur le côté oriental de la mer du Sablier, ainsi que sur ses rives australes, au-dessous de la terre de Secchi. Il doit exister une chaîne de montagnes, longue et élevée, le long de cette terre, sui- vant les côtes de la mer Lambert. II est extrêmement rare, au contraire, d'observer des nuages un peu denses sur les zones tropicales de la planète. Il est curieux néanmoins de noter que dans le cours des observations faites en 1878, par M. Trouvelot, un hémisphère entier, du Nord au Sud, s'est montré couvert de nuages ou de brouillards pendant huit semaines consécutives (du 12 décembre au 6 février) ; tandis que l'autre hémisphère est resté absolument clair et sans le moindre nuage. Ou aura un exemple de certains aspects nuageux que la planète peut parfois présenter par l'examen de notre figure 66, sur laquelle on voit l'océan Kepler, notamment, parsemé de voiles blanchâtres qui en dénaturent l'aspect général. M. Green rapporte que pendant l'opposition de 1877, observée par lui à Madère, il a dessiné seize fois le côté oriental de cet océan, et que dans chaque circonstance il l'a trouvé très clairet très net ; mais que le 29 septembre cette région se présentait comme on la voit sur ce croquis, brisée par des nuages qui s'étendaient vers l'Ouest, tandis qu'en haut, au Sud, une autre condensation nuageuse' était également bien visible. Ces voiles nua- geux, ajoute-t-il, n'ont rien d'extraordinaire. Dans la série de dessins faits en 1862, par M. Lockyer, une partie de l'océan Newton, au Sud-Est de la mer du Sablier, est évidemment cachée par un nuage, et le même aspect a été revu à l'Observatoire de Greenwich, par MM. Christie et Maunder, le 16 octobre 1877 ('). Ce sont là des exemples certains de nuages parfaitement obser- vés sur Mars. Il ne faudrait pas prendre toujours pour des nuages, (') La tendance que présentent les nuages de s'amonceler sur certaines régions de l'océan Kepler de préférence à d'autres régions plus sombres semble indiquer qu'il y a là une température dift'érente de celle des mers environnantes, comme il arrive ici sui' les bas-fonds et sur les bancs des mers terrestres. M ACKS ET NEir.ES I) K MAn> toutefois, les régions dilTuses ou indécises; car, comme nous l'avons remarqué au chapitre de la géographie de Mars, il y a dans les des- sins de la planète des dissemblances qui sont uniquement dues aux différences d'appréciation des observateurs. Nous devons même signaler ici le fait assurément bizarre, que les différences qui exis- tent entre les dessins de Mars faits en même temps par divers observateurs, sont parfois si surprenantes qu'elles en deviennent incompréhensibles. Ni la diversité des conditions de transparence atmosphérique, ni les pouvoirs amplificateurs des instruments employés, ni les différences de vues entre les observateurs, ni les différences d'habileté pour la représentation fidèle par le dessin, ne les expliquent entièrement. Et pourtant elles doivent évidem- ment le faire. Il faut donc accorder une certaine latitude à cet égard et ne pas se montrer trop exigeant. Ainsi, par exemple, voici (figures 67 et 68) deux planisphères de Mars construits ])(>ndant l'excellente période de 1877, le premier par M. Harkness, a l'aide du grand équatorial de 66 centimètres de diamètre de l'Observatoire de Washington, le second par M. Schiaparelli, à l'aide de l'équato- rial de 22 centimètres de l'Observatoire de Milan. On ne pourrait jamais imaginer que le plus détaillé des deux soit celui qui résulte des observations faites à l'aide de l'instrument le plus faible. C'est pourtantce qui a lieu. M. Harkness déclare que, du 18 avril au 18 oc- tobre, il n'a pu obtenir que huit bons dessins, à cause du mauvais état de l'atmosphère, et que c'est à l'aide de ces huit bons dessins concordants qu'il a construit son planisphère. Il ajoute qu'on a essayé chaque nuit des oculaires grossissant jusqu'à 400 fois, mais que c'est celui de 175 qui a été généralement trouvé le plus avan- tageux. M. Schiaparelli, au contraire, a joui d'une atmosphère gé- néralement excellente et a pu continuer ses observations jusqu'en novembre, en appliquant à sa lunette (trois fois plus petite que la précédente) des grossissements de 322 et 468 fois ('). Ces deux cartes de Mars peuvent être considérées comme des témoignages extrêmement frappants des différences dont nous venons de (') Pendant le cours de ses observations de 1879-80, M. Schiaparelli a revu tous les détails géographiques, grands et petits, de sa carte de 1877, à l'exception seuiemenl d'un petit canal, nommé par lui Hàtldekel, cl d'tm petit lac circulaire, nommé Fontaim- de la Jeunesse. En revanche, un grand nombre de nouveaux détails ont été découverte et dessinés pendant cette période. Nl'ACES ET NEIGES DE MARS parlor. Elles suggèrent aussi une autre réflexion, celle de savoir si les lunettes colossales, qui permettent de sonder les abîmes des profondeurs sidérales et de résoudre les pâles nébuleuses en amas d'étoiles, sont véritablement préférables aux instruments de moyenne puissance pour l'étude des planètes. Plus l'instrument est fort, plus les obstacles venant des ondes atmosphériques augmen- tent. M. Harkness attribue une partie de l'insuffisance des vues de la planète, au fait qu'elle avait une grande déclinaison sud. Mais l'Observatoire de Washington est plus près de l'équateur que celui Fig. 67. — Ciirte de Mars fuite en 1877 à l'Observatoire de Washington. de Milan, sa latitude étant de 39", tandis que celle de Milan est de 45°. Donc la planète était plus élevée sur le premier horizon que sur le second. Voici maintenant, pour la connaissance de la météorologie mar- tienne, quelques autres détails non moins intéressants. Le 1" septembre 1877, à 10 heures 40 minutes du soir, M. Greeu, ob- servant à Madère, a remarqué à l'ouest de la calotte polaire un point lumineux singulièrement brillant. Ce point est visible sur la première des quatre vues télescopiques de Mars reproduites plus haut. (Voir firj. 16, NUAOKS ET NEK.KS H K .MARS p.3-2 . Mai-s 1)11 en Ultra une idée plus complète par l'examen du petit dessin ci-après (fig. 69) qui représente seulement le pôle Sud de la planète accom- pagné de la particularité dont il s'agit. « Selon toute probabilité, écrit l'ob- servateur lui-même, c'était là de la neige restant encore sur un sol élevé, tandis qu'elle avait fondu tout autour à des niveaux inférieurs. Ce point bril- lait comme une étoile, et il était imiîossiblc de ne pas le remarquer. Le 8 sep- tembre, à minuit 30 minutes, j'eus de nouveau l'occasion de l'observer, mais alors on distinguait parfaitement deux points séparés, et deux jours plus taid, de 10 à 11 lieurcs 30 minutes, ou en distinguait encore d'autres concentriques à la zone des neiges, comme on le voit figure 70. Ces alté- JO" iO' 60? B0° lOII? I2n I if,'. (18. — Carte de Mars faiti» en 1877 à l'Observatoire de Milan. rations lie foi'mes étaient sans doute dues à la perspiTtivc. ces diverses taches neigeuses s'étant j)résentées presque de prolil liii< de l'observation du i" septembre. On ne les a jamais vues à l'Est du cap [lolaire, et c'est là une circonstance d'un intérêt particulier. En effet, leur grand éclat à l'Ouest du pôle, leur décroissance en passant par le méridien central, et leur invisibilité en arrivant au côté oriental, s'explique naturellement en supposant que les pentes des montagnes qui conservaient cette neige étaient tournées au Sud-Ouest ; de cette sorte elles étaient abritées des rayons solaires jiendant la plus grande partie d'une rotation ; mais elles étaient pleinement expo.sées à sa lumière, et par conséquent mieux vues, justement lorsqu'elles s'éloignaient vers le bord occidental. Il est curieux de remarcpier que ce point de lumière a été observé et figuré de la même façon dans un dessin fait le 30 août 18 50, à Cincinnati, par Milcliel; il se TERr.ES DU CIEL fO NUAC.ES, NE1(;ES, montacnks rattache cci'taiiuniicut à une couûyuration locale de la itlauùte. Je lui ai donné le nom de mont Mitchcl en souvenir de cet enthousiaste ami de l'Astronomie. » On le vuit, peu à peu, nous pénétrons en détail dans les diiïérentes régions de la planète et dans la connaissance de ses contrées les plus extrêmes. Fig ti'J. — I.cs neiges du pôle sud d bro 1S77.) Nous avons vu plus haut que les taches foncées de Mars s'effacent en approchant vers les bords du disque, généralement en arrivant à une distance du bord égale au cinquième du rayon, ce qui cor- Fifî. '0. - Les ueiRes du pôle sud de Mars (10 septembre 1877.) respond à 53" du centre de l'hémisphère visible. Quelquefois des taches très foncées et très nettes, comme la mer circulaire, peuvent être aperçues plus loin, jusqu'à 60" et même 63°. Les taches lumi- neuses se comportent tout autrement. M. Schiaparelli a observé que les deux îles de Thulé (terres de Rosse et de Gill), l'île d'Argyre (terre de Schroëter), et l'Hellade (terre de Secchi), sont, au contraire, beaucoup plus faciles à voir près des bords que dans la région cen- NL'Ar.KS, NlCIf.KS, MO.NÏ AdN ES traie du disque. A quelle cause cette plus grande visibilité est-elle due? Peut-être à ce qu'il y a là des régions montagneuses dont les pentes inclinées réfléchissent mieux la lumière solaire lors- qu'on les voit très obliquement. Telle était la théorie de Zôllner pour expliquer le grand éclat du bord lunaire à la pleine lune. Cet astronome physicien avait même calculé l'inclinaison de ces pentes, qu'il estimait à 76". Mais cette plus grande visibilité est plutôt due à des nuées étagées de telle sorte qu'elles réfléchissent mieux la lumière lorsqu'on les voit sous une certaine obliquité {*). Dans certaines régions, le fond des mers se laisse apercevoir à (') L'astronome ZoIIiil'I' a soigneusciiient observé l'éclat des plaiirtcs supérieures aux époques de leur opposition moyenne et en a déduit les résultats suivants. Erreur probable pour cent. Soleil = 6 994 000 000 de fois Mars. 3,8 Soleil= 5 472 000 000 — Jupiter. 3,7 Soleil= 130 980 000 000 — Saturne (sans les anneaux). 3,0 Soleil = 8 486 000 000 000 — Uranus. 6,0 Soleil = 79 020 000 000 000 — Neptniu'. 5,5 Il s'en suit que si l'on représente par 1000 l'éclat total de Mars à son opposition moyenne, on triiuv(! les valeurs suivantes pour l'éclat des diverses planètes ainsi obser- vées, et calculé d'autre part pour le cas de sphères d'égale puissance réflective : Éclat observé. Écl.it calculé. Mars 1000 1000 Jupiter 1278 487 Saturne (sans anneaux) . . . 3:t,4 24,3 Uranus 0,824 0,30 Neptune, 0,088 0,Co8 Zôllner en conclut pour le pouvoir réflecteur des surfaces di; ces planètes les valeurs suivantes : Mars =0,2672 Jupiter =0,6238 Saturne =0,4981 Uranus =0,6400 Neptune =0,4648 L'examen de l'éclat de Mars pendant ses phases l'a conduit à conclure qu'il rélléchit la lumière solaire comme si sa surface était couverte do hautes montagnes dont les pentes seraient inclinées à 76*. Ce seraient de véritables pains de sucre. L'hypothèse est peu soutenable, étant surtout données les mers de Mars. Nous préférons admettre avec l'rmtor que cette réflexion est due à des nuages analogues aux légers cumuli qui flottent en été dans notre atmosphère. Près du cercle terminateur de la phase de Mars la clarté du disque s'assombrit sensiblement, ce qui conc(U-de avec cette explication et ce qui montre qu'en somme les brunies du matin et du soir ne sont pas intenses, car dans ce cas le disque ne s'obscurcirait pas. NUAGES ET NEIGES DE MARS travers une mince couche d'eau. Déjà les observations permettent d'ajouter que les dilïérentos mers ne se ressemblent pas à cet égard. Ainsi les plages boréales de la mer Hooke, finissent plus nettement que les plages australes de la mer Maraldi. La terre de Cassini semble s'immerger par degrés insensibles dans la mer Flammarion, qui est très sombre. L'île allongée que l'on voit dans l'océan Kepler au-dessus du golfe Kaiser et de la baie du Méridien, est au contraire d'une teinte si uniforme, que M. Schiaparelli la compare aux grandes plaines de l'Europe orientale; il la considère comme une plaine d'alluvion, et il lui a donné le nom de « terre de Deucalion ». Ce même observateur a remarqué que la terre de Hall, nommée par lui l'Hespéride, devient plus sombre et se confond avec les mers voisines toutes les fois que la rotation l'emporte à une certaine distance du centre du disque, et il en conclut que très probablement cette pé- ninsule ressemble à l'Italie formée par la chaîne des Apennins, en ce sens qu'une chaîne de montagnes dessinerait son ossature et que ses pentes iraient mourir, l'une dans la mer Hooke, l'autre dans la mer Maraldi : l'extrémité australe de cette terre (qui a reçu le nom d'isthme de Niesten), descendrait même un peu au-dessous du niveau de la mer, et mettrait en communication les deux mers ('), elle serait donc submergée, recouverte d'une nappe d'eau, et l'as- sombrissement de cette région à mesure que nous la voyons plus obliquement, viendrait de ce que le fond ne serait alors visible qu'à travers une couche d'eau de plus en plus grande. Nous avons décrit plus haut les variations météorologiques et géographiques considérables que l'observation a constatées à la surface de la planète. Ces variations considérables sont pour nous un témoignage que cette planète est le siège d'une énergique vita- lité. Ces mouvements divers nous paraissent s'effectuer en silence, à cause de l'èloignement qui nous en sépare ; mais, tandis que nous (') Nous ne nous aventurerons pas à conjecturer la profondeur des mers martiennes, quoique la diversité des teintes soit un indice de ces profondeurs. Les expériences du P. Secchi ont montré que, dans la Méditerranée, un objet blanc cesse d'être visible au delà de 60 mètres de profondeur ; mais M. de Tessan rapporte que le banc des Aiguilles, à l'extrémité australe de l'Afrique, est encore visible à 200 mètres. 11 est probable, connue nous l'avons déjà dit, que les mers martiennes "n'ont qu'une profondeur relati- vement très faible. Ce qui est confirmé par les phénomènes d'évaporation. MÉTÉOROLOGIE DE MARS observons tranquillement ces continents et ces mors, lentement emportés devant notre regard par la rotation de la planète autour de son axe, tandis que nous nous demandons sur lequel de ces ri- vages il serait le plus agréable de vivre, peut-être y a-t-il là, en ce moment même, des orages épouvantables, des volcans en fureur, des tempêtes déchaînées, des armées excitées parle feu des combats, des flottes de guerre bombardant une autre Alexandrie, ou des troupes innombrables préparant l'investissement soldatesque d'un autre Paris. De môme, les astronomes de Vénus, armés d'instru- ments d'optique analogues aux nôtres, contemplant la Terre et la voyant planer dans une calme tranquillité au milieu d'un ciel pur, ne se doutent pas assurément que sur ces campagnes dorées par le soleil et sur ces mers azurées qui se découpent en golfes si délicats, l'intérêt, l'ambition, la cupidité, la barbarie ajoutent souvent leurs orages volontaires aux intempéries fatales d'une planei,<; imoarfaite. Nous pouvons pourtant espérer que le monde de Mars étant plus ancien que le nôtre, son humanité est plus avancée et plus sage. Ce sont sans doute les travaux et les bruits de la paix qui animent son atmosphère. Il est curieux de penser, toutefois, que malgré leurs eiïorts, ces frères inconnus peuvent n'avoir pas encore fait la con- quête entière de leur globe et ne pas connaître la configuration géographique de leurs propres pôles aussi exactement que nous la connaissons nous-mêmes I Les astronomes de Vénus, également, se trouvent dans une situation préférable à la nôtre pour observer les pôles terrestres et étudier l'ensemble de notre propre patrie. Combien singulier est son arrangement géographique, au point de vue de nos idées terrestres! Pas de grands continents; pas de grands océans. Une série de terres consécutives à l'équateur, bordées, surtout dans l'hémisphère austral, par une série de méditerranées. On peut faire le tour do la planète, soit par la terre ferme (excep- tion faite des canaux), soit par les mers. Ajoutons, comme caractères spéciaux, les terres submergées, tantôt sèches et tantôt inondées, et son étrange réseau de canaux, et nous compléterons l'aspect du monde martien. Ces canaux doivent être incomparablement plus nombreux que ceux qui ont été découverts jusqu'ici, car en certains moments fugitifs de visibilité parfaite, divers observateurs ont aperçu des détails qu'ils déclarent avoir été MÉTÉOROLOGIE DE MARS dans l'impossibilité de dessiner (Secclii, juin 1858. — Schiaparelli, octobre 1877). L'histoire géologique de Mars nous conduit à con- clure que, plus ancien et plus vite refroidi que notre planète, il n'est plus aujourd'hui soumis aux forces intérieures de soulève- ments qui agissent encore ici, a perdu une partie de ses eaux, et se laisse désormais niveler de siècle en siècle par les eaux qui lui res- tent et par son atmosphère. Ainsi se résument les nombreuses observations faites sur Mars, depuis un quart de siècle surtout. En les comparant et les discutant, nous avons pris soin de n'en exagérer aucune, et, au contraire, de glisser, sans appuyer, sur celles qui n'ont pas été confirmées par plusieurs observateurs. Mais, évidemment, tout en mettant une judicieuse sévérité scientifique dans le choix et l'appréciation des documents, il ne faudrait pas imiter le scepticisme de Napoléon auquel Arago montrait les taches du Soleil. Le grand conquérant n'a jamais voulu croire que ces taches n'étaient pas dans la lunette ! Le héros d'Austerlitz n' admettait pas que l'astre du jour pût avoir des taches... Nous tirerons bientôt les conclusions auxquelles cette analyse détaillée de la planète nous conduit, relativement à son état actuel d'habitation. Mais nous ne pouvons passer sous silence la décou- verte aussi inattendue qu'extraordinaire de ses deux satellites. CHAPITRE YII Les satellites de Mars. La découverte des deux satellites de Mars est assurément l'une des plus curieuses et des plus intéressantes des temps modernes. On peut dire qu'elle a été faite exprès, et qu'elle est le résultat de la plus louable persévérance. Nous avons vu plus haut que l'année 1877 i''tait particulièrement remarquable à cause du rapprochement maximum auquel Mars devait se trouver de la Terre, l'opposition des deux planètes ayant été fixée par le calcul pour le 5 septembre de cette année-là. Le professeur Asaph Hall, astrounnic de l'Obser- vatoire de Washington, pensa que ce serait là une circonstance extrêmement favorable pour vérifier le voisinage de Mars, à l'aide du grand équatorial de cet Observatoire. Il se disait avec raison que quoique plusieurs observateurs eussent déjà été déçus dans leurs espérances en cherchant un satellite à cette planète, ce n'était pour- tant pas là une raison suffisante pour y renoncer définitivement, surtout en considérant que les conditions actuelles de la recherche étaient exceptionnellement favorables. Il se mit donc à l'œuvre dés les premières soirées du mois d'août, scruta les environs de la pla- nète avec un soin minutieux, et pour ne pas être gêné par son grand éclat, prit soin de la masquer ou de la faire sortir du champ de la lunette, de façon à pouvoir saisir la plus légère trace de satel- lite visible dans ss noms de D>'i>/i')s (la Terreur) et P/iobos (la Fuite), en souvenir de deux vers de VUinde d'Homère (liv. XV), qui représentent Mars descendant - ir la Terre pour venger la mort de son fils Ascalaphe : Il ordonne à la Terreur ot a la Fuite d'atteler ses coursiers; i;t lui-même revêt ses armes étincelantes. Phobos est le premier, le plus proche; Deiraos le second. Voici les élémcMits de leurs orbites : Diamètre de Mars = C830 kilomètres. Distance de Piiobos= 2,771 de demi-diamètre de Mars étant 1). = 9190 kilomètres. Distance de Deimos = 0,021 — -23700 kilomètres. TERRES DC CIEL. 20 LKS SATKLLITKS DK MAIl- Ges distances sont comptées du centre de la planète. Si nous en retran- chons le deaii-diamètre de Mars, il reste pour la ilistauce de la surface de la planète à la surface des satellites, moins de 0000 kiloLuètres pour le premier et moins de 20000 pour le second. Le diamètre de Mars étant de 9", 57, les plus grandes élongations ne sont que de 13" pour le premier et de 32" pour le second. La révolution du premier s'effectue dans la période étrangement rapide de 7 heures 39 minutes 14 secondes, et celle du second dans la période également très rapide de 30 heures 17 minutes 5-'« secondes, période ù peu près égale ù quatre fois la première, ce qui indique un lien de parenté entre les deux satellites. Leurs orbites sont, toutes deux, presque circu- laires, à peu près dans le plan de l'équateur martien, et inclinées l'une et l'autre de 26° environ sur l'écliptique. — Nous avons représenté ce petit système sur notre figure 74 : c'est ainsi qu'ils circulent actuellement dans le plan de l'équateur de Mars. Depuis leur découverte, ces satellites ont été revus, le second surtout, par un grand nombre d'observateurs. Dès le 27 août 1877, au reçu de la dépèche, on les recherchait à l'Observatoire de Paris, et MM. Paul ot Prosper Henry parvenaient à reconnaître le second à l'aide de l'équatorial de 0"',25 de diamètre, en prenant soin de cacher la planète par un écran. Nous reproduisons ici [fuj. 75), le LES SATELLITES DE MAUS dessin qu'ils en ont fait ce soir-là. A cause de l'exiguïté de ces satellites et de leur voisinage de la planète, il faut d'excellents instruments pour les distinguer. Toutefois, comme un objet qu'on sait exister est plus. facile à découvrir qu'un objet dont on ignore l'existence, des instruments fort inférieurs à l'équatorial de Was- hington suffisent aujourd'hui pour permettre d'observer ces deux points lumineux, et même pour mesurer leur position ('). L'analogie avait déjà fait soupçonner l'existence de ces satellites, et plusieurs astronomes, W. Herschel, d'Arrest, etc., avaient même passé d(> longues heures à les chercher. On avait dit : la Terre a un satellite, Jupiter en possède quatre (et Saturne huiti ; Mars, qui se 50 '• 17T.-,i Tl. — Le svstéme de M^j s. trouve entre la Terre et Jupiter, pourrait bien en avoir un ou plutôt deux. C'est Kepler lui-même qui, le premier, a tenu ce raisonne- ment, dès l'année 1610. Dans les Voyagen de Gulliver, écrits par Swift vers 1720, le narrateur du voyage à Laputa raconte que « les astronomes de ce pays ont découvert à la planète Mars deux satel- lites, dont le plus proche est à une distance du centre égale à trois (1) Conséquence inattendue de la découverte de ces satellites. Nous avons signalé autrefois, en plaisantant [La Pluralité des Mondes habités, p. 21o) le projet original d'un astronome allemand qui proposait d'entrer en correspondance avec les habitants de la Lune, en établissant dans les vastes plaines de la Sibérie des figures géométriques formées par des signaux de feu, par exemple, des dessins de cercles, de triangles, de carrés, que les Sélénitos auraient sans doute l'idée de reproduire. Eh bien 1 le satellite extérieur de Mars ne paniit jias soustendre un angle de 0"03, et l'on est parvenu à le distinguer dans une lunette de 17 centimètres de diamètre : à la distance de la Lune, cet angle correspond à une longuem- de 57 mètres sur la surface lunaire, et M. Hall remarque lui-même que l'idée en question n'est pas un projet chimérique « is by no means a chimerical proJect ». .\ssurément, si nous découvrions quelques témoignages d'habitation à la surface de ce globe voisin, nous ne devrions pas iiésiler un instant à essayer à nous mettre en communication avec lui. Première comnuinication du ciel avecla terre! Quelle révolution, ou plutôt quelle évolution dans l'essor de l'humanité! LES SATELLITES DE MARS fois le diamètre de la planète, et le plus éloigné à cinq fois ce même diamètre. La révolution du premier, ajoute-t-il, s'accomplit en lû heures et celle du second en 21 heures, de sorte que les carrés des temps sont dans la proportion des cubes de distances, ce qui prouve que ces deux lunes sont gouvernées par la même loi de gravitation qui régit les autres corps célestes. » Voilà certes un roman qui s'est singulièrement approché de la vérité. — Les prophètes de la Bible n'ont jamais été aussi clairs à propos de Jésus-Christ, et Swift a été là supérieur en inspiration à Daniel comme à Jérémie. TA mé- diter pour les théologiens qui n'auraient pas l'esprit tout à fait fermé]. — Si quelque archéologue avait trouvé une inscription de cette nature dans les fouilles de l'Euvoîe ou de l'Assvrio, les en- d'uii salL'llito de Mars (-27 nom ISTT , thousiastes du passé n'auraient pas manqué d'en conclure que nos ancêtres avaient des instruments d'optique d'une énorme puis- sance. Pourtant, il est certain que ni Kepler, ni Swift, — ni Voltaire, qui tient le même propos dans sa charmante histoire astro- nomique de Micromégas, — n'avaient vu les satellites de Mars, et qu'il n'y avait là qu'une idée heureuse. A notre tour, nous pourrions penser aujourd'hui qu'Uranus a seize satellites et Neptune trente- deux. Mais il est probable qu'ici le raisonnement par analogie nous éloignerait fort de la vérité. Ces deux globules célestes sont si petits qu'il est impossible de leur trouver aucun diamètre appréciable, et qu'on ne peut obtenir ({uelque estimation de leur volume probable, qu'en mesurant avec soin la quantité de lumière qu'ils réfléchissent. C'est ce qui a été fait à l'Observatoire de Harvard-Collège, par le professeur Pickeriug, et LES S AT EL LIT tS UE MAILS il résulte de ces mesures photométriques, confirmées du reste par les estimations des autres observateurs, qu'en admettant que leur surface soit analogue à celle de laplanètc elle-même, leurs diamètres ne surpassent pas dix à douze kilomètres. Le premier, Pliobos, est le plus brillant et probablement le plus gros des deux; il n'offre que le faible éclat d'une étoile de 10'' grandeur, et le second, seulement celui d'une étoile de 1,2"; cependant le second est plus facile à découvrir, parce qu'il est plus éloigné de la planète et moins éclipsé dans ses rayons. Il n'en est pas moins bien remar- quable que ces deux points lumineux, dont le diamètre ne sur- passe guère celui de Paris, soient visibles à quinze millions de lieues de distance dans les instruments dus au génie de l'homme.' G. — Marche des salelliles de Mars dans le ciel de leur planète. Ce sont assurément là des mondes bien minuscules. Quoiqu'ils n'aient été découverts que de nos jours, il ne faudrait pas en con- clure pour cela qu'ils n'existaient pas auparavant, et que leur for- mation ne date que d'hier. -Il est bien probable qu'ils sont fils de Mars comme la Lune est fille de la Terre, et comme les satellites de Jupiter sont fils de leur planète centrale, et que leur naissance date de l'origine nébuleuse de la planète elle-même. Il ne serait pas impossible cependant que ce fussent là deux petites planètes accrochées au passage par l'astre de la guerre, car déjà parmi les innombrables petites planètes qui gravitent entre Mars et Jupiter, il en est une, yEthra, qui arrive jusqu'à l'orbite de Mars, qui la frôle d'assez près, et qui même pénétre dans l'intérieur de cette orbite. Une telle origine n'est pas impossible ; cependant elle n'est pas naturelle, et nous ne devons la considérer que comme fort peu probalile. Les mouvements apparents de ces satellites dans le ciel de Mars LES SATKLLITKS DE MAlîS sont parliciiliùremoni curieux. Le satellite extérieur tourne, avons- nous (lit, autour (lo sa pianote, en 30 heures 17 minutes 54 secondes, tandis que la planète tourne sur elle-même en 24 heures 37 minutes 23 secondes. 11 en résulte. ;j.o ce petit globe parait marcher très len- tement de l'est à l'ouesî dans le ciel de Mars. Si sa révolution s'efl'ec- tuait juste dans le môme temps que la rotation de Mars, il paraîtrait fixe dans le ciel : il resterait toujours immobile au même point. Les habitants d'un hémisphère de Mars l'auraient constamment sur leurs têtes, tandis que les habitants de l'hémisphère opposé ne le verraient jamais. C'est ce qui arriverait chez nous pour la Lune, si elle tournait autour de la Terre en un temps égal à celui de notre rotation diurne. La différence entre la période du satellite extérieur et la rotation de Mars étant de 5 heures 41 minutes, ce satellite emploie en apparence 131 heures pour accomplir son circuit au- tour du ciel de Mars; c'est une période de 5 jours martiens plus 8 heures, et c'est là un petit mois dont les habitants doivent se servir pour leur calendrier. Bien différent est le mouvement du satellite le plus proche. Comme il accomplit sa révolution entière de l'ouest à l'est en 7 heures 39 minutes, et que la planète tourne dans le même sens en 24 heures 37 minutes, il se lève à l'occident et se couche à l'orient après avoir traversé le ciel avec une vitesse correspondante à la différence des deux mouvements, c'est-à-dire en 11 heures environ. C'est là un exemple unique dans le système du monde. La figure précédente donne une idée de ces deux mouvements contraires. Quelle est la grandeur apparente de ces deux lunes, vues de la planète ? Chacun sait qu'un objet éloigné à la distance de 57 fois son dia- mètre, apparaît avec une grandeur apparente de 1 degré, et qu'un objet éloigné à 570 fois son diamètre soustend un angle dix fois plus petit, ou de 6 minutes. Le premier satellite de Mars étant à 6000 kilo- mètres de la surface de la planète et ayant, selon toute probabilité, 12 kilomètres de largeur, est éloigné à 500 fois son diamètre et offre par conséquent un disque de 7 minutes environ. C'est un peu moins du quart du diamètre apparent de notre pleine lune, lequel est de 31 minutes. LES SATELLITES DE .MAIIS C'est en même temps le tiers du diamètre moyen du Soleil vu ce Mars, ce diamètre étant de 21 minutes. Le second satellite, éloigné à 20000 kilomètres de la surface de Mars, est réduit à un petit disque de 2 minutes et demie. C'est-à-dire que le Soleil vu de la Terre et notre Lune, étant re- présentés par deux disques de 32 et 31 millimètres, le soleil de Mars serait représenté à la même échelle par un cercle de 21 milli- mètres, et ses deux lunes par des disi|ues de 7 et 2 millimètres et demi (voy. fuj. 77.) La lumière renvoyée par ces deux satellites aux habitants de la pla- nète, doit être extrêmement faible. Le satellite extérieur n'oiïre en Fig. ". — Grandeur apparenic relative A i so.i'il cl des ;iines do Mars. effet, même au zénith, qu'un disque égal au quinzième environ de celui de notite pleine lune, ce qui équivaut à une surface 225 fois plus petite. D'un autre côté, la lumière reçue du Soleil varie, sui- vant la position de Mars, de la moitié au tiers de celle que notre Lune reçoit. Il en résulte que la clarté de Deimos doit être com- prise entre les fractions jf; et jfr de celle de notre clair de lune. Phobos doit être trois fois plus large, offrir un disque de 6 à 7 minutes et donner une clarté dix fois plus forte, c'est-à-dire comprise entre j^ et ^ de l'intensité de notre clair de lune. Ce sont là deux lunes minuscules. Quoique les yeux des habitants de Mars doivent être plus sensibles que les nôtres à la lumière, ce ne sont pas là des clairs de lune bien lumineux, et nous pouvons penser que les services rendus à nos voisins de cette patrie céleste par leurs deux satellites, ne viennent pas de la lumière nocturne qu'ils peuvent distribuer aux voyageurs, mais plutôt de la rapidité LES ECLIPSES sua MAltS de leur révolution, grâce à laquelle les longitudes, les horloges ou les montres peuvent être réglées avec une précision remarquable. Les marées produites sur les mers de Mars par l'attraction des deux satellites, ne sont pas aussi fortes qu'on pourrait le croire à première vue, malgré la grande proximité de ces deux satellites. En effet, l'influence du satellite le plus proche est 500 fois plus faible que celle de la Lune, et l'influence du satellite le plus éloigné est 8000 fois plus faible. C'est presque insignifiant. Quant aux ma- rées dues à l'attraction du Soleil, elles sont six fois plus faibles que celles des mers terrestres. On voit que sur cette planète ce sont les marées solaires qui sont les plus importantes, et que, comme (toutes choses égales d'ailleurs) la hauteur d'eau n'atteint que le sixième de celle de nos marées solaires, elles sont presque insensi- bles. Mais il faudrait tenir compte de la densité de l'eau de Mars et de la pesanteur. Les différences de niveau dues à la pression baro- métrique, aux vents, aux courants, etc., doivent masquer presque complètement ces marées, comme elles le font du reste, même ici sur les rives de la Méditerranée, où les marées luni-solaires sont certaines, mais effacées par les autres influences. Les mouvements combinés de ces deux satellites dans le ciel de Mars, doivent donner naissance à de bien curieuses éclipses. Phobos est éclipsé presqu'à chaque pleine lune, ou tout au moins une fois sur deux, et Deimos une fois sur cinq. La durée maximum de l'éclipsé du premier est de 53 minutes et celle du second de 54. Grâce à la lenteur de son mouvement apparent dans le ciel de Mars, Deimos peut, dans l'intei'valle de 66 heures, entre son lever et son coucher, passer trois fois par la phase de la pleine lune, et donner le spectacle de trois éclipses de lune. Pour avoir une idée de ces bizarres aspects des lunes de Mars, sup- posons, par exemple, que le soleil vienne de se coucher à six heures du soir, et que Phobos vienne de se lever à l'ouest juste au-dessus du soleil couchant. La marche apparente contraire de ces deux astres (le soleil et la première lune), est si rapide que trois heures trois quarts plus tard, soit à dix heures moins un quart, ils se trouveront diamétralement opposés l'un à l'autre, et cette première lune subira une éclipse totale à 55 degrés au-dessus de l'horizon oriental. !•: c, 1, 1 1' s !■; s s i; w m a m s Quelque temps après, vers onze heures et demie, o11(î se cuu- ehera dans l'est. A cinq heures du matin elle se relèvera à l'ouest, et avant que le Soleil ne soit levé à son tour, elle pourra enc(»r(> être éclipsée une seconde fois. Pendant ce temps-là, la Fig. "8. — Les Jeux lunes de Ma deuxième luue, Deimos, peut, de sua cùtù, se lever éclipsée à l'orient, hriller de nouveau dans le ciel à mesure qu'elle y monte, arriver à 68 detrrés de hauteur ^i heures plus tard, au moment où le soleil se couchera pour la seconde fois; subir une seconde^ éclipse totale vers minuit ; avancer encore de 68 degrés dans le ciel pendant le second juin-; subir une troisième éclipse avant TEUKES DU CIEL. 2t KC.I.II'SES hlK M Ans le truisiriuo Icvit do snloil, ot enfin se coucher à l'huriziin occi- dental l'i. Quelquefois (lU jicut voir ces deux lunes, arrivant ili's deux i)arties opposées d;i ciel, s'avancer l'une vers l'anfi-c, se rcucuntrer et s'éclipser partielicim-at ou totalement. D'où il rcsullc (ju'indépen- damnient d(>s éclipses de lune produites par le passage des satellites dans l'ombre de la planète, éclipses analogues à celles qui se présentent sur notre monde, il y a sur Mars des éclipses inconnues à la Terre : celles d'un satellite par l'autre, celles du second satellite par le premier. Celui-ci offre un diamètre de 7 minutes, nu ])eu moins du ?ig. 79. — Une éclipse il<^ Soleil par les deux luiii'S Je Murs. quart de celui de notre lune, et le second un diamètre de 2 minutes et demie. Lorsque ces deux satellites se rencontrent en perspective dans learroute céleste, le premier éclipse partiellement ou totale- ment le second. Aucun phénomène céleste analogue ne peut, natu- rellement, arriver sur la Terre. Ainsi, Phobos peut éclipser totalement Deimos, et cela très facile- ment. Mais il ne peut jamais éclipser totalement le soleil de Mars, dont le diamètre moyen est de 21 minutes. Lorsque la combi- naison des mouvements célestes l'amène devant l'astre du jour, il peut produire une éclipse annulaire du genre de celle qui est repré- (') lidniond liOd^cr ; The six, ils plamAs and Iheir satellites, p. 250. i:i:lii>sks si;i', m \ i;s les spntée ici ifirj. 79), ;'i l;ujiu>ll(' piMit s';iji>ulci- le [nissagc du second satellite dovjiul le Soleil, smis lu runiic d'un pdil dis({ii(' noir. Los habitants de Mars n'oni donc jamais vu une éclipse totale de Soleil; mais ils voienl souveul des éclipses de lune ou, pour mieux dire, des occullalions d'uni' Inné par l'anlre. Il y a Va certaiiu's coniiili- cations laliorienscs pour les calculalenrs des alininiarlis inarliens. Un phénomène du mr'me ordre et non moins curieux peut être Fig. 80. — Passag,' de l:i Toprc cl de la Lune devant le Soloil. arrivé pour k's liatiitants de Mars le 12 novembre 1879. observi'" sur Mars : ce sont les passages de la Terre devant le Soleil. Tout récemment, li' |-? novembre 1879, les journaux de la pla- nète onr dû retentir des préparatifs de l'observation de ce mémo- rable passaLie, dont les astronomes martiens tirent sans doute parti comme les m'itres des passages de Vénus, dans l'inlérèt delà science et dans celle du budget des fonctionnaires de l'État. En elTet, ce jour-là, vers -î heures de l'après-midi (heure de Paris), un petit point noirest entré sur le Soleil par le côté sud-est ; six minutesaprés avoir commencé d'échancrer son disque, il était entièrement entré, et lentement s'est avancé sur le Soleil, eu marchant de la gauche vers SATELLITES DE MARS la droite. Vers quatre heures un quart, un autre point noir beau- coup plus gros est arrivé à son tour sur le bord du Soleil et n'a pas employé moins de 21 minutes pour y pénétrer entièrement. Ces deux points noirs, c'était ?ions : c'étaient la Terre et la Lune, qui, ce jour-là, passaient devant le Soleil pour les habitants de Mars, comme Vénus y est passée, le 6 décembre dernier, pour les habitants de la Terre. Vers dix heures un quart du soir, la Lune est sortie du Soleil : la sortie de la Terre n'a eu lieu qu'à mi- nuit. C(> curieux et rare phénomène a coïncidé avec une belle éclipse de soleil par la première lune de Mars, laquelle est arrivée par la droite et en 25 secondes a glissé rapidement devant le Soleil. Un astronome anglais, M. Marth , qui a signalé ce fait, ajoute que les habitants de Mars ont dû être beaucoup plus intéressés par le passage de la Terre et de la Lune devant le Soleil que par l'é- clipse elle-même, attendu que dans le cours d'une année martienne il n'y a pas moins de 1388 éclipses de soleil par la première lune et de 133 par la seconde, tandis que les passages de la Terre sont excessivement rares; le dernier avant celui de 1879, ayant eu lieu pendant l'année 1800, et le prochain ne devant arriver qu'en 1905. Les diverses nations martiennes auront sans doute distribué un choix de missions scientifiques à la surface de leur planète, alin d'observer avec profit notre passage devant l'astre du jour et d'en conclure la parallaxe du Soleil, s'ils ne la possèdent déjà avec précision. Ce jour-là, il n'y avait que de minuscules taches sur le Soleil. Se doutent-ils qu'il y a du monde ici, et même du monde intelli- gent, qui observe, qui raisonne, qui n'admet que les vérités démon- trées, qui ne se laisse pas dominer par des idées imaginaires, qui ne reconnaît qu'à la science positive le droit d'instruire, qui ne perd pas son temps en puériles querelles, qui n'est pas divisé en partis nationaux armés les uns contre les autres?... Qui sait, en voyant la Terre si noire devant le Soleil, si proche de lui et comme brûlée par ses rayons, s'imaginent-ils peut-être que la moitié de ses habitants craignent de penser et abandonnent la direction de leurs consciences à des individus qui se chargent de raisonner pour eux! peut-être aussi nous prennent-ils pour des enfants qui passent la majeure SATELLITES Dli MAltS part.io (le Iciii" t('ni[is à joiior aux soldats et le. rcst(> à ]i;ms('i- lours Mcssures! . . . Couiiiio ils sont loin de la vérité ! S'il y a sur Mars des astronomes munis de télescopes analogues aux nôtres, il n'est pas douteux qu'ils aient pu tafileiiicnt savoir si leurs satellites sont habités. Nous avons vu, en effet, ((iie la première de lei,irs lunes plane à moins de 6000 kilomètres, et la seconde à moins de 20000 de la surface de Mars. 11 en résulte qu'un grossissement (le -^'OOO t'ois rapproi'li(> la pn-mière à 'A kilomètres et la seconde à 10 kilomètres. Si nous avions la même faveur pour la Lune! D'un autre côté, si ces petites lunes sont habitées, la vue de Mars est merveilleuse pour les observateurs du i)remier satellite. Sou disque soustend un angle do 42 degrés et demi, presque la moitié d'un angle droit, presque la moitié de la distance (pii s'étend de l'horizon au zénith. Du second satellite, le disque de Mars sous- tend eurore un angle de 16 degrés et demi. Ainsi, vu de Phobos, Mars paraît 80 fois plus large en diamètre, ou 6400 fois plus énorme que la Lune ne nous paraît ; vu de Dei- mos, il est encore en apparence 1000 fuis plus volumineux que la pleine-lune. Hemari[ue assez curieuse, cette grandeur de Mars vu du premier SATliLLllKS DK .MAl'.S satellite est prérisément la nirme que rolle de Jupiter, vu également de son premier satellite. Safiiriic, vu de la même station, parait seu- lement 900 fois plus étendu i[ue notre lune; mais, vu par un observateur placé sur le bord intérieur de l'anneau, à une dis- tance de 29000 kilomètres, son immense globe occupe une sur- face de 82 degrés et demi, presque le ciel entier de riKU'izun au zénith! Mais ces deux petites îles célestes, ces deux lilliputiennes pro- vinces sont-elles habitées? En voyant des astres si minuscules, on peut se demander si la doctrine générale de la pluralité des mondes, doit s'étendi'e jus(iu'à eux. Sans doute, ils seraient, comme la Belgique, indignes du sceptre d'un Alexandre, d'un César, d'un Charlemagne ou d'un Napoléon, de même que l'Angleterre ne tenterait sans doute l'am- bition de personne sans ses colonies qui aujourd'hui enveloppent la Terre. Et pourtant la minuscule petite Grèce antique ne brille- t-elle pas d'un éclat sans rival au-dessus de toute l'humanité intel- lectuelle? Ce n'est pas l'étendue d'un monde qui en constitue la vraie grandeur spirituelle. Mais toutefois, l'exiguïté d'un globe crée de si singulières conditions d'habitabilité, qu'il y a certaine- ment une limite à l'établissement des races intellectuelles. Cela n'empêcherait pas néanmoins ces globes minuscules d'être peu- plés d'êtres organisés suivant ces conditions, lesquels êtres ne seraient ni des hommes ni des animaux* supérieurs, mais peut- être des insectes de formes absolument étrangères à celles de la zoologie terrestre, munis d'autres sens et d'autres facultés que les nôtres. Cette question se rattache au problème général des conditions de la VIE SUR LES AUTRES MONDES, qui va être traité au chapitre sui- vant, complément et corollaire de tout ce qui précède, et dans lequel nous allons étudier tout spécialement le problème de l'habi- tation. CHAPITRE VIII Les habitants de Mars. — Conditions de la vie sur ce globe. Lois de la nature et forme des êtres : anthropologie comparée. - du séjour martien. — Le Ciel et la Terre vus de là. Etat Les chapitres qui précèdent ont exposé dans leur ensemble et dans leurs détails les analogies remarquables qui existent entre le monde d(^ Mars et celui que nous habitons; mais nous avons pi'is soin on même temps de signaler les di/fc/'ences qui se sont présentées au cours de notre exposition. 11 ne faudrait pas, en cSïvi, (|ue les antagonistes de la belle et grande doctrine de la Pluralité des mondes, qui, pour un(> raison ou pour une autre, refusent à la nature la faculté d'avoir multiplié dans l'espace les sc'jours de la vie et de la pensée, s'imaginent que ces différences embarrassent les partisans de cette théorie si rationnelle. Il n'en est rien. Les défenseurs de la doctrine de la vie universelle et éternelle apprécient la puissance et la fécondité de la nature et savent (|ue la variété des conditions, loiu d'être un obstacle à la manifestation de cette fécondité, sert.au con- ti'aire de prétexte et de ressort pour son exercice et son développe- ment. Ils savent que si notre planète, par exemple, avait été partout uniforme, sans différences de milieux et de climats, sans montagnes, sans , ISi;3, p. 39. (*) Faye, île l'institiit. Annuaire fin Bureau des long-itudes pour I87i, i>. 48o. (') Id. Id. {»J Id. Id. LES ÏEKKLS UL; CIEL M. Paye a montré d'un mot le néant de ces conceptions (sur la pluralité des mondes; : qu'il manque àralmosphùre de Mars les quelques millièmes d'acide carbonique que contient la nôtre, et voilà la vie animale et végé- tale imjjossiô/e sur celte jilauète i^'j. ' Un le voit, il n'y a rnôme plus ici de raisonnement humain; c'est - que l'un ne prenne point cette comparaison en mauvaise part — c'est un simple raisonnement de poisson : « Il n'y a pas d'eau salée dans les rivières, disait un poisson de ïrouville à un poisson du Havre; donc il n'y a pas de poissons dans les rivières. » Quant à s'élever plus haut dans l'appréciation des forces naturelles et à imaginer qu'il soit possible de vivre hors de l'eau, c'est une idée qui ne pourrait naître dans la cervelle d'aucun habitant des ondes. La science contemporaine, il faut l'avouer, est aussi peu philoso- phique que possible. Elle s'est partagée en casiers de bois et chaque savant n'est plus guère aujourd'hui que le formica-leo d'un casier. Ajoutez à cela l'habitude si bien enracinée chez les savants de perdre les 99 centièmes de leur temps en fonctions administratives ou en tourmentes ambitieuses, et vous comprendrez sans peine qu'il ne leur reste plus le temps de penser. Où sont, en effet, les penseurs qui faisaient autrefois la gloire de la science européenne? Où sont les Pascal, les Descartes, les Leibnitz, les Euler? L'esprit synthétique est mort. Il n'y a plus de penseurs! Car, il n'est pas inutile de le remarquer, les astronomes dont nous venons de citer les déductions anti-scientifiques et anti-philosophi- ques sont — à part quelques rares exceptions — les plus avancés, les plus littéraires, et ceux dont l'éducation est la plus complète, parmi les astronomes contemporains. Leurs collègues n'ont, en général, jamais même songé aux questions qui nous préoccupent ici. Nous pourrions, par exemple, citera ce propos un nom assurément illus- tre, un nom inscrit en lettres d'or au ciel, un nom immortalisé par l'une des plus splendides découvertes de la science moderne : Le Verrier. Eh bien ! l'immortel auteur de la découverte de Neptune, le Newton français qui, par la seule puissance du calcul, a senti la présence d'un monde éloigné à plus d'un milliard de lieues, (') Wolf, astronome de l'Observatoire de Paris, professeur à la Sorboune, maintenant membre de l'Institut, confcrenco faite à l'Association scientifique. LES TKRRES DU CIEL Le VerriiT, dans les rares conversations (iiic nous avons eues avec lui pondant ses dernières années, nous a lait entendre que, dans sa pensée, les recherches relatives à l'existence de la vie sur les autres mondes sont en dehors du cadre de l'Astronomie, et d'ailleurs com- plètement inutiles. Il faut dire, du reste, que Le Verrier était fort peu curieux, si peu même, qu'après avoir découvert Neptune par le calcul et avoir signalé le point du ciel où la mystérieuse inconnue devait se trouver, il n'eut même par la curiosité de prendre une lunette (celles de l'Observatoire de Paris étaient à sa disposition) et de regarder si vraiment la fameuse planète était là ! Gomme son éclat égale celui d'une étoile de huitième grandeur, la plus petite Innette eût permis de la trouver, lors même qu'on n'eût pas en la carte des étoiles de cette région. Ce n'est qu'un mois aprt'îs qu'un astronome allemand, M. Galle, la chercha, et la trouva, en effet, eu une heure de recherches. Et quand Le Verrier eut reçu la nouvelle de cette constatation évidemment fort importante pour lui, il n'ont pas davantage le désir de la vérifier. Je crois même qu'il n'a jamais vu Neptune. Soit dit en passant, l'exemple illustre que nous venons de choi- sir doit montrer ici que, tout en regrettant de voir des savants respectables en antagonisme avec des opinions que nous tenons pour essentiellement scientifiques et pour extrêmement importantes au point de vue philosophique, opinions partagées d'ailleurs par les plus grands esprits de tous les siècles, nous ne mettons aucunement en doute leur valeur personnelle comme savants. C'est comme penseurs que nous signalons la décadence des successeurs de Pascal et de Descartes. Et c'est notre devoir; car il ne serait pas légitime de laisser sans réponses les insinuations f) proférées contre (') « La satisfaction d'apprendre que deux ou trois esprits supérieurs avaient deviné le secret de notre isolement et de notre faiblesse était une maigre compensation poui tant d'illusions perdues (la Terre centrale et l'univers créé pour elle seule). De là l'idée de la Pluralité des Mondes habités, avec laquelle Fontenelle et ses contemporains tâchè- rent de dédommager les lettrés en leur présentant l'univers comme un vaste ensemble de mondes indépendants qui assurent spontanément à la vie dans toute sa plénitude et sous toutes ces faces un développement illimité. La science actuelle, prise à la surface, semble confirmer ce courant à'idées médiocres {\) qui a succédé effectivement aux doc- trines de l'antique philosophie. » Faye, Annuaire du Bureau des lonjUudes pour 1874-, Pi 477. C'est avec un sentiment de surprise et de regrets que l'on a vu l'un de nos astronomes LES TEKRES DU CIEL les apôtres d'une doctrine dont ils ne comprennent pas la gran- deur. Il est incontestable que, vue et jugée sans idée préconçue, la Terre n'a reçu aucune distinction spéciale qui en fasse une exception dans la famille du Soleil. Néanmoins, les antagonismes de la doctrine philosophique de la vie universelle trouvent le moyen de s'aveugler au point de supposer tout le contraire de ce qui est, et de trouver dans l'état des choses terrestres une préparation providentielle et détaillée pour les circonstances de la vie. Voici comment raisonne, par exemple, l'un des plus récents auteurs qui aient écrit sur la matière (') : La Terre a été particulièrement placée pour recevoir la vie, laquelle ne peut provenir des combinaisous de la matière inanimée et n'est duo qu'à un miracle spécial de la volonté divine. Placée justement à la distance convenable du Soleil, la lumière et la chaleur qu'elle en reçoit sont précisément au degré voulu pour favoriser la vie. La végétation adaptée pour soutenir la vie animale reçoit la quantité exacte de calorique qui lui convient. L'atmosphère est composée d'éléments combinés avec précision pour entretenir la vie, tant animale que végétale. La surface du sol est arrangée en plaines, vallées, montagnes, rivières, mers, juste comme il convient pour une quantité d'eau ni trop grande ni trop petite. français les plus instruits, M. Faye, président du Bureau des longitudes et membre de l'institut, traiter ainsi la grande et immortelle doctrine delà Pluralité des Mondes d'une « idée médiocre », passer en revue les différents astres sous le rapport des conditions astronomiques de la vie et les éliminer tous successivement parée qu'ils ne sont pas identiques à la Terre : la Lune parce que son atmosphère n'est pas sensible, Jupiter parce qu'il n'est pas assez dense, Uranus parce que les saisons y sont trop longues et trop prononcées, Saturne parce qu'il a des anneaux qui donnent de l'ombre, etc. C'est à peine si Mars trouve grâce : « encore faut-il avouer que l'aspect invariable de ses conti- nents rouges, contrastant avec ses mers légèrement verdâtros. n'est guère favorable à l'idée d'une vie organique largement développée à sa surface. » I. 'auteur tient a affir- mer sous toutes les formes qu'il prend son liorizou pour les bornes du monde. Iluygens, après avoir découvert le principal satellite de Saturne, en 16ob, a eu l'imprudence d'écrire que ce satellite est sans doute le seul, car, « comme il n'y a que six planètes, il ne doit exister que six satellites », et en 1729, alors que cinq satellites étaient découverts, un savant anglais ajoutait encore qu'il était inutile d'en chercher d'autres, car, écri- vait-il : « les découvertes en optique sont arrivées à leur terme »... Dans le paradis lerrestre, .\dani et Eve ont dû croire que la mode ne changerait pas. (') The lieaveny bodies, their nature and UibtUibilUy, by William .IJiller. — Lon- dres, 1883. LES TERKES DU CIEL Parfailumcnt combinées aussi sont les distances respectives du Soleil et de la Lune, pour que; les marées ne soient pas trop fortes et n'amènent pas d'inondations. Le flot va juscjua-là, et n'ira pas plus loin. Le Créateur a poussé le soin jusqu'à élever, par des soulèvements au-des- sus du niveau de la mer, les pierres formées au fond de l'Océan pour que nous puissions nous en servir pour construire nos habitations, et jusqu'à préparer dans les mines de houille le charbon de terre que nous devions brûler. Ce but est évident par ce seul fait que les animaux n'ont pas besoin de pierres et de charbon, et que c'est l'homme seul qui s'en sert. La laine, le coton, le fil, la soie ont été créés en vue des services qu'ils devaient rendre à l'homme, etc., etc. En un mot, la planète, dans tous ses détails, a été construite, arrangée, préparée tout exprès pour l'homme, et rien ne prouve que Dieu ait eu la fantaisie d'en faire autant ailleurs. On le voit, c'est toujours le raisonnement du poisson : « L'eau est l'élément de la vie; donc on ne peut pas vivre hors de l'eau ». Une grenouille raisonnerait déjà mieux, par la seule raison qu'elle est amphibie. L'excellent Bernardin de Saint-Pierre ne peusait-il pas que les marées ont été faites pour permettre aux navires d'entrer au Havre? Lorsqu'on objectait à la tradition de la création du monde il y a six mille ans, les découvertes géologiques et paléontologiques, ne répon- ) Ce calcul fantaisiste a du reste été fait par un ministre protestant, Thomas Dick, dans son ouvrage Celeslial scenery (1837), en prenant pour base la statistique de l'.\ngleterre, à raison de 280 habitants par mille carré. Le voici : POPULATION DES PLANÈTES Mercure 8 960 000 000 Vénus .ï3 500 000 000 Mars 15 bOO 000 000 Vesta Gi 000 000 Junon i "SC) 000 000 Cérès 2 319 962 400 Pallas 4 009 000 000 Jupiter 6 967 520 OOn 000 Saturne 5 488 000 00(1 000 Anneaux de Saliiriie 8 141 903 820 000 Uranus 1 077 368 800 000 La Lune 4 200 OOO 000 Satellites de Jupiter 2G 673 000 000 Satellites de Saturne o5 UT 824 000 Satellites dUranus 47 500 992 000 Total 21 894 974 401 480 LES TERRES DU CIEL Uncî vue gùnérale de cette grande question de la vie universelle et éternelle nous montre les forces de la nature partout en activité, mais en des conditions variées. Les mondes eux-mêmes naissent, vivent ot meurent, et dans la durée de leur existence, la période illustrée parla vie intellectuelle d'une humanité est sans contredit beaucoup plus courte que la période de préparation et que celle de l'extinction. La Terre a été des milliers de siècles sans être habitée par des êtres intelligents, et après le dernier soupir du dernier homme, elle roulera pendant des milliers de siècles comme une tombe déserte et silencieuse. C'est donc dans le sens de l'éternité qu'il faut envisager aussi la question de la vie universelle, car suc- cessivement les différents mondes se développent à travers les âges. Il peut se faire aussi qu'un grand nombre de mondes subissent des arrêts de développement et n'arrivent jamais, à aucune époque de leur durée, à porter une race quelque peu intelligente. Il peut se faire également que d'autres mondes arrivent rapidement à donner le jour à des humanités si supérieures que les enfants y résolvent natu- rellement des problèmes restés fermés au génie des Archimède, (les Newton et des Kepler, et que des esprits aussi éminents que Jésus, Socrate, Platon, Gonfucius, Boudha, n'y seraient comparati- vement que de médiocres moralistes. Mais ce que nous devons voir, sous un aspect général, c'est, parmi les milliards de planètes qui doivent graviter autour des innombrables soleils de l'espace, des miUions de mondes habités, des légions d'êtres inconnus enfantés par les forces de la nature, absolument différents de tout ce qui existe sur notre planète. A quoi il faut ajouter la population de la Terre, alors évaluéeà 800 000 000 d'habitants, et celle du Soleil, que l'auteur estime a. 681 184 000 000 000. C'est donc à 70:j trillions ■79 milliards 774 millions que notre excellent calculateur fixe la population du sys- tème solaire. Pas une planète n'a trouvé grâce, ni un seul satellite, ni les anneaux de Saturne, ni le Soleil : tout est habité actuellement par des individus construits à -ïotre image. .\ son calcul, il faudrait ajouter Neptune, les satellites de Mars et sûtes les petites planètes découvertes depuis 1837. 11 est aussi puéril de prétendre que .ous les mondes sont actuellement habités que de prétendre qu'il n'y en a aucun d'ha- bitable. Mais l'esprit humain aime à se précipiter toujours dans les extrêmes. Le plus joli du calcul précédent est qu'il y aurait cinq fois plus d'habitants sur la Lune que sur la Terre. Comme il n'y a pas d'océans là, l'auteur n'a pas voulu qu'il y eût un centi- mèlrc de perdu. Cette exigence rappelle la repartie de Fontenelle aux objections qui lui étaient faites contre les habitants de la Lune : « Quand il n'y aurait que du sel sur les rochers, je le ferais plutôt lécher par les habitants que de n'y en point mettre. » ... Là descend du ciel une autre lumière, là fleurissent des plantes qui ne sont pas des plantes... Tr.r.r.F.s Df CIEL 23 LES TKl'.UES DU CIEL Xénoplume disait, il y a deux raille ans, qu(; si les bœufs avaient l'idée de penser à une puissance suprême et do se représenter un dieu quelconque, ils se le figureraient sous la forme d'un bœuf. Si les animaux qui habitaient la Terre il y a cent mille ans avaient fait des conjectures sur la pluralité des mondes, ils auraient, par analogie, peuplé les astres d'animaux sauvages et non raisonnables, et n'au- raient sans doute pas songé à la possibilité d'une race intellectuelle de la nature de la nôtre. Si une planète était peuplée de séraphins, ses philosophes seraient portés à croire qu'il n'y a que des séraphins sur tous les mondes de l'espace. C'est là une analogie trop étroite. Répétons-le cent fois pour une : nous ne sommes pas le type de la création; nous ne sommes ni aussi beaux ni aussi parfaits que l'on nous l'assure, et il n'y a aucune bonne raison pour que l'Hercule Farnèse ou la Vénus Callipyge représentent le type des habitants de tous les mondes. Il est temps de faire justice de ces fantaisies et de ces pusillani- mités. Malgré le regrettable mouvement de recul essayé par les savants contemporains, — mouvement comparable à celui qu'on observe de temps à autre en politique chez les hommes mêmes qui sont à la tète des gouvernements et qui devraient donner l'exemple du perfectionnement social, — il n'est pas contestable que la planète que nous habitons n'a reçu de la nature aucun privilège spécial et qu'il n'y a aucune bonne raison pour prétendre qu'elle soit, pendant toute l'éternité, le seul monde habité de l'univers, — pour oser sou- tenir que les forces de la nature sont partout restées improductives parce que les conditions d'existence diffèrent d'une région à l'autre, — et pour s'imaginer naïvement que notre imperceptible et misérable foLU-raiUère doive être le type de toute terre habitée ou exister seule au monde. En principe, le penseur admet, rationnellement, que tout monde qui arrive à son terme devient le séjour d'une humanité quelconque; mais que, notre époque actuelle n'ayant pas plus d'importance qu'une autre dans l'éternité, il n'y a aucune raison pour supposer que les autres mondes de notre système, ainsi que ceux qui gravi- tent autour des innombrables soleils disséminés dans l'infini, soient justement arrivés en ce moment à leur époque d'habitation. Ces époques ont existé pour certains mondes il y a des millions d'an- LES TEURES DU CIEL nées, et elles n'existeront pour d'autres que dans des millions d'années. Cette contemplation générale de la vie universelle ainsi posée en principe, nous pouvons, rationnellement aussi, nous demander quelles espèces d'êtres peuvent éclore sur les autres mondes. Et ici, en nous souvenant des pensées que la première vue des Terres du ciel nous inspirait dès les premières pages de cet ouvrage, nous pourrions dire encore : « Là brille un autre soleil, là descend du ciel une autre lumière, là souffle un air qui n'est point terrestre; là fleurissent des plantes qui ne sont pas des plantes, là coulent des eaux qui ne sont pas des eaux; là reposent des paysages, des lacs, des forets, des mers, que nos yeux n'ont point vus et qu'ils ne pour- raient point reconnaître ». Transportée sur l'aile de la science jus- qu'aux frontières d'un autre monde, notre imagination éprouve un intime bonheur à sentir que la vie existe réellement dans les régions de l'espace, mais elle n'est pas satisfaite, parce qu'elle reste suspendue devant la question qui se [Ose immédiatement : Com- ment sont organisés nos collègues de Mars et des autres mondes? Ce n'est pas que les réponses manquent. Le lecteur curieux de se former une idée de la puissance de l'imagination humaine et de la richesse de ses facultés pourrait feuilleter sur ce point l'ouvrage que nous avons consacré à cette revue spéciale des théories humaines sur les habitants des astres ('), et sans contredit cette lecture lui offrirait plusd'un côté pittoresque. Sans entrer dans aucun détail sur cet aspect plutôt romanesque et artistique que théorique et scienti- fique de la question qui nous occupe ici, nous pouvons rappeler que maintes fois on est allé jusqu'à représenter parle dessin les citoyens des patries célestes. Nous ne parlons pas des anges, des archanges, des chérubins, des séraphins, des trônes, des puissances, des domi- nations et de tous les personnages imaginaires de la milice céleste inventée par les théologiens en vacances. Et pourtant, ce serait là une revue fort curieuse à passer, sui^tout si nous voulions lui adjoin- dre celle de la milice infernale, plus nombreuse, plus riche, plus variée et plus intéressante encore, quoique non moins imaginaire. Mais au point de vue purement astronomique, les colonisateurs de planètes n'ont pas manqué. (') Les Mondes imaginaires et les Mondes rérls. LES TKKRES DU CIEL .lordano Bruno, dans son ouvrapH sur « l'Infini, l'Univers et les Mondes »; Kepler, dans son « Songe astronomique » ; Godwin, dans a l'Homme dans la Lune » ; Cyrano de Bergerac, dans son « Voyage dans la Lune » et dans ses « Etats et Empires du Soleil » ; Kircher, dans son « Voyage extatique céleste » ; Fontenelle, dans ses « Entre- tiens sur la Pluralité des Mondes »; Huygens, dans son « Cosmo- •î^'-..,. .,^-^^1.- ->>*~^^^ ^^-^Lî^. ,. ..u.-t; 1 FiR. 8o. — Scène imaginaii'e chez les habitants de Jupiter. théoros »; Niel Klim, dans son « Voyage aux planètes souterraines »; Voltaire, dans « Micromégas » ; Swedenborg, dans ses a Arcanes cé- lestes » ; Wolff, dans ses « Études planétaires » ; Gudin, dans son livre « De l'Univers >- ; l'auteur anonyme des « Découvertes faites dans la Lune par Herschel » en 18;i3; Edgar Poë, dans son « Aven- ture d'un certain Hans Ptaall »; Boitard, dans sa « Descrii)tion des pla- nètes » ; Brewster, dans son ouvrage « Il y a plus d'un monde » ; Allan Kardec dans « le Livre des Esprits « ; M. Victorien Sardou, dans LES TERRKS DU CIEL un curieux article intitulé « Des Habitations de la planète Jupiter », publié par la Revue spirite de 1858; M. Henri de Parville, dans « Un Habitant de la planète Mars » ; M. Victor Dazur, dans « le Régi- ment fantastique»; M. Blanqui, dans « l'Éternité par les astres », et, tout récemment encore (1883), M. Vernier dans «l'Étrange voyage », ainsi qu'un grand nombre d'autres écrivains moins connus, ont non seulement écrit sur les habitants des astres, mais ont encore imaginé leui's formes, leurs modes d'existence, leur état intellectuel et moral, leurs mœurs et leurs habitudes ('). (1) Pour n'en signaler ici qu'un exemple, aussi intéressant que peu connu, nous avons reproduit (fig. 85) un dessin fait et gravé par M. Victorien Sardou lui-même, — long- temps avant sa candidature à l'Académie française — dessin ayant pour objet de repré- senter une habitation du monde de Jupiter. Cette habitation est toute végétale; elle est agréablement fleurie. On voit des êtres suspendus ou envolés. En bas, des joueurs s'exercent à un jeu de quilles particulier : il s'agit, non de renverser les quilles, mais de les coiffer, comme au bilboquet. Ces êtres ne sont pas les habitants de Jupiter; ce sont des animaux à leur service. Cette ville de Jupiter, nommée Julnius, se compose de deux cités, l'une, « la ville haute » est flottante dans l'air, l'autre, la « ville basse >> est construite sur la terre ferme. Les animaux habitent la seconde, les hommes-esprits habitent la première. Mozart, Cervantes, Palissy étaient voisins de campagne. Une note annexée à la publication de ce dessin ajoutait que l'auteur ne savait m dessiner ni graver, et que toutefois cette figure avait été directement gravée par lui à l'eau-forte, en neuf heures, sans aucune étude préalable. Elle était signée « Bernard Palissy ». Le spirituel auteur de Nos Intimes, des Pattes de Mouches, de Divorçons, a créé cette composition, ainsi que plusieurs autres, dans cet état particulier de l'esprit que l'on désigne sous le nom de médiumnité, et c'est en effet comme médium qu'il l'a signée. C'est un état dans lequel on n'est ni endormi, ni magnétisé, ni hypnotisé d'aucune façon. On est tout simplement recueilli dans un cercle d'idées déterminé. Le cerveau agit alors, par l'intermédiaire du système nerveux, un peu autrement que dans l'état nor- mal. La différence n'est pas aussi grande qu'on l'a supposé. Voici principalement en quoi elle consiste. Dans l'état normal, nous pensons à ce que nous allons écrire, avant de commencer l'acte d'écrire; nous construisons notre phrase dans notre pensée avant de la traduire par le langage ; nous agissons directement pour faire marcher notre idume, notre main, notre avant-bras. Dans cette autre condition, au contraire, nous ne pensons pas avant d'écrire, nous ne faisons pas marcher notre main, nous la lais- sons inerte, passive, libre; nous la posons sur le papier, en faisant en sorte qu'elle éprouve la moindre résistance possible ; nous pensons à un mot, à un chiffre, à un trait de plume, et notre main écrit d'elle-même, toute seule. Mais il faut penser à ce que l'on fait, non pas d'avance, mais sans discontinuité, autrement la main s'arrête. Essayez, par exemple, d'écrire le mot océan, non pas comme d'habitude, en l'écrivant volontairement, mais en prenant un crayon, en laissant simplement votre main libre- ment posée sur un cahier, en pensant à ce mot, et en observant attentivement si votre main l'écrira. Eh bien ! votre main ne tardera pas à écrire un o, puis un c, et ainsi de suite. Du moins, c'est l'expérience que j'ai faite sur moi-même, il y a un quart de siècle, lorsque, à la même époque que mon illustre et érudit ami Victorien Sardou, i.i;s IL 11 m; s du cill Rovriions aux hvpothrscs laites sur la lormo des habitants des autres inondes. Nous sijiualions toiit-à-riieure parmi les prineipaux ouvrages écrits sur le sujet, celui de notre savant ami H. de Parviile intitulé : L'n habitant de la platu'te Mars. On remarrpu' dans cet ouvrage le dessin reproduit ici (//r/. 86), représentant ledit haiùlant apporté sur la Terre dans un aérolithe. Nous ne pouvons pas créer de formes étrangères à celles que nous connaissons : c'est encore là un animal qui ressemlile plus ou niuins aux êtres terrestres. Fig. Rfi. — H;il)it;int imaginaire de la pianote Mars. Il ne faut consiilérer ces romans astronomiques que comme des œuvres d'imagination. Si nous voulions essayer de nous représenter l'état des autres mondes au point de vue de l'intéressant proLlème j't'tiidiais les nouveaux pi-oblèmes du spiritisme et du magnétisme. [J'ai toujouii pensé que le cerele de la science n'est pas fermé et qu'il nous reste bien des choses à apprendre]. Dans ces expériences, il est très facile de s'abuser soi-même et de croire que notre main est sous l'influence d'un esprit différent du nôtre. Je dois dire cepen- dant que bi conclusion de ces expériences a été que l'action de ces esprits étrangers n'est pas nécessaire pour expliquer les phénomènes observés. Le spiritisme ne nous a absolument rien appris en astronomie, et les conjectures écrites parles médimns n'ont pas été confirmées par les découvertes récentes. Sur Jupiter, notammi'ul, l'c'tat d'habitation ne peut pas être tel qu'on l'avait indiqué. Mais ce n'est pas ici le lieu d'entrer d;ins plus de di^tails à l'égard d'un sujet qui a été josipi'à iir('S(>ul jibis cxiilnilé [lai' di's spécidalcurs (piiOuilic par des sa\:nils. LES TERRES DU CIEL de leur habitation par des races intellectuelles, la méthode à suivre devrait être essentiellement et exclusivement scientifique, et se con- clure de la synthèse des faits acquis à la physiologie, à la géologie et à l'ontologie générale. C'est là un essai qui, grâce aux progrés actuels de la science, peut être, croyons-nous, tenté sans trop de présomp- tion. Examinons au moins la question. Los études de la physiologie positive et de la statistique moderne démontrent scientifiquement que le corps humain est le produit de la planète terrestre : son poids, sa taille, la de'usité de ses tissus, le poids et le volume de son squelette, la durée de la vie, les périodes de travail et de sommeil, la quantité d'air qu'il respire et de nourri- ture qu'il s'assimile, toutes ses fonctions organiques, même celles qui paraissent le plus arbitraires, et jusqu'aux époques maxima des naissances, des mariages et des décès, en un mot, tous les éléments de la machine humaine, sont oi^ganisés par la planète. La capa- cité de nos poumons et la forme de notre poitrine, la nature de notre alimentation et la longueur du tube digestif, la marche et la force des jambes, la vue et la construction de l'œil, la pensée et le déve- loppement du cerveau, etc., etc., tous les détails de notre orga- nisme, toutes les fonctions de notre être sont en corrélation intime, absolue, permanente, avec le monde au milieu duquel nous vivons. La construction anatomique de notre corps est la même que celle des animaux qui nous précèdent dans l'échelle de la création. Nous sommes faits comme nous le sommes, parce que les quadrupèdes mammifères sont construits comme ils le sont; et ainsi toutes les espèces animales se suivent comme les anneaux d'une même chaîne, et, en remontant d'anneau en anneau, on retrouve les premiers organismes rudiraentaires, qui sont plus visiblement encore, mais pas davantage, le produit des forces qui leur ont donné nais- sance. C'est là une vérité dont il n'est plus permis de douter aujourd'hui, à moins d'être resté étranger à tout le mouvement de la physiologie contemporaine et de s'être tenu à l'écart des admirables travaux qui illustrent la seconde moitié du XIX' siècle dans la solution du grand problème de l'origine des espèces, travaux qui ont absolument trans- formé la paléontologie classique de Cuvier et de ses émules. LES HABITANTS DE MARS Los espèces se sont lentement succédées à la surface de notre planète. Elles ont commencé, à l'époque lointaine de la période pri- mordiale, par les organismes les plus simples, aussi bien dans le rè- gne animal que dans le règne végétal. Les premières plantes méri- tent à peine ce titre : elles n'ont ni feuilles, ni fleurs, ni fruits. Les premiers animaux sont des invertébrés, des mollusques, des objets gélatineux qui n'ont ni tête, ni sens, ni système nerveux et qui, à proprement parler, ne sentent pas. Par le perfectionnement séculaire des conditions organiques de la planète, par le développement gra- duel de quelques organes rudimentaires, la vie s'améliore, s'enri- chit, se perfectionne. Pendant l'époque primordiale, on ne voit que des invertébrés flottant dans les eaux encore tièdes des mers primi- tives. Vers la fin de cette époque, pendant la période silurienne, on voit apparaître les premiers poissons, mais seulement les cartilagi- neux : les poissons osseux ne viendront que longtemps après. Pendant la période primaire commencent les grossiers amphibies et les lourds reptiles, les lents crustacés. Des îles s'élèvent du sein des ondes et se couvrent d'une végétation splendide. Mais le régne animal est en- core bien pauvre. Ce n'est que pendant l'âge secondaire qu'il se diver- sifie en espèces bien distinctes et nombreuses. Les reptiles se sont développés: l'aile porte l'oiseau dans les airs; les premiers mammi- fères, les marsupiaux, habitent les forêts. Pendant l'âge tertiaire, les serpents se détachent tout à fait des reptiles en perdant leurs pattes (dont les soudures primitives sont encore visibles aujourd'hui), le reptile-oiseau, archéoptérix, disparaît aussi, les ancêtres des simiens se développent sur les continents en même temps que toutes les fortes espèces animales. Mais la race humaine n'existe pas encore. L'homme va apparaître, semblable à l'animal par sa constitution anatomique, mais plus élevé dans l'échelle du progrès et destiné à dominer un jour le monde par la grandeur de son intelligence. Les couches géologiques du globe terrestre, que nous retournons aujourd'hui comme les feuillets d'un livre, nous montrent ainsi cette succession de fossiles ensevelis. Les espèces se sont suc- cédées en se développant graduellement, comme les rameaux d'un même arbre. Elles dérivent d'une même source; elles se rattachent entre elles comme les anneaux d'une même chaîne; elles appartien- nent au même ordre de choses; elles réalisent le même programme. f . H elle se Fig. 87. — Arbre généalogique des habitants de la Terre. TERRES DD CIEL. 24 LES HABITANTS DE MARS On peut se rendre compte de cette succession à l'examon de notre figure 87, qui représente l'arbre généalogique des habitants do la Terre : cet arbre résume en un même tableau les faits que nous venons d'exposer. Quant à la durée de cette création de la vie terrestre, nous pouvons adopter sur ce point l'opinion de Haeckel, qui conclut de la comparaison de l'épaisseur et de la richesse des couches, qu'en re- présentant par le chiffre 100 l'âge du monde depuis l'origine des pre- miers invertébrés, la première époque a dû prendre déjà pour elle seule plus de la moitié de cette durée, tandis que l'époque actuelle n'en a consommé qu'une minime fraction ; en n'accordant que cent milh; ans à l'càge quaternaire, âge de la nature actuelle, la période tertiaire aurait régné pendant trois cent mille ans auparavant, la pé- riode secondaire pendant douze cent mille ans, la période primaire pendant plus de trois millions, et la période primordiale pendant plus de cinq millions d'années. Total : dix millions. Mais qu'est-ce encore que cette histoire de la vie comparée à l'histoire totale de la planèlo, puisqu'il a fallu plus de trois cents millions d'années pour la refroidir au degré d'habitabilité? L'enseignement de la nature établit ainsi, d'une part, par la géo- logie et la paléontologie, que les espèces se sont succédées en se per- fectionnant graduellement, qu'elles se rattachent entre elles par leur origine, et qu'elles sont toutes parentes. L'homme ne descend pas des singes actuels, pas plus que des reptiles ou des invertébrés ac- tuels. Il dérive, comme les anthropoïdes et les singes, des prosimiens aujourd'hui disparus, et, en remontant plus haut encore, de marsu- piaux, d'amphibies et de poissons depuis longtemps disparus de la scène du monde. Au surplus, l'examen détaillé de notre corps con- firme cet enseignement de la paléontologie. Nous avons conservé, encore aujourd'hui, des organes rudimentaires atrophiés, qui ne nous servent absolument à rien, et qui proviennent de nos ancêtres ani- maux, par exemple les muscles de l'oreille, qui servaient à mouvoir l'oreille chez ces animaux, le petit repli que nous portons à l'angle interne de l'œil, et qui était une troisième paupière, etc. Tous les animaux ont de même ces organes rudimentaires inutiles provenant de l'héritage de leurs ancêtres. Les poissons qui vivent dans les ca- vernes ont encore des yeux, mais des yeux atrophiés, incapables de voir. Les oiseaux qui ne volent plus ont encore des ailes (autruche, A N F II r. Il 1' U L U (i 1 E C 0 .M l' A 11 E ïr casoar), mais elles ne leur servent plus, car ils ont perdu l'usnue de voler. Les serpents boas et pythons portent encore à la partie pustr- rieure de leur corps quelques pièces osseuses inutiles, reste des iikmu- bres postérieurs qu'ils ont perdu, etc., etc. Si nous voulions faire ici en détail l'analyse du corps humain, nous constaterions (|ue l'anatomie confirme absolument la gé(»logie et la paléontologie. Mais ce n'en est pas ici le lieu, quoique, en lait, nous ne sortions en aucune façon de la question posée : « Comment les iiabitants des autres mondes sont-ils construits? » et que nous établissions précisément par cette exposition les prémisses de sa ii^' bS — Les origines de llioinme : Lias et pâlies coiupuiées solutiiiu scientifique. Signalons notre parenté avec toute la nature terrestre. Comparons, par exemple, la main de l'homme avec les pattes du gorille, de l'orang-outang, du chien, du phoque, du dauphin. Sur notre figure 88, la partie blanche représente les os et la partie ombrée la chair. On voit que, anatomiquement, c'est la 7nême structure. La conclusion serait identiquement la même si nous conqiarions entre eux les squelettes tout entiers de l'orang, du cîiimpanzé, du gorille et de l'homme. L'homme s'élève graduellement (voy. fi(j. S!)) de l'horizontalité de la nature animale vers la nolilesse de la posi- tion verti{';ilr i[ui doit dominer le [laimi-inia du Monde. La comparaison des cerveaux conduit à la même conséquence. Le cerveau n'est que l'épanouissement de la moelle épinière : la partie LES HABITANTS I) K MAIIS antérieure de la moelle épinière se développe d'espèce en espèce, devient le cerveau, lequel à son tour grandit, s'accroît et s'enrichit avec l'exercice des facultés intellectuelles. On le voit, tous les faits d'observation s'accordent entre eux pour montrer que le type humain s'est lentement formé en passant par toute la série de la nature vivante ; d'où il résulte qu'il n'est pas dû à lu fantaisie ou à la volonté arbitraire d'un Créateur, qui l'aurait tiré du néant jiar un acte miraculeux étranger au développement nor- ri^'. 8'J, — Les origines de l'homme : squelettes comparés mal de la nature terrestre, et que par conséquent ce type provient de la zoologie de notre planète aussi naturellement que le fruit produit par ;m arbre. Cette importante conclusion est encore sura- bondamment démontrée par une science étrangère aux précédentes, et qui, sans avoir rien de commun avec la géologie ou la paléonto- logie, vient cependant donner identiquement le même témoignage sur cette importante question de l'origine de l'homme. Nous voulons parler de l'embryogénie. En effet, chacun de nous a passé dans le sein de sa mère par les principales espèces animales qui existent encore aujourd'hui; chacun de nous a d'abord été une simple petite AN'T11U0I'(I1.(»(.I !•■, C.dMI'AUEE cellule organique, ni plus ni moins qu'un modeste poulet; chacun de nous a commencé par être une petite sphère, un ovule mesurant un quinzième de millimètre, puis notre emhryon a été pareil à celui d'un poisson; ensuite à celui d'un amphibie; ensuite à celui d'un reptile; ce n'est qu'après plusieurs semaines de la vie embryon- naire qu'apparaissent les caractères particuliers aux mammifères; pendant les premières semaines, il est absolument impossible de distinguer l'embryon de l'homme de celui des autres mammifères, des oiseaux, des reptiles et des poissons; il y a parallélisme parfait entre l'évolution embryologique de l'individu et l'évolution p;iléon- Fig. 90. — Les origines de rtioniine ; embryons comparés. tologique du groupe entier auquel il appartient. En parcourant ainsi une série de formes transitoires, l'homme résume dans une succ(!s- sion rapide la longue série évolutive des formes par lesquelles ont passé ses ancêtres, depuis les âges les plus reculés. Ceux d'entre nos lecteurs qui n'ont pas eu l'occasion de faire eux-mêmes ces études un peu spéciales, se rendront exactement compte de ces faits si importants par l'examen de notre figure 90, qui représente les embryons comparés de la tortue, de la poule, du chien (M: de l'homme dans les premières phases de leur formation. Ainsi, tous les enseignements de la nature s'unissent pour nous montrer que l'homme est le résumé perfectionné do toute la série zoologique terrestre qui l'a précédé sur la scène du monde, que la forme humaine n'est pas arbitraire, et qu'elle est due, comme celle de tous les êtres vivants qui peuplent la Terre, à la combinaison des LES HABITANTS DK MARS forces organiques en ai'tivitô sur la planète. Il en est nécessairement de môme sur les autres mondes. Et puisque sur ces autres mondes les forces organiques ne sont pas dans le même état d'activité que chez nous, comme les combinaisons des éléments ne sont pas les mêmes, comme les milieux diffèrent d'une planète à l'autre, que la lumière, la chaleur, l'électricité, la pesanteur, la composition atmosphérique, etc., etc., difîèrent suivant les régions célestes et sui- vant les systèmes, les premières formes animales et végétales ont du différer dès l'origine, bifurquer de plus en plus, de sorte que la dernière espèce animale, celle qui sur chaque monde est devenue ou deviendra l'espèce intellectuelle, doit être aussi la résultante de la série zoologique de chaque monde et par conséquent doit absolu- ment différer de celle à laquelle nous appartenons sur la Terre. Ces déductions nous paraissent judicieusement établies ('). Sans prétendre déterminer dés maintenant l'état physiologique des habitants de Mars, ne pourrions-nous essayer d'appliquer les considérations qui précèdent aux documents encore trop rares que nous possédons sur l'habitabilité de cette planète? (1) Par tles considérations complètement étrangères aux témoignages de la science, la plupart des romanciers du ciel n'ont voulu voir chez les habitants des auties mondes que des êtres semblables à nous et reproduisant dans tout l'univers les mêmes actes, les mêmes sentiments, les mêmes passions que celles qui régissent l'humanité terrestre. On a même vu récemment, non sans curiosité, un auteur plus connu dans la politique que dans la science, A. Blanqui, assurer dans une publication originale « l'Éternité par les astres » que, comme il n'y a qu'un certain nombre d'éléments et de combinai- sons, toutes les combinaisons possibles, malgré leur multitude, ont un ferme, et dès lors doivent se répéter pour peupler l'infini. Il en résulterait que quoiqu'il y ait un nombre incommensurable de terres différentes de la nôtre, cependant il doit en exister un très grand nombre de semblables. Parmi ces terres semblables, plusieurs ont bifurqué à cause de la différence des conditions, mais cependant plusieurs se seraient développées absolument dans le même sens, et auraient finalement donné naissance aux mêmes êtres, à la même humanité, aux mêmes nations, aux mêmes villes, aux mêmes familles et aux mêmes hommes, portant les mêmes noms qu'ici . be telle sorte que, le nombre des combinaisons étant fini, et l'étendue de l'univers étant infinie, la nature ;i été forcée de tirer chacun de ses ouvrages à des milliards d'exemplaires, et cela pen- dant toute l'éternité : si bien, conclut l'auteur, que la Terre, la France, Paris, nos per- sonnes, existent actuellement, ont toujours existé et existeront toujours en plusieurs endroits à la fois. Ainsi nous serions immortels d'une façon assuiément inattendue, sans le savoir et sans jamais nous en douter. Cotte théorie originale pèciie par la base. Lors même qu'il n'y aurait chimiquement qu'un seul corps simple primitif, au lieu de soixante-quatre, la nature pourrait varier à l'infini se^ modes d'existence et d'activité, sans jamais se répétiT. La voie indiquée plus haut nous parait être la seule scientifique et l gique. LES HABITANTS DE MARS Déjà, tous nos lecteurs l'ont remarqué, des divers mondes du système solaire, Mars est sans contredit celui qui ressemble le plus au nôtre; les manifestations de la vie à sa surface ne doivent donc pas être absolument étrangères à celles de la vie terrestre; l'ana- logie si remarquable qui relie ce monde au nôtre doit avoir déter- miné chez lui des évolutions organiques partagées comme ici entre deux ordres généraux : la végétation et l'animalité. Or, nous voyons que les végétaux tirant leur substance de l'air principalement, ont une densité inférieure à celle de l'eau, et que les animaux, étant composés de substances dans lesquelles l'eau entre pour la plus grande part, ont une densité moyenne un peu supérieure à celle de l'eau : sur Mars, tout cela est plus léger qu'ici. La densité moyenne des matériaux qui composent cette planète est inférieure à celle des matériaux constitutifs de notre globe : elle est de 71 pour 100. Il résulte d'autre part, du volume et de la masse de Mars, que le poids des corps est extrêmement léger à sa surface. Ainsi l'intensité de la pesanteur à la surface de la Terre étant repré- sentée par 1 00, elle n'est que de 37 à la surface de Mars : c'est la plus faible que l'on puisse trouver sur toutes les planètes du sys- tème. Il en résulte qu'un kilogramme terrestre transporté là ne pèserait plus que 374 grammes. Un homme du poids de 70 kilos, transporté sur Mars, n'en pèserait que 26. 11 ne serait pas plus fati- gué pour parcourir 50 kilomètres que pour en parcourir 20 sur la Terre, et l'effort musculaire dont l'exercice a fait inventer le jeu de (c saut de mouton » aux écoliers en récréation les lancerait non plus seulement sur le dos de leurs camarades, mais sur les toits et à la cime des arbres. Les animaux et les végétaux doivent y être de plus haute taille qu'ici, quoique la planète soit plus petite. Ce n'est pas le volume d'un globe qui règle la disposition des êtres vivants à sa surface, mais l'intensité de la ^'pesanteur relativement aux conditions de milieux et de vitalité. Ainsi des hommes deux fois plus haut que nous auraient une certaine difficulté à marcher ici, et se casseraient inévitablement les jambes à cause de l'intensité de l'attraction ter- restre. Il leur faudrait quatre jambes pour une plus grande stabilité. Les quadrupèdes, en effet, peuvent dépasser ces proportions. Les seuls animaux qui puissent marcher sur deux jambes, les singes LES HAIllTANTS DE MARS aiitliropomorphes, sont d'une taille inférieure à la nôtre, et il est probable que l'homme n'est arrivé à sa taille naturelle qu'après des siècles d'exercice et de développement. (Cette taille décroît aujourd'hui dans les pays très civilisés, à cause de la vie citadine et de l'accroissement du système nerveux au détriment du système musculaire.) Dans l'eau, les animaux peuvent atteindre des dimen- sions plus considérables, à cause de la légèreté spécifique qu'ils y gagnent. Le règne végétal nous montre certaines espèces d'arbres qui s'élèvent à des hauteurs géantes à cause de leur immobilité. Ainsi, la taille des êtres est intimement et nécessairement détermi- née par l'intensité de la pesanteur. 11 est donc probable que les choses sont établies sur une plus grande échelle à la surface de Mars, et que les plantes et les animaux y sont beaucoup plus élevés qu'ici. Ce n'est pas à dire cependant pour cela que les humains y aient notre forme et soient des géants. En remontant à la formation de la série zoologique, on peut augurer que la pesanteur aura exercé une influence d'un autre ordre sur la succession des espèces. Tandis qu'ici la grande majorité des races animales est restée clouée à la surface du sol par l'attraction ter- restre, et qu'un bien petit nombre ont reçu le privilège de l'aile et du vol, il est bien probable qu'en raison de la disposition toute par- ticulière des choses, la série zoologique martienne s'est développée de préférence par la succession des espèces ailées. La conclusion naturelle est que les espèces animales supérieures y sont munies d'ailes. Sur notre sphère sublunaire, le vautour et le condor sont les rois du monde aérien; là-bas les grandes races vertébrées et la race humaine elle-même, qui en est la résultante et la dernière ex- pression, ont dû conquérir le privilège très digne d'envie de jouir de la locomotion aérienne. Le fait est d'autant plus probable qu'à la fai- blesse de la pesanteur s'ajoute l'existence d'une atmosphère analogue à la nôtre. ' Sur la Terre, un corps qui tombe du haut d'une tour ou d'une fenêtre parcourt 4 mètres 90 centimètres dans la première seconde de chute. Sur Mars, le même corps, attiré moins fortement, ne tombe qu'avec une vitesse presque trois fois moindre, et ne parcourt que 1 mètre 87 centimètres dans la même unité de temps. Les tentatives faites pour s'élever dans les airs à l'aide d'ailes con- LES HABITANTS DE MARS struites dans ce but n'ont pas réussi sur notre planète et ne peuvent réussir, parce que la pesanteur nous fait tomber de 4 mètres 90 centimètres dans une seconde, et que le mouvement des ailes s'appuyant sur l'air ne peut nous élever de la même quantité dans le même temps. Mais un tel état est naturel sur Mars ('J. Ces hypothèses, qui peuvent paraître conjecturales à certains esprits timides, sontappuyées sur une argumentation judicieusement fondée. La faible intensité de l'attraction de Mars doit permettre aux végétaux de s'élever beaucoup plus haut que sur la Terre, toutes choses égales d'ailleurs. Il en est de même pour les animaux qui marchent sur le sol. Cette môme cause a du déterminer une prédi- lection pour les formes aériennes, et les races animales les plus importantes ont du se construire, se développer, se succéder et (') La chute des corps se l'ait jiar un mouvL'iiieiU unit'orinéinent accélère. Dans le premier tiers de seconde, il n'est que de 54o millimètres; il est de 1635 dans le deuxième tiers, de 2720 dans le troisième : total, 4 mètres 90 centimètres. Si Ton pouvait faire trois battements d'ailes par seconde, il suffirait de s'élever de oo cen- timètres par battement pour pouvoir se soutenir et planer. Or, la force d'un cheval pouvant seulement élever le poids d'un homme pesant 7o kilogrammes de 1 mètre en une seconde, et la force de Tliomme étant au plus le cinquième de celle du cheval, la force de l'homme ne monterait son propre poids en une seconde que d'un cin- quième de mètre, ou de 20 centimètres ; en un tiers de seconde, elle ne relèverait que de 7 centimètres. Donc l'homme ne peut pas voler sur notre planète par sa propre force musculaire. Il y a quelques années, j'avais exposé ces principes à un malheureux aéronaute belf^c qui s'obstinait à essayer de voler dans les airs, après s'être préalablement fait enlever sous la nacelle d'un aérostat. Il persista dans ses tentatives, se fit enlever en ballon au- dessus de Londres, s'élança dans les airs, s'embarrassa dans son appareil, et fut préci- pité de bOO mètres de hauteur sur les tombes d'un cimetière. L'n parapluie lui eût été d'un usage plus efficace que ses ailes. Sur Mars, l'intensité de la pesanteur étant presque trois (bis moindre, au lieu de oa centimètres, il suffirait de s'élever de 19 centimètres par battement d'ailes d'un tiers de seconde, pour pouvoir se soutenir dans l'air et planer. Or, le même eft'ort mus- culaire qui nous élèverait à 7 centimètres nous porterait là à 20 centimètres, ce qui serait déjà suffisant pour vaincre la pesanteur. Mais, d'autre part, un [loids de 75 kilo- i:ranimes n'en pèse ([ue 28 à la surface de Mars. Si donc, nous supposions aux Martiens un(^ force musculaire égale à la nôtre, et un poids réduit proportionnellement à l'inten- sité de la pesanteur, nous en conclurions qu'il leur serait aussi facile de voler qu'à nous de marcher, et qu'ils peuvent se soutenir dans les airs à l'aide d'une construction anatomique peu dift'érente de celle des grands voiliers de notre atmosphère. Le privilège de l'aile me parait si précieux, (pie je ne puis même voir une chauve- souris (notre plus proche parente, d'ailleurs, parmi les espèces ailées) sans envier son bienheureux sort. TEIir.ES DU CIEL. 25 LES HABITANTS DE MARS s'établir défini tdveraent dans la vie atmosphérique. La sélection "'.aturellt' n'a pu qu'aider encore à l'affirmation vitale de ce règne dérien. Tout ce qui vient d'être exposé ne doit s'entendre qu'au point de vue de l'organisme vital considéré en lui-même, et non pas au point de vue des formes extérieures. Nous ne supposons point qu'il y ait sur Mars des peupliers, des sapins, des chênes;, ni des chiens, ni des chats ou des éléphants; ni des hommes formés d'une tête pareille à la nôtre, portée par un buste installé sttr de^jx jambes, etc., le tout accompagné d'une paire d'ailes à la façon des anges de Raphaël ou des diables de Callot. Ge serait fort se méprendre sur les essais d'anatomie ctymparée qui précèdent que de pousser l'anthropomorphisme jusque-là. Non : de la forme nous ne pou- vons rien dire ni rien penser. Elle dépend de la direction pri- mordiale qui a été prise par les premières cellules organiques à l'époque de l'apparition de la vie à la surface de la planète, et il est probable que les formes de la vie diffèrent essentiellement sur chaque monde. Nous ne parlons donc ici que de l'ensemble, et nous exposons ce que l'énorme différence de pesanteur a dû déter- miner dans les manifestations de cette vie, quelles qu'elles soient d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, nous devons savoir que notre organisation humaine terrestre a été fabriquée, agencée, détei'minée par la planète que nous habitons. Nous sommes la. résultante matliéma- tique des forces en action à la surface de ce globe. C'est cette vérité nouvelle de l'analogie scientifique moderne qui nous autorise à essayer des recherches telles que les précédentes, lesquelles eussent été purement romanesques à ime autre époque. En résumé, le problème se pose en ces termes : l'homme est la résultante des forces planétaires; étant données ces forces, poser l'équation et calculer cette résultante, inconnue jusqu'ici pooi" tous les mondes différents du nôtre. Ce qui nous intéresse donc ici, ce ne sont plus les analogies, mais ce sont plutôt les différences qui distinguent Mars de la Terre au point do vue de l'état et des formes de la vie sur ces deux mondes. Tous les êtres terrestres, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, sont dans le rapport le plus intime avec les conditions organiques LES HABITANTS DE MARS de la planète, et ce rapport est si al)Solu, que la différence qui existe entre Mars et la Terre suffit pour nous apprendre que les végétaux et les animaux de notre planète ne pourraient être naturalisés sur ce monde voisin. La quantité de chaleur et de lumière que Mars reçoit du Soleil n'est pas, il est vrai, fort différente de celle que la Terre reçoit, et peut-être même l'absorption de l'atmosphère rend-elle la tempé- rature moyenne de Mars identique à celle de notre globe : il n'y a donc pas là une différence essentielle à signaler entre les deux mondes. La longueur de Vannée martienne nous en offre une plus réelle. Or, c'est une circonstance digne d'attention que la consti- tution organique du plus grand nombre de nos végétaux est spécia- lement ajustée à la longueur de notre année : si cette année était allongée tout à coup, même d'un seul mois, le monde végétal serait presque désorganisé^ les fonctions des plantes seraient entièrement dérangées, et le règne végétal tout entier subirait une influence mortelle. Le calendrier de Flore, de Linné, qui résume la marche annuelle du régne végétal, serait renversé. Chaque plante demande une quantité donnée de chaleur et de lumière pour arriver à sa floraison et à sa fructificaLion_, et un tel changement serait fatal à la vie de nos espèces végétales, qui ont été formées par et pour la Terre. La même conclusion peut être appliquée aux espèces animales. 11 résulte donc de toutes ces considérations que, quelles que soient les formes végétales et animales de la planète Mars, elles y sont certainement différentes des nôtres. Mais évidemment la différence qui exerce l'action la plus impor- tante sur la vie, dans ces deux mondes, c'est la différence de la pesanteur. Supposons, par exemple, que la pesanteur terrestre soit diminuée dans la proportion de sa faiblesse à la surface de Mai's : cette métamorphose théorique serait immédiatement remarquée dans la pratique par la légèreté inattendue de tout ce qui nous entourerait et de nous-mêmes. Au lieu de rester fixes à la place où nous les poserions, les objets seraient si légers qu'ils seraient prêts à se déplacer comme des flocons déplumes au mouidre mouvement. Soit pour nous tenir debout, soit pour marcher, nous serions dans une LES OOMUniONS 1)K l.A Vit Borte d'équilibre instable, à peu près comme sur un navire mû. par le roulis et le tangage, et nous serions oppressés, sous l'atmosphère raréfiée, comme le voyageur sur les plus hautes montagnes ou comme l'aèronaute dans les régions aériennes supérieures. Notre condition sur la Terre dépend, non seulement de la surface, mais encore de toute la masse intérieure du globe, qui nous attinî et nous fixe sur un sol stable et solide. On trouve un exemple remarquable de l'importance de la force gravifique dans la correspondance intime qui existe entre l'expan- ion de la sève des plantes et la pesanteur qui s'y oppose. Un chan- gement considérable dans l'intensité de la pesanteur serait inadéquat à la vie de nos espèces végétales : un allégement de la pesanteur hâterait et développerait démesurément l'exubérance de la sève, tandis qu'un accroissement en réduirait l'activité ('). Quant à la forme des plantes, elle serait naturellement changée considérablement par la même cause, attendu que l'attraction de la Terre d'une part, et la lumière solaire d'autre part, exercent une action opposée sur la taille des végétaux, et que la force de ceux-ci donne tantôt aux plantes une attitude penchée, tantôt une position verticale, tantôt les couche horizontalement sur les eaux, et que la forme comme l'attitude des plantes sont d'autre part en corres- pondance avec leur mode de reproduction. (') On n'admire pas assez l'énergie et la puissance de cette sève végétale. Pour ma part, je ne suis jamais sans admiration, au printemps de chaque année, lorsque je vois les grands marronniers situés sous mon balcon se métamorplioser au mois du mars avec une activité surprenante, et, de squelettes nus, sombres et immobiles, de- venir de véritables bosquets aux feuilles multipliées, aux tleurs énormes, transt'ormanl radicalement leur aspect. D'où sortent ces bourgeons, ces feuilles et ces fleurs? La sève ardente s'élève avec enthousiasme vers la lumière, traverse dix et quinze mètres de branches, en apparence inertes, et s'épanouit dans les airs en feuilles immenses et serrées que les rayons du soleil de juillet ne traverseront plus. L'arbre a décuplé, centuplé de surface, et c'est véritablement un être nouveau. Nous n'y songeons pas parce que nous y sommes accoutumés ; mais en vérité c'est là une transformation surpre- nante à laquelle nous ne consentirions jamais à croire, si nous habitions un monde oii elle ne se produisit pas. La force qui projette cette sève en hauteur est si puissante, que, par exemple, une branche de vigne a été mesurée, lançant sa sève à une hauteur de vingt pieds dans un tube de verre attaché au tronçon de cette branche coupée. Le spectacle de chaque printemps met, chaque année, en évidence sous nosyeuxl'har- nionie intime qui existe entre les forces virtuelles de la nature terrestre et les êtres qui animent la Terre: plantes, animaux et hommes. — Ne nous sentons-nous pas nous- mêmes, précisément au printemps, encore un peu plantes sous certains aspects? LI'.S CONDITIONS DE LA VIE C'est la grande vérité qu'exprimait déjà le navigateur Maury dans sa Gthxjraphie physique : « Plus nous avançons dans l'étude du globe, disait-il, mieux nous comprenons la corrélation qui existe entre toutes choses. S'il y avait ou des changements dans l'orientation des vents, — dans la position géographique des déserts, des plateaux et des chaînes de montagnes, — dans la proportion des eaux et des terres ou dans la distribution des mers, des continents et des lies; — en un mot, si la surface du globe avait été différente de ce qu'elle est, il y aurait eu des modifications cor- respondantes dans la végétation et dans le règne animal. « Prenons pour e.xemple, ajoutait-il, la perce-neige, lorsque, à la fin de l'hiver, elle apparaît sur les plates-bandes de nos jardins. Examinons cette fleur silencieuse, et voyons ce qu'elle nous apprendra. Nous remar- querons qu'elle courbe d'abord sa tige pour fleurir, et que, ensuite, après un intervalle de quelques jours, elle la relève de nouveau. Si nous interrogeons un botaniste au sujet de ce changement d'attitude, il nous montrera que la structure de la perce-neige exige un renversement de la corolle pour faciliter la fécondation de la fleur, et qu'il faut qu'elle se redresse pour achever la formation de sa graine. Un géomètre, à son tour, nous apprendra que Dieu crée en suivant les lois de la géométrie, et qu'une diminution ou une augmentation des forces de la pesanteur aurait empêché les mouvements de la fleur et la production de la semence. A-insi, au moment où cette modeste plante a été formée, le globe terrestre était mesuré d'un pôle à l'autre, du centre à la surface, de telle sorte qu'une dimension appropriée a été donnée à la fibre de cette frêle tige, et que l'énergie vitale de la petite perce-neir/e a été mise dans un juste rapport avec les puissantes forces de la gravitation^ » Les mêmes harmonies existent nécessairement sur Mars entre son état planétaire et la forme, la nature, les facultés des êtres qui l'habitent. Et maintenant, avant de quitter cette planète voisine, si n'-us considérions, à ce propos, les conditions de la vie sur les satellites de Mars, nous arriverions à des déductions plus frappantes encore. Dans une étude fort intéressante sur ces petits mondes, M. Proctor admet comme base de raisonnement que ces deux satellites pour- ra.ient avoir au maximum un diamètre de vingt milles, ce qui cor- respondrait à 32 kilomètres. C'est assurément là une estimation LtS C0Nl)lïlO^JS DE LA VIE exagécée, mais enfin elle peut servli- de base pour des conjectures sur les ccjiuliliuns de la vie en des mondes aussi minuscules. Ce diamètre équivaudrait à peu près au ^ du diamètre de la Terre ou auceatième du diamètre de la Lune. Ces satellites aui-aient ainsi une surface égale à ^^^ de celle de la Terre, ou à j^ de celle de la Lune, et un Tolume égal au ,,,,\,,, de celui de la Terre ou au mil- lionième de celui delà Lune. Quant à leur masse et à leur densité, nous n'avons aucune base pour les déterminer, mais nous ne nous éloignerons sans doute pas de la réalité, en admettant que leur densité moyenne ne diffère pas considérablement de celle de la Lune. Ces hypothèses (les plus simples de toutes) conduiraient aux singulières conséquences que voici : L'intensité de la pesanteur à la surface de ces petits globes serait pro- portionnellement à la pesanteur humaine dans le rapport du diamètre d'une lune martienne à celui de la Lune terrestre. Cette intensité de pesanteur serait donc cent fois plus faible qu'elle ne l'est à la surface de la Lune, ou six cents fois plus faible qu'elle ne l'est à la surface de la Terre. 11 en résulte qu'un homme de 70 kilos transporté sur l'un de ces satellites, n'y pèserait plus que 117 grammes... Une compagnie de cent hommes serait d'un enlèvement facile, puisque son poids total n'attein- drait pas 1 2 kilos ! Mais ici commence la dilîlculté. Si nous supposions qu'il pût exister là des êtres intelligents constitués comme nous, de la même taille, et doués de» mêmes forces nerveuses et musculaires, leurs habitations, si elles étaient de la dimension des nôtres, seraient extrêmement minuscules pour leur activité, car des êtres à la fois aussi forts et aussi légers de- vraient facilement sauter à la hauteur de 800 mètres, ou à la distance de quatre mUle mètres. Ils ne pourraient pas facilement vivre enfermés. De plus, tout serait fort différent de ce qui existe sur la Terre. Ainsi par exemple, en exécutant son saut de 800 mètres de hauteur, notre acrobate resterait en l'air dix longues minutes, pendant lesquelles il aurait le temps de faire toutes sortes de réflexions. Eu de telles conditions de forces musculaires et de légèreté, un bon coureur pourrait faire le tour d'un de ces petits mondes en trois cents minutes ou en cinq heures, et pourrait voir le soleil se lever et se cou- cher à sa fantaisie ou le garder perpétuellement sur sa tête, suivant la manière dont il accomplirait son voyage autour du monde; de même qu'un voyageur terrestre qui pourrait faire le tour du monde en vingt- quatre heures, poTU-rait garder constamment le soleil à midi. iJ'un autre côté, si nous cherchons quelle taille devraient avoir les habi- LE nOPFI>E M MARS tants de ces petites lunes pour ne pas être doués de cette exagération de force musculaire et n'être pas plus agiles qu'un habitant de la Terre, nous trouvons que le volume des êtres vivants doit être pour cela en proportion inverse de l'intensité de la pesanteur, ce qui conduit à cet étrange résul- tat que les hommes de cette contrée devraient être, pour nous ressembler en activité, six cents fois plus grands que nous, c'est-à-dire mesurer plus d'un Icilomètre de hauteur. En poursuivant ce même raisonnement jKjur des globes encore plus petits et plus légers, on arriverait de la sorte à créer des habitants plus grands que leur propre planète ! De telles conclusions sont tout simplement monstrueuses, et elles nous prouvent que ce mode de raisonnement, qui tend à prendre l'organisme humain terrestre comme type de la création universelle, n'est pas plus fort que celui des naturalistes de la science officielle qui, il y a quelques années encore, interdisaient à la nature de peu- pler le fond de la mer par la raison qu'ils ne comprenaient pas quelle constitution spéciale ces êtres devraient avoir pour pouvoir vivre en ses profondeurs, et ne devinaient pas que la féconde Nature tient en réserve des forces inconnues. On peut concevoir à ce propos que l'atmosphère de ces satellites étant extrêmement rare comme conséquence de la faiblesse même de la pesanteur, l'énergie vitale des êtres qui pourraient y habiter doit être réduite de telle sorte que leur force et leur activité peuvent n'être pas supérieures aux nôtres, malgré leur extrême légèreté. Selon toute probabilité, l'air que l'on peut y respirer doit être incomparablement plus raréfié que celui dans lequel nous mourons lorsque nous dépassons en ballon la hauteur de 8000 mètres. Bien d'autres considérations se présentent encore à l'esprit lorsque nous examinons les conditions d'habitabilité de tels mondes; mais il serait superflu de nous y étendre davantage. Remarquons, par exemple, que des batailles comme les nôtres seraient fort dilliciles entre les peuples, attendu que les projectiles lancés par des canons comme les nôtres ne retomberaient jamais, et s'enfuieraient dans le ciel, la pesanteur étant incapable de les retenir. Tout au plus pour- rait-on se batailler entre les deux satellites de Mars ou enti-e ces deux globes et la planète. Mais c'est assez sur ce sujet. Notre voyage sur Mars est mainte- nant plein d'une assez riche moisson. Les conclusions philosophiques LE MONDE DE MARS de nos lecteurs sont depuis longtemps logiquement déduites par eux des nombreux documents exposés dans les pages qui précèdent. Leur conception de l'univers est en harmonie avec la réalité scientifique, Fig. m. — Système du monde probablemeni en usage chez les habitants de Mars aux temps pnmiiiis. réalité plus grande et plus belle que toutes les conceptions imagi- naires de l'illusion primitive. Maintenant que nous connaissons le monde de Mars aussi complè- tement que le permet l'état actuel de la science, nous pouvons, avant de le quitter, nous demander comment se présente le spec- tacle de l'univers extérieur vu de ce sJjour. I.A TERRE Vl'F. DE MARS 201 Et d'abord, sans Ix-ancoup do frais d'imiiuinatidu, iimis iumvons nous représîMitor la fii^uro que les haliitantri de Mars devaient suji- poser à l'univers à l'époque qui correspond à eellc d'Aristote, de Plojriiir'e et du uKU'eu-àgi' sur la Terre. Oui sail luèim' s'ils ont pu l'oniiue nous s'rdi'ver aii-dessns des apparences eL constater la réa- lité du uiouvenient de leur planète autour du Soleil? C'est proliaMe, puisque sans doute ils sont plus anciens que nous sur la scène du monde et par conséquent plus avancés, (juoiqu'il en soit, ils ont naturellement commencé par croire leur planète imiuoliile au centre du monde, par s'imaginer que l'univers entier gravitait autour Fig. 92. — Marche de la Terre, étoile du malin, dans le ciel des habitanls de Ma d'eux, et par se considérer comme le pivot et le but de la création. L'idée d'un être suprême, créateur du ciel et de Mars, et l'idée corrélative de l'adorer régnant « au plus haut des cieux », sont si naturelles qu'elles ont dû naître dans cette humanité comme dans la nôtre, ainsi que ccdle d'une [)uissance du mal et des enfers. Pour eux, évidemment, leur monde à eux constituait le monde entier, comme aux temps de Bouddha, de Moïse, de Josué, de Jésus-Christ, de Mahomet et du concile de Trente. Ils auront classé les astres dans i^ l'ordre de leur révolution apparente autour d'eux, d'abord leur pre- mière lune, ensuite leur seconde, au-delà, Vénus, la Terre et le Soleil, ou peut-être, comme chez les Égyptiens, le Soleil accompa- gné de Vénus et de la Terre \Mercure n'y est pas visible à l'uMI nu à TEnUES DU CIEL SSO LA TERRE VUE DE MARS cause de son voisinage du Soleil). En revanche, plusieurs d'entre les pe- tites planètes, notamment Vesta, Junon, Gérés, Pallas, Méduse, Flore, Âriadne, ^Ethra, sont visibles. Jupiter, Saturne et Uranus (bien visible pour eux) complètent leur système du monde, encadré dans le ciel des étoiles fixes et enveloppé par l'empyrée ou Séjour des Bienheureux. S'il nous était jamais donné de découvrir quelque monument de la littérature de Mars, c'est sans doute un dessin ana- logue à celui de la figure 91, que nous rencontrerions dans la pous- sière des siècles disparus. Aujourd'hui ils doivent savoir que leur planète n'est qu'une fourmillière comme la nôtre. Qui sait, pour- tant! les erreurs ont la vie dure : quand le temps ne les détruit pas, il les embaume. Sur cette planète comme sur la nôtre, les religions ont eu pour base l'astronomie, car la métaphysique elle-même doit être fondée sur la physique : il faut une base aux édifices, quels qu'ils soient. Le ciel physique a tracé le cadre du ciel métaphysique. La Terre a d'abord pris place avec Jupiter, Saturne et Vénus parmi les divinités qui semblaient présider aux mouvements des choses et aux desti- nées des êtres. Puis, sans doute, une religion plus idéale aura ima- giné des esprits, des anges et des saints, trônant dans un ciel divin, au-delà des étoiles fixes, et la conception de la vie future se sera mise en harmonie avec l'épuration des idées. Lorsque la science eût démontré aux habitants de Mars que leur planète n'est pas fixe au centre de l'univers, qu'elle n'a pas été l'objet d'aucun privilège spécial de la part d'un Créateur qui aurait préféré ce globule au reste de l'univers, et qu'elle n'est, comme la Terre et nos com- pagnes, que l'une des provinces de l'universelle patrie, alors les religions prétendues révélées ont disparu, comme celles de la Terre, à la lumière du soleil levant, les esprits éclairés ont contemplé la création dans sa vraie grandeur, et la philosophie rationnelle a régné à la place de l'antique erreur. Ainsi, sans doute, le progrès de la pensée a suivi, sur Mars comme sur la Terre, le progrès de l'astro- nomie. Quel est l'aspect de l'univers, vu de cette station voisine ? Les habitants de Mars n'habitent pas plus le ciel que nous, et nous l'ha- bitons comme eux, ni plus ni moins. Comment voient-ils la Terre? Vu de Mars et de ses satellites, le ciel étoile est le même que celui LA TERRE VUE DE MARS qui scinLille sur nos têtes : les mêmes étoiles y attirent le regard et la pensée, les mêmes constellations y dessinent leurs mystérieuses figures. Mais si les étoiles sont les mêmes, les planètes diffèrent, comme nous venons de le voir. Jupiter, entr'autres, est magnifique pour eux : il leur parait une fois et demie plus grand qu'il ne nous paraît, et ses satellites doivent y être facilement visibles à l'œil nu. Saturne est également très brillant ; leurs deux pe- tites lunes, aux phases rapides et aux éclipses fréquentes, ajoutent au ciel de Mars un attrait particulier. Quelquefois, le soir, on admire après le coucher du soleil une étoile lumineuse qui se dégage lente- ment des rayons solaires pour venir régner en souveraine dans les cieux. Cette belle planète, qui leur offre les mêmes aspects que Vénus nous présente, et dont la douce lumière a reçu aussi, sans doute, bien des regards d'admiration, bien des confidences, bien dos serments de l'adolescent amour, cette belle planète : c'est la Terre où nous sommes. Les poètes de là-bas la chantent comme une divinité propice et saluent en elle un séjour de paix, de science et de bonheur. Les astronomes auront découvert nos phases; peut- être auront-ils mesuré la hauteur de nos Alpes et de nos Cordillières ; peut-être connaissent-ils exactement notre géographie et notre méléorologie; peut-être nous font-ils depuis longtemps des signaux auxquels ils sonl étonnés que nous ne sachions pas répondre; peut- être ont-ils conclu de leur long examen que la Terre est inhabitable, parce qu'elle ne ressemble pas complètement à leur monde, et décla- rent-ils que leur patrie est le seul séjour organisé pour une vie agréable, idéale et intellectuelle.... Après tout, ils ont peut-être rai- son, car (entre nous) notre humanité prise en bloc ne prouve pas encore par ses actes qu'elle se soit élevée au rang d'une race vérita- blement intellectuelle. La plus grande élongation de la Terre pour les habitants de Mars arrive lorsqu'elle forme un angle droit avec le Soleil, dans le voisi- nage de son aphélie, Mars étant à son périhélie. L'angle formé par cette position est de 48°. Nous sommes alors pour cette planète une étoile brillante, offrant un aspect tout à fait analogue à celui que Vénus nous offre à nous-mêmes, précédant l'aurore et suivant le crépuscule. Nos lecteurs ont pu remanruer dés les premières pages de cet ou- LA TF.r.RK VVE DK MARS vniL'c [[). I.'!' l'aspi'ct dt" 1,1 Terre Iirillaut dans le ciel de Mars cuumiG une belle étoile suivant le coucher du soleil. Les astronomes de cette planète peuvent observer h Terre |(anni les constellations, comme ni ms observons Vénus. Ainsi, par exemple, les Reçues astro/iomà/aes de Mars ayant à annoncer à leurs lecteurs le mouvement de la planète Terre dans le ciel pendant l'année 1884, auront pul)lié la figure précédente [fig. 92), que nous avons pu du reste calculer nous-mêmes sans aller sur Mars. En ce moment, (novembre 1883), la Terre est étoile dit soir; elle passera derrière le Sideil le 4 février, s'^ dégagera ensuite de ses rayons, et brillera. étoile du matin à partir du mois de mars. Elle suivra alors devant les étoiles la route tracée sur notre petite carte, traversant succes- sivement le Bélier, le Taureau et les Gémeaux; nous passerons le 10 avril sous les Pléiades. Notre planète arrivera le 7 mai à sa plus longue élongation occidentale (37*37'), et elle restera étoile du matin jusqu'en octobre; le l" octobre, elle ne se lève plus que 1 heure 20 minutes avant le Soleil. Quels astronomes nous observent? Quels noms donnent-ils à notre planète, à Orion, à Sirius, qui brillent là comme ici, et parmi lesquels nous planons, astre du ciel, mystère de l'infini! Ajoutons encore que si les habitants de Mars ont inventé des ins- truments d'optique, la plus petite lunette suffît pour faire recon- LE MONDE DE MARS naître les phases de la Terre et montrer notre planète sous un aspect analogue à celui de la petite figure ci-dessus (93). Voici donc, en résumé, le tableau des connaissances que nous avons acquises sur ce monde : ÉTAT PARTICULIER DU MONDE DE MARS Durée de l'année Un an terrestre et 332 jours. Durée de la rotation 24 heures 37 minutes 23 secondes. Durée du jour et de la nuit 24 heures 39 minutes 35 secondes. Nombre de jours dans l'année. . 668. Révolution appar. du 1" satellite. H heures. Révolution apparente du second. 5 jours 8 heures. Saisons Analogues aux nôtres, mais deux fois plus longues. Climats Trois zones géographiques comme ici. Alniosphère Analogue à la nôtre. Température moyenne Peu différente de la nôtre. .Même météorologie. Densité des matériaux Plus légère qu'ici = 0,092. Pesanteur Presque 3 fois plus faible qu'ici = 0,374. Dimensions de la planète Plus petite que la Terre. Diamètre = 0,S40 = 68oO ki- lomètres. Tour du monde de Mars 21 oOO kilomètres ou 5375 lieues. Géographie Continents coupés de Méditerranées. Plus déterres que de mers. Météorologie Analogue à celle de l'atmosphère terrestre. Vie Probablement peu différente de la nôtre. Habitants sans doute plus légers, plus agiles, et vivant plus longuement. Diamètre du Soleil Un peu plus petit que vu d'ici = 21' Diamètre de la première lune. . . 6'. l'iamètre de la seconde lime . . 2'. Aspect de la Terre Rrillante étoile du matin et du soir, un peu plus petite que Vénus nous parait. Disque de 58". Telle est la physiologie générale de cette planète voisine. L'atmosphère qui l'environne, les eaux qui l'arrosent et la ferti- lisent, les rayons de soleil qui réchauffent et l'illuminent, les vents qui la parcourent d'un pôle à l'autre, les saisons qui la transforment, sont autant d'éléments pour lui construire un ordre de vie analogue à celui dont notre propre planète est gratifiée. La faiblesse de la pesanteur à sa surface a dû modifier particulièrement cet ordre de vie en l'appropriant à sa condition spéciale. Ainsi, désormais, le globe de Mars ne doit plus se présenter à nous comme im bloc de pierre tournant dans l'espace dans la fronde de l'attraction solaire, comme une masse inerte, stérile et inanimée; mais nous devons LE MONDE DE MARS voir en lui un monde vivant, peuplé d'êtres voltigeant dans son atmosphère, orné de paysages analogues à ceux qui nous char- ment dans la nature terrestre...; nouveau monde que nul Colomb n'atteindra, mais sur lequel cependant toute une race humaine habite actuellement, travaille, pense et médite comme nous, sans doute, sur les grands et mystérieux problèmes de l;i Nature. Quels qu'ils soient, ces êtres ne sont point des âmes sans corps ou des corps sans âmes, des êtres surnaturels ou extra-naturels, sans rapport avec les organismes que nous connaissons sur la Terre. Nous devons voir là des vivants plus ou moins diiïérents de nous par la forme, mais enfin des êtres agissant, pensant, raison- nant comme nous le faisons ici. Ils vivent en société, sont groupés en familles, associés en nations, ont élevé des villes et conquis les arts; sans doute les sens de la vue et de l'ouïe n'y offrent pas de différences essentielles (cependant le nerf optique doit y être un peu plus sensible, parce que l'intensité de la lumière y est un peu moindre) : et s'il nous arrivait de passer un jour non loin de leurs demeures, peut-être nous arrêterions-nous surpris de leur archi- tecture, ou charmés par l'écho de mélodieux accords nous rappe- lant les inspirations musicales de nos grands maîtres. Au milieu des variétés inhérentes aux diversités planétaires et des métamor- phoses séculaires des mondes, nous devons voir le même flambeau vital allumé sur toutes les terres. La contemplation de ces autres mondes produit en nous une impression offrant certains rapports avec celle qui résulte de la con- templation des villes du passé. Ces mondes sont éloignés de nous dans l'espace comme ces villes sont éloignées de nous dans le temps, et quoique les uns comme les autres puissent nous paraître étrangers, quoique Mars ou Vénus soient isolés de nous comme Thèbes, Memphis ou Ninive, cependant nous nous sentons associés à ces peuples lointains par une secrète et douce sympathie... Un jour d'automne, par une de ces tièdes après-midi qui semblent être le dernier sourire de la belle saison près de s'éteindre, je con- templais à Rome, du sommet des ruines du Colisée, les monuments de la ville chrétienne étages sur les collines, et les ruines de l'an- tique capitals du monde répandues dans la plaine champêtre. C'est LE MONDE DE MARS toujours un spectacle émouvant que celui de voir ce gigantesque Colisée, ce forum, ces arcs de triomphe, ces colonnes, ces palais, ces thermes, ces cirques, ces amphithéâtres, autrefois inondés du Hiix et du reflux d'une population agitée, bruyante, empressée, aujourd'hui déserts, ruinés, silencieux, rongés par la lèpre du lierre, isolés au milieu de terres abandonnées qui sont devenues des champs, des pâturages ou des friches. Cet étrange panorama, volup- tueusement éclairé par le doux ciel d'Italie, je le contemplais en songeant au passé, et je revoyais la Rome des Césars en ces années de prospérité et de luxe où ses moindres fantaisies étaient les oracles du monde ; les orateurs plaidaient dans ce forum, la foule se préci- pitait à travers ces voies, les armures, les boucliers et les casques resplendissaient au soleil, les chars circulaient acclamés sous ces arcs de triomphe, et parmi ces bosquets jonchés aujourd'hui de fragments de marbre rose, on voyait courir, légères, les folâtres reines de la mode et du plaisir. 0 splendeurs évanouies d'une gloire qui se croyait immortelle! Maintenant, de toutes ces antiques grandeurs il ne reste que de la poussière, et déjà même ont disparu les noms et les souvenirs. Le même soleil illumine ces collines, cette vallée, ce Tibre, ce forum, comme il les éclairait autrefois; mais, au lieu de palpiter en teux étineelants sur le mouvement et sur la vie, ses rayons glissent aujourd'hui comme des regards mélancoliques à travers les ruines, les broussailles et le silence de la mort. Assise à mes côtés, le coude appuyé sur l'un des gradins de la terrasse supérieure du colossal amphithéâtre, ma belle et gracieuse compagne laissait ses yeux brillants errer au loin sur la campagne romaine, dans l'attitude de contemplation rêveuse qui la domine lorsqu'elle plane avec moi dans la nacelle de l'aérostat céleste. Souvent nos regards se rencontraient; nous n'avions besoin d'aucune parole pour sentir que nos impressions et nos pensées, devant ces ruines du vieux monde, vibraient à l'unisson, comme les battements de nos cœurs. ce Oui ! me dit-elle, en rompant la première le silence, voilà pourtant ce qui reste de la gloire la plus éclatante qui ait jamais brillé sur la Terre ! voilà ce qu'on ose décorer encore aujourd'hui du titre de Ville éternelle! Ville éternelle/ le voyageur errant ici à LE MONDE DE MARS son tour dans quinze ou vinj^t siècles cherchera les ruines de Saint- Pierre et du Vatican, comme nous cherchons en ce moment celles des temples des anciens dieux de l'Olympe; et dans les siècles futurs on cherchera la place où Rome aura régné, comme on cherche aujourd'hui celle de Troie ou de Babylone. » — a Nations, patries! répondis-je; croyances, religions, temples, palais, tout passe! et la Terre elle-même, et les cieux... Mais la vie, la jeunesse, l'amour, ne passent pas... « La vie, la jeunesse, l'amour, continuai-je, brillent sur tous les mondes et répandent leuïs fleurs dans l'Univers entier. Tandis que les trônes chancellent, que les autels s'écroulent, que les volcans vomissent leurs entrailles, que des continents s'effondrent et que des planètes entières tombent dans la nuit infinie, le feu d'une jeunesse éternelle circule toujours à travers la Nature! Tant que durera l'humanité terrestre, la femme de trente ans tiendra le monde sous le charme de sa complète beauté, sans jamais vieillir d'une année; tant qu'il y aura des astres dans l'infini, l'amour 'brillera sur chacun d'eux, plus éblouissant et plus ardent qu'eux- mêmes. Voilà ce qui vivra toujours, toujours! a Ce feu divin brille sur Mars, il brille sur Vénus, il brille sur Saturne; la Nature elle-même en est l'immortelle vestale, et c'est la seule flamme qui ne doive jamais s'éteindre. Vie universelle, vie immense, vie prodigieuse : ses effluves embrasent toutes les sphères. Tout à l'heure le spectacle de Rome semblait disposer nos âmes à la mélancolie en nous montrant les ruines envahissant len- tement toutes choses; il nous semblait môme, en entendant les litanies de cette procession de moines qui vient de s'agenouiller devant ces stations de calvaire disséminées dans les ruines, que leurs prières, en s'élevant vers le ciel, nous y découvraient des phalanges de trépassés : rois, papes, pontifes, vierges, religieux, martyrs, confesseurs, rangés là-haut immobiles pour l'éternité... Mais, par une autre marche de raisonnement, due pourtant à la contemplation de ce même spectacle, nous arrivons au contraire à reconnaître en ces régions de l'éternité : la vie au Lieu de la mort, — l'activité au lieu de la catalepsie, — les impressions variées de l'existence humaine, au lieu des royaumes paradisiaques ou inJernaux de revenants pétrifiés dans leurs linceuls. ... ^atlon5, (lalnes, religions, temples, palais, tout passet,^ TERRES DU CIEL 27 LES TERRES DU CIEL « Oui! tout ce qui vit ici, vit aussi ailleurs, sous mille formes variées, dans les intarissables épanchements de roraanisme uni- versel... « Sur ces mondes, comme sur le nôtre, il y a des cités assises à tous les étages de la gloire et de la puissance; là, comme ici, il y a des Rome, des Paris, des Londres, des autels et des trônes, des temples et des palais, des richesses et des misères, des splendeurs et des ruines. Et peut-être que du haut des vestiges séculaires d'une antique capitale, il y a en ce moment sur la planète Mars un couple amoureux contemplant les témoignages de la grandeur et de la décadence des empires, et sentant qu'à travers toutes les méta- morphoses du temps et de l'espace, la Vie éternellement jeune domine dans l'univers, régnant à jamais sur tous les mondes, et versant une jeunesse sans fin par les rayons d'or de tous les soleils de l'infini! » LIVRE II NOTRE JEUNE SCEUR LA PLANÈTE VENUS 9 LIVRE II NOTRE JEUNE SCEUR LA PLANÈTE VÉNUS CHAPITRE PREMIER Traversée de Mars à Vénus. — L'étoile du soir. — Aspect de Vénus à l'œil nu. — Connaissances des anciens sur cette planète. Nous avons commencé notre voyage céleste par le pays vers lequel les investigations télescopiques orientaient le plus sûrement nos pas, par le monde que sa situation dans l'espace expose le plus directement à nos observations et à nos études, par notre voisine la planète Mars. Cette planète gravite, comme nous venons de le voir, au delà de l'orbite de notre propre patrie, et maintenant, pour aller visiter Vénus, nous devons revenir sur nos pas, nous arrêter un instant sur la Terre, et nous diriger du côté du Soleil ('). (1) Lanliqiu' mvlholoj^ii' no iiiaïKniuit pas ircsprit, et si nous no savion.s qu'à son époque la Terre était supposée au contre ilu monde, nous pourrions croire que ce n'est pas sans raison qu'elle a donné aux deux planètes entre lesquelles nous errons les qualifications qui les caractérisent. Depuis qu'elle est au monde, notre étrange espèce ne i,'ravite-t-elle pas, eu effet, entre Mars et Vénus: ne passe-t-elle pas une niKitiéde son temps dans les batailles et l'autre dans les guirlandes de Cypris? La statistique montre que depuis la guerre de Troie, triomphe inoubliable de la belle Hélène, l'humanité n'est pas l'ucorc restée une seule année sans guerre. Mars détruit re que Vénus produit, et réciproquement Vénus so hâte sans trêve de combler tous les vides. Singulière planète!... I»K M Ali S A VÉKt'S Replaçons, en effet, sous nos yeux, le petit plan du système solaire relatif aux planètes voisines de l'astre ilhuninateur, nous Ynyuus que la Terre gravitant entre Mars et \ènus, après avoir visité Mars, nous devons traverser l'orbite terrestre pour arriver à celle de Vénus : Mars circulant à la distance moyenne de 56 millions de lieues et la Terre à 37 millions, Vénus circule, dans une orbite intérieure, à la distance moyenne de 26 millions. Elle est donc plus proche de nous que le monde de Mars; mais nous la connaissons ^,^.s et Neptune. ,^^^ Fig. 9G. — Plan du système solaire pour les planètes voisines du Soleil. moins bien cà certains égards, nos études sont moins avancées en ce qui concerne sa géographie et sa météorologie, parce que nous la voyons moins bien. Il suffit, en effet, de se reporter encore à ce même petit plan pour remarquer que lorsque Vénus se trouve à sou minimum de distance, à son plus grand rapprochement pos- sible, c'est lorsqu'elle passe entre le Soleil et la Terre. Mais, évidemment, dans ce cas, tout son hémisphère éclairé étant tourné du côté du Soleil, nous n'avons de notre côté que son hémisphère obscur, et par conséquent nous ne pouvons rien voir de sa surface. Nous ne voyons cette surface éclairée par le Soleil que lorsque la planète forme un angle plus ou moins grand avec cet astre et nous LA PLANÈTE VÉNUS et se trouve, par conséquent, à une distance sensiblement supé- xrieLire à son mouvement. Pratiquement, pour observer la surface de Vénus, il faut que sa distance soit non pas de 1 1 millions de lieues, mais de 14, 15 ou davantage; de telle sorte qu'en fait elle n'est pas plus proche de nous que son émule guerrière lorsque ses conditions d'observations peuvent être fertiles en bons résultats, exception faite de l'étude spéciale des passages de Vénus devant le Soleil et de celle de son atmosphère. Nous pouvons, sans métaphore, la qualifier de « notre jeune sœur », car, selon la théorie cosmogonique la plus probable, les planètes se sont détachées de la nébuleuse solaire dans l'ordre inverse de leurs distances au Soleil, les plus éloignées étant les plus anciennes. Vénus est donc née après la Terre, et Mercure est plus jeune encore. Ainsi, la première cité céleste que nous rencontrons dans notre voyage, en quittant la Terre et en nous dirigeant vers le Soleil, c'est la ville sidérale consacrée depuis les premiers cages du monde à la blonde déesse de la beauté et de l'amour. Blanche et brillante étoile du soir, allamée la première après le coucher de l'astre-roi, elle a frappé les premiers regards qui se sont élevés vers le Ciel, a été la confidente des cœurs et la divinité tutélaire des douces espé- rances; et si les premiers autels ont été élevés au Soleil, dieu du jour, et à la Lune, divinité de la nuit, la première étoile admirée et adorée a été la douce étoile du berger. Ses rayons célestes se sont mariés à bien des regards rêveurs, et l'éternelle adolescence de l'amour a voyagea travers le monde sous sa bénédiction lointaine. Qui ne se souvient de l'invocation du chantre de lioUa à la belle planète : Etoile qui descend sur la verte colline, Triste larme d'argent du manteau de la nuit, Toi que regarde au loin le pâtre qui chemine Tandis que pas à pas son long troupeau le suit. Étoile! où t'en vas-tu dans cette nuit immense? Cherchcs-tu sur la rive un lit dans les roseaux? Ou t'en vas-tu, si belle à l'heure du silence, Tomber comme une perle au sein profond des eaux? Ah! si tu dois mourir, bel astre, et si ta tête Va dans la vaste mer plonger tes blonds cheveux, Avant de nous quitter, un seul instant arrête : Etoile de l'amour, ne descends pas des cieux! VÉiNUS VUE A L'OEIL NU Mais ne nous attardons pas, même dans les sentiers les plus fleuris, ot observons Vénus en astronomes. Nous avons vu qu'elle est placée entre Mercure et nous, puisque Mercure est la première et la Terre la troisième des provinces de la grande république solaire. Tandis que Mercure tourne autour de l'astre du jour à la distance de 14 300000 lieues, et notre monde à la distance de 37 000 000, Vénus gravite à la distance de 26 760 000 lieues. C'est pour nous l'astre le plus brillant du ciel. Son orbite étant inférieure à celle de la Terre, et beaucoup plus petite que la nôtre, Vénus reste toujours, comme Mercure, dans les environs du Soleil, dont elle nous réfléchit la lumière avec une grande vivacité d'éclat; mais elle peut s'éloigner de lui beaucoup au delà de la plus grande élongation de Mercure. Lorsqu'elle se trouve dans la moitié de son orbite qui précède le Soleil, elle se montre le matin à l'orient, avant le lever de l'astre radieux, le précédant plus ou moins, selon sa distance angulaire, tantôt de une heure, tantôt de deux heures, tantôt même de trois heures. Aussi l'a-t-on, dès une haute antiquité, distinguée sous les noms d'étoile du matin, de Lucifer. — Lorsqu'elle se trouve dans la moitié de son orbite qui suit le Soleil, elle se montre le soir à l'occident, allumée dans le ci'èpuscule avant tous les autres astres du firmament, et restant en retard sur le Soleil, de une, deux ou même trois heures, suivant sa distance angulaire à cet astre. C'est ce qui l'a fait nommer aussi étoile du soir, Vesper, et qui lui a donné son nom plus populaire encore d'étoile du berger. Parmi les anciennes men- tions, remarquons entr'autres celle du grand orateur romain : « Stella Veneris , quse Lucifer dicitur cum antegreditur Solem, cum subsequitur autem Hesperus » ('). Il est certain que c'est la plus anciennement connue de toutes les planètes, d'abord parce que c'est la plus brillante, ensuite parce que c'est la plus remarquable par ses mouvements. Comme elle tourne en 224 jours autour du Soleil, elle ne reste pas deux semaines de suite à la même place. Dès l'époquu inconnue où l'humanité terrestre commença d'élever les yeux au ciel, (') Cicéron, De naiurà deorum, lib. II. l/ÊTOlLK 1 V BEKGKll. TERRES DU CIEL. 2â VÉNUS DANS L'ANTIQUITÉ et chercha les moyens de se former une mesure du temps, de se diriger dans ses émigrations, de régler ses fôtes patriarcales, elle ne put s'empôcher de remarquer avant toute autre planète celle qui s'allumait la première dans les cieux et paraissait l'avant-courrière du cortège de la nuit. C'était la plus blanche et la plus douce des étoiles : on la proclama déesse de la beauté et de l'amour. Le signe 9 sous lequel nous la représentons depuis le moyen âge paraît symboliser un miroir. (Cet objet n'est-il pas, en effet, l'attribut le plus caractéristique de la femme?) Peut-être aussi est-ce le signe de la vie, l'attribut de la fécondité, formé par la réunion primitive d'un trait droit et d'un petit cercle : dans les hiéroglyphes égyptiens, la croix ansée est le symbole de la vie; elle désigne le Capricorne, dans les signes du zodiaque, et il semble que l'une des divinités qui la portent à la main, sur le? monuments égyptiens de l'époque romaine représente la planète Vénus en diverses attitudes. Depuis combien de milliers d'années Vénus est-elle connue? Nous retrouvons son nom et son culte dans toutes les langues anciennes. Mais il a fallu une longue série de remarques pour constater que l'étoile du matin et l'étoile du soir ne sont qu'un seul et môme astre, dont les apparitions sont successives. Il est même probable que dans cette œuvre d'identification, les apparitions de Mercure ont dû nuire et retarder la découverte de la vérité. Aussi voyons-nous qu'en effet les cultes et les attributs de Mercure et Vénus sont parfois confondus. Pythagore paraît être le premier chez les Grecs qui ait enseigné l'identité de Vénus et d'Hesperus, identité dont il avait sans doute puisé la connaissance en Orient. Elle est la seule planète dont Homère ait parlé; il la désigne par l'épithète de Callistos, la Belle : Esnepoî, S« xàXXioxo; tv oùpavi}) «iTaTai aiTiip. Vesper, le plus bel astre étincelant dans le Ciel (') Dans un autre chant de VIliade ('), Homère parle encore de («) Iliade, XXII, 318. («)/6., XXIII, 226. VÉNUS DANS LANTIUL'ITÉ Vrnus (( rétoile inatinale », E^s^opo;, (jui auiioncc l,i lumière aa monde et parait suivie de l'Am'ore. Ou lit aussi dans la Bible ces mots qui paraissent se i'ai)[>oil(n' à Vénus : k 0 Luciler, loi qui paraissais si brillant au [Kjiut du jour! » ['] Chez les Égyptiens, elle èUiii nommée P-)ioi/(('i--/iani/, le dieu du matin, et « Vennou hesiri », l'oiseau Vennou d'Osiris. Les hiéroglyphes la représentent sous la forme de cet oiseau, et aussi sous celle d'une étoile accompagnant le symbole d'Osiris. Nos lec- Fig. 98. — Hiéroglyphe égyptien représenlanl la planète Vénus « l'Oiseau d'Osiris. » teurs trouveront ici l'un de ces hiéroglyphes, qui est bien (;aractô- ristique. Chez les Indiens, Vénus était appelée Sukra, c'est-à-dire l'éclatante, Daitya-Guru, la souveraine des Titans. Chez les Babyloniens, elle portait le nom d'Anadid, mot écrit plus tard Nana dans le livre des Machabées (^) et Nahit dans les Actes des martyrs. On l'appelait Nahid chez les Persans. Chez les Arabes, elle portait le nom de el Zohra, qualification qui appartient à la même racine que l'hébreu Zohar, « splendeur du ciel ». Dans les livres religieux des Sabéens, elle est nommée « tlamme, clialeur, esprit ». Sa qualification orientale ordinaire était « la lumineuse ». Il y a bien des siècles que son nom a été donné par les astronomes chaldéens au sixième jour de la semaine, le vendredi : Voifris dies. Phosphoros, Lucifer; Espéros, Vesper; Vénus, Junon, Isis, sont les noms mythologiques qui la désignaient il y a trente siècles et plus. Parmi les tablettes assyriennes brisées dont nous avons parlé à propos de Mars (p. 79) et dont la rédaction orig-inale remonte au moins au XVIP siècle avant notre ère, on remarque des observa- (') Isaie, XIV, 12. (') Liv. I, chap. V, 13 l't 13 VÉNUS DANS L'ANTIQUITE lions (le Vénus faites à cette époque en Babylonie, et notamment le fragment suivant: LA PLANÈTE VÉNUS ELLE PASSA A TRAVERS LE SOLEIL A TRAVERS LA FACE DU SOLEIL. Il serait assurément difficile de rétablir aujourd'hui les mots absents. Mais la dernière ligne surtout semble bien indiquer qu'il s'agit de l'observation d'un passage de Vénus devant le Soleil, observé en Babylonie il y a plus de 3500 ans. — Ces passages peuvent être observés à l'œil nu. Mais le fait seul de suivre ainsi régulièrement le cours d'une planète, même en ses passages devant le Soleil, dénote une organisation astronomique plus avancée qu'on ne serait porté à le croire pour une époque aussi reculée. Nous possédons aussi une ancienne observation datée. Elle est de l'année 685 avant notre ère, provient aussi des astronomes babyloniens, et est également conservée sur les tablettes de terre cuite qui sont au British Muséum (').La voici: « Le 25 du mois de Thamuz, Vénus cessa d'être visible à l'ouest, rest^ invisible pendant sept jours, et le 2 du mois d'Ab elle reparut à l'orient — Le 26 du mois d'Ellul, Vénus cessa de paraître à l'occident, resta invisible pendant onze jours, et le 7 du deuxième EUul on la revit à l'est. » Ptblémée nous a conservé dans V Almageste plusieurs observa- tions égyptiennes de la môme planète, dont la plus reculée date du 17 Messcri de la 13' année du règne de Ptolémée Philadelphe, la 476° année de l'ère de Nabonassar, date qui correspond au 12 octobre de l'an 271 avant notre ère : c'est une conjonction de Vénus avec une étoile de la Vierge, avec l'étoile yj, qu'elle a éclipsée. A ces époques lointaines, les hommes vivaient beaucoup plus que nous au milieu de la nature et suivaient plus attentivement les grands spectacles que nous offrent le Ciel et la Terre. Aux observations purement scientifiques s'ajoutaient d'ailleurs les déductions singulières qu'on en tirait au point de vue astrologique (') Voy. Montly Notices, ]mn 18G0 VÉNUS DANS L'ANTIQUITÉ fîUr l'influence des aspects célestes dans les affaires humaines. Les Égyptiens avaient reconnu que Mercure et Vénus tournent autour du Soleil, système qui, développé, conduisit Copernic à placer l'astre du jour au centre de toutes les orbites planétaires ('). Combien il est intéressant pour nous de retrouver aujourd'hui les antiques vestiges de ces usages disparus et de relire, sur les pièces originales, les lignes écrites du temps de Jésus-Christ, de Trajan ou de Marc-Aurèle ! Les langues se sont éteintes, les idées ont changé, les hommes ont disparu, les pays ont perdu leurs noms, le temps a tout emporté dans sa marche; mais les symboles astronomiques sont restés, avec la pensée de nos aïeux incarnée dans ces symboles. A l'époque dont nous parlons, l'astrologie régnait en souveraine sur toute la contrée arrosée par le Nil; les applications astronomiques étaient mêlées à tous les usages de la vie, aux naissances, aux mariages, aux ensevelissements et aux funérailles ; les astrologues étaient aussi nombreux que les prêtres aujourd'hui, et, avec bonne foi également, ils interprétaient les apparences célestes qu'ils avaient appris à commenter dans leur éducation au séminaire. On a retrouvé quelques-uns de leurs petits cahiers sur lesquels ils inscrivaient avec soin les positions des planètes dans les constellations zodia- cales, afin d'avoir sous la main ces positions pour le calcul des horoscopes. Un savant archéologue allemand, M. Henri Brugsch, a eu, sur ce point, la bonne fortune de posséder quatre petites tablettes de bois garnies de plâtre, sur lesquelles, au verso comme au recto, sont inscrits, à l'encre noire et rouge, des tableaux disposés en colonnes. Un côté de la bordure de ces quatre tablettes est percé en trois endroits de deux trous, ce qui fait croire que dans l'origine (') S'il fallait on croire le témoignage de l'antiquité, la planète amoureuse aurait subi des modifir;; jo i'^ extraordinaires. Saint-Augustin {Cité de Dieu, liv. XXI, chap. viit), rap- porte, d'après Varron, qu'elle aurait changé de couleur, de grandeur, de ligure et de cours. Ce fait serait arrivé du temps du roi Ogygès, dont le déluge asiatique a conservé le nom, vers l'an 1796 avant l'ère chrétienne. Ce récit de Varron n'offre pas assez de garanties pour être admis. Si le souvenir des peuples a vraiment conservé quelque trace d'un événement analogue, il n'est pas néces- saire d'attribuer de pareils changements à la planète (ils seraient d'ailleurs impossibles quant au changement de cours); mais on peut les expliquer en admettant qu'une comète s'est montrée le soir au couciiant quelques jours après que Vénus eut disparu vers sa conjonction, qu'on l'a prise pour Vénus elle-même, et qu'on a attribué à ceU»»- c' les aspects plus ou moins bizarres de la comète. VÉMS DANS 1, AMiyl m-; elles étaient liées par des fils, de manière à former une sorte de livre. Ces tablettes ont été rapportées d'Égyiite par un touriste anglais, M. Henry Stobart, avec une collecliuii d'oJtjets d'art qu'il recueillit en 1854. Nous reproduisons par ciiriosilé liislori(pu' l'une de ces tablettes, de grandeur naturelle (on voit que l'écriture en était très fine). Si quelques-uns de nos lecteurs s'intéressaient à la lire, ce n'est pas \) .-^v v>.l«î S^ iv? 4 v-l :. f^si '»a ^ V _r.'^^ "^ s.n>o îsxj ^^4?- 5^-^_î^\J- |-V'^ +--< ^ i -v^tAMA I Fig. 99. — Un maïuiscrit de dix-huit siècles, sur les positions des planètes. absolument difficile, grâce aux découvertes de Champollion et de Lepsius, et grâce surtout à l'application que M. Brugsch en a conclue pour ce cas spécial. On sait que la lecture se fait non de gauche à droite, comme dans notre écriture, mais de droite à gauche. La première ligne de la colonne I, ainsi écrite : ^>) ^k J se lit Sewek (Mercure). Pour lire les lignes suivantes, considérer d'abord le VÉNUS DANS L'ANTIQUITÉ dernier signe vers la gauche. Nous avons, en descendant, la série que voici : .o. Ces lignes représentent : etc. = Le Verseau. cf Les Poissons. •f Le Bélier. CZ Le Taureau. ^ Les Gémeaux. ^ Le Cancer V Le Lion. Maintenant, les signes à droite des précédents sont des chiffres qui désignent, le premier le jour du mois et le second le mois de l'année, et qui se lisent ainsi, à partir de la seconde ligne (la première étant occupée par le nom de la planète) : i. La Vierge. .0. La Balance. >s Le Scorpion. — . Le Sagittaire. ^ Le Capricorne. *- Le Sagittaire. * Le Capricorne. 2" ligne. 3* — 4- — 5* — 6* — 7" — 8' — Jours. Mois. 1 9 1" 2" 9* ligne 10* — 29 id. If — 19 3' 12" — 9 4' 13' - 20 id. li« — 14 5' 15' - Jours. Mois 9 6' 15 7- 15 id. 27 8' 7 10' 21 id. 6 ir Ainsi, les notes inscrites sur ce carnet représentent les dates de l'entrée des planètes dans les constellations zodiacales. Nous pour- rions donc lire, par exemple, les premières lignes de ce petit tableau dans les termes suivants : La planète Mercure est entrée dans La Vierge le 1" jour du 1" mois de l'année. — — — da-ns La Balance le 9* jour du 2' mois — — — — dans Le Scorpion le 29' jour du même mois. Etc., etc. De quelle année s'agit-il? Sur ces quatre tablettes doubles, sur VENUS DANS L'ANlIQUITE ces huit pages, il y a 29 années d'inscrites avec les positions zodia- cales des planètes, de l'an VIII à l'an XIX d'un règne, et de l'an I à l'an XVII du régne suivant. Les notes dont il s'agit commencent 1 1 ans avant la mort de Trajan, c'est-à-dire l'an GV de notre ère, et finissent 17 ans après cette mort, c'est-à-dire l'an CXXXIII. Voici la traduction complète de cette petite tablette : I li PLiNÈT! IKRCIIRI Jouri Uols Zodlugue I 1 Vierge. 9 2 Balance. 19 — Scorpion. 19 3 Sagittaire. i Capricor. iO — Sagittaire. U 5 Capric. 6 Verseau. ■28 — Poissons. 5 7 Bélier. !7 8 Taureau. 7 10 Gémeaux. II — Cancer. 6 11 Lion. U PliNÈIS SiTDRNB 1 1 Balance. 1 2 Seorpioii. U fmin mm 1 1 Lion. i 12 Vierge. U PLiNiTE liRS 1 1 Vierge. 12 » Balance. 27 2 Scorpion. 4 Sagittaire. 17 5 Capric. 25 6 Verseau. 3 8 Poissons. U 9 Bélier. 2o 10 Taureau. Il 12 Gémeaux. II li PUNÈIJ TÉNUS 1 1 Mon. 16 — Vierge. 10 2 Balance. b 3 Scorpion. 29 — Capric. 21 4 Verseau 15 5 Poissons. 9 6 Bélier. 4 7 Taureau. 28 - Gémeaux. 23 8 Cancer. 18 9 Lion. 13 10 Vierge. 9 U Balance. 21 12 U PLANEII MKKCgRS 1 1 Lion. 12 — Vierge. 2 2 Balance. 21 — Scorpion. 13 3 Sagittaire. 18 5 Capricor. 5 6 Verseau. 21 — Poissons. 10 7 Bélier. 12 9 Taureau. — Gémeaux. 12 10 Cancer. 4 11 Lion. LAN XV U PLlNiTS SiTDRNS 1 1 Scorpion. III U PUNiTI JUPITER Jours Mois Zodiaqui 1 I Vierge. U !Umi MARS 1 1 Gémeaux. 23 2 Cancer. 24 4 Gémeaux. 27 7 Cancer. 21 9 Lion. 12 11 Vierge 28 12 Balance. U PL&Nm TENDS 1 t Balanco, 23 — Vierge. 1 3 Balance. 14 4 Scorpion. U 5 Sagittaire 5 (6) Capricor. 30 — Verseau. 24 7 Poissons. 19 8 Bélier. 14 9 Taureau. 8 10 Gémeaux. 4 11 Cancer. 26 — Lion. 20 12 Vierge. U PL&NiTE MERCURE 1 1 Lion. 8 — Vierge. 18 — Balance. 17 2 Scorpion. 4 Sagittaire. IV U FUtiÉIE HERCURE Jours Mois Zodiaque 4 Capric. 5 Verseau. 6 Poissons. 8 Bélier. 9 Taureau. - Gémeaux, 10 Cancer. 12 Lion. L'AN XVI U PUtliTS SiTURNE 1 1 Scorpion. '■i 4 Sagittaire 4 9 Scorpion. Il PHNSTE JUPITER 4 1 Balance. H PUMilE MARS 1 1 Balance. 9 2 Scorpion. 8 3 Sagittaire. 27 4 Capric. 4 6 Verseau. 11 7 Poissons. 22 8 Bélier. 3 10 Taureau. 19 11 Gémeaux. li PUNÉTE TÉ.fUS 8 1 Balance. 8 2 Scorpion. 27 — Sagittaire. 3 Capric. 4 Verseau. 5 Poissons. U FUNÈTI TÉNUS Mois Zodlaqu< 6 6 Bélier. 1 l 7 Taureau. 10 9 Bélier. 2 10 Taureau. 16 U Gémeaux. 2 12 Cancer. U PUKÈTI HERCURE 3 1 Vierge. 24 — Balance. U 2 Scorpion. 16 4 Sagittaire. 3 5 Capric. 20 — Verseau. 8 6 Poissons. 8 7 Verseau. 15 — Poissons. 9 8 Bélier. 26 — Taureau. 12 9 Gémeaux. 5 10 Cancer. U 12 Lion. 30 — Vierge. L'AN XVII Li PliNÈTE SiTURNE 21 1 Sagittaire. Li PliNÈT! JUPITER 1 1 Balance. i 2 Scorpion. 29 6 Sagittaire 14 8 Scorpion. On voit parce tableau que les planètes sont inscrites pour chaque VÉNUS DANS L'ANTIQUITÉ année dans l'ordre de l'ancien sysLcme : Saturne — Jupiter — Mars — Vé/ius — Mercure. Les identifications sont bonnes, car elles correspondent bien aux mouvements apparents : pendant ces 27 années (la première tablette ne donne que Mercure pour l'an VllI), Saturne n'a fait qu'un seul tour du zodiaque, car en l'an IX il est inscrit dans le Sagittaire, et en l'an XVII du second règne il y est revenu; Jupiter, dans le Lion l'an IX, y revient au bout de douze ans. Ces mouvements seuls auraient suffi pour l'identification. Mars est parfois très rétrograde. Vénus et Mercure se déplacent dans le ciel avec rapidité. Les noms égyptiens des cinq planètes sont respectivement : Saturne = Hor-ka Jupiter = Hor-sat Mars = Hor-tos VÉNUS = Pnouter-ti Mercure = Sewek Les trois premières commencent par le même nom Hor {Horus) et sont qualifiées d'étoiles du Sud, de l'Ouest et de l'Est. Nous avons déjà vu tout à l'heure que sur plusieurs monuments pha- raoniques, Vénus est appelée « Venaou-hesiri », l'oiseau Vennou d'Osiris, en même temps que « Pnouter ti », le dieu du matin. Quant à la nature et à l'usage de ce carnet, l'auteur de ces recherches, M. Brugsh, en a conclu que ce sont là des observations astronomiques et non des calculs faits d'avance, comme dans nos calendriers. Nous ne pouvons admettre cette conclusion. On n'ob- serve pas l'entrée d'une planète dans un signe du zodiaque, par la bonne raison que les limites des constellations zodiacales ne sont pas marquées dans le ciel. Tout ce qu'on pourrait observer, ce serait la conjonction des planètes avec les étoiles, et ce n'en est pas le cas ici. D'un autre côté, quand on observe, on ne peut pas suivre l'ordre théorique du placement des planètes dans un système. En troisième lieu, la forme même de ce petit carnet ne rappelle en rien un registre d'observation. Serait-ce un recueil d'èphémérides calculées d'avance? Pas davantage, sans doute, car on ne calcule pas d'avance 28 années d'èphémérides. Et pourquoi les aurait-un calculées TERRES DU CIEL. 29 VENl'S DANS l/AiNTMJlITE d'avance? Ces not(!s ne peuvent pas servir à, des observations, puisque les positions précises n'y sont pas indiquées. Ni>us [)ensons que ce uc, pouvait être là que le carnet d'un astro- logue, donnant les positions zodiacales passées des planètes, pour servir à la construction des horoscopes. Il aura été écrit en l'an GXXXIII de notre ère. Ces positions rétrospectives étaient indispen- sables, entre autres, pour les théines astrologiques que l'on plaçait souvent dans les momies et qui se rapportaient à la naissance et aux I)rincij)aux actes de la vie des morts. Dès cette époque, les planètes avaient les domiciles suivants : Cancer Gomcaus Ta Bélier Poissons. Vei MERCURE yTlNUH MAR&. JUPITER ? Liou V^iei-o-f ^ M-j^-e. Balance Scorpion Satfi((au-c HJ— ^ f| .wrr/e.v/sJf^ C.tpiMcornc^ Le Soleil avait son domicile dans le Lion et la Liîne dans le Cancer. En inscrivant ensuite les cinq planètes dans l'ordre de leurs distances, on leur donnait respectivement pour domiciles les signes du zodiaque qui leur correspondaient : comme on le voit, chaque planète avait deux domiciles. Par la combinaison des influences imaginaires attribuées aux planètes avec celles des constellations, VKMS DANS L'AMiimiTI-: on croyait pouvoir calculer los destinées individuelles ot même guérir les maladies. Les douze signes se partageaient le corps Fig. 100. — Fragment d'un planispht-ie du ooiiiinentcinent de noire ère : correspondance astrologique dos planètes avec les signes d» zodiaque. humain dans tous ses détails. L'histoire nous prouve qu'il y avait des prêtres et des médecins qui pratiquaient l'astrologie de très bonne foi. .^ la même série de monuments appartient le planisphère de VÉNUS DANS L'HISTOIRE Bianehini, i)aLliù dans l'Histoire de l'Académie des Sciences de 1708 et qui a fait, surtout au temps de Dupuis, l'objet d'un grand nombre de dissertations contradictoires. Quel que mutilé qu'il soit, ce planisphère astronomique, que nous reproduisons ici {fig. 100), est encore, par un heureux hasard, assez complet pour pouvoir être entièrement restitué. En examinant cette figure, on remarque, en effet, au centre, la Grande Ourse et la Petite Ourse enlacés dans le Dragon. Autour de ce cercle central, dans un premier anneau, sont gravés 12 animaux qui ne sont pas les signes du zodiaque, à l'exception du Cancer : on croit reconnaître, dans ce qui n'est pas mutilé, un chien, un crabe (ou le Cancer), un serpent et un loup (') Sur les deux cercles suivants sont, doublés l'un au-dessus de l'autre, les douze signes du zodiaque. Puis on rencontre un cercle noir caba- listique orné de caractères grecs et latins difficiles à déchiffrer. Extérieurement à cet anneau on voit une large zone sur laquelle sont dessinées trente-six figures de décans, de style égyptien gré- cisé, et enfin, comme circonférence extérieure, les têtes des pla- nètes, de style grec. Les planètes restées visibles sont : Mars, le Soleil, Vénus, Mercure, la Lune, Saturne, Jupiter : elles sont donc placées dans l'ordre de l'ancien système : Saturne — Jupiter — Mars — Le Soleil — Vénus — Mercure — La Lune. Il y a dans ce planisphère trois influences artistiques bien marquées : l'ensemble dérive avec évidence de l'astronomie grecque, et les tètes des pla- nètes sont bien de style grec; la tète de Jupiter est celle d'un empereur romain couronné de lauriers; trois figures au moins des personnages sont d'origine égyptienne. Il est donc probable que ce monument date du premier ou du second siècle de l'ère chré- tienne — époque où, comme chacun le sait d'ailleurs, cette ère n'existait pas f). En examinant ces vestiges d'archéologie astronomique, nous renouons dans notre espi'it la chaîne en apparence interrompue des siècles passés, nous vivons un instant de la vie de nos aïeux, et la (') On peut voir dans V Astronomie populaire un zodiaque chinois qui offre certaines ressemblances avec cette série d'animaux : un dragon arrangé comme vestige d'un crabe; un seupent; un cheval; etc. (-) L'ère chrétienne n'a été imaginée que 550 ans après la mort de Jésus et adoptée que du temps de Charlemagne. VÉNUS DANS L'HISTOlllE science d'Urauie nous paraît encore plus grande, d'aiw. part, plus Uganda est sait proxmms. cwm Solcin aatecedit mane J>Mcifzi LjuasL laceritjèrensicwrriqj. cundernsecJLutur'^cspe.ri^IijèsGenLS sympatliique d'autre part, parce qu'elle nmis met en communication avec les savants, les artistes, les peuseiu's (jui, avant nous, vivaient VÉNUS DANS L'HISTOIRE comme nous le faisons aujourd'hui, dans la contemplation des beautés et des réalités de l'univers. Avant d'oublier ce fragment de planisphère, remarquons encore que la première planète de chaque section donne le titre des jours consécutifs de la semaine : Mars = Mardi Mercure = Mercredi Jupiter :^ Jeudi Etc.. C'est évidemment par l'astrologie que les noms des planètes ont été donnés aux jours de la semaine, et peut-être est-ce là l'origine môme de ces jours, comme usage astrologique. Quoi qu'il en soit, c'est là une explication à ajouter à celles que nous avons données dans l'Astronomie populaire (p. 135), et peut-être est-ce la meilleure. L'art nous a transmis ces divers souvenirs. Dans sa galerie planétaire, Raphaël lui-même a pris soin de bien indiquer les constellations favorites de chacpie planète. On peut voir sur le dessin reproduit plus haut que Vénus, la gracieuse déesse, avait pour signes privilégiés le Taureau et la Balance; cette gravure du dix-septième siècle mérite d'être placée en regard de celles de Mars et du Soleil, précédemment publiées. Mais c'est assez nous arrêter au vestibule de l'histoire. Pénétrons dans le sanctuaire de l'observation astronomique et faisons con- naissance intime avec la belle planète. Est-elle aussi ravissante qu'elle le parait? Si nous l'habitions, trouverions-nous fondés ces regrets exprimés par le poète Moore dans les Amours des Anges : « Oh ! disait-elle, pourquoi mon destin ne m'a-t-il pas fait naître « Esprit de cette blanche étoile, habitant sa sphère brillante, K Pure et isolée comme les anges, sans autre emploi que de prier, « Et d'allumer mon encensoir au Soleil ? Le séjour de l'astre de Vénus est-il véritablement un séjour enchanteur? Ou bien, la blanche et mystérieuse étoile du soir ne serait-elle pas plus belle de loin que de près? Examinons sa situation dans la province solaire, et rendons-nous compte d'abord de son mouvement autour du foyer central CHAPITRE fl Mouvement de Vénus autour du Soleil. — Phases. — Éclat. Lumière cendrée. Lu brillauto planète, l'étoile du malin et du soir, tourne autour du Soleil en une révolution de 224 jours 16 heures 49 minutes 8 secondes, dans le même sens que la Terre elle-même. Telle est la durée do son année et la première base de son calendrier. Les années sur ce monde ne durent donc environ que sept mois et demi. Elles sont, comme on le voit, beaucoup plus courtes que les uôlics. Dans le même temps que nous arrivons à l'âge de vingt ans sur notre planète, un habitant de Vénus a déjà dépassé sa 32' année; (juand nous comptons 40 ans, il en compte prés de 65; quand nous comptons cent ans, nos voisins en comptent 162, et ceux d(î Mercure 415! Est-ce un bien, est-ce un mal? Au point de vue bioliigiquc connue au point de vue du progrés, cette rapidité constitue assurément un désavantage. L'orbite de Vénus autour du Soleil n'est pas excentrique comme celle de Mais, mais pr(\squc circulaire et à peine elliptique : l'excentricité n'est que de 0,U07. Si l'on représente par 1000 la distance de la Terre au Soleil, la distance périhélie de Vénus sera iu(li((uée par le chiffre 718, la distance aphélie par 7.28, et la distance moyenne par 723. Exprimés en lieues, ces nombres nous donnent : Distaiici! pc'-rilu'-lii" — inoyciHK' — a|j|u'lic . La Terre étant 1 En kilomètres. En lieues. 0,718 100 .'tO:t 200 26 .Ï75 800 0.7-23 107 001 000 26 7oO iOO 0.T2S 107 700 000 26 '.12;; 000 La dillercnce n'est que de 350 000 lieues entre le périhélie et l'aphélie. Si nous calculons le développement total de l'orbite, MdllVt.MENÏ UE VKNIS AlïOlU DU SOI.tIL nous tniuvitiis (|ih' s;i lidiniiciir est ûr KiS luillioiis de lii'iios. l'iiis(|iif la pi;iii(''t(' Icri i)urcuui-L en v'v*'! jniirs, clli.' vuliiu,' donc aiitnin- (lu Soleil ù raison de ToUUOU lieues pai' joiu', ([u'elle TERRES DU CIEL. 30 MOUVK.MENT DE VÉNUS AUTOUR DU SOLEIL est luur il luui' étoile du matin et étoile du soir. Ainsi, elle est passée devant le Soleil, le 6 décembre 1882, après avoir été étoile du soir; ;ï partir de cette date elle s'est écartée du Soleil, pour devenir étoile du matin, tourner autour de lui et aller passer derrière lui le 20 septembre 1883 : c'est ce qu'on appelle sa conjonction supcV rieure. A partir de cette date, elle s'écarte de nouveau du Soleil, devient étoile du soir, revient vers nous et, de mois en mois, lirille dans le ciel du crépuscule pour régner en souveraine pendant les soirées d'avril, mai et juin 1884. Puis elle se rapprochera du Soleil pour passer entre la Terre et lui (mais non juste devant lui) le 1 1 juil- let; c'est sa conjonction inférieure, qui arrive 294 jours après la conjonction supérieure. La plus grande élongation peut atteindre 48°, et la planète peut alors se coucher après le Soleil, ou se lever avant lui avec une différence de quatre heures et demie. Sur ce cycle de 584 jours ou de 19 mois et demi, Vénus est invisible en moyenne pendant quatre mois (un mois avant et après chaque conjonction), et visible pendant sept mois comme étoile du soir ou comme étoile du matin. On a toujours, à peu près, la répétition du cycle suivant • CYCLE DU MOUVEMENT UE VENUS Conjonction inférieure .... 6 décembre 188-2. , \ Invisible. ■' 71 jouis.) . PI. gr. élongation du matin . 15 février 1883. ! 290 jours. \ Etoile du matin. Conjonction supérieure ... 20 septembre 1883. \5S1 jours. Invisible. PL gr. élongation du soir.. 2 mai 1884 j ' ~ ]291 — 1 Étoile du soir. Conjonction inférieure . ... 11 juillet 1884.' "" ~ ^ / Invisible. Nos pères aimaient personnifier les astres, les planètes, les objets divers de la nature, les phénomènes célestes, et nous trouvons, par exemple, dans les ouvrages du XVIIP siècle, notamment dans V Atlas cœlestis de Doppelmayer (Nuremberg, 1742), une représentation assez curieuse de Vénus gravitant autour du Soleil en compagnie de Mercure et de la Terre. L'amour, guidé par deux colombes, dirige Vénus, et la Terre, accompagnée de la Lune, est emportée dans une calèche aux roues géographiques. Les mouvements sont judicieusement représentés. Les artistes ne seront sans doute pas fâchés de retrouver ici cette ancienne figure. Vénus passe de temps à autre juste devant le Soleil, et alors elle paraît glisser devant lui comme un petit disque noir. Ces MdlVKMK.NT DK MiNlS Al II) II! lU passages ont une grande iniportaucc ilans les niùLhodes astrono- miques (') parce qu'ils servent à nu'sun'r lu distance du Soleil, buse de notre connaissance de la consLruclion de l'univers. Les deriners ont eu lieu le 8 décembre 1874 et le 6 décembre 1882 : là planète >■>■ ili' 1.1 l.iini', Wun- it MiTi-iirc. tournant autour du Soleil. (Figure Uu XVI 11' siècle). a suivi sur le disque solaire les routes tracées sur notre figure lO't. Les prochains auront lieu le 7 juin 2004 et le 5 juin 2012. Ces passages sont régis par une curieuse périodicité : ils reviennent aux intervalles de : 8 ans; 113 ans ^ + 8 ans (ou 121 ans ^); 8 ans; 113 ans i — 8 ans (ou 105 ans {), etc. Lorsqu'on se représente l'orbite de Vénus et cell(.> de la Terre tracées autour du Soleil comme centre, il semble que Vénus devrait (') Ces passages de Vénus sont obsen'ables à IVi>il nu, soit au lover ou au coucher du soleil, soit il travers le hroiiillard, soit à l'aide de verres noircis, comme une petite tache noire bien ronde. Or les Chinois ont observé à r) Voir nos Éludes sia- l'AsImnomie, t. III, p. 17o. (') Voir la Ileviie mensuelle L'AsIruiioinie, octobre 1883. LES l'HASKS I)K VKMS rquiUiirial on iiiic liiiicfti' iiuM'idienne, c'est encore plus facile. L'astronoiue Ilawes assiuv ([u'on peut observer la planète à la conjonction siipriiciire, jusiprà une minute seulement du bord du soleil. Ces phases de Vénus sont chaniiautes à observer, même à l'aide du plus modeste! instrument. Pâle sur le ciel bleu, cr. Irixov crnissanl semble flntter comme un rêve. La première fois qu'on Fig. 100. — Ori;rL> des phases de Vénus. !'(ilis(n've, on n(^ peut se dcfeudiT de l'idée que c'est la Lune que l'on a sous les yeux. Un grossissement de 50 fois donne, du reste, au croissant de Vénus la dimension apparente sous laquelle nous voyons la lune à l'œil nu ('). La distance de Vénus à la Terre variant considérablement selon les positions qu'elle occupe sur son orbite, son diamètre varie dans la même proportion. Lorsqu'elle se trouve à sa plus grande distance de la Terre, c'est-à-dire derrière le Soleil, elle est éloignée de nous de toute la largeur de son oibid', plus de la en croissant, comme c'est le cas de Vénus, et une moins éloignée lors(pie la phase surpasserait la quadrature, comme il arrive pour Mercure. Le pejple ila Paris prenanl Venus p;-ui- • réloik de bouujxuie i \ KM .s \ 11. L.N l"l.tl.N Mllll Ce plus grand éclat doit arriver à peu prés tous les huit ans, parce que la situation de Vénus et de la Terre l'une par rapport à l'autre se retrouve à peu près la môme après cet intervalle. Mais la saison, l'état du ciel, la hauteur de la planète au-dessus de l'hori- zon, apportent autant de causes de variations dans cette visibilité. Lorsque ces diverses circonstances sont réunies, Vénus est visible en plein jour. Les anciens l'avaient déjà reinanpié. Varron rappurte qu'Énée, dans son voyage de Troie en Italie, apercevait constamment cette planète, sa patronne, malgré la présence du Soleil. Les années 398, 984, lOOS, 1014, 1077, 1280, 1363, 171(3, 1750, 1797, 1857, sont restées remarquajjles à cet égard. En 1716 et en 1750, il y eut à Paris et à Londres un bruit consi- dérable à propos de cette visibilité de la planète en plein jour: on la prenait pour une étoile nouvelle. En 1797, le général Bonaparte, se rendant au palais du Luxem- bourg, fut fort étonné de voir que le peuple fixait son attention sur le ciel au lieu de le regarder lui-même. Il questionna son état- major, et apprit que les curieux voyaient avec surprise, quoique ce fût en plein midi, une étoile qu'ils prenaient pour celle du vainqueur de l'Italie : c'était Vénus elle-même brillant non loin du Soleil. En 1857, au mois d'avril, l'éclat de la même planète traversa de nouveau la lumière du jour, et les vues perçantes pouvaient la distinguer en plein midi, brillant à 40 degrés à l'ouest du Soleil. On s'arrêtait à Paris, notamment sur la place de la Concorde, où des observateurs, cx'oyant avoir affaire à une comète, ajoutaient même qu'on eu distinguait la queue. On a remarqué aussi ce brillant éclat en mai 1868, juin 187G et février 1883 ('). Vénus est le seul astre qui puisse être vu à l'œil nu en plein midi. (') Au mois de février 4883, Vénus s'est montrée admirablement visible pendant le jour, de diverses contrées où l'atmosphère était bien pure. Nous signalerons, parmi les observations qui nous ont été transmises, celles de M. folaché et des membres de la Soc<éli scif.iiUfique Flammarion do laën (Esp;iyne), et celles de M. Du Buisson, à l'île de la Réunion. Remarque assez curieuse, ces deux observations ont été faites le même VK.NUS VUE EN l'I.EI.N MIDI Mais le soir i>\\ Ir in.iMii, avi.iit li' coucher ou a[)rés le lever du Soleil, on a {[m'iiiiiefnis apcrcii .Iii[)ilcr, Sirius, (_!lanoi)us d Vi\l;;i. En la ciimparaiil à la hunirrc ilc la l'Ieine-Luni', nn trouve i[ue la clarté que imus recevons de Vénus esl environ lOOII lois plus faible. \ oici niaiuLenaul un fait d'observation bien ùnignuiliqu'^ eu lui-même et fort ditBoile à exiili({uer. Tout le monde a pu remanjuer que lorsque, le troisième et le quatrième jour di^ la lunaison, la Lune brille dans le ciel du soir sous la forme d'un croissant lumineux, on distingue dans l'intérieur du croissant le corps tout entier du glolie lunaire, non pas lumi- Fig. 112. — Le Soleil, la Lune et VOniis vus à l'œil nu, le 4 février 1883. neux comme le croissant, mais presque aussi obscur que le ciel, et teinté d'une faible lumière grise. Il en est de même lorsqu'avant la nouvelle Lune, notre satellite lirille le matin sous la forme d'un croissant opposé à celui du soir. Cette lumière secondaire, noiimiée hintirrr ccii'lrrc, u'appai- tient pas à la Lune elle-même : elle est due à la réllexinn de la lumière île la Terre éclairée.' par le Soleil : c'est le rjeflet d'un reflet. Or, cette liiniièiv cendrée a été vue sur Vénus comme sur la Lune. Oiniiiieiit cela peut-il se faire? 11 n'y a pas auprès de Vénus un astre (pii joue [loiir elle le n'ije de la Terre à l'éganl de la jiMir. il' t l'iM-icr. ù |)iii|Mis (lu passage de Vénus tout prés de la Lune, en plein midi. Tout le iiuimli', unis iLiil nu. pouviiit lain- cette observation. Xcuis reproduisons iei le dessin lait en Kspai^ne, luonlraut lu posiliou de la liiillaute plaïu'-te. ;i •.•' ii droitiMle la l.une et à 37' du Soleil, à 11 lieure> du lualiii (heure de laën). Dans une lunette, Vénus otTrait l"as|ieet rrprési'iili' ti^uri" II:!. LA Ll.MlKKK CKMlUKK I) F. VE.MS Liiiio l't (|ni iV-flrcliissL' quelque lumière sur son hémisphère non éclairé, (jui'lle peut être la cause de cette singularité? Mais avant de sUccniier des explications, l'important est de savoir si réellement cette lumière secondaire existe. Comme notre hut dans cet oiivrayc est de connaître tons les détails qui intéressent chacun des inumles de notre syst''Mne sfijaire, voyons quelles sont l.;t Lune vue à l'œil nu Vénus observée ù la lunette (-t lé ISS3). les ohservations certaines qui ont été faites sur cette clarté mysté- rieuse. La première en date se trouve dans la Thôolorfw astronomique du recteur anglais Derham, publiée en 1715 et traduite en français en l??',). On y lit le passage suivant : « Lorsque la planète (Vénus) paraît sous la forme d'une faux, on peut voir la partie obscure de son globe, à l'aide d'une lumière d'une couleur terne et un peu rougeâtre. » Dans l'ordre des tliites, la seconde observation de la partie uliscurc de Vénus appartient à André Mayer: la voici: « Le '20 octobre 1759, à midi 45 minutes, passage au méridien de la corne inférieure: la partie lumi- neuse de Vénus était très mince, cependant le disque entier apparut de la même façon que la portion de la Lune vue à l'aide de la lumière réfléchie sur la Terre. » Ainsi Mayer observa le phénomène pendant le jour, au moment du passage au méridien, et à l'aide d'une lunette de force très médiocre. En 180t). Hardiua vit trois fois le disque entier de Vénus à des époques LA MIJIIÈRE CENDRÉE DE VÉNUS OÙ, par l'éclairement ordinaire, il auraiL dû n'en apercevoir qu'une très petite partie. Le 24 janvier, à nuit close, la lumière exceptionnelle se distinguait de celle du ciel par une teinte gris cendré très faible, et dont le contour parfaitement déterminé paraissait éclairé par le soleil. Le 28 février, la lumière de la région obscure, vue dans une faible lueur crépusculaire, semblait légèrement rougeàtre. Le 14 mars, dans un crépuscule sensiblement plus fort, Harding fît une observation analogue. Le 11 février de la même année, sans avoir eu connaissance des observations du professeur de Gœttingue, Schrœter aperçut aussi à Lilienthal la partie obscure de Vénus, qui dessinait dans le ciel une lueur terne et mate. Ultérieurement, Gruithuisen, de Munich, fit une obser- vati^on analogue à celle de son collègue de Lilienthal, le 8 juin 182.5, ù quatre heures du matin. Pastorff a observé deux fois cette vague clarté. Guthrie et d'autres l'ont notifiée en Ecosse pendant l'année 1842. De Vico et Palomba déclarent l'avoir vue plusieurs fois à Rome en 1839. Voyons les observations faites en ces dernières années sur ce même sujet ('). Le 14 janvier 1862, M. Berry, oncle de l'astronome anglais Knott, ne connaissant pas d'avance cette visibilité, la remarqua en observant la planète dans un petit télescope grégorien de 4 pouces, dont l'oculaire grossissait 160 fois. La partie oculaire du disque était parfaitement visible et comme teintée d'une lumière cendrée. Plusieurs observateurs ont également notifié ce phénomène en 1862 et 186.3. Le 5 février 1870, M. Langdon, dont nous rapporterons plus loin les observations relatives aux taches de la planète, vit, ainsi que plusieurs autres personnes, le disque entier éclairé par la lumière cendrée. Le capitaine Noble, dont l'observatoire est situé au comté de Sussex (Angleterre), l'observa le 22 février 1870, la veille du jour de la conjonc- tion. Le croissant ne s'étendait pas tout à fait jusqu'à un demi-cercle. En diminuant le champ de la lunette, il parvint à distinguer tout le corps de la planète, mais sans une limite nette au contour. Le ciel n'était pas très pur. Le 25 septembre 1871, à Sti'asbourg, l'astronome allemand Winnecke distingua parfaitement en plein jour, comme André Méier en 1759, le corps obscur de Vénus éclairé d'une faible lumière. C'était un peu avant midi. L'atmosphère était extraordinairement pure. Le 22 mars 1873, à 6 heures 40 minutes du soir, la phosphorescence (') Consulter les Monthly Notices of the Royal Aslronomical Society, et la Revue mensuelle L'Astronomie. TERRES DU CIEL. 3S I.A LUMIÈRE CENDKÉE DE VENUS du disque non éclairé était parfaitement visible, dans une lunette achromatique de 4 pouces d'ouverture, pour M. Elger, dont nous rappor- terons plus loin aussi les observations variées. Le 19 avril 1873, le corps entier de la planète était visible dans le télescope à miroir à verre argenté de M. Langdon. Pour ma part, je n'ai vu qu'une fois ce même aspect, le 2 avril 187(3, à l'aide d'une lunette de 4 pouces, et encore était-il peu prononcé. Obser- vation faite au crépuscule. M. ArcimisetM. VanErtborn, en 1876, ont observé cette lumière pendant le jour, comme Méier l'avait fait en 1859, ainsi que Winnecke en 1871. Comment ces observations peuvent-elles s'expliquer? Cette visibilité de la portion non éclairée du disque de Vénus est -in problème difficile à résoudre, d'autant plus que l'observation de cette lumière cendrée a plutôt été faite pendant le jour ou au cré- puscule que pendant la nuit ('). Si l'intérieur du disque de Vénus n'avait été vu qu'à l'époque de la conjonction, on pourrait fort Itien attribuer cette visibilité à l'anneau atmosphérique qui entoure la planète lorsqu'elle est proche du Soleil. — Nous en reparlerons plus loin à propos de l'atmosphère de Vénus. — Mais il n'en est pas ainsi pour toutes les observations. Olbers, dans son mémoire sur la transparence du firmament, adopte l'opinion que la lumière qui nous fait voir ce disque opaque provient d'une sorte de phosphorescence. Cette même opinion avait été antérieurement professée par William Herschel, qui, en rappelant dans un mémoire de 1795, que la portion de Vénus non éclairée par le Soleil a été vue par ditïérents observateurs, croit ne pouvoir rendre compte de l'existence du phénomène qu'en l'attribuant à quelque propriété phospho- rique de l'atmosphère de la planète. Arago se demandait si ce rare et curieux phénomène ne pourrait pas être expliqué à l'aide d'une certaine lumière cendrée analogue (') On peut signaler à ce propos une curieuse observation faite par M'"° Webb le 30 juin 1880, à 7 heures 30 minutes du malin, près du lac Majeur. La Lune était alors en son dernier quartier, à 21 iieiires et demie après la quadrature, et encore à une grande liautcur dans U: ciel, mais pile dans la lumière du jour : l'observa t.rice constata avec étonnement que le côté non éi'lairé de la Lune était visible, de couieur lilas sur le fond bleu du ciel, et irrégulièrement ombré, plus blanc vers le sud-ouest, comme cela devait être, en effet. M"' Webb confirma son observation à l'aide d'une jumelle. Pour- tant, ni M. Wclili, ni leur domestique, ne purent rien distinguer. LA I.UMII';i!K CENDREE DE VÉ.MS a cello de notre Lune, et qui aurait sa cause dans la lumière réflé- chie par la Terre ou par Mercure vers la planète. Mais ce ne serait pas là une lumière suffisante, et Arago concluait lui-même que l'explication est difficile à donner. « Si la phosphorescence était toujours visible dans les circonstances favorables, écrit-il, on pourrait certainement l'admettre; mais elle est si rarement observée que l'on se demande comment une cause occasionnelle pourrait agir ainsi à la fois, sur toute la surface d'une planète aussi vaste que la nôtre. De plus, une telle phosphorescence devrait être mieux visible la nuit que le jour. Si donc le phénomène est réel, pourquoi n'est-il pas visible lorsque les circonstances sont les plus favorables? On serait donc porté à attribuer cette visibilité à une illusion d'optique ». Nous pencherions plutôt vers l'explication suivante : Chacun a pu remarquer que pendant la nuit étoilée la plus profonde il y a assez de lumière diffuse pour que l'on distingue parfaitement les objets de la campagne, le chemin que l'on suit, et surtout les objets blancs, particulièrement la neige. Or, le globe de Vénus a une très grande intensité de réflexion : il est très blanc, sans doute environné de nuages à surface neigeuse. Ce globe si blanc ne peut-il réfléchir vaguement la lumière stellaire répandue dans l'espace, tandis que l'espace reste absolument noir? Ne suffirait-il pas que cette clarté fût faiblement accusée pour que l'œil continuât instinctivement le contour du croissant et devinât le reste du globe, qu'il ne distinguerait pas sans cela? Cette lumière cendrée ne serait visible que lorsque ce globe serait entiè- rement couvert. Peut-être ces nuages sont-ils doués d'une certaine phosphorescence, comme les nôtres en montrent parfois, notam- ment au printemps. Peut-être aussi assistons-nous d'ici à des aurores boréales de l'atmosphère de Vénus. Les nuages si blancs qui entourent constamment la planète, leur phosphorescence possible, ou des aurores boréales, forment un ensemble d'expli- . cations que l'on peut accepter provisoirement. — Peut-être sera-ce ici comme en politique, où c'est le provisoire qui reste 'jovj'^rîînîav^^ CHAPITRE III Dimensions. — Surface. — Volume. — Poids. Densité. — Rotation. — Inclinaison de l'axe. — Jours et nuits. — Années. Saisons. — Climats. — Satellite. Cette brillante étoile du soir^ qui verse sa douce lumière du haut des cieux, est loin d'être un point lumineux comme elle le paraît à l'œil nu. La distance seule qui nous en sépare produit cette exiguïté. En réalité, c'est un globe énorme, sur lequel nous pourrions mar- cher et voyager comme sur la Terre. L'imagination pourra en faire le tour, et le mesurer par la pensée, si nous supposons qu'un Océan entoure entièrement la planète Vénus, et que le plus rapide de nos navires à vapeur soit lancé sur ses eaux : il emploierait plus de deux mois à en faire le tour; pendant 70 ou 80 jours l'hélice mordrait les eaux, et les ondes du sillage bouillonneraient à la poupe du navire dans ce voyage de circumnavigation, avant que nous eussions ac- compli notre traversée autour de ce vaste globe, qui est à peine infé- rieur à celui que nous habitons. Toutes les observations et tous les calculs s'accordent à donner à la Terre vue du Soleil le diamètre de 17",72. C'est la grandeur angulaire d'une bille de 10 centimètres de largeur placée à 11 64 mètres de l'œil. Les mesures micrométriques faites depuis plus d'un siècle sur la planète Vénus, corrigées de toutes les causes possibles d'erreur, re- commencées et vérifiées de toutes les façons, nous démontrent que cette planète est à peu près de mêmes dimensions que la Terre. Voici les nombres obtenus pour exprimer l'angle qu'elle sous-tend, vue à la distance qui nous sépare du Soleil, distance prise pour unité VÉNfS. — VOLUME. SURFACE dans les mesures interplanétaires. William Herschel avait trouvé 18",7fl, ce qui donnait un diamètre un peu plus grand que celui de la Terre. M. Main avait trouvé un diamètre un peu moins grand que celui d'Herschel, mais cependant encore plus grand que celui de la Torro. Longtemps on s'est demandé si décidément cette planète est plus grosse que la nôtre. Dans tous les cas, la différence ne pouvait être bien grande. Les dernières mesures sont : Stonc, 1865 (Obser- vatoire de Greenwich) : 16"/J4; — Powalky, 1871 (Passages de Vénus de 1761 et 1769) : 16",92; — Tennant, 1875 (Passage de Vénus de 1874): 16",90; — Hartwig, 1881 (Mesures micrométriques) : 17"55('). La discussion définitive donne l'avantage au globe que nous liabi- tons. Mais notre supériorité sur lui n'est que de quelques centaines de lieues carrées; encore faudrait-il savoir si les trois quarts de sa surface sont comme ici, rendus inhabitables par l'envahissement des eaux. Comme dimensions, Vénus est la planète qui ressemblf le [dus à la Terre. Son diamètre est de 0,954 en prenant celui de la Terre pour unité, c'est-à-dire qu'il est de 1-2000 kilomètres; sa circonfé- rence mesure par conséquent 9500 lieues; son volume est égal aux 87 centièmes du volume de la Terre ; sa surface dépasse les 90 cen- tièmes, c'est-à-dire qu'elle est presque égale à celle de notre planète. Aucun autre globe du système ne pourrait offrir une telle similitude avec le nôtre. Jupiter, par exemple, est 1230 fois plus volumineux que la Terre, Saturne 675 fois, Neptune 85 fois, Uranus 75 fois : ce sont des colosses auprès de nous. Le volume de Mars au contraire n'est que les 16 centièmes de celui de la Terre, et le volume de Mercure les ^') Afin que nos lecteurs puissent se rendre compte de la nuinière Ires simple dailleurs, dont ces mesures sont obtenues, nous dirons que le micromètre se compose essentiellement de deux fils mobiles, entre lesquels on place la planète. Ces fils sont montés sur deux petites plaques qui jilisspnt dans un cadre à l'aide d'une vis. Les fils peuvent être placés juste l'un devant l'autre, j puis s'écarter à volonté. On met li' bord de la planète juste tangent au fil de gaurlie, par exemple, puis on tourne la vis de droite jus- qu'à ce que le fil de droite vienne toucher le bord droit de la planète. Connue on a d'avance la valeur ilu tour de vis, on conclut du nombre des tours faits la ;éométrique du diamètre de la planète. On voit combien toutes ces mesures vnismc du mien calcul valeui sont simples, tout en étant très précises VÉNUS. — POIDS. DENSITÉ 5 centièmes. Celui de la Lune n'est que la 49° partie du volume de la Terre, c'est-à-dire un peu plus du tiers de celui de Mercure, et son diamètre mesure 870 lieues. Enfin les plus grosses des minuscules planètes qui circulent entre Mars et Jupiter ne mesurent qu'une cen- taine de lieues, et les plus petites descendent même à un diamètre de quelques lieues seulement. On voit que dans toutes ces diversités, Yènus peut vraiment être nommée la sœur jumelle de la Terre. Tel est le volume de notre planète voisine. Quel est son poids ? Si elle avait un satellite tournant autour d'elle, nous pourrions faci- lement calculer ce poids, comme nous l'avons fait plus haut pour Mars, par la vitesse de son mouvement. Mais nous verrons tout à l'heure que les observations qu'on a cru faire de ce satellite ne sont rien moins que concluantes. En l'absence de ces observations, on a donc dû peser le globe de Vénus par les perturbations que son attraction fait subir à ses deux planètes voisines, la Terre et Mercure : lorsque Vénus passe entre le Soleil et nous, par exemple, elle nous tire légèrement vers elle et dérange notre globe tout entier, comme le fait la Lune qui, au premier quartier, nous tire en avant, et au dernier quartier, nous retarde comme un frein. Merveilleuse légèreté des mondes ! la Terre est pareille au ballon d'enfant qui flotte dans l'air : la moindre influence la dérange de son cours, et c'est en observant minutieuse- ment ces dérangements qu'on a pu faire la part précise de Vénus dans les perturbations apportées, et en conclure sa puissance, c'est- à-dire son poids. La masse du globe de Vénus peut se déduire de la précession des équinoxes comme du mouvement de Mercure. Les calculs s'accordent à prouver que cette planète pèse moins que la nôtre. En représentant par le chiffre 1000 la masse de la Terre, celle de Vénus est représentée par 787. La connaissance de son volume permet d'en conclure la densité moyenne des matériaux qui la composent : elle est un peu plus faible que celle de notre globe (= 0,905). Enfin la pesanteur des corps est également plus faible sur cette planète que sur la nôtre; car en désignant par 1000 l'intensité de la pesanteur à la surface de la Terre, cette même force est sur Vénus repi'ésentée par le chilîre 864. — Les habitants de ce monde sont un peu plus légers que nous. VÉNUS. — POIDS. DENSITÉ. ROTATION En résumé, nous voyons que Vénus et la Terre sont deux mondes remarquablement rapprochés par leurs éléments astronomiques comme par leur position dans le système solaire. En est-il de même des conditions physiologiques? Et d'abord, cette planète tourne-t-elle sur elle-même comme la nôtre? Possède-t-elle comme la nôtre des alternatives de jours et de nuits qui rappellent de près ou de loin ce qui se passe chez nous? Oui, malgré les doutes que l'on a émis sur les résultats obtenus, nous pouvons considérer comme très probable, sinon comme tout à fait certain, que ce monde voisin tourne sur son axe en 23 heures 21 minutes 22 secondes. La durée du jour et de la nuit réunis y est donc à peu près la même qu'ici . la différence n'est que de 34 minutes en moins. Pour les régions équatoriales de Vénus, comme pour celles de la Terre, le jour est pendant toute l'année égal à la nuit; sa durée y est constamment de 11 heures 40 minutes. Mais, sous toutes les autres latitudes, cette durée varie considérablement suivant les saisons, comme chez nous, et plus encore. Nous en verrons les détails en nous occupant de l'intensité des saisons et des climats de cette planète. Gassini est le premier qui, étant parvenu à remarquer quelques taches sur son disque, en suivit le mouvement, et conclut à l'exis- tence d'une rotation, que ses mesures, commentées par son fils, portaient à 23 heures 15 minutes. Ces observations datent de plus de deux siècles, de 1666. Elles ont été faites en Italie, avant que Louis XIV eût appelé cet astronome à la direction de l'Observatoire de Paris, qui venait d'être fondé. On trouvera les principales à la figure suivante, d'après l'ouvrage du fils de Gassini : les dessins de 1666 et 1667 sont de Gassini; les deux de 1728 sont une reproduc- tion de ceux de Bianchini, que l'on trouvera plus loin, au chapitre de la Géographie de Vénus. Soixante ans plus tard, en 1726, Bianchini, autre astronome ita- lien, trouvait 24 jours 8 heures pour cette même durée de rota- tioT? Cette énorme différence provenait de ce qu'il avait observé la mère tache revenue à une position identique après une période de 25 rotations entières, ce qui donne, par la division, 23'' 22°" pour la durée de chacune d'elles, nombre très voisin de celui de Gassini. VÉNUS. — ROTATION. DURÉE DU JOUR A la fin du siècle dernier, l'astronome allemand Schrœter trouva par ses comitaraisons â.S heures -21 minutes f^ seciuidcs. Fu/iirr cico' Cac/ics J^ l'cnu^-. ltJi>UilciatU elevc cU6''^ Fig. 116. — Oh^iM-valion des taches et de In rotation de Vénus. (Cassini, IClM-lUin et Uianchini, 17-iti.) La période a été définitivement déterminée en 1841, grâce à une \ KM ^. — l; (ITA I ION. 1)1 llKK II r Joli; belle série d'oliservations organisées sous le ciel ordinairement très pur de Rome par le P. de Vico, et fixé à 23 heures 21 mi nu les 22 secondes. Ces observations étant liées à la géographie de Vénus, on en trouvera le détail au chapitre qui concerne ce sujet. C'est, comme nous l'avdus vu pour Mars, jiar le déplacement des taches obser- vées sur la i)lanéle, que cette durée de rotation a été déterminée ^^iM i'i^' 117 - In.'Salitrs oll- l;i phijiMc Vrniis. et aussi par le retour de certaines échancrures reconnues le long du croissant. Notre figure 117 donne une idée de ces diverses inégalités observées au croissant, à la quadrature, après la quadra- ture et vers la ennjonction supérieure. Ajoutons que cette rotation diurne de la planète a produit sur ce gl<)l)(; le même elîet que la rotation de la Terre a produit sur le nôtre; elle l'a légèrement aplati aux deux extrémités de l'axe et, légèrement gonflé à l'équateur. Mesuré par M. Tennant pendant ^ le passage de 1874, cet aplatissement polaire a été évalué à ~U. Trr.tiES DU ciEi. :t:t VÉNUS. — ROTATION. DURÉE DU JOUR Cette valeur est un peu supérieure à celle de l'aplatissement terrestre, qui est de tj-k- L'année de cette planète se composant de 224 jours terrestres, en compte 231 des siens propres : 231 jours sidéraux, ou rotations. Mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer à propos de Mars, il y a dans l'année un jour solaire de moins que de jours sidéraux. L'année des habitants de Vénus compte donc, en définitive, 230 jou7's solaires ou civils; le jour solaire y est de 23 heures 27 minutes 6 secondes : telle est la durée du jour et de la nuit réunis. Les saisons n'y durent chacune que 56 de ces jours. Ces saisons sont beaucoup plus marquées que les nôtres, car Taxe de rotation de la planète est certainement beaucoup plus incliné que celui de la Terre : au lieu d'être de 23° -3, l'inclinaison de l'équa- teur sur le plan de l'orbite paraît être de 55°. Il en résulte une complication extrême dans la distribution de la température et des climats à la surface de cette planète. (Les anciennes observations de Bianchini avaient indiqué 75° pour ce dernier angle; mais les mesures modernes de Vico l'estiment avec une très haute pro- babilité à 55°.) Les saisons de Vénus sont plus intenses que les nôtres. Les régions polaires de ce globe doivent s'étendre jusqu'à 35 de- grés de son équateur, de même que les régions tropicales doivent aussi s'étendre jusqu'à 35 degrés des pôles, de sorte que deux zones, beaucoup plus larges que nos zones tempérées, empiètent constamment l'une sur l'autre, appartenant à la fois aux climats polaires et aux climats tropicaux. Laquelle de ces zones est la mieux appropriée au séjour de la vie? Tout habitant des régions voisines de l'un et l'autre pôle est exposé à supporter tour à tour les plus grands extrêmes de chaud et de froid. Pendant l'été, le soleil tourne continuellement autour du pôle, s'élevant en spirale et brillant avec une intensité de cha- leur et de lumière presque deux fois plus élevée que celle qu'il nous envoie. Seulement pendant un temps très court, en automne et au printemps, il se lève et se couche pour ces régions. Un jour de prin- temps ou d'automne, comme un de nos jours en ces saisons, dure environ douze heures, mais le soleil ne s'élève à midi vers ces dates qu'à quelques degrés au-dessus de l'horizon. Cette diminution de VEiNib. — INCLINAISON DE L'AXE. SAISONS la durée du jour est le signal avant-coureur d'un hiver teirihle qui va régner pendant trois mois, et dont le froid sera beaucoup plus intense et beaucoup plus dur que la longue nuit d'hiver de nos propres régions polaires : car dans nos contrées circumpolaires, le soleil s'approche de l'i orizon [(tus les jours à l'heuro (pii corres- pond à midi, sans s'éL ver au-ilessus et sans se mnnlror, il est vrai, mais cependant en envoyant une certaine lumière et une certaine chaleur dont l'influence sr f.iit sentir; tandis que pendant In plus Fit; lis. liicl-iKusun de l'axo de rotation de Venus comparée à celle de la Terre. grande partie de la longue nuit des régions polaires de Vénus, il n'approche pas du tout de l'horizon et reste considérablement au- dessous. A moins donc que le ciel polaire de Vénus ne soit illuminé par des aurores boréales, une obscurité absolue doit s'étendre sur cet hiver glacial et en augmenter encore la profondeur. Il est cer- tain qu'aucune de nos races humaines ne pourrait ainsi supporter les alternatives de ces froids noirs et de ces chaleurs tropicales qui s'y succèdent tous les quatre mois. Les régions équatoriales sont- elles plus favorisées? Là il y a deux étés chaque année, qui correspondent au prin- temps et à l'automne des régions polaires. En ces saisons, le soleil s'élève chaque jour presque au zénith, et la température y dépasse celle ([ui existe dans nos régions tropicales. Mais entre ces saisons l'astre du jour passe alternativement au nord et au sud de l'équateur. LES SAISONS SUR VÉNUS A l'époque qui correspond à l'été, un habitant placé sur la limite de la zone équatoriale voit ce flambeau tourner au-dessus de l'horizon pendan! ,'3 heures un quart, et se coucher pendant quelques mi- nutes seulement sans nuit, car la forte réfraction de l'atmosphère de Vénus relève cet astre presque à l'horizon. A l'époque oppo- sée, en hiver, il ne se lève que pour quelques minutes et reste constamment couché. Cette situation nous donne la curieuse et ori- ginale succession de saisons que voici : A l'équinoxe de printemps, un été beaucoup plus chaud que nos chaleurs tropicales; 56 jours plus tard, au solstice d'été, un temps analogue au printemps de nos régions tempérées, avec cette diffé- rence que la nuit y est très courte; encore 56 jours plus tard, un second été aussi ardent que le premier, qui arrive à l'équinoxe d'automne; enfin, au solstice d'hiver, les jours sont plus courts et le froid non moins intense peut-être que vers notre cercle polaire. Ces variations sont pittoresques; mais pour qu'elles soient subies sans détriment, il faut que les êtres vivants y soient organisés au- trement que nous. Enfin les larges zones qui s'étendent entre les deux précédentes, et qui sont tout à la fois tropicales et polaires, ont des climats intermédiaires entre les deux limites que nous venons de considérer. Qu'on habite prés des régions équatoriales ou des régions polaires, on a donc à subir de très fortes alternatives de cha- leur et de froid, de sécheresse et de pluie, de vents et d'orages. Si nous prenons la Terre pour point de comparaison, le soleil ar- rive l'été jusqu'au-dessus de Syène en Egypte, ou de Cuba en Amé- rique. Pour Vénus, l'obliquité est telle, que l'été le soleil atteint des latitudes plus élevées que celles de Belgique ou même de Hollande : 55 degrés. Il en résulte que les deux pôles, soumis tour à tour à un soleil presque vertical et qui ne se couche pas (et cela à moins de quatre mois de distance, puisque l'année de cette planète n'est pas de huit mois), ne peuvent laisser la neige et la glace s'accu- muler. La fonte des neiges y arrive vite, et le printemps passe comme un rêve. Il n'y a point de zone tempérée ; la zone torride et la zone glaciale empiètent l'une sur l'autre, et régnent tour à tour sur les régions qui chez nous composent les deux zones tem- pérées. De là des agitations d'atmosphère constamment entretenues, et d'ailleurs tout à fait confox'mes à ce que l'observation nous ap- LES SAISONS SUR VÉNUS prend sur la difficile visibilité des continents de Vénus à travers le voile de son atmosphère, incessamment tourmentée par les varia- tions rapides de la hauteur du soleil, et par les transports d'air et d'humidité dus à l'influence des flèches ardentes du brillant Apollon. Il résulte donc de toutes ces circonstances des saisons et des cli- mats plus violents et plus variés que les nôtres. Les agitations des vents, des pluies et des orages doivent surpasser tout ce que nous voyons et ressentons ici. Les saisons de cette planète ne ressem- blent point à celles de la Terre et de Mars ; son atmosphère et ses mers subissent une continuelle évaporation et une continuelle pré- cipitation de pluies torrentielles, et son ciel est couvert de nuages qui ne laissent que rarement apercevoir le sol géographique de la planète. Ces nuages, du reste, étendant presque constamment leur voile sous la lumière solaire, ont pour résultat d'abaisser la tempé- rature moyenne du monde de Vénus, de telle sorte qu'elle doit être sans doute peu difîérente de celle de la Terre. Remarquons ici la puissance des symboles mathématiques, et combien est vraie cette assertion de Pythagore, que « les nombres régissent le monde » . Un cosmographe s'épuisera à énumérer tout ce que les saisons de la Terre ou de Mars offrent de particulier; il montrera les deux régions polaires de ces planètes tour à tour ren- dues à la végétation et à la vie; il dira la longueur des jours pour chaque climat. Le mathématicien n'a besoin, pour énoncer tous ces faits, que d'un seul nombre. Ainsi, quand à côté du nom de la troi- sième planète, la Terre, il a inscrit l'angle 23*27', tout est dans ce nombre : saisons, climats, longueurs de jours, aspects célestes, végétation, vie animale, sans compter bien d'autres influences que le génie de l'homme n'a point encore découvertes. Les chiffres ont leur réelle éloquence. Seulement, il faut savoir les lire; ce qui est beaucoup plus simple qu'on ne le croit en général. Ainsi, en résumé, au point de vue des saisons et des climats, la planète Vénus est dans une situation moins agréable que la nôtre : c'est la plus grande différence qui distingue les deux mondes, car, nous l'avons vu, son volume, sa densité, la pesanteur à sa surface, la durée du jour et de la nuit, y sont à peu près les mêmes que chez nous. LE SATELLITE DE VÉNUS • Nous parlions tout à l'heure d'observations problématiques faites sur le satellite de Vénus. — Vénus a-t-elle un saiellite ? — Elle en aurait plutôt deux qu'un, répondaient au temps de la régence les astronomes qui se souvenaient de leur mythologie. — Elle n'en a probablement aucun, répondons-nous aujourd'hui. Il faut avouer néanmoins que cette non-existence du satellite de Vénus n'est pas tout à fait prouvée, et que le sujet reste assez perplexe. Nous résumerons ici l'ensemble des observations ('). Fontana, l'un des plus habiles astronomes de son époque, en annonça la découverte faite par kii le 15 novembre 1645. Quoique l'observation de Fontana fût précise et certaine, les astro- nomes, pendant vingt-sept ans, cherchèrent sans résultat le petit astre qui, le 15 novembre 1645, s'était montré tout auprès et au-dessus de Vénus. Dominique Gassini, dont l'habileté et la circonspection n'ont pas besoin d'être rappelées, aperçut, en 1672, un point lumineux d'un dia- mètre apparent égal au quart environ de celui de Vénus et distant de la planète d'un diamètre seulement de celle-ci. Les astronomes, encou- ragés par l'annonce de Gassini, cherchèrent sans doute à renouveler l'ob- servation; leurs efforts furent inutiles, et c'est quatorze années plus tard seulement, le 27 août 1686, que Gassini retrouva un point lumineux analogue au précédent, égal en diamètre au quart de Vénus, et situé, comme distance, aux trois cinquièmes environ de ce diamètre. Un demi-siècle s'écoula, après cette observation de Gassini, sans qu'au- cun astronome signale le compagnon de Vénus. Le 3 novembre 1740, Schort aperçut, à 10' environ de la planète, un astre d'un diamètre un peu inférieur au tiers de celle-ci, et qui semblait l'accompagner dans le ciel. L'observation ne put être renouvelée les jours suivants. Après l'observation de Schort, nous en trouvons une d'André Meier à Greifswalde en 1759; quatre de Montaigne à Limoges, le 3, le 7 et le Il mai 1761 ; sept, enfin, de Roatellilf de V.-iius iCassini, 1G72.) Schort, Cassini, Horrebuw et Montaigne, ne saurait être révoquée en doute. Nous restons en face de trois explications possibles. La première est que le satellite existerait réellement, mais serait très petit et ne pourrait être oljservé qu'en des circonstances rares, à des époques d'élongations exceptionnelles. Ce n'est pas probable. La seconde explication est celle des fausses images f) qui se ju-d- (',1 Un jour, le 30 mars 1881, M. Dcnninj;, obsenant Vénus, remarqua que deux croissants étaient visibles dans le cbanip de la lunette : lim larire et pi\ie, presque au rentre du rhamp. et l'autre petit et lirillant, un peu à l'ouest du premier: ce dernier était la \éritaMc iniap' de la phiiii'lr lis deux emissants étaient tournés du même côté et leur phase était la même : luu semblait la repniduetion exacte de lautre. M. Dennins" estima que le diamètre du plus petit était à peu près le ; ilii diamètre de l'autre. Il lit tourner l'oculaire sans produire aucun déplacement dans la position relative des deux. TtnnES 1)1' eiEi. n'i LE SATELLITE DE VÉNUS duisent dans les instruments, provenant soit de la réflexion de l'œil dont il a été parlé plus haut, soit d'un ajustement défectueux dans les lentilles de l'oculaire et de certains effets d'optique dus au jeu des rayons lumineux dans l'instrument lui-même. La troisième explication consiste à considérer ces observations comme celles de petites planètes qui seraient passées au delà de Vénus et se seraient trouvées fortuitement sur le même rayon visuel. Ces deux dernières hypothèses sont les plus vraisemblables et peuvent s'appliquer l'une (!t l'autre à ces observations énigmatiques. images, guis il le retira. Regardant alors dans l'intérieur du tube, il découvrit l'explica- tion du phénomène. Les rayons du Soleil entrant par l'ouverture principale de la lunette venaient tomber en partie sur le petit tul»; mobile qui porte l'oculaire et y for- maient du côté de l'Ouest un petit croissant brillant, lequel, faiblement réfléchi et ren- versé par l'oculaire, devenait l'origine de l'image. Dans le grand équatorial de Washington (l'un des meilleurs qui existent), l'un des oculaires a constamment montré à M. Newcumb un petit satellite à coté d'Uranus et de Neptune, lorsque l'image de la planète était anivee juste au centre du champ ; mais ce satellite disparaissait aussitôt qu'on remuait la lunette. ' L'explication est fort simple et rend compte des apparitions du .satellite àc Vénus; pourtant il est difficile de penser que l'origine de pareilles illusions aient pu échappera des observations soigneuses. .Mouvement de Vénus auluui- du suleil et inclinaison de l'axe de rotation CHAPITRE IV Géographie de Vénus. Topographie. Continents. Montagnes. Mers. La l'urinsKr et la persévérance des astronomes am])itieux de srniter les mystères du véritable ciel sont parvenues à lever un coin du voile nuageu.x de l'atmosphère de Vénus et à reconnaître les plus importantes variétés de nuances de son sol. La première obser- vation de ces taches date de plus de deu.K siècles : elle est due au jireiiiier directeur de l'Ohservatoin» de Paris, à Jean Dominifpie Cas- sini, avant son arrivée en France. 11 déctjuvrit une tache lirillante le 14 octohre 16()(j et en observa une seconde h? 28 avril I(j(j7. Celle-c-i montra un déplacement sensible pendant la durée d(;s observations, un nouveau déplacement le iendemam, et encore un le surlende- main. Les observations des 9, 10 et 13 mai, des 5 et 6 juin IGtJT, confirmèrent ce mouvement, et l'observateur en conclut la durée de rotation que nous avons signalé(> plus haut. Sous ce même ciel d'Italie, Bianchini parait av(jir été, en 172()-27, tout particulièrement favorisé, soit [tar la pureté accidentelle du ciel ou par la puissance de sa lunette, soit à raison d'autres circon- stances inconnues. A l'aide d'une colossale lunette de 150 palmes, ou de ?•'.) mètres environ de loniçueur, eet observateur aperçut, vers le milieu de la planète, sept taches qu'il qualifia de mers, counuu- ni([uant entre elles par des détroits et offrant huit promontoires dis- tincts. 11 en dessina les figures et leur assigna le nom d'un roi de Portugal, Jean Y, son bienfaiteur, et les noms des navigateurs les GÉOGRAPHIE DE VÉNUS plus célèbres par leurs voyages, auxquels il ajouta ceux de Galilée et de Cassini. Bianchini a cru ces taches assez invariables et assez sùre- rjit VL Ali JP/nijiTj. rr (LÂt,iri,/.T m ^/jficOi '-Vanfru- rt/:-r-vaC-.r^ tvr la jilanéte Vénus faits en 1726-1727, Jiai' liianchiui, à l'aide d'une lunette de 30 mètres. ment observées pour dessiner lui-même nn planisphère géocra- pliique de la planète. Nous reproduisons ici [fig. It?l et l-?-2) les deux- planches sur lesquelles il a dessiné vingt de ses observations, en C.KOORAI'HIE DE VENUS numérotant les taches grises qu'il considère comme des mers, et [fig. 123), le globe de Vénus dont il a dessiné lui-même les fuseaux. in rniintttna (t/^partttone ax 0. s '^^au. aet 1 1 /unii ly^LS rtinVcs^rana elan^atian€ a Scie ex j fui ad^ Septemhru i et rurjits tn matuàna ^ULiœne 7 /iLnuaj-u n Q.V SPuiu-r excBoreuj dtiu^ -, Fif. 1-ii — Dessins do lu pV.mhw Vénus fiiils en ITiG-lïîï, par Bianchini, à l'aide d'une lunette de M mètres. En coupant ces fuseaux, et en les collant sur un globe de 81 milli- mètres de diamètre, on construirait le globe géograpliique de V.-nus préparé par l'astronome italien. Ses mers portent les noms respec- CÈOCUAl'IllL bK VENUS tifs de : I, Jean V; — II, l'Infant Henry; — III, le Roi Eramanacl; — IV, le Prince Constantin; — V, Colomb; — VI, Vespuce; — VII, Galilée; — la mer boréale ou de Marco Polo; — la mer australe ou de Magellan. — Sur le frontispice de son ouvrage [fig. 124), on voit Uranie tenant à la main un petit système solaire dans lequel le cœur du roi tient la place du Soleil (les courtisans ne connais- sent pas de limites), tandis qu'un amour à genoux offre au roi un globe géographique de Vénus, fort élégant d'ailleurs. Malheureusement, depuis plus d'un siècle et demi que ces observations ont été faites, elles n'ont pas été perfectionnées, comme on aurait pu s'y attendre, par les progrés de la science. Au- cun instrument moderne n'a montré ces taches aussi nettement que Bianchini les a vues, et, soit que plusieurs d'entre elles varient, soit que l'atmosphère de Vénus ait été au temps de cet astronome plus transparente que de nos jours, les taches sombres de cette planète toujours éblouissante ne se sont jamais montrées que vagues et incertaines. Le planisphère de Bianchini ne peut être considéré que comme un premier rudiment de la géographie de Vénus. Nous ne devons mettre en doute ni la bonne foi ni l'habileté de cet astro- nome, d'autant plus que ces taches ont été revues en Italie même; mais elles sont loin d'avoir la précision et la sûreté de celles qui constituent la géographie de Mars. D'après ces dessins, les taches grises considérées comme des mers se prolongeraient le long de l'équateur de Vénus et formeraient trois océans, dont l'un serait presque circulaire et dont les deux autres seraient divisés en trois parties à peu près égales. On remarque de plus deux taches grises allongées, dont l'une occupe tout le pôle nord (inférieur), et dont l'autre dessine un demi-cercle autour du pôle sud. Les taches sombres, en effet, doivent être des mers, parce que comme nous l'avons constaté à propos de Mars, Ueaif absorbe plus la lumière que les terres et la réfléchit moins. A la fin du siècle dernier, Schrôter fit plusieurs dessins du disque de Vénus; mais les taches qui s'y trouvent ne rappellent que de loin celles de Cassini et de Bianchini. Il est remarquable que Dominique Cassini n'ait jamais réussi à apercevoir à travers l'atmosphère de Paris aucune trace des taches qu'il avait observées en Italie. GÉOGRAPHIE DK VÉNUS En 1837, Gruithuisen fît un certain nombre d'observations, et Sfhuinacber remarqua spécialement une tache sombre qui était bien visible pendant le crépuscule et qui une demi-heure après se perdait dans l'éclat de la planète; il en écrivit au P. de Vico, direc- teur de l'Observatoire du Collège romain, en le priant de profiter de la pureté du ciel d'Italie pour vérifier les observations de Bian- chini. L'astronome romain se servit d'une excellente lunette de Cauchoix, de 158°"°, armée de grossissements portés parfois jus- qu'à 1128, et observa surtout pendant le jour, attendu que pendant la nuit la vivacité de l'éclat de la planète interdit à peu près toute observation. Six observateurs se mirent à l'œuvre pendant rannée 1839; leurs observations sont nombreuses, et l'on en jugera, si nous remarquons que l'un des assistants, Palomba, ne fît pas moins de 11800 mesures, dont 10000 furent employées pour la détermination de la rotation. Sur ces six observateurs, ceux qui dis- tinguaient le mieux les taches, étaient ceux qui avaient le plus de difficulté à découvrir les petits compagnons des étoiles doubles; c'est là un fait assez curieux, qui s'expliquera peut-être, si l'on réfléchit qu'un œil très sensible, qui découvrirait les taches immé- diatement, serait plus facilement ébloui par la lumière d'une étoile brillante, et n'apercevrait pas un petit point lumineux dans son voisinage. Les observateurs romains confirmèrent les assertions de Bianchini, et retrouvèrent ses taches, à l'exception d'une petite. Leurs dessins de la planète s'élèvent au chiffre de 145; nous en reproduisons ici quatre (fig. 125) qui, en effet, rappellent bien les mers circulaires de Bianchini. Dans son excellent recueil Celestial objects for common télescopes, M. Webb assure que quoiqu'un très grand nombre d'observateurs n'aient pu parvenir à distin- guer aucune de ces taches, cependant elles ont été revues, sans être pour cela identifiées, par MM. Delarue, Huygens, Worthington, Seabroke, Terby, Denning, Safarik et Van Ertborn. With et Browning ont remarqué des taches blanches comme les neiges de Mars. « Que ne pouvons-nous voir ces détails plus facilement, s'écrie à ce propos M. Webb, quel intérêt n'y aurait-il pas à mieux connaître cette charmante planète, surtout lorsqu'on pense que c'est la seule de tout le système dont le volume soit presque exac- tement égal à celui de la Terre. » TEI'.nES DU CIEL F.uuwspici.- di> II. vr.ge de BùD^'hini. PRÉSENTATION DD SL08E DE 7ÉNDS AB ROI JE*M T 35 CEOCRAI'llIK KK VKNLS Lu vLsiliilitr des tiichcs do Vriiiis dépend surtout de l'état de l'atmosphère terrestres l't l'ommt^ la surface de cette planète est très lirilhuitc, il faut ({u'iuie certaine lumière l'environne pour que ces taclu's sdiiMit distiiirU's. On l(,'s a observées à Rome dans 'une p(^tite liinctli! de ;* pdaccs sculcnicnt. Ou les a vues en Angb^torre daas iiu ancien Li''l('sci)p(> {rr/lrc/o/') grossissant 200 fois, le 2.S janvier 1730, à travers les lueurs rouges d'une aurore boréale, beaucoup plus nettement ([ue lorsque le ciel n'était pas éclairé. (^luanl à moi, je n'ai jamais pu les distinguer que pendant le jour et cela deux fois seulement : en juillet 1871, dans le grand équatorial 12j. — Aspects géographiques de la planète Vénus [Uà Vico. 18391. de l'Observatoire de Paris, et, quelques jours après, dans nn téles- cope Foucault de 20 centimètres. L'atmosphère de Vénus est, d'ailleurs, si souvent couverte de nuages, que ces taches sont très rarement visibles; plusieurs astronomes très habiles ne sont jamais parvenus à rien distinguer sur cette planète. L'astronome anglais Dawes, dont la vue était si perçante, n'a jamais pu rien y découvrir, et William Herschel n'est parvenu, après bien des recherches, (ju'à constater une légère supériorité d'éclat sur les bords du disque comparés au cercle intérieur. On a remarqué que les télescopes sont préférables aux lunettes pour l'observation de Vénus, et depuis que le procédé Foucault a permis de construin^ facilement des télescopes en verre argenté. CKOr. n AI'IIIK \)K VKM'S 27a l'oljsrrviiljuii (le l;i, |ilaiu''ti' .i rir licaïu'oiip plus ravnris(''(' et [ilus IVéquonto; aussi pussrddiis-iiuiis, depuis uue dizaine (ranni''Os surtout, un très beau choix de dessins de cette planète, moins détaillés certainement (pie ceux de Mars et même que ceux de .lupiter, mais enliu déjà safisiaisants pour notre instruction, l'iusieurs de nos collègues d'où Ire-Manche, entre aulres, se sont livrés à {]{'<• (jbservations continues et persévérantes, dont nous somni(!S heureux de signaler ici les principaux résultats: Le l''' mai 1871. M. Langdon, astronome anglais, étant [larvenu à diminuer l'éclat de Venus à l'aide d'un diaphragme de carton noirci jilacé WÊÊBB^^^B^ÊÊÊÊ^^^^^^Ê Fig I2G. — Aspects géographiques de lu pUuièle Vi [1. Cassiui, ItiUO. — i. S et l. Larigdoii, IS7I. dans l'oculaire, réussit à distinguer ces taches. La phase était celle de la Lune le lendemain du premier ([uartier. Il aperçut d'abord très distincte- ment une tache oblongue, s'étendant parallèlement au bord, courbée comme lui, traversant une partie du disque et se terminant en pointe à ses deux extrémités. A l'est de cette tache oblongue, on en remaniuait une autre plus large qui semblait la rejoindre. Cet aspect fut observé ot dessiné pendant une demi-heure. Nous en avons reproduit le dessin ci-dessus i/if/. 12G . Il est fort intéressant de le comparer au dessin n" I, Il l E .\1( I N TA(; N E S Suk'il. Cette éclatante lumière est bien supérieure à celle que nous recevons de Jupiter, et au télescope, comme à l'util nu, elle est incomparablement plus blancbe. La valeur intrinsèque de cette réflexion est prodigieuse. Pour le bien concevoir, supposons que le soleii de midi darde perpendiculairement ses rayons sur le flanc d'une montagne, et que cette surface soit couverte de sable blanc: l'éblouissante lumière qui nous serait ainsi réflécbie n'égalerait même pas la moitié de celle que Vénus nous renvoie. L'astronome ZoUner a calculé que la planète Mars nous réfléchit un peu plus de lumière solaire que si sa surface était recouverte de sable blanc. Supposons qu'il èn_soit de même de Vénus. Comme elle est plus proche du Soleil, et qu'elle reçoit à surface égale deux fois plus de lumière que la Terre, son disque doit paraître plus de deux fois plus brillant que du sable blanc illuminé de face. La distance n'est pour rien dans la proportion; elle peut diminuer l'éclat des objets vus à travers une atmosphère plus ou moins opa- que, mais elle ne l'atténue pas à travers le vide. Ce grand éclat de Vénus apporte un singulier obstacle à la netteté des détails de sa surface, qui éblouit l'œil, même en réduisant l'ouverture des lunettes et en diminuant la lumière. Mais quoique cette planète soit si difficile à observer, il y a cependant une circon- stance de son mouvement qui met en évidence le relief géologique de sa surface : ce sont ses phases, analogues à celles de la Lune, comme nous l'avons vu. Lorsqu'elle arrive entre le Soleil et nous, elle nous apparaît sous la forme d'un croissant de grande dimen- sion. Nous ne voyons malheureusement pas sa partie centrale, dont l'observation serait alors si utile; mais son bord illuminé dessine pour nous les irrégularités de sa surface, et nous permet d'es- sayer sur elle l'observation que nous avons faite depuis longtemps sur la Lune, c'est-à-dire de mesurer la hauteur de ses mon- tagnes. Sur la Terre, sur la Lune, sur Vénus, sur un globe quelconque éclairé par le Soleil, le cercle intérieur qui limite une phase, la ligne qui borde le croissant éclairé, dessine la région sur laquelle le soleil se lève ou se couche. Les sommets des montagnes sont illu- minés au lever du soleil avant la plaine qui s'étend à leur pied, et le contraire a lieu au coucher du soleil. C'est ce qui rend si remar- VÉNUS. — TOPOGRAPHIE. MONTAGNES (funlilo la VTic triescopique dos paysages lunairrs le, long des iripri-^ diens situés à la limite do rillumination solaire. Aux environs du' premier quartier notamment, le bord intérieur de la Lune est frangé d'échanorures nettes et profondes causées par les aspérités du ter- rain, qui produisent l'effet d'une admirable dentelle, lorsque le grossissement qu'on emploie pour les observer n'est pas assez fort pour en révéler la véritable nature. En réalité, un des plus beaux spectacles de l'astronomie pratique et en même temps un des plus faciles à se procurer, c'est sans contredit de diriger une lunette sur l'astre argenté de la nuit dans les beaux soirs qui précèdent le premier quartier : l'œil émerveillé voit se détacher dans le ciel un croissant d'argent fluide, dont la contemplation élève notre pensée bien au- dessus des choses ordinaires de la vie terrestre. Une telle heure d'étude est, ne craignons pas de l'avouer, tout simplement déli- cieuse. Nos lecteurs savent que c'est en mesurant la distance qui sépare le sommet ainsi éclairé d'un pic lunaire de la limite de l'ombre, que les astronomes ont pu calculer la hauteur précise de toutes les montagnes de la Lune. Des phénomènes analogues sont présentés par la planète Vénus, seulement sa grande distance les rend difficiles à observer; tandis que nous avons pu mesurer les hauteurs de toutes les mdulagucs de la Lune à quelques mètres près, nous n'avons encore pu distinguer que les hauts plateaux qui hérissent le sol de la planète, comme l'Himalaya, les Andes, les Alpes, le font sur la Terre, mais dans des proportions plus considérables encore. Si le globe de Vénus était parfaitement uni, la limite entre l'hémisphère éclairé et l'hèi ai- sphère obscur serait toujours nette et uniforme; ces montagnos la rendent au contraire fort irrégulière. Dés l'année 1700, Laliiro, astronome français, observant Vénus pendant le jour, près do sa conjonction inférieure, aperçut sur la partie intérieure du croissant des inégalités qui ne pouvaient être produites que par des montagnes plus hautes que celles de la Lune. La lunette dont il se servait avait 5"',20 de distance focale et grossis- sait 90 fois. Dans la première moitié du siècle dernier, le pasteur anglais Derham, auteur de la « Théolo£!;i« astronomique », fît remarquer V r: M' s. — r 0 1' I m; K A l' Il 1 K. >i 0 .N r a c n k s aussi qu'on (ilisf'i-vniit 1p ornissant do Yôniis dans le télescope de Huygciis, il avait vu des sinuosités et des inégalités analogues à celles que nous observons dans le croissant lunaire. L'astronomie est redevable à Scbrôter d'une excellente série d'observations faites ;ï la fin du siècle dernier. En portant son atten- tion sur la partie du croissant voisine des cornes, il les vit quelque- fois tronquées, et même, le 28 décembre 1789, le 31 janvier 1790 et le 27 février 1793, il aperçut prés de la corne méridionale un point lumineux tout à fait isolé, séparé du reste du croissant par un espace obscur. Ces irrégularités variaient de forme précisément comme elles doivent le faire, suivant l'inclinaison des rayons so- laires et le relief du sol. Ici une plaine ou une mer, plus loin un haut plateau qui s'interpose comme un pont entre la lumière et l'ombre; ici des vallées, là des pics montagneux découpant une bor- dure variée à la limite de l'hémisphère éclairé. Plusieurs des effets observés par Schrôter furent si remarquables, qu'ils lui firent tout de suite conclure que les chaînes de montagnes de Vénus doivent être beaucoup plus élevées que celles de la Terre. Ces irrégularités lui avaient paru assez marquées et assez évi- dentes pour permettre d'en conclure la durée de la rotation, qu'il trouva de 23 heures 21 minutes 8 secondes. Il alla même jusqu'à évaluer la hauteur de ces montagnes et à leur attribuer une élé- vation de 43 kilomètres, conclusion très incertaine d'ailleurs. "Wil- liam Herschel attaqua ces découvertes dans les « Transactions philo- sophiques » de 1793; mais Schrôter réfuta cette attaque dans le volume de 1795. Pendant les anné "s 1833 et 1836, les astronomes Béer et Mâdler se sont occupés spécialement du même sujet, et ont vérifié que les courbes qui bordent le croissant intérieur de la planète n'ont pas exactement la configuration mathématique qu'indique la théorie. Ils ont dessiné une série de figures, dont nous avons repro- duit plus haut {fig. 129) les huit principales d'après leurs dessins originaux. Sans entrer dans les détails d'observations et de dates de ces huit phases, qu'il nous suffise de prier le lecteur de considérer attentivement les lignes intérieures des croissants : on remarque une différence essentielle entre ces lignes intérieures et la courbe extérieure. Tandis que celle-ci est toujours ronde et nette, l'autre VENUS. — TOPOGRAPHIE. MONÏAONliS est irrégalière, et ses échancrures, faibles en apparence, fortes si on les analyse avec soin, en tenant compte de leurs proportions relati- vement au diamètre de la planète, prouvent irréfutablement le relief géologique du sol de Vénus et l'importance de ce relief. De ces observations ils n'ont pas essayé do déduire une période de rotation à cause de l'incertitude des taches et des échancrures observées. Cependant la comparaison de ces aspects les ont con- duits à regarder la période de Cassini comme probable, et malgré les incertitudes, ils n'en considèrent pas moins comme incon- testables les échancrures observées. « Nous accordons volontiers, écrivent-ils dans leurs Fragments sur les corps célestes (Paris, 1840), qu'il puisse exister certaines illusions d'optique dans les déterminations de la forme des cornes et de la figure elliptique de la phase de Vénus, qui ne reposent que sur des appréciations ; mais que l'on soit en droit d'envisager sans autre motif une série entière de semblables observations comme des erreurs réelles, c'est ce que nous regardons comme impossible. Surtout les variations remar- quées dans la corne australe ne peuvent point du tout être causées uniquement par l'atmosphère ou le télescope, car dans ce cas elles auraient dû aussi se présenter de la même manière dans la corne boréale. » A propos de la différence signalée plus haut entre la phase cal- culée et la phase observée, ils ajoutent : Lorsqu'on cvaiiiioe, même à l'œil nu, que la lune croissante ou décrois- sante, surtout pendant le jour, la largeur de la partie visible, prise per- pendiculairement à la ligne qui joint les cornes, apparaît sensiblement diminuée, et l'on remarque une concavité très prononcée dans la limite de la lumière, lorsque l'astre est déjà réellement dans sa quadrature. Les grandes ombres noires des hautes montagnes de la lune entre lesquelles on ne peut apercevoir près de la limite de la lumière que de petites éten- dues peu nombreuses, et pour la plupart très éclairées, produisent une impression générale tout à fait semblable à celle que produit le fond obscur du ciel, et ce n'est qu'au moyen du télescope qu'on peut les distin- guer l'une de l'autre. Si maintenant, par un grossissement encore appli- cable, Vénus est placée pour nous à peu près dans le même rapport optique que la Lune vue à l'aul nu, et si sa surface est ainsi couvert* de montagnes, le phénomène devra se présenter tel que nous l'avons observé. V K m: S. — T (» p (ici; a p h i e. m u n tag n li- Si ces montagnes étaient proportiomiellement -àWAsi liau! es que celles de la Lune, et si elles atteignaient, par conséquent, sur Vénus un maximum de 5 à G lieues, la limite de la lumière devrait se montrer iné- gale et dentelée, comme celle de la lune à i œil nu. Quelques observa- teurs priHendent avoir constaté et mesuré ces échancrureo ; mais nous pouvons assurer que tout en les ayant remarqués nous n'avons pu pren- dre aucune mesure certaine. Gonpme en outre l'état de ralmos[)lière, la réfraction, etc., peuvent avoir et ont très probablement en etlet une grande part à cette variation dans les limites de la lumière, il serait inutile de vouloir tirer quelque déduction sur la hauteur précise des montagnes de Vénus ('). Bocr et Miidler ont observé une courbure singulière de la corne méridionale correspondant avec une dépression déjà remarquée par Sclirôter. Le même fait a été vérifié par divers observateurs, notamment par Flaugergues et Valz, en France, et par Breen à Gara- bridge. Mais les plus curieuses observations sur ce point, comme sur l'examen général de la planète, ont été faites en 1841, à Rome, par le P. de Vico et ses assistants. Parmi leurs descriptions, on remarque, en effet, celle A'une vallée entourée de mon- tagnes, ressemblant beaucoup aux types des cratères lunaires, et mesurant 4",5 de diamètre. Le croissant était étroit, et près de la corne boréale ils aperçurent d'abord une tache noire oblongue qui se borda ensuite d'une forte lumière, puis empiéta de la moitié de sou anneau sur l'hémisphère obscur, et linit par former une ècbancrure noire entre deux projections brillantes, oITrant l'aspect d'une corne à triple pointe. En 1857, le P. Secclii, au même observatoire, à l'aide de son équatorial de 9 pouces, étudia le (') Lps mûmes observateurs ajoutent: Vénus et !a Terre peuvent être regardées comme ayant un diamètre à peu près égal. Or, l'ombre qu'une montagne haute de 8000 mètres répand sur la Terre, lorsqu'elle se projette sur une surface tout à fait plane et qu'elle atteint jusqu'à la limite de la lumière, couvre 2', 50' de l'équateur et est aperçue sous un angle de 0",594, lorsque le demi-diamètre de la planète apparaît à une grandeur de 12", ce qui est justement le cas dans les quadratures de Vénus; et pour une montagne dont la hauteur sera , 80(10 . 0",;>'.)i de mètres, la grandeur de l'ombre sera environ = , . Donc, pour expliquer la (liuiinution de largeur de la partie visililc, comme nous l'avons trouvée plus haut, rien ne nous engage à donner à Vi'nus de pins hautes montagnes ipi'à la Terre. V É N r s. — T l> 1' 0 C. r, A P II 1 E. MON TAC. N K S croissant Idi-sipi'il ii'.ivait oncoi'c que Û",4 de largeur, et constata qu'il prés(MitaiL iiuc (l(''pressiou diminuant encore sa largeur. La poiuli' auslnilc du croissant de Vénus a été vue énioussée par plusieiu's observateurs, nolamment par Gruithuisen en 1847. II en est de nièuie des dentelures, qui ont été remarquées par un grand umuliri' d'aslrimomes. Nous reproduisons ici deux dessins de Gruilluiiscu, (pu munirent (exagérées sans doute) les écliancrures du Ijdi'd el, les taches polaires. Eu lS7(i, le liai'nu Van Ei'HtDrii a o])sei'vé plusieurs fuis un point Ki;;. loO. — A^pocl^ léloscopiqucs du lu pluut'le Véuus, par Oiuilli brillant détaché de la corne australe. La même année, M. Aiciiuis, à Cadix, a signalé une échancrure dans la même région. Du reste, cette échancrure de la corne australe peut être observée assez fré- quemment, et elle est parfois si évidente que des personnes qui n'ont pas l'habitude des observations la remarquent immédiate- ment, l'autre corne du croissant, beaucoup plus unie, servant de comparaison inévitalde. Quant à la hauteur de ces irrégularités, évaluée par Schrôter à 43 000 métrés, il faudrait de nouvelles mesures, concordantes et précises, pour la certifier. Ces observations ont été maintes fois répétées et confirmées en ces dernières années. Ces irrégularités du sol se manifestent plus facilement et plus fréquemment que les taches dues aux continents et aux mers, même en écartant les ondulations optiques produites par les vagues de l'air. En lm]ire. prodni^" par ce t'ait que le loni:- de ce niériilieu le Soleil n'éclaire pas le sul de la planète, mais seu- lement l'atmospbère, comme il arrive ici au lever et au couclier du soleil, nous pouvons en con- clure que nous apercevons d'ici b's crépuscules du ynondede Vénus, l'aube et le déclin du jour. On pourrait objecter que le dé- croissement de lumière observé entre le contour extérieur du crois- sant et le contour intérieur i)eut être causé par la largeur du dia- mètre du Soleil, suivant qu'il est plus ou moins élevé au-dessus de l'horizon de la zone où se montre la pénombre. La géométrie répond catégoriquement à cette supposition. Le Soleil, étant plus grand que Vénus, éclaire un peu plus d'un hémisphère de cette planète; la ligne passant par les deux cornes ne doit pas être un diamètre de l'astre, mais bien une corde située un peu au delà du centre. Le diamètre du Soleil, vu de Vénus, est de 44'. Il en résulte que vers la ligne de séparation d'ombre et de lumière, il y a des parties du sol éclairées seulement par une portion presque insensible de cet astre, tandis que d'autres parties reçoivent les rayons émanés du disque entier. Mais, tout compte fait, sur le globe de Vénus, les premiers de ces points, ceux qui sont à peine éclairés, ne doivent paraître distants des points CroissaLl de Vénus, moiiliaiU l'effet du crépuscule. L'ATMOSPHÈRK DE VEMS que le Soleil éclaire entièrement que d'un tiers de seconde environ : c'est imperceptible. L'amplitude angulaire dans laquelle s'opère ie décroissement d'intensité observé est bien autrement considé- rable. La discussion des observations prouve que cette pénombre ne peut être -causée que par une atmosplière entourant le globe de Vénus, et peu différente de la nôtre comme épaisseur, — plutôt plus élevée que moins. D'autre part, la ligue qui partage ces deux portions, et qui doit être droite au moment de la quadrature n'arrive pas, en générai^ aux dates calculées : il y a souvent une différence, d'un côté ou de l'autre, de trois ou quatre jours avec la date indiquée par le calcul. Ces deux faits doivent avoir pour cause l'atmospbère de Vénus et les nuages qui flottent dans les hautes régions de cette atmosphère. Ces premières mesures rudimentaires étaient faites, quand la merveilleuse découverte de l'analyse spectrale fut donnée à la science. Les astronomes s'empressèrent de l'appliquer, et ce n'est pas sans un sentiment de grande satisfaction que nous avons appris C) que c'est après avoir lu notre ouvrage sur « la Pluralité des mondes habités » que M. Huygens commença, en Angle- terre, cette importante étude des atmosphères planétaires. Lf^^ premières recherches de- cet habile astronome donaèrent les résultats suivants (1866) : « (Juoique le spectre de Vénus soit brillant, et que l'on y voie très bien les raies de Fràunhofer.je n'aipu y découvrir aucune raie additionnelle révélant la présence d'une atmosolière. L'absence de ces raies peut être due à ce que la lumière est probablement rétléchie non par la surface de ce globe, mais par des nuages situés aune certaine hauteur. La lumière qui nous parviendrait aixsi par réflexion sur les nuages n'aurait pas été exposée à '"îction absorbante des coucbes plus denses de Talmosphere de la planèlt Ces premiers résultats n'avançaient pas beaucoup la question. M. Huygens, ayant recommencé ces expériences en diverses condi- tions, finit par découvrir dans ce spectre des raies s'ajoutaut a celles du spectre solaire. {'J Voir le Cosmos, année 1807. LATMOSPIIÉKE DE VÉNUS Depuis , les observations de Vogel ont confirmé l'existence de ces raies, analogues aux raies d'absorption de l'atmosphère terrestre. « Les modifications apportées par l'atmospiière de Vénus au spectre solaire sont très faibles, dit-il; il faut en conclure que les rayons solaires, qui nous sont renvoyés par cette planète, sont réfléchis pour la plupart à la surface de la couche de nuages qui l'enveloppe, sans pénétrer dans l'intérieur. Cependant, il y a des raies particulières, parmi lesquelles on reconnaît celles de la vapeur d'eau. On peut donc admettre comme très probable que l'atmosphère de Vénus renferme de l'eau, cet élément si indispensable à la vie. » Telles sont les propres expressions de l'astronome allemand. En Italie, le P. Secchi avait trouvé de son côté les lignes suivantes dans le spectre de la planète : RAIES d'absorption DANS LE SPECTRE DE LATMOSPHÈUE DE VÉNUS k dans le rouge 1,72 b' dans le vert a, 09 » — — 2,16 X — le bleu 5,62 C — l'orangé 2,50 F — — 6,27 D' — le jaune 3,22 G — le violet 7,98 S — — 3,31 H — — 9,40 E — — 4,S3 w — — 10,00 ' .-i dernière colonne de ce petit tableau indique la position ây:à i.^jL':i '^n parties du micromètre employé pour les mesurer. La conclusion a été que la vapeur d.eau agit dans l'atmosphère de Vénus pour absorber la lumière reçue du Soleil. De plus, M. Respighi, directeur de l'Observatoire du Capitole à Rome, y a trouvé les raies de l'azote. M. Huygens a repris, en 1879, l'analyse spectrale des planètes Vénus, Mars et Jupiter, et y a retrouvé les raies atmosphériques que l'on voit dans le spectre de l'atmosphère terrestre. En même temps il a examiné au spectroscope différentes régions de la surface lunaire, et toujours le résultat a été négatif quant à l'existence d'une atmosphère. Ainsi : 1° la planète Vénus est certainement entourée d'une atmosphère ; 2° cette atmosphère est aussi épaisse ou plus épaisse que celle que nous respirons ; 3° elle est formée d'un gaz qui paraît analogue au mélange qui forme notre air :^ 4" elle est parsemée de nuages, en très grand nombre. L'ATMOSPHÈKE DE VÉNUS Mais continuons notre étude : on doit aux derniers passages de Vénus devant le Soleil des documents plus nouveaux et plus pré- cieux encore. Comme nous l'avions prévu, les expéditions envoyées pour l'observation de cet important phénomène céleste ont trouvé, en dehors du but spécial de leur mission , des résultats étrangers à ce but et tout à fait inattendus. Parmi ces résultats, l'un des plus importants et des plus intéressants, est sans contredit la vérification de l'existence de l'atmosphère de Vénus, sa mesure définitive et son analyse chimique. La première relation des observateurs du passage de Vénus, du 8 décembre 1874, qui ait eu pour objet l'atmosphère de cette planète, est celle de l'astronome Tacchini, de l'Observatoire de Palcrme, chef de la mission italienne envoyée à Muddapur (Bengale). Dans une lettre écrite, le lendemain môme du passage, au Ministre de l'instruction publique d'Italie, et publiée dans le Bulletin de la Société des spectroscopistes italiens, le savant observateur exposait le fait dans les termes suivants : « Avant l'heure à laquelle Vénus allait sortir du Soleil, par un ciel très pur, j'ai examiné le spectre solaire dans le voisinage de la magnifique bandé obscure formée par Vénus. Ce spectre se présentait partout à l'état normal, à l'exception de deux positions, dans lesquelles, après le passage de la bande de la planète, on voyait un léger obscurcissement en deux points du rouge correspondant aux lignes d'absoption de notre atmosphère : le phénomène parait donc dû à la présence de P atmosphère de Vénus, probahlemeyit de même nature que la nôtre ('). » Spécialement versés dans l'étude de l'analyse spectrale du Soleil, et habitués depuis plusieurs années à faire journellement cette ana- lyse, les astronomes italiens avaient surtout pour but d'appliquer le spectroscope à l'observation du passage de Vénus. Dans cette obser- vation, ils ont inopinément non pas vu dans une lunette, ik.ùs constaté au spectroscope l'existence de l'atmosphère de cette (') « Prima del terzo contatto » dit-il, « in un intervallo di cielo purissimo, esaminai lo spettro del Sole in vicinanza délia mac;nifica banda oscura di Venere, e trovai che in tutto rcstava normale ail' infuori di due posizioni, nelle quali dopo passata la banda délia pianota, si vedeva ancora un leggicro offuscamento in due punti del rosâo, che cor- rispiindano aile bande nere della nostra atmosfera : il fcnomeno dunque sembrerebbe dovuto alla presenza deU'atmosfera di Venere, probabilmente del génère della nostra. » L'ATMOSl'HÈtiK I) K VÉNCS planète voisine, et une analogie chimique avec celle que nous res- pirons. La figure suivante représente le passage du disque noir de Vénus derrière la fente du spectroscope et donne une idée de la méthode employée pour surprendre la présence de la plus mince atmosphère sur le hord de la planète. Pendant que cette remarque se faisait au Bengale, on ohsorvait au Japon, à mille lieues de là, et dans l'Indo-C.hine, un fait hien différent du précédent, mais qui le conlinue singulièrement. A Fig. 135. — Expérience spectroscopique pendant le passage de Vénus devant le .Soleil. Saigon, les astronomes de la mission française n'ohservaient pas au spectroscope, mais dans des lunettes ordinaires. Or voici ce que nous remarquons dans la relation du chef de l'expédition, M. Héraud : C'est qu'on n'y a pas constaté de la môme façon- l'action de l'atmos- phère de Vénus sur la lumière solaire ; mais qu'on l'a vue elle- même, cette atmosphère, directement et dans une circonstance également inattendue. On lit en effet dans la relation envoyée à l'Académie : « A 21 h. 17 min., la planète étant déjà entrée de plus des deux tiers sur le disque solaire, je remarque que la partie extérieure non encore en- trée sur le Soleil est nettement indiquée par vui filet lumineux pâle, qui, réuni aux franges de l'image intérieure, forme un cercle parfait. Ne m'at- tendant pas à ce phénomène, je ne puis noter l'instant précis de son ap- parition... » L'ATMOSPHERE DE Vp.MIS Quel était ce filet lumineux environnant la planète et dessinant sur le ciel, à côté du Soleil, la partie de la planète entrée ? C'était l'atmosphère de Vénus elle-même éclairée par le Soleil et réfractant vers nous la lumière de l'astre du jour. C'est la seule explication possible du phénomène. Le fait était signalé également à Saigon, par un autre observateur, M. Bonifay, dont voici la relation : « A 21 h. 17 min., le contour de Vénus extérieur au disque solaire s'illumine légèrement, à commencer par le bas de l'image, qui reste constamment plus visible que le haut. La circonférence planétaire parait ainsi complétée d'une manière très visible sur le ciel par cet arc lumi- neux, qui semble la continuer exactement. Cet effet subsiste quand la planète avance. Quand le moment du contact approche, on continue à voir le bord de la planète, qui reste légèrement lumineuse... » Remarque curieuse, ce phénomène de l'illumination du contour de Vénus ne s'est pas reproduit à la sortie de la planète. Les deux observateurs précédents, croyant le voir se renouveler, le cher- chèrent en vain. A quelle cause cette différence est-elle due? L'at- mosphère de Vénus n'était-elle pas également transparente sur le méridien oriental et sur le méridien occidental? Était-elle pure dans le premier cas (réfraction visible) et chargée de nuages dans le second ? Quoi qu'il en soit, telles sont les observations directes de ce fait inattendu. Mais ce n'est pas tout. Pendant que les astronomes italiens installés au Bengale et les astronomes français installés au Japon confirmaient ainsi l'existence de l'atmosphère de Vénus, une constatation analogue était faite en Egypte par les astronomes an- glais. A Luxor, entre autres, l'amiral Ommanney, le colonel Camp- bell et Madame Campbell, avaient chacun leur télescope. Je citerai ici le passage du rapport de l'amiral qui concerne le sujet qui nous occupe, rapport publié par la Sociâté royale astronomique do Londres : « Au moment où la planète eût entamé le boni du Soleil pour sortir, un phénomène remarquable se présenta. La portion du disque de Vénus qui était sortie du disque solaire s'illumina d'une bordure blanche, et resta visible et très lumineuse sur tout le coutour de Véuus, jusqu'au moment TERRES DD CIEL 38 l/AïMOSl'HÈltl!; I>F. VÉNUS OÙ la moitié de la pianote fut sortie. Alors la lumière diminua, et elle dispai'ut environ sept minutes avant le dernier contact externe ^'j. » Ainsi, dans ce cas, l'observation a été faite, non avant l'entrée, comme à Saïgon, mais après la sortie. L'entrée était du reste invi- sible en Egypte. Pourquoi l'illumination de l'atmosphère de Vénus par le Soleil, vue à la sortie par les astronomes de Luxor, n'a-t-elle pas été vue par ceux de Saigon ? La cause est peut-être non astro- nomique, mais terrestre, et peut tenir à l'état de notre atmosphère à Saigon à l'heure de la sortie. En outre de ces quatre observations différentes sur l'atmosphère de Vénus, on trouve une cinquième remarque un peu moins directe, dans un rapport postérieur, dans celui de M. Jarissen, établi à Na- gasaki (Japon). Lorsque la planète arriva en contact avec le Soleil, l'image de Vénus se montra très ronde, bien terminée, et la marche relative du disque de la planète par rapport au disque solaire s'exécuta géométriquement. Mais il s'écoula un temps assez long entre le moment où le disque de Vénus paraissait tangent intérieu- rement au disque solaire et celui de l'apparition du filet lumineux qui apparaît au moment où Vénus, étant tout à fait entrée, quitte le bord du Soleil pour traverser l'astre. « Il y a là, écrivait M. Jans- sen (Académie des sciences, 8 février 1875), une anomalie apparente qui, pour moi, tient à la prése?ice de Vatmosphère de la 2)la- nète. » Une photographie prise au moment même où le contact paraissait géométrique montre qu'en réalité le contact réel n'avait pas encore lieu en ce moment. Le fait est facile à expliquer, si l'on suppose que les couches inférieures de l'atmosphère de Vénus étaient plus ou moins chargées de brouillards ou de nuages formant écran. Dans une atmosphère pure même, la réfraction seule peut produire des différences analogues. L'atmosphère de Vénus a été également vue par M. Mouchez, (') « Immediatcly after the internai contact for egress, a remarkable phenomenon presented itseir:that portion of Venus wliich liad emerged from the Suns's linib became illuminated with a wliite border, which liglit continued on the edge of the cusp of Venus with greal clearncss, until the time when a half of the planet liad crossed the Sun's limb ; then'the light diminished and disappeared about seven minutes before the last cxfernal contact. « L'ATMOSl'IlEIil'; UK VENUS chef de la mission française de l'île Saint-Paul. (Nous suivons dans cet exposé l'ordre chronologique des documents reçus ; celui-ci a été publié dans les Comptes rendus du 15 mars 1875. j « Un quart d'heure après le premier contact, quand la moitié de la pla- nète était encore hors du Soleil, ou aperçut subitement tout le disque entier de Vénus, dessiné par une pâle auréole, plus brillante dans le voi- sinage du Soleil qu'au sommet de la planètu. « A mesure que Vénus entra sur le disque solaire, les deux parties extrêmes plus visibles de l'auréole tendirent à se réunir en enveloppant d'une plus vive lumière le segment encore extérieur de la planète, et cette réunion anticipée des cornes par un arc de cercle lumineux fut rendue plus complète encore par un petit rebord très brillant de lumière termi- nant l'auréole sur le disque de Vénus. « Pendant presque toute la durée du passage, la planète a paru d'un noir très foncé et un peu violette, tandis qu'une auréole d'un jaune très pâle l'entourait sur le disque du Soleil. » Le même fait de la visibilité de Vénus en dehors du Soleil s'est, produit pour les astronomes installés à "Windsor (Nouvelle-Galles du Sud). On trouve en effet dans les Astronomische Nachrichten du 4 mars 1875, n» 2027 (Schreihen des Herrn J. Tebbutt an den Herausgeber), un passage caractéristique dont voici la traduction : « Aucune partie de la planète n'a pu être découverte avant l'entrée, en dirigeant le télescope vers le point oii elle devait se trouver dix mi- nutes avant ce*momeut. L'observation fut très précise. Mais lorsque la planète fut entrée de moitié sur le disque solaire, la moitié encore exté- rieure au Soleil se dessina par une courbe de lumière grise, de moins d'une seconde d'arc d'épaisseur. Ce halo s'accrut graduellement, tant en largeur qu'en éclat, jusqu'à ce que le bord extérieur de Vénus fût arrivé en contact avec celui du Soleil. Cependant la planète projetée sur le disque solaire ne parut entourée d'aucun halo ni d'aucune pénombre. On ne put découvrir sur elle aucun point lumineux, ni aucune apparence de satellite. » Cette illumination de l'atmosphère de Vénus a été également visible à la sortie. En voici les détails : h. m. s. A 3.53. la Vénus arrive en contact avec le bord du Soleil. 3.35.38 On aperçoit le bord sorl'i /aiblemenl éclairé. 3.i)9.lj8 La partie boréale du limbe de Vénus sortie du Soleil est très lumineuse , la parliez australe l'est moins. 4. y.is L'eclaireuient boréal est encore visible, l'austral ne l'est plus. 300 L'ATMOSl'IlliKE DE Y KM' S 4.11.38 Li' ilisiiiif (le Vl'iiiis est absolimieiit iiivisililc fii dehors ilu Soleil, sur le fond noir du ciel. 4.22.43 Dernier contact de la planète avec le Soleil. A Pékin, l'astronome amiTicain Watson a observé ce même phé- nomène de l'anneau atmosphérique entourant la planète sur tout son C(jntour extérieur au Soleil. De Svdney, AustraUe, M. Russel envoyait, de son côté, la relation suivante : On a vu apparaître, aussitôt après l'entrée de Vénus, un mince anneau de lumière dessinant la circonférence de la planète^ autour de la partie du disque qui n'était pas eiicori' cnin'c sur le Soleil. Tous les oliservateurs ilj Vénus (.Nice, B dÙLt'mbre ISS-.V. l'estimèrent d'environ une seconde de large. Plusieurs plaques pholo- grapiiiques montrent une mince ligne d'argent bordant la planète. Dans cet anneau de lumière, on remarque un élargissement, une sorte détache, qui se trouve vers la place du pôle de la planète. Un assistant qui regardait le passage, et qui n'avait pas remarqué l'anneau, avait re- marqué celte tache lumineuse vers le pôle. Les meilleurs dessins de cet élargissement de l'anneau lumineux ont été faits à une station élevée de 2"20Û pieds au-dessus du niveau de la mer, à l'aide d'un équatorial de (juatre pouces et demi et dans une atmosphère si claire, que le bord du Soleil était d'une netteté parfaite. On constate sur ces photographies australiennes que la partie du disque de Vénus qui était visible hors du Soleil, devait cette visibilité à l'anneau de lumière dont elle était entourée, et non pas à un contraste qui aiu-ait existé entre cette partie du disque et le ciel environnant. Cet anneau ^ était certainement causé par la réfraction des rayons solaires à travers l'atmosphère de Vénus. La région plus brillante remarquée près du pôle de la planète est particulièrement intéressante, d'autant plus qu'elle a été observée par divers observateurs tout à fait indépendants les uns des 1. ATM KSI- Il Kl; K lit VKM'.S autres. Elle suggère la conclusiou (jaci ratinos[)hère de Vénus jxjssèdc une puissance de réfraction plus grande dans ces froides régions po- laires, produisant une plus grande extension du crépuscule visible pour nous alors sous la forme d'une ligne brillante. Lors du dernier passage de Vénus (6 décembre 188-2j tous les observateurs se sont accordés pour décrire l'apparition de cette auréole atmosphérique. On sait que ce passage était astronomi- quement visibl(> de la France, de l'Italie, de l'Espagne, de l'Angle- Fig. 137. — L'miréolo :itniospli.rii|ue de Vùiius tOi'géres, C décembre ISSi). terre, de la Belgique, de l'Allemagne, de l'Algérie, et surtout de l'autre hémisphère (Améri(|ue du Sud, États-Unis, etc.) ; nous disons « astronomiquement )>, car « météorologiquement » la visi- bilité dépend de l'état de notre atmosphère, et, en France, par exemple, le ciel a été presque partout couvert d'une épaisse couche de nuages. A Paris, il nous a été impossible de distinguer même la place du soleil, et, pour compléter notre désappointement, cette capricieuse atmosphèn; s'est ironiquement éclaircie aussitôt après le coucher du Soleil : dés 5 heures 30 minutes, on pouvait voir briller au ciel Jupiter, Saturne, les Pléiades et la plupart des constellations! Quoique le ciel fut à peu près couvert cette journée-là sur la France entière, l'Angleterre, la Belgique, l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie et l'Espagne, d'heureuses éclaircies ont pu permettre à quel- L'ATMOSl'HÈIiE BE VÉNUS ques fervents de constater la présence de Vénus sur le Soleil, et d'assister à ce rarissime spectacle, qui ne se renouvellera plus maintenant qu'en l'an 2004 (le 8 juin, de 5 heures à il heures du matin). A Nice, M. Paul Garnier pouvait observer le phénomène à l'aide d'une petite lunette de 95 millimètres d'ouverture et dessiner les trois phases reproduites ici : l'arc lumineux est évidemment dû à l'atmosphère de Vénus. A Orléans, et dans presque tout l'Orléanais, tout le monde a pu observer le phénomène, grâce à une éclaircie fort étendue, A Or- gères, le docteur Lescarbault a suivi le passage depuis 2 heures 9 minutes jusqu'à 3 heures 12 minutes, à l'aide de sa lunette de 5 pouces (135°""), armée d'un grossissant de 250. « Le bord du Soleil était très ondulant, nous écrivait-il le soir même. Lorsque Vénus fut avancée d'un peu moins de son diamètre, son bord projeté sur le Soleil parut faiblement frangé, sur le contour de l'arc engagé, d'une auréole large de quelques secondes. Quand les trois quarts du diamètre furent engagés sur le disque solaire, la frange lumineuse, d'un jaune grisâtre, faisait le tour complet du cercle noir {fig. 137), même sur le contour extérieur au Soleil, où elle était encore plus lumineuse. Ce phénomène persista jus- qu'à l'entrée complète. Je l'attribue comme vous à l'atmosphère de Vénus. » A Rome, MM. Tacchini et Millosevich, favorisés par une heureuse éclaircie, ont obtenu d'excellentes observations. M. Tacchini est parvenu à voir arriver la planète en dehoi-s du' Soleil, sur les pointes aiguës des flammes chromosphériques de l'astre radieux. Peu après le premier contact, M. Millosevich s'aperçut le premier de l'atmosphère de Vénus. A l'aide du spectroscope, les observateurs ont constaté l'absorption produite dans le spectre solaire par cette atmosphère. A Palerme, M. Gacciatore a vu l'auréole de Vénus en dehors du disque solaire au moment de l'entrée, et, pendant le passage, M. Ricco a observé, au spectroscope, que cette atmosphère donnait naissance a une faible raie d'absorption situ^pe près de la raie B du spectre solaire, et même à une seconde raie plus faible, située prés de la ïwinQ, G. L'ATMOSPHÊUE DE VENUS En Angleterre, MM. Denning, à Bristol, Dreyer, à Armagh, ont observé, en dehors du Soleil, la même auréole lumineuse. Les diverses missions françaises envoyées au loin pour les mesures de la parallaxe solaire ont décrit le même phénomène ('). Leurs descriptions sont toutes indépendantes les unes des autres, et néan- moins d'une concordance remarquable. Après les avoir réunies et comparées, le doute n'est plus possible sur l'existence de cette atmo- sphère, n'y eut-il que ces seules observations pour la démontrer. Les estimations sur l'épaisseur ne sont pas concordantes. D'ailleurs cette épaisseur n'était pas la même partout, et, de plus, elle a varié pendant la durée de l'entrée du disque de Vénus sur le Soleil. M. Tisserand l'a estimée entre 0"5 et V'O; M. Bouquet de la Grye à 0"6, et M. d'Abbadie à 2" à sa plus grande épaisseur. Les observations s'accordent sur le fait que l'auréole a été beau- coup plus marquée pendant l'entrée que pendant la sortie. L'atmos- phère de Vénus était-elle plus pure sur son bord oriental que sur son bord occidental, ou peut-être les observateurs n'ont-ils pas observé plus minutieusement à l'entrée qu'à la sortie? M. Langley, directeur de l'Observatoire d'Allegheny (Pensylvanie), a fait les curieuses observations suivantes : Lorsque la planète fut entrée de presque la moitié de son diamètre sur le disque solaire, on put apercevoir un contour extérieur tracé par une légère auréole lumineuse. De plus, on remarqua une traînée de lumière s'allongeant sur une longueur de près de 30° de la circonférence de la planète et s'étendant dans l'intérieur de son disque depuis sa périphérie jusque vers un quart de rayon. Cette lumière a été vue par moi à travers le grand équatorial. Muni d'un oculaire polarisant, dont le pouvoir gros- sissant était de 244, j'ai estimé son angle de position à 17S". Dans le même temps, mou assistant, M. Keeler, observant avec une lunette de 2 1/4 pouces seulement d'ouverture et un grossissement de 70 fois, aperçut la même lumière et estima sa position à 168°. L'angle de position de la planète elle-même sur le disque solaire était approxima- tivement de 147°; il en résulte que cette lumière énigmatique se trouvait au bout d'une ligne menée du centre du Soleil au centre de Vénus. A l'Observatoire de Milan, le deuxième contact de l'entrée a pu être observé, à travers une éclaircie, par MM. Schiaparelli, Coloria (') Pour les détails, voy. notre Revue mensuelle d'Astronomie populaire, K° du 1" octobre 1883. I/ATMOSPIICUE DD VENVS et Rajua, qui estimèrent l'instant de ce contact à "2 heures 57 mi- nutes "24 secondes ; 2 heures 57 minutes 23 secondes, et 2 heures 57 minutes 21 secondes 5 respectivement. Les deux premiers obser- vateurs aperçurent tout autour du disque de Vénus, à partir du moment où elle fut à moitié entrée sur le Soleil, une auréole lumi- neuse, parfaitement nette contre la planète, mais nébuleuse sur son contour extérieur, M. Schiaparelli attribue aussi cette lueur à la ré- fraction de la lumière solaire dans l'atmosphère de Vénus. M. Birmingham a observé le passage à Millbrook, Tuam (Angleterre). Vénus (Allegheny, G décembre ISSi). Lorsque la planète fut entrée de moitié sur le disque solaire, il aperçut une faible ligne courbe, lumineuse sur le bord sud-est exté- rieur au Soleil. Cette ligne ne tarda pas à s'allonger et à compléter la périphérie de la planète. Il semble qu'au commencement de l'obser- vation, le point du contour de la planète où la lumière était la plus vive indiquait une atmosphère très pure et une très grande réfraction en cette contrée de la planète. L'auréole disparut aussitôt que la pla- nète fut complètement entrée sur le Soleil; mais le tour de la pla- nète paraissait beaucoup plus sombre que la partie centrale, laquelle était absolument noire. M. H.-C. Vng(-1, à l'Observatoire de Potsdam, a fait des observa- tions qui offrent un intérêt particulier au point de xue de l'atmo- L'ATMOSPHÈRE DE VKNIS sjtlu'TO de la planète. Le professeur Vo;.fol nliservaif avec un ivfrac- teur de presque 30 centimè- tres d'ouverture et un grossis- sement de 170 fois. ASMO^S, la partie du disque non encore entrée sur le Soleil (environ 90" de la périphérie de Vénus) pa- rut bordée d'un mince filet lumineux; le disque même de le planète était parfaitement noir. A 3'' 11™ 6', cette lumi- nosité fut notée comme étant « très intense ». Cette lueur était plus accentuée à l'inté- rieur et pouvait avoir de I'' à l" 5 de largeur; elle se dé- gradait vers l'extérieur tout en étant également distribuée autour de la circonférence de Vénus. La figm-e ci-dessus rcprodui. les dessins très précis et ti'è minutieu.x de M. Vogel. Sur les trois premiers, l'atmos- phère de la planète se montre comme un arc vaporeux ii'- fractant la lumière solaire; sur le quatrième, la planète est complètement entrée e[ l'on ne distingue plus aucun phénomène atmosphérique. Ces observations sont trop nombreuses et trop précises pour ne pas être prises en haute considération. Nous pouvons même dire qu'au point de vue de l'astronomie physique, elles sont plus intéressantes que celles de la parallaxe solaire, qui TElilîK.S DU riEr. «Ijl Kig. loti. — I.'iiiirûolc atmosphcrique deVùuus (Postdam, 6 décembre t88i). L'ATMOSPHÈRE DE VÉNUS n'ont apporté aucun document nouveau à la connaissance que nous en avions déjà pai* les autres méthodes. Elles nous permettent d'affirmer d'une manière absolue l'existence de V atmosphère de Vénus. Son épaisseur moyenne paraît être de 1" ('). De plus, pen- dant ces doux passages devant le Soleil, cette épaisseur a été vue plus grande dans une région qui paraît correspondre avec cellc^ des pôles de la planète, où la lumière crépusculaire serait plus étendue. Ce sont là de précieux documents pour notre connaissance de ce monde voisin. En voici un plus important encore : c'est l'observation faite en Amérique, par le professeur G. S. Lyman, de Vénus sous la forme d'un anneau lumineux. Déjà au moment de la conjonction inférieure de Vénus en 1866, l'auteur était parvenu à voir la planète sous la forme d'un anneau lumineux très mince : il avait suivi attentivement et de jour en jour son croissant à mesure qu'elle s'était approchée du Soleil, et avait constaté que les deux extrémités de ce croissant s'étaient allongées et étendues graduellement au delà d'un demi-cercle, puis avaient atteint trois quarts de cercle, et avaient fini par se rencontrer et former un anneau lumineux. Aucune occasion ne s'était présentée pour répéter ces observa- tions, jusqu'au passage de Vénus du 8 décembre 1874. A cette époque, la planète étant de nouveau à une très grande proximité du Soleil, l'auteur a réussi à découvrir l'anneau argenté délicat qui en- veloppait son disque, même lorsque la planète n'était éloignée du bord du Soleil que d'un demi-diamètre de celui-ci. C'était à 4 heures du soir, ou un peu moins de cinq heures avant le commencement du passage. La partie de l'anneau la plus proche du Soleil était la plus brillante. Sur le côté opposé, le filet de lumière était plus terne et d'une teinte légèrement jaunâtre. Sur le bord, au nord de la pla- nète, à 60 ou 80 degrés du point opposé au Soleil, l'anneau dans un petit espace était plus faible et en apparence plus étroit qu'ail- leurs. Une apparition semblable, mais plus marquée, avait été observée sur le même limbe en 1866. (1) La plani'te mesurant alors 62" à 63", l'épaisseur de cette atmosphère serait d'environ ^ du diamètre de la planète, c'est-à-dire de 194 kilomètres, plus ou moins L'ATMOSPHÈRE DE VÉNIS Le surlonilemain du passage (10 décembre), le croissant de Vénus s'ôtendail à plus des trois quarts d'un cercle : ou le voyait avec une netteté parfaite dans l'équatorial. Ce jour-là et les deux suivants, des mesures ont été prises au micromètre pour déterminer l'étendue des cornes, et la réfraction horizontale de l'atmosphère qui la pro- duit. Voici les résultats précis de ces observations. Chacun d'eux 8 décembre. 10 décembre. 11 décembre, Fig. MO. — Vénus vue sous la forme d'un anneau lumineux. est la moyenne du nombre des mesures séparées indiqué dans la dernière colonne : Dates. h. m. Distances des centres de la Terre et de Vénus. Etendue du croissant. Réfraction horizontale de l'atmosphère. Nombre des observât. des cornes S tltVcmbre ; i .3. 0 soir. 0° 30',fi 360° 10 — 11.30 matin 2' 31 '.7 aTO» 28' 40', 6 4 Il — 10.16 — 4" 2'.4 233" lo' 43'.0 f, 11 — 2.40 soir. 4° 20'.4 231° 16' 4;r.:-i ir. 12 — 2.45 — .S» 58',3 2i;;° 21' Movcnno 42'.9 : 44'..T 22 Ces observations donnent une moyenne de 44',o pour la réfraction liorizonfale de ratmosphèrc de Venus. Les observations de l'auteur, en 1866, avaient donné 4o',3. Les premières recherches de ce genre ont été ftiites par Schrôler. Le 1-2 août 1790, il trouva les cornes prolongées au delà de leur limite géométrique, en un léger rayon de lumière, mani- festant aiiisi l'existence d'une illumination atmosphérique et prou- vant l'existence de crépuscules analogues aux nôtres, proliable- ment plus longs et indiquant une atmosphère plus donne. En 1S49, L'AÏ.MOSl'Uir.E DE VÉNUS Madler trouva ces pointes du croissant allongées jusqu'à 200° et mèrae jusqu'à 240", ce qui indiquait une refraction environ -j- plus forte que celle de notre atmosphère : il avait conclu 43', 7 poui cette réfraction à l'horizon. En 1857, Secchi évalua l'épaisseur du crépuscule à 19°^. En appliquant aux mesures de M. Lyman la correction du supplément de l'angle, on trouve que la réfraction horizontale de l'atmosphère de Vénus doit être élevée au chiffre de 54'. Celle de l'atmosphère terrestre étant de 33', il en résulte qu'en désignant par 1000 la densité de notre atmosphère, celle de l'atmosphère de Vénus, à la surface de cette planète, serait représentée par le norribre 1890. En Angleterre, M. Noble a fait la môme observation que M. Lyman : il a vu le disque entier de Vénus entouré d'un anneau lumineux. U atmosphère de Vénus est donc presque deux fois plus dense que la nôtre. La réfraction de l'atmosphère qui, pour nous, élève le disque du Soleil au-dessus de l'horizon, tandis qu'il est encore au-dessous, et qui élève tous les astres au-dessus de leur position réelle, est encore plus grande sur Vénus qu'ici, et y allonge un peu plus la durée du jour. L'air que l'on respire sur ce monde n'est pas très différent, physi- quement et chimiquement, de celui que nous respirons. 11 est de plus imprégné, comme le nôtre, de vapeur d'eau, et les variations de température y produisent des nuages, des courants atmosphé- riques, des venls, des pluies, en un mot, un régime météorologique offrant de grandes analogies avec le nôtre. CmPITUE M Les habitants de Vénus. — Conditions de la vie sur ce globe. Analogies entre cette planète et la nôtre. Le ciel et la Terre vus de Vénus. La planète Vénus présente, comme nous venons de le voir, les plus frappants caractères de ressemblance >avec celle que nous habituns. Mêmes dimensions à peu près; même poids, même densité; menu- pesanteur à la surface; môme durée du jour et de la nuit; mèi:;;' atmosphère; mêmes nuages, mêmes pluies; années, saisons, relief géologique, n'y manifestent pas non plus de différences capitales : en un mot, Vénus offre plus de ressemblance avec la Terre que nul autre monde de la famille solaire. On ne pourrait choisir dans tout le système aucun couple de planètes aussi rapprochées. Uranus et Neptune se ressemblent à plusieurs égards, mais diffèrent considéra- blement d'autre part. Jupiter et Saturne sont certainement les deux frères géants de la famille solaire, de même que les petits mondes do Mars et Mercure offrent entre eux de grandes analogies; mais nous rie pourrions trouver entre ces mondes associés les points nombreux de similitude qui caractérisent Vénus et la Terre, et il y aura:*;, au contraire, entre eux, plus de différences réelles que de véritables similitudes. 11 no manque à Vénus qu'un satellite pour ressembler tout à fait au monde que nous habitons; et si (comme on a cru l'observer quelquefois) elle avait vraiment un com-^iagnon dans sa marche céleste, Vénus et la Terre seraient sans doute les deux mondes les plus semblables de l'univers tout entier. Vénus est-oUo dniic une ferre tnut ;i fait identique à celle que 1. 1; .s H A 1! I r A N 1 s II i; \ i; n c s nous habitons, avec les mêmes paysages, les mêmes mers, les mêmes rivages, la même nature, les mêmes plantes, les mêmes animaux, la même humanité? — Non; car si nous abordons sur cette planète, nous trouvons certaines différences essentielles, prin- cipalenuîut dans la météorologi(;. Ce qui nous frappe tout d'abord, c'est la grandeur et la chaleur du Soleil. Le soleil du ciel de Vénus a en effet un diamètre un tiers plus large que le nôtre, et sa surface apparente, à laquelle correspond sa valeur calorifique et lumineuse, est plus grande que celle du nôtre l'ig. II"-'. — Grandeur comparée liii Soloil vu ilc Vûnus et vu de la Terre. (Écbtllo : l""" = 1) dans la proportion de seize à neuf. Un tel soleil, comparé au nôtre, brûlerait ses régions équatoriales, si elles étaient revêtues de la môme vie que les nôtres. Mais ses régions tempérées ne jouissent- elles pas d'un climat analogue à celui de nos régions tro- picales ? et ses zones polaires ne correspondent-elles pas à nos zones tempérées et ne sont-elles pas le séjour des races les plus actives et les plus entreprenantes de l'humanité de cette planète ? Il pourrait en être ainsi, en effet, si les saisons de Vénus avaient la mémo intensité que les nôtres, c'est-à-dire si son axe de rotation était incliné comme le nôtre sur le plan dans lequel elle se meut. Mais nous avons vu que l'inclinaison est Itien plus forte et que les saisons y sont beaucoup plus disparates . La zone f( irride s"étond jusqu'à la zone glaciale et même au delà. Li:s 11 Ai; i TA .NT. s DK VE.MIH et réciproquement la zone glaciale s'étend jusqu'à la zone torride, et empiète même sur elle de telle sorte qu'il ne reste plus de place pour la zone tempérée. Il n'y a donc sur Vénus aucun climat tempéré, mais toutes ses latitudes sont, tour à tour, tropicales et arctiques. Or, sous les tropiques, le soleil darde, deux fois par an, ses rayons perpendiculairement au-dessus de la tête, tandis que, dans les régions arctiques, il y a des jours où l'astre lumineux ne se lève pas du tout et des jours où il ne se couche pas davantage. Quelles ne doivent donc pas être les vicissitudes de contrées qui sont, tour à tour, arctiques et tropicales? A une certaine époque de l'année, le soleil reste plusieurs jours sans se lever; à une autre époque, il reste plusieurs jours sans se coucher, et, entre ces deux saisons, il plane verticalement au- dessus de la tète. Le contraste entre la température glaciale de la saison privée du soleil et les feux ardents de celle où le soleil de Vénus, deux fois plus étendu et plus chaud que le nôtre, verse du haut des cieux sa hrùlante chaleur, ne constitue certainement pas une perspective bien agréable. On ne sait vraiment quelle est 'la région de Vénus la moins désagréable à habiter, et il n'y a presque pas plus d'avantages cà élire domicile vers l'équateur plutôt que vers les pôles. Cependant, les recherches géographiques qui ont été faites à son égard s'accordant suffisamment pour nous apprendre que ses mers s'étendent principalement le long de l'équateur, et que ce sont plutôt (les méditerranées que de vastes océans, les extrêmes de chaleur et de troid sont tempérés par l'influence de ces eaux, et nous pouvons penser que ses régions les plus favorisées sont les rivages de ces mers intérieures. On peut admettre sans témérité que s'il y a là des peuples civilisés, c'est en ces contrées que vivent les nations les plus floris- santes de la planète. Ces mers ont des marées plus faibles que les nôtres, causées par l'attraction seule du Soleil, et leurs vagues sont agitées comme les nôtres par la brise.... Les effets de lumière et d'ombre qu'on y admire, les colorations de nuages au coucher du soleil, les brises ondoyantes du soir, les plaintes du vent dans les bois, les murmures des ruisseaux, enfln les mille bruits de la vie, doiveni y développer des panoramas, des situations, des scènes offrant d'intimes harmonies avec les paysages terrestres et maritimes de notre planète. L'atmosphère, l'eau existent là comme ici. D'après ce que nous LES HABITANTS DE VENUS avons vu plus haut sur Jcs saisons rapides et violentes de cette planète, nous pouvons penser que les agitations des vents, des pluies et des orages doivent surpasser tout ce que nous voyons et ressentons ici , et que son atmosphère et ses mers doivent subir une continuelle évaporation et une continuelle précipitation de pluies torrentielles, hypothèse confirmée par sa lumière, due sans doute à la réflexion de ses nuages supérieurs et par la multiplicité de ces nuages eux-mêmes. A en juger par nos propres impressions, nous nous plairions beaucoup moins dans ces pays-là que dans les nôtres, et il est même fort probable que notre organisation physique, tout élastique et toute complaisante qu'elle soit, ne pourrait pas s'acclimater à de pareilles variations de température. Mais il ne faudrait pas en conclure pour cela que ce monde fût inhabitable et inhabité. On peut même supposer, sans exagération, que ses locataires naturels, organisés pour vivre dans leur milieu, s'y trouvent à leur aise comme le poisson dans l'eau, et jugent que notre Terre est trop monotone et trop froide pour servir de séjour à des êtres actifs et intelligents. Ah! la nature nous apprend bien à ne pas fonder nos jugements sur des impressions superficielles et à ne pas nous hâter de con- damner un monde parce qu'il ne possède pas identiquement les conditions d'habitabilité qui caractérisent le nôtre. La vie paraît être le but inéluctable, la loi absolue de la création, et l'antique commandement de Jéhovah qui flotte comme un ordre perpétuel dans les légendes bibliques du paradis terrestre : « Croissez et mul- tipliez! » représente bien réellement la raison d'être de l'existence des choses. Que ceux qui doutent de l'universalité de la vie et qui craignent une abstention quelconque des forces vitales de la nature prennent un microscope et regardent une poussière fossile de diato- mées, une aile de papillon, une rondelle de plante, un fragment de langue de limaçon, une goutte d'eau, un rien perdu dans les soli- tudes oubliées, et devant le spectacle merveilleux, éblouissant, fan- tastique, de l'infiniment petit, ils sentiront que partout l'atome se marie à l'atome, que partout le travail moléculaire unit et féconde, que l'inorganique et l'organique ne sont pas séparés, et que la vie se multiplie sous mille formes dans une énergie sans fin. Certes, rela- tivement à leurs impressions personnelles, les êtres variés qui vivent ...La population d'une goulle deau représenie loui uo monde. TERFIES DU CIEX 40 LES IIAlilTANTS DE VÉNUS dans une goutte d'eau; qui s'y cherchent, s'y fuient, s'y désirent, s'y combattent; qui naissent, agissent et meurent dans leur élément; ces êtres sont, relativeme^it à leurs facultés, non moins émus que nos soldats lancés sur un champ de bataille, qui se précipitent les uns sur les autres sans se connaître, en se frappant mutuellement, d'aprôs la seule couleur des uniformes. La population d'une goutte d'eau représente tout un monde. Et l'on aura beau supposer que les conditions de la vie sur le globe de Vénus étant plus grossières que les nôtres, selon toute apparence, ses liabitants doivent être sensiblement moins intelligents que nous; avons-nous le droit d'être bien fiers? Nous ne sommes assurément pas fort élevés dans la hiérarchie de la raison ('). (') Les habilants de la planète terrestre sont encore dans un tel état d'ineptie, d'inin- telligence, de stupidité, que l'on voit, dans les pays les plus civilisés, les journaux quo- tidiens rapporter, naïvement, sans discussion et comme une chose toute naturelle, les arrangements diplomatiq es que les chefs d'Etat font entre eux, les alliances contre nn ennemi supposé, les prép , atifs de guerres. Les peuples permettent à leurs chefs de disposer d'eux comme d'un bétail, de les conduire à la boucherie, de les réduire en hécatombes, sans paraître se douter que la vie de chaque individu est une propriété personnelle et que c'est une action criminelle, de la part d'un homme quelconque, d'assassiner cent mille êtres humains dans le but de recevoir le titre de prince ou d'af- fermir une dynastie. Les habitants de cette singulière planète ont été élevés dans l'idée qu'il y a des nations, des frontières, des drapeaux; ils ont un si faible sentiment de l'humanité, que ce sentiment s'efface entièrement, dans chaque peuple, devant celui de la patrie, et qu'ils reçoivent, non pas avec résignation, mais avec joie, avec bonheur, avec délire, les excitations puériles de vanités nationales susceptibles de préparer une guerre prochaine. C'est là l'état normal de l'humanité terrestre, il n'y a pas à s'en prendre aux princes, aux rois, aux empereurs; ni aux députés, aux états-majors ou aux généraux : c'est le plaisir du peuple de se faire tuer. La race humaine n'a absolu- ment que ce qu'elle mérite, et nous ne devrions même pas nous en étonner. Mais comment ne pas le regretter pour elle, au point de vue de la raison et du bon sens? Ces réflexions s'appliquent surtout, parmi les nations européennes, à la nation alle- mande, qui est encore absolument barbare à ce point de vue. Ses citoyens sont encore des esclaves sous le joug de la discipline militaire. Et c'est là, malheureusement, tristement, ce qui constitue la force intrinsèque d'un peuple. Tout peuple dont les citoyens arrivent au sentiment de la dignité humaine, cesse de posséder les qualités intellectuellement négatives et matériellement brutales qui font les bons soldats : parle fait même île son progrès moral, il devient pacifique et est destiné à se laisser dominer par le plus batailleur. La force prime le droit. Tel est l'état de notre humanité. Nous n'avons donc pas le droit d'être fiers. Il est bien vrai que si les esprits qui pensent voulaient s'entendre, celte situation changerait, car, individuellement, nul ne désire la guerre. Kais la majorité turbulente ne tient ni à penser, ni à être raisonnable. Et puis, il y a des engrenages politiques qui foni vivre toute une légion de parasites. Au moment où nous corrigeons cette épreuve (octobre 18S3), nous recevons les LES HABITANTS DE VENUS La race supérieure qui tient daus cette planète les rênes de l'intel- ligence, et au sein de laquelle s'est incarnée l'âme raisonnable, diffère probablement de forme avec la nôtre, car elle descend zoolo- giquement des espèces animales qui l'ont précédée sur ce monde, et elle en a gardé la forme organique générale. Toutefois, comme l'intensité de la pesanteur est la même sur Vénus que sur la Terre, et comme la respiration y a joué aussi le principal rôle, l'espèce humaine de cette planète peut moins différer de la nôtre que celle qui habite Mars, celle-ci devant être douée d'un mode de locomotion tout différent de celui que nous possédons ici-bas. C'est le climat surtout qui est différent. Mais déjà sur la Terre nous avons de si étonnantes différences de climats, que si les voyages ne nous avaient pas appris que certaines régions, soit tropicales, soit polaires, sont habitées, nous n'imaginerions point qu'elles le fussent. Supposons qu'on nous annonce qu'il y a sur notre planète des contrées où le Soleil reste invisible pendant des mois entiers et sur lesquelles il brille ensuite également pendant plusieurs mois, et que la tempéra- ture de ces contrées est si froide, qu'au milieu de leur été on y en- dure un froid encore plus glacial que celui que nous subissons dans nos hivers, nous ne supposerions point assurément que des familles humaines puissent habiter là, et s'y trouver mieux à l'aise que lors- qu'on les transporte dans nos régions tempérées. Le même réiison- nement pourrait être appliqué au séjour des peuplades qui habitent rapports relatifs aux grandes manœuvres. Chaque pays vient de s'exercer à faire la guerre, et, dans cet exercice, a invité des représentants militaires des pays voisins (qui viennent là dans le seul but d'espionner les forces dont la nation dispose, de prendre des notes sur les corps, les armes et les manœuvres, et de les envoyer à. leurs gouver- nements). C'est ainsi que les officiers allemands désignés par l'empereur d'Allemagne ont été invités par le gouvernement de la République française à examiner njtre situa- lion militaire, avec la mission logique d'en découvrir les côtés faibles. En Buurgogne, aux lieux mêmes de nos défaites de 1870, les officiers prussiens étaient groupés derrière nos lignes de tirailleurs et écrivaient leurs rapports. Cet échange de prorédés est fait par toutes les nations dites civilisées, et on l'estime comme galanterie, comme témoignage de qualités chevaleresques. Cela rappelle le commencement de la bataille de Fontenoy : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » et la déchargé qui s'ensuivit abattant des centaines d'hommes. — Pour un esprit raisonnable et indépendant, il n'y a là ni chevalerie, ni diplomatie, il y a simplenie:it sottise, ineptie, barbarie, anima- lité. L'humanité terrestre n'a pas le sens commun, et nous oserions imaginer que les habitants de Vénus en eussent encore moins que nous, parce que leurs saisojis sont grossières! Mais les saisons de Vénus sont moins grossières que nos sentiments et nos absurdités. SIS LES HABITANTS UE VÉNUS la zone torride, et qui ne peuvent que dillicilem(Mit aussi s'accli- mater sous nos latitudes. Que sorait-ce si nous considérions la diversité des espèces ani- males? Quoique toute la vie terrestre soit organisée sur le même mode et par les mêmes forces, cependant nous trouvons une variété si grande entre les espèces vivantes, qu'elles se développent sur une échelle de prés de 100 degrés de température. 11 ne nous reste donc qu'un effort bien léger à faire pour concevoir l'état de la vie à la surface de la planète voisine que nous venons d'étudier. Fontenelle avait imaginé Vénus peuplée de Philémons et de Baucis, sans cesse rajeunis par les flèches magiques d'Apollon, vifs, remuants, pleins de feu, pétillants d'esprit, — « toujours amoureux, continuait la marquise, faisant des vers, aimant la musique, inventant tous les jours des fêtes, des danses et des tournois. » C'était suivre les inspirations de la tradition ancienne. Déjà, dans son Iter extaticum céleste, le bon Père Athanase Kircher, qui ne permet pas aux astres d'être habités par des hommes, parce que ce serait contraire à la doctrine du péché d'Adam et de la rédemption, rencontre néanmoins dans Vénus des anges des deux sexes d'une inqualifiable beauté : Des parfums de musc et d'ambre y caressent l'odorat; les végétaux semblent des édifices de pierres précieuses, une immense variété de couleurs les décore, et les rayons du soleil, en s'y reflétant, en aug- mentent encore la magnificence par leurs jeux infinis. Mais l'homme cherche, cherche une créature vivante et n'en trouve pas : la nature inanimée répond seule à ses regards... Cependant, voici que d'une colline de cristal sort un chœur de jeunes gens d'une beauté incomparable;. essayer de décrire leurs perfections serait un dessein inutile, nulle parole humaine ne serait capable de dépeindre une telle élégance. Ils sont vêtus de robes blanches où les rayons du soleil font naître de tendres nuances- et de chatoyantes couleurs; ils descendent de la colhne : les uns tiennent des cymbales et des cythares, et des flots d'harmonie s'élèvent dans les airs; les autres portent d'admirables corbeilles de fleurs oii les roses et les lis, les hyacinthes et les narcisses se marient et s'harmonisent... A la vue d'un pareil spectacle, captivé sous le triple charme des parfums, de la musique et de la beauté, le voyageur s'apprête à Les liabi:ants de Venus imagiius pui Uciuaidiu de SuiolCicrra. LES HABITANTS DE VENUS saluer les illustres représentants de la race humaine en ce Monrle splendide; mais son génie Gosmiel l'arrête en lui ftiisant com- prendre que ces êtres n'appartiennent pas à la faniilb^ des homnifs. La Terre est l'habitacle de l'homme; ici, ce sont des anges, dos • ministres du Très-Haut préposés à la garde du monde de Vénus, ce sont eux qui le guident dans sa route à travers, le monde des espaces, afin d'accomplir les dessins de la nature. Puis le génie expose comment lesdits anges versent sur la Terre l'influx propice de la planète de Vénus, grâce auquel les êtres qui naissent sous cette bonne étoile deviennent beaux, gracieux et doués d'un excel- lent caractère. La conversation se continue ensuite en discutant si le vin fourni par les vignes de Vénus serait, comme celui des vignes de la Terre, susceptible d'être changé en Dieu par le mystère de l'eucliaristie. Le Père conclut en faveur de l'affirmative. Plus tard Swedenborg, qui se disait en correspondance avec les habi- tants des planètes, assure que nos voisins de Vénus sont à peu près organisés comme nous et même presque vêtus de la même façon. Dans ses Harmonies de la Nature, Bernardin de Saint-Pierre a fait une peinture véritablement fort poétique de la planète qui nous occupe. Pour lui, Vénus serait une terre tropicale analogue à Vile de France qu'il a si merveilleusement décrite dans Paul et Virginie. Écoutons-le un instant : « Vénus, dil-il, doit être parsemée d'iles qui portent chacune des pies cinq ou six fois plus élevés que celui de Téuéritfe. Les cascades brillantes qui en découlent arrosent leurs flancs couverts de verdure et viennent les rafraîchir. Ses mers doivent offrir à la fois le plus magnifique et le plus délicieux des spectacles. Supposez les glaciers de la Suisse, avec leurs torrents, leurs lacs, leurs prairies et leurs sapins, au sein de la mer du Sud: joignez à leurs flancs les collines du bord de la Loire couronnées de vignes et de toutes sortes d'arbres fruitiers; ajoutez à leurs bases les rivages des Moluques plantés de bocages où sont suspendues les bananes, les muscades, les girofles, dont les doux parfums sont transportés par les vents; les colibris, les brillants oiseaux de Java, les tourterelles qui y font leurs nids et dont les champs et les doux murmures sont répétés par les échos. Figurez- vous leurs grèves ombragées de cocotiers, parsemées d'huitres perlières et d'ambre gris; les madrépores de l'océan Indien, les coraux de la Méditerranée, croissant par un été perpétuel, à la hauteur . des plus grands arbres, au sein des mers qui les baignent, mariant leurs LES HABITANTS DE VÉNUS couleurs écarlatcs et pui'purin(\s ;ï la verdure des palmiers, et enfin des courants d'eau transparente qui reflètent ces montagnes, ces forêts, ces oiseaux, et vont et viennent d'île en lie, vous n'aurez ({trnne faible idée de ces paysages de Vénus! Le pôle doit jouir d'une teni[HM'a- ture beaucoup plus agréable que celle de nos plus doux printemps. Quoique les nuits de cette planète ne soient point éclairées par des lunes, Mercure par son éclat et son voisinage, et la Terre par sa grandeur, lui tiennent lieu de deux lunes. Ses habitants, d'une taille semblable à la nôtre, puisqu'ils habitent une planète de même diamètre, mais sous une zone céleste plus fortunée, doivent donner tout leur temps aux amours. Les uns, faisant paître des troupeaux sur les croupes des montagnes, mènent la vie des bergers; les autres, sur les rivages de leurs îles fécondes, se livrent à la danse, aux festins, s'égayent par des chansons ou se disputent des prix à la nage, comme les heureux insulaires de Taïti. » Mais l'examen télescopique nous éloigne de ces deseriiitions imaginaires. L'admiration que nous ressentons d'ici pour cette blanche étoile du soir, et qui s'est traduite dans tous les âges par les noms les plus gracieux dont cette planète a été décorée, n'est causée que par son aspect lointain et par le radieux éclat dont elle brille avant toutes les autres beautés du ciel. Elle a toujours été, comme la Lune, la compagne et la confidente des rêveries du soir; mais c'est là un aspect trompeur. Nous avons vu que la Terre produit le même effet aux habitants de Mars, et que, selon toute probabilité, nous avons reçu là des noms analogues à ceux dont nous avons gratifié Vénus; et pourtant, en réalité, notre pauvre petit globe couvert de batailles, de ruines et de misères, n'est pas absolument un séjour angélique ou charmant. Loin de jouir des délices d'un printemps perpétuel et de vivre dans un véritable Éden, ces frères d'une autre patrie ont à subir comme nous, et plus que nous, les alternatives de l'hiver et de l'été dans leurs plus rudes contrastes. La différence physiologique entre les deux planètes ne doit pas être considérable, et quoiqu'il puisse exister là comme ici certaines latitudes privilégiées, l'en- semble de la sphère est soumis à un régime assez rude. L'atmo- sphère épaisse qui l'environne, les nuages fréquents qui la par- sèment, les courants atmosphériques qui la sillonnent, les vents et les pluies, les neiges et les brouillards, les météores, les tempêtes, les orage?, les phénomènes aériens, depuis les magni- LES HABITANTS DE VÉNUS fîcences des levers de s(jl('ils jusqu'aux suaves coloralions do rarc-cn-ciel, tous ces mouvements,' toute cette vie, reproduisent sur ce monde un ensemble de choses peu différent de ce que nous contemplons autour de nous. En effet, les nuages que nous ol)servons dans son atmosphère ne peuvent provenir que de l'éva- poration de ses océans; et d'autre part l'existence de ces mers est démontrée par l'observation, et par le relief géologique si accentué da sol de la planète. Ce relief a produit, comme ici, des montagnes et des vallées, des plateaux et des pleines, des paysages variés où se joue la lumière du soleil aux différentes heures du jour, des campagnes qui s'endorment le soir après le coucher de l'astre royal, des lacs qui réfféchissent pendant la nuit les étoiles scintillantes du firmament. Peut-être ne serions-nous pas très dépaysés en arrivant devant un paysage de Vénus. Et pourtant, selon toute probabilité, c'est un monde plus sauvage, plus chaud, plus changeant et plus primitif que le nôtre. Les premières combinaisons organiques du carbone, en ouvrant, par la formation des premiers tissus végétaux et animaux, la série des espèces vivantes dont le lent et progressif développement a constitué la vie terrestre tout entière, ont dû commencer dans les eaux fécondes de la planète Yénus un travail analogue à celui qui a été accompli au fond des océans terrestres de la période primaire, et les éléments vitaux (composition chimique, densité, pesanteur, lumière, chaleur, durée du jour, saisons, etc.) n'étant pas sensible- ment différents de leur état terrestre, les espèces ont du se dévelop- per à peu près suivant la môme série que chez nous, et peut-être les formes anatomiques végétales, animales et humaines y présentent- elles les mêmes types essentiels que les nôtres. L'humanité qui règne sur le monde de Vénus doit donc offrir les plus grandes ressemblances physiques avec la nôtre, et probable- ment aussi les plus grandes ressemblances morales. On peut penser néanmoins que Vénus étant née après la Terre, son humanité est plus récente que la nôtre. Ses peuples en sont-ils encore à l'âge de pierre ? Toutes conjectures à cet égard seraient évidemment super- flues, les successions paléontologiques ayant pu suivre une autre voie sur cette planète que sur la nôtre. D'un autre côté, ce n'est pas sous les plus doux climats que rhun:?.uité est la plus active, et si le ...ivul-are ne serions-nous pas très dqiav.s.s en arrivant dcvam uu |la^^a,,•, .,i \,,iu.. TERRES Di: CIEL 41 LES HABITANTS DE VÉNUS monde de Vénus était aussi charmant que le dépeignait plus liaut un pinceau trop poétique, peut-être serait-il endormi dans la mol- lesse inactive, comme le sont les peuples qui habitent les régions chaudes, calmes et monotones. C'est un monde plus varié et sans doute plus passionné que le nôtre. En définitive, la meilleure conclusion à tirer des considérations précédentes, c'est que la vie doit être sur Vénus peu différente de ce qu'elle est ici, taudis que sur Mercure elle doit en ditïérer davantage. Les humains peuvent y offrir avec nous une grande res- semblance organique. Toute proposition relative à la manière d'être des habitants des autres planètes paraît téméraire aux esprits qui ne s'écartent point dans leur marche paisible des lisières de la timidité classique. Si par exemple nous émettions l'idée que les habitants de Vénus volent dans leur atmosphère, et (i;;e pour éviter le rude contraste de leur hiver avec leur été, ils émiyrent en automne d'un hémisphère à l'autre et reviennent au printemps, cette proposition, qui n'est en elle-même ni absurde ni choquante, leur paraîtrait fantastique et insensée. Pourquoi ? Parce que ces esprits léthargiques n'ont même pas l'attention d'observer ce qui se passe autour d'eux sur la Terre même. Chaque automne nos oiseaux abandonnent nos contrées bo- réales pour se diriger, guidés par un instinct merveilleux, vers les régions du soleil où les fruits sont toujours mûrs et les fleurs tou- jours épanouies, et ces chantres ailés de nos bois reviennent vers leurs anciens nids à l'heure où le joyeux printemps se réveille sous nos latitudes que l'hiver avait endormies. Cette merveille de l'émi- gration des oiseaux se renouvelle chaque année sous nos yeux sans nous fi-apper, et lorsque la première hirondelle trace dans le ciel d'avril son rapide et doux sillage, nous la voyons revenir à son toit et voleter autour de son habitation dernière sans nous demander en quel heureux pays et près de quelles familles humaines elle a habité pendant son absence de nos climats. Aussi, lorsque nous supposons que dans tel ou tel monde diffé- rent du nôtre l'espèce humaine pourrait être douée simplement du même privilège, on parait tomber des nues en entendant formuler cette supposition pourtant si naturelle, et l'on ne songe même pas que ce privilège est accordé sur notre propre LES HABITANTS DE VENUS planète à des êtres qui, dans l'ordre intellectuel, sont inférieurs à nous. Ce monde flottant dans los mêmes régions célestes que nous, les nuits étoilées y sont les mêmes que les nôtres : les constellations y présentent les mêmes dispositions et le même cours, comme déjà nous l'avons remarqué pour Mars. Les planètes aussi offrent en général les mêmes aspects, à l'exception de deux, qui y sont par- ticulièrement brillantes : la Terre d'une part, et Mercure d'autre part.. Pour les habitants de Vénus, Mercure et la Terre sont deux magni- fiques étoiles. Non seulement le premier paraît beaucoup plus écla- tant qu'à nous-mêmes, mais il est pour eux la plus brillante étoile du matin et du soir qu'on puisse imaginer ; il s'éloigne dans ses plus grandes élongations jusqu'à 38 degrés du Soleil, un peu moins que Vénus ne le fait à notre égard. Pour nous, nous brillons dans leur ciel pendant toute la nuit avec un éclat beaucoup plus lumi- neux que celui dont Vénus nous gratifie, car l'éclat maximum delà Terre arrive lorsque celle-ci est à sa distance minimum et est éclai- rée en plein par le Soleil : le diamètre de notre globe vu de Vénus est alors de 65". Comme nous l'avons fait pour Mars, nous avons essayé de repré- senter par un dessin l'aspect de la Terre vue du monde de Vénus, à minuit. Notre planète brille alors au sein de la nuit silencieuse comme le plus splendide des astres du firmament, surpassant ea éclat Sirius lui-même. Sur ce dessin (p. 329) on peut se rendre compte de l'aspect stellaire de notre planète perdue au milieu des étoiles : elle brille dans la constellation du Scorpion, non loin d'Anta- rès. Mais elle n'est pas fixe; elle marche, au contraire, avec rapidité dans le ciel de Vénus. Pendant l'année 1884, par exemple, elle suit la route tracée figure 146 ('). C'est ainsi que les astronomes de Vénus nous observent. Devinent-ils qu'un si petit point est pour ses habitants le prétexte de tant de tourments? S'imaginent-ils que le but priri' ('} M. Viinont, fondatour de la Société scientifique Flammarion d'.\rgentan, a bien voulu, sur notre demande, construire ces intéressantes petites cartes de la marche de la Terre daus le ciel de Mars, de Vénus et de Mercure. Nous sommes heureux de lui ea témoigner publiquement ici nos remerciements, et de lui adresser nos sincères félici- tations pour le zelc qu'il déploie à aider sous toutes ses formes la popularisation de la plus belle et de la plus utile des sciences. LES IlAlîlTANTS DE VENTS cipal de la majeure partie de ces indigènes est d'entasser pendant soixante ou quatre-vingts ans des pièces de monnaie et des valeurs en banque destinées à... leurs héritiers? La TerrS vue de Vénus est certainement un des plus beaux spec- tacles que l'on puisse contempler dans le système solaire tout entier; elle surpasse en éclat l'étoile la plus brillante, et offrirait à une vue de même valeur que la nôtre urt disque parfaitement appréciable. Ce disque doit changer de couleur av(^i:' ia rotation de notre globe Fig. liG. — Marche de la planète Terre dans le ciel des habitants de Vénus. sur son axe, et paraître vert, bleu, jaune ou blanc, suivant que sa région centrale est occupée par les continents verdoyants, par la mer, par des déserts ou par des nuages. Les habitants de Vénus peuvent ainsi avoir remarqué, à l'œil nu, la rotation de notre globe en une période peu différente de celle de leur propre monde. En même temps la Lune doit être visible comme un petit point brillant accompagnant l'astre-Terre dans sa marche céleste, et tournant au- tour d'elle en vingt-sept jours, mais presque Invariable dans sa blancheur. La distance apparente qui la sépare de la Terre à l'époque de leur plus grande visibilité est un peu plus grande que le diamètre apparent de notre satellite tel que nous le voyons. La lumière envoyée alors par ce couple céleste est très intense, car elle s'élève presque aux cinq centièmes de celle que nous recevons de LES HAlîITANTS DE VEM'S la pleine Luue. Ces voisins du ciel ont, de plus, sur nous l'avantage de voir « l'autre côté de la Lune » que nous n'avons jamais vu, et que nous ne verrons jamais de notre planète. Notre figure l-iT donne une idée de cet aspect de la Terre vue de Vénus lorsqu'elle se présente à elle sous une phase analogue à celle que Mars nous présente aux époques de ses plus fortes distances angulaires. Nous supposons l'observateur muni d'une petite lunette d'approche, comme nous l'avons fait lorsque nous nous sommes occupés de l'aspect astronomique de la Terre vue de Mars. Sans 1 .^. ij doute les astronomes vénusiens ont-ils déjà pu construire une carte très exacte de notre planète, y compris les pôles et les régions encore inconnues de nous-mêmes. Peut-être ont-ils enregistra nos hivers les plus rigoureux par l'abondance des neiges, nos inondations les plus étendues, les marées du mont Saint-Michel, et même quel- ques-uns de nos grands travaux de l'isthme de Suez. Les habitants de Vénus ont dû naturellement se croire au centre du monde. Pour eux, le globe qu'ils illustrent a été considéré comme fixe au milieu du système, et leur Ptolémée a fait tourner le ciel autour d'eux: le Soleil et Mercure en •2-24 jours, la Terre et la Lune en 365 jours, et les planètes suivantes selon leur ordre. Il i-st bien LES HAlilïANTS DE VENUS pn)l);il)l(! aussi iju'ils auront considéré la circoniV'i'cuco extérieure tic luaivcrs L'oiiiine la base de l'empyrée et du séjour des bien- heureux. En résumé, c'est sans doute sous la turnie ci-dessous (lig. l-'i8) que les traités de cosmographie en usage dans les lycées et les séminaires de la planète ont longtemps représenté la construc- tion de l'univers pour l'instruction de leurs jeunes élèves. Eig. 118. — Système du monde pvobal.lcmejit .ni iis aux temps priiiiilifs chez les habitants de Vénus Toutefois, ils ont pu arriver plus rapidement que nous à la con- naissance du véritable système du monde, puisqu'ils en ont une miniature permanente dans le couple que la Terre (>t la Lune fornu'ut povu- eux au ciel, et dans le mouvement mensuel do Phœbé autour de Cybéle. — Sous quels noms mythologi(]ues nous désignent-ils? Eu tt-rminant le livre consacré à Vénus, récapitulons les eondi- LES HABITANTS DE VENUS tions astronomiques, climatologiquos et physiologiques de cette planète voisine, — la plus proche de la nôtre, et certainement celle qui, avec Mars, lui ressemble \o plus. ÉTAT PARTlCCLIf.R DU MONDE DE VÉNUS. Durée de l'annco 224 jours torrostres, ou environ 7 mois et lo jours. Durée de la rotation Durée du jour et delà nuit. . . 23 heures 21 minutes 22 secondes. Nombre de jours dans l'année. 231. Saisons Plus prononcées que celles de la Terre. Atmosphère Composée des mêmes gaz que la nôtre, mais presque deux fois plus dense. Température moyenne Paraît analogue à la nôtre. Densité des matériaux Un peu moindre qu'ici = 0,903. Pesanteur à la surface Un peu moindre qu'ici = 0,864. Dimensions de la planète A peu près égales à celles de la Terre ; diamètre =0,954, ou 3000 lieues. Tour du monde de Vénus. . . . 9300 lieues. Géographie Les mers s'étendent principalement vers l'équateur. Orographie Montagnes plus élevées que les nôtres. Diamètre du Soleil Un tiers plus large que d'ici = 43'. Diamètre maximum de la Terre. 6S". Visible à l'œil nu dans le ciel de Vénus comme une étoile de première grandeur très lumineuse. Pendant que notre pensée anxieuse cherche à soulever un coin du voile, pendant que nos âmes ardentes s'envolent vers le premier rayon de jour, ouvert sur l'infini et se demandent comment sont or- ganisés ces êtres habitant Vénus, nos voisins de traversée, comment ils pensent, comment ils nous voient dans leur ciel ; sans doute, à cette heure, il y a là aussi des âmes pensives qui se demandent pré- cisément de leur côté quels êtres habitent notre planète, et devisent entre elles, comme nous le faisons en ce moment entre nous, pour deviner si notre organisation corporelle ressemble à la leur, si nous jouissons de la faculté de penser, si nous connaissons rastrouoniie, et si nous les voyons aussi dans notre ciel. Des liens mystérieux relient entre eux les différents mondes de l'espace. La douce mais irrésistible loi d'attraction les enlace de ses chaînes magnétiques, et chacun d'eux reste sous l'influence cons- tante de cette grande harmonie. A deux cents millions de lieues de distance, la Terre ressent l'attraction de Jupiter, et s'incline vers lui dans sa marche céleste ; à plus d'un milliard de lieues, Neptune reste subjugué par la puissance du Suleil; à trente et quarante mil- LES HABITANTS DE VENUS liards de lieues, de faibles comètes sont saisies par cet irrésistible aimant et tombent échevelées dans ses serres; à des trillions de lieues, les étoiles se soutiennent entre elles au sein du vide im- mense. En même temps que cette souveraine force d'attraction exerce son empire d'un monde à l'autre, et que le cours de l'Uni- vers est irrésistiblement mené par l'Harmonie, la lumière à sort tour tisse les fils délicats de sa toile gigantesque étendue à travers les cieux, mettant ainsi tous les astres en communication mutuelle, comme sur un réseau télégraphique occupant l'Univers entier, et inscrivant l'histoire de tous les mondes sur des archives impéris- sables ('). Les mondes se sentent ainsi à travers la nuit par l'attrac- tion, se voient par la lumière, se contemplent, se connaissent et fraternisent. Mais pensez-vous que ce soient là les seuls liens qui solidarisent entre elles les différentes provinces de la création? Est-ce que les palpitations vitales qui vibrent à travers l'es- pace ne disent rien de plus à votre esprit? Est-ce que cette unité visible dans l'organisation de l'Univers n'est pas le témoignage exté- rieur d'une unité invisible, reliant entre elles toutes les humanités et toutes les âmes de l'infini ? Il y a quelques semaines, par une tiède soirée d'août, je contem- plais l'Océan immense après l'heure sublime du coucher du soleil au sein des flots endormis. Pas un souffle d'air ne traversait l'at- mosphère échauffée; pas un bruit ne se faisait entendre, hormisla plainte éternelle de la vague qui s'avance et se retire; pas une feuille- ne s'agitait sur les tiges des dernières plantes qui xégètent sur le ri- vage sablonneux et désert : c'était un grand silence et un grand recueillement, car il n'y avait d'autre mouvement apparent dans la Nature que celui des eaux attirées par la Lune. Elles s'avançaient comme de vastes nappes de mercure qui auraient mesuré plusieurs centaines de mètres d'étendue, se retiraient, se superposaient et se fondaient l'une dans l'autre. Depuis que le dernier segment rouge du Soleil s'était enfoncé dans la nappe liquide, les nuées légères éparses dans les hauteurs glacées de l'air, au-dessus du couchant, s'étaient empourprées comme une moire écarlate éblouissante, et la mer s'était colorée à l'occident des nuances chatoyantes d'un feu (•) Voy. notre ouvrage Récits de l'Infini, Lumen, histoire d'une ;ime. 1. 1 TiTi'i', vu.i (io Vénus, brille dans le ciel comme une étoile Ue première gramlcur TEKRES DU CIEL ^2 LA NATUBE liquide, tandis que sur le reste de sa surface elle continuait de réflé- chir doucement le ciel bleu dans sesflota verts. Et comme la nuit tombait, Jupiter s'alluma dans le ciel, perçant l'atmosphère de ses feux orangés. Une lunette de moyenne puis- sance eût suffi pour admirer ses quatre satellites gravitant autour de lui. L'eau que les vagues laissent sur la plage unie à chacun de leur retrait en faisait un miroir tel, que le ciel s'en réfléchissait avec toutes ses nuances, et que Jupiter lui-même scintillait sur le sable comme un feu d'or allumé près de la liquide bordure. Puis ce fut le tour d'Arcturus, brillante étoile avant-cuurrière de l'armée de la nuit. Véga, Altaïr, parurent bientôt ; puis les trois premières étoiles du char du Septentrion, puis les sept; puis Saturne à l'orient, et successivement toutes les constellations, rayonnantes ce soir-là, dans leur céleste splendeur; diamants de toutes grosseurs et de tout éclat, pierreries scintillantes apparaissant lentement l'une après l'autre, et peu à peu constellant le ciel entier de leurs feux multipliés. La Voie lactée elle-même s'étendait le long de la voûte étoilée comme un fleuve de lait parsemé d'îles, et son intensité était si frappante, qu'elle se réfléchissait elle-même, avec toutes les étoiles, dans la mer calme comme dans un lac et sur la plage de sable mouillé par la dernière nappe retirée. A chaque moment une étoile filante glissait eu silence dans les hauteurs azurées, laissant sur son sillage une traînée lumineuse qui s'éteignait lentement. Messagères des autres régions de l'espace, elles apportaient et abandonnaient dans notre atmosphère de la sub- stance céleste venue des autres univers, formant ainsi une autre sorte de communication entre notre monde et ses frères de l'Infini. Parfois la voix grandiose de l'Océan se taisait, et la Nature parais- sait suspendre son cours pour écouter le sublime silence des cieux. Mais les vagues reparaissaient ici et là, s'approchaient l'une de l'autre comme d'ondoyantes caresses, se cherchaient ou se fuyaient tour à tour, et par leurs jeux ramenaient le bruit grandissant des ondes, des lames et des flots qui retombaient en cascades sur les vagues dominées. Des lueurs phosphorescentes, d'abord rares et pâles, puis fréquentes et brillantes, et aussitôt immenses et étincelantes comme de la poussière d'étincelles, couraient en frissonnant sur la crête des vagues et projetaient leurs feux sur la mer, comme pour accroître LA NATLKE le reflet des étoiles et pour reprorluire en bas une image des splen deurs qui scintillaient dans les hauteurs étoilées... Ah ! combien on sentait alors la parenté de la Terre avec le Ciel ! Combien la voix de l'Infini parlait éloquemment a'u fond de la conscience, et combien cette immense harmonie était facilement recueillie dans l'âme contemplative!... On sentait que l'univers n'est pas un morne désert au sein duquel flottent des pierres, ni un tableau noir sur lequel courent des chiffres plus ou moins brillants: on sentait l'univers vivant! De chaque soleil rayonnant dans l'éther, s'élancent sans cesse les vibrations lumineuses multipliées qui vont illuminer et échauffer les mondes de leurs fécondes effluves; et chaque monde dans chaque système gravite autour de son foyer, tourne sur son axe, présente tour à tour ses divers méridiens à la lumière, forme le jour et la nuit, les saisons et les années, reçoit la force émanée de son soleil, et la transforme en manifestations vitales, qui diffèrent d'un monde à l'autre suivant l'intensité et la combinaison des élé- ments de la vie sur chaque sphère. C'est en ces heures de contem- plation que l'on comprend que la science astronomique complète, la science intégrale, consiste non pas seulement dans la connaissance des grandeurs, des distances, des mouvements et des masses, mais encore et surtout dans l'étude de la constitution physique des astres, et en définitive dans celle des conditions de la vie à leur surface. Oui, tel est le véritable but philosophique de l'Astronomie. L'existence de la vie universelle et éternelle dans l'Infini constitue en réalité la synthèse capitale et le but définitif de toute science. Qu'est-ce que l'Astronomie en elle-même à côté de ce but? Qu'est- ce que le sujet de toutes les autres sciences? Qu'est-ce que l'histoire de France, l'histoire d'Angleterre, l'histoire d'Italie, d'Espagne ou d'Allemagne? qu'est-ce que l'histoire de l'Europe, qu'est-ce que l'histoire de la Terre entière devant la Pluralité des mondes? — C'est l'histoire d'une fourmilière comparée à l'histoire d'un continent; c'est l'histoire d'une seule famille comparée à celle de la race humaine tout entière? Oui, nous vous comprenons, ô mondes suspendus dans l'éther, dont la lumière et l'attraction se font sentir jusqu'il nous ! Oui, nous LA NATUIIE VOUS voyons d'ici par la pensée, luimanités nos sœurs, qui avez dressé vos tentes sur ces terres célestes analogues à la nôtre! 0 toi, colossal Jupiter, qui brilles là-haut d'un si splendide éclat; toi qui t'élèves en ce moment au-dessus de l'horizon, pâle Saturne enve- loppé d'énigmes; et toi, blanche Vénus, belle étoile du soir; je vous salue, ô planètes nos compagnes! car vous accomplissez à côté de nous, dans l'espace, la destinée que la Terre accomplit en son cé- leste sillage! Il a fallu l'aveuglement volontaire de l'esprit humain sur notre infortunée planète, il a fallu les ténèbres de l'erreur, de l'ambition et du mensonge, pour que l'on ait cessé d'aimer la Na- ture e( de contempler le véritable Giel, et (pie l'on ait inventé à côté de vous, dans le vide, des paradis imaginaires où la divine et éter- nelle Nature est oubliée pour des ombres et des fictions extra-natu- relles. Mais la science vous a désormais saisies pour ne plus vous laisser obscurcir, et c'est en vous que nous voyons à jamais la con- tinuation de la vie terrestre, l'universalisation de cette harmonie, dont un chant seulement se fait entendre ici-bas. Tout le reste n'est qu'illusion. La Vie, pauvre hameau sur ce petit globe, devient cilé dans vos vastes provinces, nation dans l'ensemble du système pla- nétaire, et elle s'entend, couronnement de la matière, au sein des régions profondes de l'infini et de l'éternité. Non, vous ne nous êtes point étrangères, ô nos sœurs de traversée ! une même destinée nous emporte tous; et devant cette destinée, tous les dogmes intolérants au nom desquels le fer, le sang et le feu ont si souvent désolé l'hu- manité, toutes les prétentions des pontifes, toutes les promesses faites dans tous les âges et dans toutes les contrées par de pauvres mortels déguisés sous mille costumes divers, toutes les craintes de l'aveugle ignorance, toutes les pusillanimités de l'oypocrisie, en un mot toutes les erreurs séculaires de religions aussi puériles qu'audacieuses s'évanouissent enfumée. Oui, c'est toi, c'est toi seule que nous aimons, ô divine et éternelle Nature! c'est toi seule ijui est vraie, toi seule qu'il faut entendre, toi seule qui nous régit el nous emporte, en nous berçant dans ton attraction caressante, mais inexorable; car nous sommes tous, savants ou ignorants, pontifes ou troupeaux, des atomes flottant au sein de ton rayon- nement immense comme de la poussière dans un rayon de soleil!... et c'est ta parole sacrée qui est la vraie, l'unique révélation de Dieu. LIVRE III LA PLANÈTE MERCURE LIVRE III LA PLANÈTE MERCURE CIIAl'ITRE PREMIER Aspect de Mercure à l'œil nu. — Son mouvement autour du Soleil. Connaissances des anciens sur cette planète. En quittiinl la planète Vùnns ponr continuer notre voyage céleste, la première et, du reste, la seule planète que nous rencontrons av:;i.t d'arriver au Soleil, est, comme chacun de nos lecteurs le saitùèjji, la planète Mercure. Peut-être existe-il entre elle et le Soleil un ou plusieurs cor] s célestes, très petits, et invisibles d'ici; peut-être la minuscule planète déjà nommée Vulcain et vue un jour par mon excellent ami le doc- teur Lescarbault existe-t-elle réellement, quoique le même jour Liais observant le Soleil au Brésil nous assure qu'il n'a rien remarqué, et quoique nul astronome, môme en la cherchant exprès, ne soit par- venu à la retrouver depuis; mais nous ne pouvons parler dans co livre que des astres que nous connaissons, et dont l'existence au moins est certaine. Mercure est donc la seule planète que nous connaissions dans le voisinage lumineux et brùlanl de l'astre du jour. Ellr L-ravite .-^ur I. A l>I,ANf;TK .MKKc.i-i;i; une orbite tracée à la distance moyenne de 57 250000 kilora. ou l 'i .iOOOOO lieueri. Nous disons distance moyenne, car cette orbite est loin d'ôtro cii'culaire; elle est au contraire fort elliptique et très allongée, de toile sorte qu'à son périhélie, la planète se rapproche jusqu'à 11375 000 lieuos, tandis qu'à son aphélie, elle s'en éloigne jusqu'à 17 250000 : la différence est de six mil- lions de lieues. Comme l'intervalle entre le périhélie et l'aphélie n'est (jiic (le six semaines, on voit que la planète consacrée au dieu du commerce et des voleurs passe rapidement par de T>i>it;iOCc. . «at 3CmSJ<"" Fig. 151. — Les orbites de Mercure, Vénus et la Terre. Échelle : 1""" = 1 million de lieues. curieuses alternatives de lumière et de chaleur. Si Ton représente par 1 000 la distance moyenne de la Terre, celle de Mercure sera représentée par 387, sa distance aphélie par 467, et sa distance pé- rihélie par 307. L'excentricité («) ou l'allongement de l'ellipse est de 0,205 : c'est la plus allongée des orbites planétaires. (') Rappelons qu'on nomme excentricité la distance du centre de l'ellipse au foyer, en fonction du demi-grand axe. Ainsi, dans le cercle, l'excentricité est 0, puisque le centre et le foyer ne font qu'un. Si l'excentricité est 0,2 c'est que la distance du centre (C, fig. 152) de l'ellipse au foyer S est égale aux deux dixièmes du demi-grand axe CA ou CP. LA l'LA.NÈTL .MKliC.l Ki: Lii plaiirtc n'emploie que 88 jours pour parcourir cette orbite, dont le prriniètre mesure 8î) millions de lieues. Elle vogue dans le ciel avec une vitesse de 'ili 811 mètres par seconde, plus d'un million de lieues par jour. La révolution, ou Vannée précise c' cette planète, est de 87 jours 23 heures 15 minutes 46 secondes. Le petit plan tracé ci-dessus (//"//. 151) ..nrésente, ;i réchellc de 1 millimètre pour 1 million de lieues, les orbites de Mercure, de Vénus et de la Terre, se suivant concentriquenient autour du Soleil, aux distances respectives de 14, 26 et 37 millions de lieues. On voit que ces deux terres du ciel gravitent dans la même région de l'espace que nous et sont, par leur situation et par leur proximité, véritable- ment sœurs de celle sur laquelle se joue en ce moment le jeu de nos destinées. A cause de son rapprochement du Soleil, Mercure n'est visible pour nous, habitants de la Terre, que le soir ou le matin, jamais au milieu de la nuit, et toujours dans le crépuscule. Cet astre ne peut ja- mais s'éloigner pour nous à plus de 28 degrés et demi du Soleil, ni le précéder à son lever ou le suivre à son coucher de plus de deux heures environ (le maximum s'élève parfois à 2'' ih"' jiour la latitude de Paris). Il n'est donc jamais visible au milieu de la nuit, mais seulement à l'aurore ou au crépuscule, ou, au maximum, d(Hix heures environ avant ou après le coucher du soleil. On aura une idée exacte de la plus grande élongation qu'il peut offrir, en exami- nant la petite figure précédente, tracée également à l'échelle de 1 millimètre pour 1 million de lieues. Lorsque Mercure est à son périhélie (P) il est de deux fois la distance ("S, ou de deux fois 2 930000 lieues plus près du centre du Soleil que lorscpi'il est à sr»n aphélie (A). Il est sensible que le plus grand angle que la planète puisse faire avec le Soleil relativement à la Terre arrive lorsque Mercure étant vers son aphélie, la Terre peut se trouver foniicr un angle droit avec lui et le Soleil, et être elle-même vers son TERRES DU CIEL. 43 Fig. 15Î.— Relation entre l'orbite de Mercure et celle de la Terre. LA l'LANLïE MEUCLRE pt'""';-'.lc; : alors la distance angulaire de Mercure au Soleil atteint zS degrés et demi. Si le lecteur veut bien supposer que Mercure roule autour du Soleil dans le sens indiqué par la flèche, il remarquera que sa distance à la Terre varie considérablement selon sa position. Son diamètre apparent varie dans la même proportion : à sa distance maximum, il descend à 4",5; à sa distance minimum, il s'élève à 12",9. C'est comme si nous disions que la largeur de son disque varie pour nous depuis 4 millimètres et demi jusqu'il presque 13 millimètres. Si Mercure tournait autour du Soleil dans le même plan que la Terre, il passerait exactement devant son disque toutes les fois qu il passe entre lui et nous, c'est-à-dire à peu près tous les ans, dans un intervalle de temps combiné entre les 88 jours de sa révolution et les 365 jours de la révolution de la Terre, aux points nommés ses conjoiiclions inférieures. Mais le plan dans lequel il se meut ne coïncide pas avec celui de l'orbite terrestre : il est incliné de 7 degrés. Il en résulte qu'ordinairement la planète passe à sa conjonction in- férieure, non juste devant le Soleil, mais au-dessus ou au-dessous, et par conséquent reste invisible. Toutefois, elle passe de temps en temps juste devant le Soleil, et même beaucoup plus fréquemment que Vénus, car ses passages reviennent à des intervalles irréguliers de 13, 7, 10 et 3 ans. Voici leurs dates pendant trois siècles : DIX-HUITIÈME SIÈCLE DIX -NEUVIÈME SIÈCLE VINGTIÈBE SIÈCLE 1707. . . 6 mai. 1802. . . 9 novembre. 1710. . . 6 novembre. 1813. . . 12 novembre. 1907. . . . 12 novembre 1723. . . 9 novembre. 1822. . . S novembre. 1914. . . . 6 novembre 1736. . . H novembre. 1832. . . 5 mai. 1924. . . . 7 mai. 1740. . . 2 mai. 183o. . . 7 novembre. 1927. . . . 8 novembre 1743. . . 5 novembre. ISia. . . 8 mai. 1937. . . . 10 mai. 1753. . . 6 mai. 1S48. . . 9 novembre. 1940. . . . 12 novembre 1756. . . 6 novembre. 1861. . . 12 novembre. 1953. . . . 13 novembre 1769. . . . 9 novembre. 1868. . . 5 novembre. 1960. . . . 6 novembre 1776. . . . 2 novembre. 1878. . . 6 mai. 1970. . . . 9 'mai. 1782. . . . 12 novembre. 1881. . . 7 no\embre. 1973. . . . 9 novembre 1786. . . . ■!• mai. 18ÏI1. . . 10 mai. 19811. . . . 12 novembre 1780. . . . 0 novcmiirc. 189i. . . 10 novembre. 1999. . . . 24 novembre 1799. . . 7 mai. I.A PLANICTK MF.nr.UUK 339 La figure suivante montre chacun des passages de notre sicch; dans sa forme et dans sa grandeur. Le grand cercle représiuite le disque du Soleil, et les lignes qui le traversent indiquoni, les mutes suivies par la planète devant lui. On voit que la longueur comme l'inclinaison de ces routes difrèrnit considérablement d'un passage à l'autre. La j)lanète entre t(jiijiiur.s à gauche, par l'est, pour sortira droite, par l'ouest. A travers cette complication apparente, on peut néanmoins facilement remarquer un (inlre réel : tuus les passages qui arrivent au mois de mai sont Fiï. VSi. — Passages de Mercure devant le Soleil pendant le XIX' siècle. parallèles imtre eux; tous ceux qui arrivent en novembre sont également parallèles entre eux. Le passage du 5 novembre 1868 a été visible à Paris, au lever du Soleil. C'était là un spectacle fort intéressant et assez rare; aussi les astronomes étaient-ils à leurs lunettes au moment calculé pour l'apparition du phénomène. J'ai pu observer et dessiner avec exac- titude ce petit événement astronomique, fait assez rare en lui- même, car il n'est pas visible chaque fois à Paris. Voici un résumé de cette observation : Ce jour-là, raliuosphèro était loin d'être favorable à l'astronomie. Entré pendant la nuit, à ô heures 3't minutes du matin, sur le Soleil, Mereuro LA l'LVNÊTE MERCURE avait déjà accompli près de la moitié de sa course au lever de l'astre radieux. Astre radieux! c'était une métaphore en ce temps de brumaire. Des wCages épais étendaient dans l'atmosphère leur vuile lugubre et im- pénétrable. L'œil le plus attentif ne pouvait découvrir la moindre éclaircie dans le ciel entier. Pendant plus d'une heure et demie l'atmosphère garda son épais rideau désespérant, qui flottait sous le souille humide d'un vent d'ouest. Pour condjlc de malheur, ce n'était pas seulement une simple couche de nuages qui pesait ainsi sur la tète inquiète de l'observateur, mais deux immenses : la plus haute formée de cirri blancs disséminés en forme de larges ba- layures, la plus basse formée de cumili-strati sombres. Arago avait bien raison de dire, dans sa notice sur Sylvain Bailly, que l'astronomie est un dur métier, et que nos con- naissances actuelles ne sont dues qu'à une série étonnante d'efforts persévérants est di: tigable patience, et j'ai pu constater un fois de plus pour ma part que l'attente en plein air des conditions de l'obser vation d'un phénomène céleste est un peu plus rude que la description de ce phénomène devant la cheminée d'un salon. Mais, il faut tout dire, on est si heureux au moment oii l'on a le privilège de contempler ces merveilles, que soudain, toute fatigue oubliée, les murmures sur notre triste Terre (si peu faite pour l'astronomie) cessent comme par enchantement. Ainsi, le voyageur arrive au sommet des Alpes oublie tout à coup, dans l'admiration du spectacle, les durs sentiers l't les précipices de l'ascension. Ce n'est qu'après sept grands quarts d'heure d'une attente constante, durant laquelle l'œil perplexe épie, de seconde en seconde, sans percer les nuages mobiles, que le Soleil lit enfin son apparition dans une belle éclaircie. La planète était là, se détachant en noir non loin du bord occi- dental vers lequel elle approchait lentement. A première vue, on aurait pu facilement prendre pour Mercure une tache pres(iue ronde ijui planait dans la région opposée du discpie. Cette tache était en effet de dimension égale à la projection de la planète; mais, en l'examinant attentivement, on ne tardait pas à découvrir autour d'elle une pénombre, et dans son noyau des formes irrégulières. La planète Mercure était exactement ronde, et je n'ai pu rc^connaitre aucune trace d'a[)latissement à ses pèles, même en employant de forts — Quart nord-ouest du Soloil le suivie par Mercure devant le Soleil. LA PLANÈTE MKKCUUE 341 grossissements. Elle était bcuuroup plux noin; i[uc les taches so- laires. A partir de 8 heures 'i5 minutes, h; ciel, rapidement éclairci, garda toute sa pureté jusqu'au delà de la lin du phénomène. C'est vers 9 heures 9 minutes 30 secondes (jue la planète arriva en contact interne avec le limhe lumineu.x du Soleil et commença sa sortie. Je n'ai point donné cet instant comme rigoureusement déterminé, et sur- tout je me suis bien gardé d'inscrire des di.xièmes de seconde ; car l'obser- vation soigneuse de ce phénomène m'a convaincu qu'il est absolument impossible d'être sur de l'instant précis du contact, à moins de plusieurs secondes près. L'esprit hésite pendant longtemps, avant d'être bien assuré ([ue le disque solaire est entamé. Huant au dernier contact, ou à la sortie (îéfinitivc de la planète au bord échancré du Soleil, ce moment est plus difficile à décider encore. C'est vers 9 heures 1 1 minutes 50 secondes ([ue la planète cessa d'échancrer le limbe solaire; cL parut tout à fait sortie. J'ai tracé . Mercure sortant du disque solaire. Le passage du 6 mai 1878 eût été également visible à Paris, si des nuages n'étaient venus interposer leur voile dans notre atmosphère inconstante : on a pu l'étudier en Belgique et en Angleterre. Celui du 7 novembre 1881 n'était pas visible en France; m.ais on l'a soigneu- sement observé en Australie. Ceux de 1891 et 1894 seront visibles en France, le premier au lever, le second au coucher du Soleil. L'année de Mercure est de 87 jours et 97 centièmes de jour, ou 2 mois t?7 jours 23 heures 15 minutes et 46 secondes. C'est muins de tmis de nos mois. Les lialiitants de cette planète ont. LA PLA>:£TE MEUCUUE donc leur vie mosurôe par des années quatre fois plus rapides que les nôtres. Un centenaire de Mercure n'a vécu que vingt- quatre de nos années ; autrement dit, un «jeune homme » de vingt- quatre ans est un ■ -ntenaire de Mercure et une « jeune fille » de vingt ans doit y être bisaïeule. Si la biologie y est réglée comme en notre monde, les impressions doivent y être plus rapides et plus vives, les actes vitaux doivent s'y accomplir avec une grande célérité ; on y de- vient adolescent dans un intervalle de cinq ans terrestres, mûr en douze ans, vieillard en vingt années de notre calendrier. 11 résulte de cette circulation si rapide que Mercure est constam- ment en voyage, et ne reste pas immobile un seul instant dans l'année, tandis que Saturne, par exemple, nous paraît endormi dans la même constellation pendant des mois entiers. Ainsi, il atteint sa plus grande élongation du soir, le 4 janvier 1884, retardant de 1 heure 38 minutes sur le Soleil, passera entre cet astre et nous (mais non juste devant le Soleil) le 20 janvier, deviendra étoile du matin et atteindra sa plus grande élongation le 13 février, passera derrière le Soleil le 29 mars, redeviendra étoile du soir et atteindra de nouveau son plus grand éloignement angu- laire du Soleil le 25 avril, et ainsi de suite, revenant aux mêmes positions tous les quatre mois environ et passant trois fois par an à sa plus grande proximité de la Terre, avec une agilité qui lui a fait mettre des ailes aux pieds par l'antique mythologie et qui lui adonné les attributs et le culte de messager des dieux. En comparant notre figure 156 à celles de Vénus (p. 233), et de Mars (p. 87), on jugera au premier coup d'œil des différences qui caractérisent les mouvements apparents de ces trois planètes. Cette rapidité du mouvement de gerçure autour du Soleil, jointe à sa proximité de l'astre radieux, fait que pour nous cette planète semble se balancer, comme Vénus, à l'est et à l'ouest du Soleil, mais en périodes plus courtes et plus rapides. Nos pères aimaient se re- présenter ces mouvements planétaires sous une forme pittoresque, et il faut avouer que ces modes de représentation étaient bien faits pour parler aux yeux et animaient d'une certaine vie les aspects que la géométrie pure laisse toujours froids et indifférents. Jetez, par exemple, un coup d'œil sur notre figure 157, fac-similé d'un dessin du XVllI" siècle, représentant les élongations de Mercure et de Vénus, IX PLANÈÏK MKr.CUKE de part et d'autre du Soleil ; ne semlde-t-il pas qu'on assiste à un jeu charmant dont Apollon, Mercure et Vénus sont les héros volontaires? Vénus tient dans sa main un cœur emhrasé et Mercure un caducée. Une figure du XVIP siècle {fig. 158) traduit la mènie impression Fig. 156. — Mouvement do Mercure par rapport fi la Terre. sous une forme non moins ingénieuse. Ces sinuosités significatives donnent bien une idée du mouvement de Mercure. La planète Mercure fait partie des cinq planètes connues de toute antiquité ; mais elle a été sans doute la dernière découverte et iden- tifiée. Nous avons publié plus haut (p. 222), un manuscrit égyptien de dix-huit siècles, qui commence précisément par cette planète (^Sewek). La plus ancienne mesure astronomique qui soit arrivée jusqu'à nous date de 265 ans avant notre ère, de l'an 494 de l'ère de Nabonassar, soixante ans après la mort d'Alexandre le conquérant. Le 19 du mois égyptien Thoth, jour correspondant au 15 novembre, les astronomes observèrent la planète passant près des étoiles {3 et o LA l'I.A.NKTK MKKCl lit (lu Si'di'pinii. Nous possédons aussi sur McTcure des observations ehinoisos, d(jnt la plus ancienne appartient à l'année 1 18 avant notre ère : le 9 juin de cette année, on l'observa prés de l'amas d'étoiles de la constellation du Cancer nommé Prœsepe ou la Crèche. Pour reconnaître que c'est le même astre qui apparaît tantôt h; matin, précédant le Soleil, tantôt le soir suivant son coucher, il a fallu Fig- 157. — Les éloiigations de Mercure ot Je Vénus de part et d'autre du Soleil. (Figure du XVI 11' siècle). une longue suite d'observations, et dans un climat favorable, soit en Chaldée, soit en Egypte. Cependant elle a été identifiée à une époque très ancienne : nous avons vu plus haut, à propos de Mars et de Yénus, que les astronomes chaldéens (Accadiens) l'observaient à Ninive au vingtième siècle avant notre ère, ainsi que Vénus, Mars, Jupiter et Saturne ; il y a bien des siècles que son nom a été donné à l'un des jours de la semaine (le mercredi : Mereurii dies). Aux temjis des premières observations, on avait cru à l'existence de deux planètes différentes, l'une du matin, l'autre du soir, et l'on I.A PLANÈTE MKIîCUliK avait nommé séparcmcuL cliacaiu! d'elles. C'étaient Set et Horus chez les Égyptiens, Boudha et Rauhineya chez les Indiens, Apullon et Mercure chez les Grecs. Ces dieux sont restés distincts dans le.-? Fig. l'oS. — Image des sinuositiîs du mouvement de Mercure. (Figure du XVll' siècle). mythologies, quoique l'Astronomie ait depuis plus de quatre mille ans reconnu leur identité. Les religions ne suivent que de loin les progrès des sciences. TKnr.ES DU CIEL -54 SfC I. A PLANÈTE MERCUKE Outre les noms mythologiques des planètes, que nous ont con- servés Platon, Aristote et Diodore de Sicile, il y a eu aussi des épi- tliètes en rapport avec liîs aspects de ces astres : ainsi Mercure fut nommé Stilbôn, « l'éclatant ». Quant à son nom sanscrit très ancien, « Boudha », il a la môme racine que celui du législateur Bouddha : budh, qui signifie savoir. Le mot saxon Wuotan (Odin) a la même étymologie et désigne aussi le dieu du mercredi : Wodawes-dag en Fig. 159. — Pierre fcTavée, de IVpoque romaine, portant les planètes et ics signes du zodiaque. vieux saxon, Budha-wâra en indien. Mercure est resté d'ailleurs le dieu du savoir, entre autres celui de la médecine, et le signe ^ par le- quel on le représente depuis le moyen âge rappelle le caducée. Ainsi l'ohservation du ciel est liée à l'origine môme des langues, des reli- gions et des histoires. Sur une pierre gravée datant de l'époque romaine (très bel onyx qui appartenait au siècle dernier à la collection de la maison d'Or- léans et à son musée du Palais-Royal et qui a été achetée par Cathe- LA IM.ANftTK MK.P, nillE rino II de Russie), on voit, gravées en fort bon style, les planètes suivant l'ordre ancien : La Lune — Mercure — Vénus — le Soleil — Mars — Jupiter — Saturne — dans un cercle intérieur à celui des signes du zodiaque. Au centre, le dieu Pan avec sa flûte, modéra- teur du mouvement et de l'harmonie des sphères. Le revers de cette pierre porte une tête de Méduse. C'est là un monument astrono- mique qui mérite d'être conservé. Mercure est conduit par deux (le la iiiênic pierre. coqs et armé du caducée. On y reconnaît aussi l'épée de Mars, la foudre de Jupiter et la faux de Saturne. Mercure avait pour domiciles astrologiques la Vierge et les Gé- meaux. Dans sa magnifuiue galerie planétaire, dont nous avons déjà donné des spécimens, sur Mars et sur Vénus, Raphaël a re- présenté le messager des dieux armé du caducée et se préparant à prendre son vol pour aller transmettre aux mortels les ordres de la cour céleste. Ces représentations, fort révérées autrefois (Socrate a bu la ciguë pour avoir mis en ddute leur valeur), sont aujourd'hui LA l'LANP.TE MEUClîllF. pour nous de rarohéologio, comme le seront pour nos descendants Fis. IBI. Q^yiôrGuriiiS (Juief^H/cfierem. ctJ-Ainarfi apparet.CDomus cfus prinapaus ^hpjo , minus pnncipalis Çrcmuit. l'ascension de Jésus dans un ciel qui n'existe pas, ou sa descente aux enfers dans des régions souterraines qui n'existent pas davantage. CHAPITRE II Rotation de Mercure sur lui-même. Durée du jour et de la nuit sur ce monde. — Nombres de jours dans son année. — Calendrier de Mercure. — Phases. — Irrégularités. Montagnes. — Volume. — Densité. — Pesanteur. Ce n'est que depuis rinvention des lunettes d'approche que la constitution physique des planètes a pu être étudiée, et ce n'est ({ue depuis la fin du siècle dernier qu'on a pu parvenir à distinixuer quelques détails sur le disque de Mercure, si difficile à voir. La question de savoir si ce glohe est doué d'un mouvement de rotation sur lui-même a tout d'abord attiré l'attention des astronomes. L'orbite de ^Mercure étant intérieure à celle de la Terre, ce monde se trouve tantôt entre nous et le Soleil, tantôt de l'autre côté du Soleil par rapport à nous, tantôt à angle droit, etc. 11 en résulte des phases analogues à celles de la Lune. Lorsqu'il est entre le Soleil et la Terre, position nommée sa conjonction inférieure, nous ne pou- vons le voir dans le ciel, puisque c'est alors son hémisphère obscur qui est tourné vers nous. (Il ne brille, comme la Lune, et comme toutes les planètes, que par la lumière qu'il reçoit du Soleil et qu'il réfléchit dans l'espace.) Lorsqu'il fait un angle léger avec le Soleil, avant et après sa conjonction, nous A-oyons un peu de son hémis- phère éclairé, et un croissant très délié se dessine dans la lunette. Lorsqu'il se trouve à angle droit, il ressemble au premier ou au dernier quartier de la Lune, etc. On ne le voit jamais parfaitement rond au télescope, parce qu'aux époques où il nous montrerait outièrcnu'iit son lirriiisphèro éclairé, il se trouve derrière le Soleil, i[in l'éclipsé. Les phases de Merciu-e ont été vues pour la première fois par ITortensius, vers 1630. Galilée avait essayé de les reconnaître avec les instruments primitifs dont il faisait usage, mais comme on peut le lire dans son troisième Dialogue, il ne parvint pas à en constater l'existence. Comme celles de Vénus, ces phases ne correspondent pas avec précision aux phases calculées. On a trouvé plusieurs fois la largeur du croissant inférieure à ce qu'elle aurait dû être d'après la position de la planète et l'éclairement du Soleil. Le 29 septembre 1832, Fig. 1C3. — Les phases de Meifure. entre autres, Màdler, observant une conjonction de Mercure avec Saturne, remarqua que la largeur de la phase était de \,-2o au lieu de 1,45 (le rayon du disque étant pris pour unité). Si la planète était sans aspérités sensibles, son croissant serait toujours terminé par deux cornes également aiguës, formées par la limite régulière de rhémisphère éclairé par le Soleil ; mais on remarque, en certaines circonstances, que l'une des cornes, la méridionale, s'émousse assez fortement, et présente une véritable troncature. Ce fait a conduit à admettre que, près de cette corne méridionale, il existe un plateau montagneux très élevé qui arrête la lumière du Soleil et l'empêche d'aller jusqu'au point auquel la corne aiguë s'étendrait sans cette proéminence. Observé dès 1801 par Schrôter, à Lilienthal, cet émoussement de la corne australe du croissant a été revu entr'autres par MM. Noble et Burton, en 1864, et par M. Franks en 1877. La réapparitiou régulière de ce plu-nomèno ilo troncature montre en même temps le mouvement de rotation de la planète et le retour de la montagne au bord du disque. La comparaison des moments où elle se manifeste a conduit, en 1801, Schrôtor k la conséquence que cette rotation s'effectue en 24 heures 0 minutes 30 secondes. En 1810, Bessol, d'après cinq observations de Schrôter faites pendant une période de 14 mois, a trouvé •^i heures 0 minutes 53 secondes, et en 1816, Schrôter reprenant ui-même les calculs de Bessel et les comparant aux siens, a trouvé 24 heures 0 minutes 50 secondes. C'est cette dernière valeur que nous adopterons, sans la considérer tou-r tefois comme aussi certaine que celles de. Mars et de Vénus, et en en désirant la vérification. Le nombre de jours solaires de l'année mercurienne est de 86 et deux tiers (86,637), et chacun de ces jours est de 24 heures 21 minutes. Les habitants de Mercure ont dû, en formant leur calen- drier, faire deux années bissextiles de 87 jours sur trois, et une de 86 jours. Nous verrons plus loin, en examinant le mouvement de rotation de la Terre, «[ue pour chaque planète ce mouvement de rotatiim qui ramène les étoiles au méridien après sa période exacte, n'y ramène le Soleil qu'après un intervalle un peu plus long, à cause de la trans- lation de la planète autour du Soleil. Le nombre de jours solaires dont se compose l'année est toujours inférieur d'une unité à celui des jours sidéraux, et le jour solaire est par conséquent plus long que ■e jour sidéral. Sur Mercure, le jour solaire est de 24 heures 21 mi- nutes : telle est la durée du jour civil. Il n'y a donc que 21 minutes ux qui put être distingué sur lo disque noir : le résultat a été qu'il n'y avait rien de visible. Tous les autres astronomes qui ont observé le passage, à l'aide d'instruments de grossissements très variés, n'ont rien vu non plus. Nos connaissances actuelles sur la géologie de Mercure, se résu- ment donc à savoir que cette planète est hérissée de très hautes montagnes; mais nous ne pouvons pas encore affirmer qu'on y ait réellement vu des éruptions volcaniques. La Terre est aplatie à ses pôles de ^. Mercure peut avoir la même figure, mais la proportion est si faible, qu'elle est insensible aux meilleurs instruments. Le diamètre de cette planète n'est égal qu'au 38 centièmes de celui Fig. lOG. — Uranaeur comparée do Jlfrcurc et de la Terre. TERRES DU CIEL 45 354 MERCIJUK. — VOLUMK. POIDS. de notre globe. Ce diamètre réel se calcule d'après le diamètre ap- parent combiné avec la distance. Nous avons vu, à propos des pas- sages de Vénus, que les conclusions relatives à la parallaxe solaire donnent le nombre 17"72 pour le diamètre de la Terre vue du Soleil. C'est à cette unité que les diamètres de toutes les planètes sont rapportés, en les supposant toutes vues à la même distance. Voici ces diamètr(>s angulaires : Mercure 6"70 Jupiter 197"75 Vénus 16,90 Saturne 168,82 La Terre 17,72 Uraiius . 74.82 La Lune 4,&4 Neptune 78,10 Mars 9,57 Nous savons par là que le volume de Mercure n'est que les 5 cen- tièmes de celui de notre globe : c'est la plus petite des planètes (exception faite des fragments qui gravitent entre Mars et Jupiter). En volume, il est dix-huit fois plus petit que la Terre; sa surface est sept fois moindre; son diamètre dépasse à peine le tiers de celui de notre monde : il est à celui de la Terre comme 376 est à i 000, et mesure 1200 lieues; d'où il suit que ce globe compte seulement 15000 kilomètres de tour. L'un des points les plus curieux à connaître des conditions d'ha- bitation de cette planète, serait de pouvoir mesurer l'état de la pesanteur à sa surface. Mais comment déterminer avec précision le poids de ce globe? S'il était accompagné d'un satellite, le problème serait facile à résoudre; car la vitesse du mouvement de ce satellite indiquerait le poids de cette planète, de même que la vitesse du mouvement de la Lune est en correspondance avec le poids de la Terre. Mais malheureusement Mercure n'est pas accompagné du plus petit satellite tournant autour de lui. D'un autre côté, s'il était plus lourd qu'il n'est, son attraction dérangerait visiblement Vénus et la Terre dans leur marche autour du Soleil, et en analysant avec précision ce dérangement, on pourrait aussi déterminer la masse de Mercure. Il est si faible, que son action est presque insensible. Cepen- dant, en poussant l'analyse à ses dernières limites, Leverrier est parvenu à trouver une valeur mathématique. On avait, auparavant, cherché à découvrir son action perturbatrice sur les comètes qui passent près de lui; ce n'est pas là une balance bien sensible ni bien MERCUliK. — MASSE. ItKNSITE. rigoureuse : elle avait d'abord fait supposer à la planète une densité égale à celle du plomb. Avec l'opinion qui était encore générale, il y a un demi siècle, sur cette densité, il eut été bien difficile de se former une idée de son état d'habitation. On évaluait en elfet, cette densité, à plus de seize fois que celle de l'eau, c'est-à-dire qu'on la faisait près de trois fois plus forte que celle de la TeiTe : elle tenait à peu près le milieu entre celle de l'or et celle du métal consacré à l'astre dont nous nous occupons. Un pareil état du sol eût été bien difficilement assimilable à des organismes analogues à ceux que nous connaissons, mais il eût peut- être donné raison à l'hypothèse imaginée par Huygens, qui suppose que les habitants de Mercure reçoivent du Soleil une chaleur si brû- lante, qu'elle embraserait d'elle-même des herbes comme celles qui croissent sur notre globe. Ajoutons toutefois que le même astronome ne voyait pas là un motif suffisant pour laisser cette planète déserte et stérile, car il s'empressait d'ajouter que l'organisation de ses habitants doit être appropriée à celle de la planète. Le calcul de la densité a pu être repris il y a quelques années, et, d'après une étude plus complète des perturbations produites sur la comète d'Encke, on a été conduit à la conclusion (jue le globe de Mercure pèse environ quinze fois moins que le globe terrestre. 11 en résulte que la densité des matériaux qui le composent surpasse d'un sixième seulement celle des matières terrestres, comme moyenne générale, car il y a là comme ici des différences dans les substances. La pesanteur à sa surface est presque moitié moindre de ce qu'elle est ici : un kilogramme transporté sur Mercure n'y pèserait que 52 1 grammes. Cette faiblesse de la pesanteur fait que des êtres lourds et énormes comme l'éléphant, l'hippopotame, le mastodonte ou le mammouth, pourraient avoir sur Mercure l'agilité de la gazelle et de l'écureuil! L'imagination peut facilement supposer quelle mé- tamorphose cette différence de pesanteur doit apporter dans les œuvres matérielles et même intellectuelles de l'humanité à la surface d'une autre planète. Sa densité est un peu plus furte que celle des matériaux consti- tutifs de la planète que nous habitons : en représentant la densité terrestre par 1 OUU, celle de Mercure est représentée par le chiffre 1 376. C'est la plus élevée de tout le système solaire. MERCURE. — DENSITÉ. PESANTEUR. Ainsi, quoique les êtres et les choses qui existent sur ce globe soient d'un tiers jilus denses que les nôtres, ils pèsent près de moitié moins. Un objet qui tombe ne parcourt que 2'°,55 pendant la pre- mière seconde de chute. Voici, à ce propos, la valeur calculée de l'intensité de la pesanteur sur les différents globes du système solaire, comparée à celle de la pesanteur terrestre prise pour moitié. INTENSITÉ COJIPAHATIVE DE LA PESANTEUR A LA SURFACE DES MONDES Le Soleil 27,474 Uranus 0,883 Jupiter 2,581 Vénus 0,864 Saturne 1,104 Mercure 0,321 La Terre 1,000 Mars 0,382 Neptune 0,953 La Lune o,lG4 Ainsi, c'est sur la Lune que l'intensité de la pesanteur est la plus faible et c'est sur le Soleil qu'elle est la plus forte. Tandis que, trans- porté sur le premier de ces astres, un kilo terrestre ne pèserait que 164 grammes, il pèserait plus de 27 kilos sur le Soleil, 2 kilos et demi sur Jupiter, etc. Mais nous apprécierons mieux ces différences d'in- tensité si nous les traduisons par le chemin que parcourrait un corps, une pierre par exemple, qu'on laisserait tomber du haut d'une tour. Voici le chemin qui serait parcouru dans la première seconde de chute sur chacun des mondes que nous considérons : ' ESPACE PAUCOL'KU PAR UN CORPS QUI TOMBE, PENDANT LA PREMIÈRE SECONDE DE CHLTB Sur la Lune.. 0",80 ■^ Sur Mars 1",86 Sur Mercure 2", 55 Sur Vénus. . . .■ 4°.21 Sur Uranus 4°,30 . Sur Neptune. ............. 4",80 Sur la Terre. .. i ......... . 4"',90 Sur Saturne. . . u . ^ ".i. ;.■*...' . i ... 5°, 34 Sur Jupiter. . ... ; . . ., . ...... 12'",49 Sur le Soleil ........ J ... ■ 134 ',02 On voit que cette intensité ne diffère pas considérablemeni. sur la Terre, Vénus, Uranus et Neptune, mais que, sans être aussi faible sur Mercure que sur Mars, elle est néanmoins beaucoup plus faible qu'ici. ! Un habitant de la planète Mercure arrivant sur la Terre éprouverait dans ses mouvements la résistance du nageur plongé dans l'eau. . On ne connaît pas de satellite à Mercure. CHAPITRE III L'atmosphère de Mercure. — Météorologie. Climats et saisons. — Inclinaison de l'axe- — Lumière. — Chaleur. Conditions de la vie sur le monde de Mercure. Notre conci'pLion générale do l:i vie à la surface des autres pla- nètes se rattachant très intimement à l'existence d'une atmosphère, l'une des premières questions que nous nous adressons naturelle- ment lorsque nous nous occupons de riiabitabilitè des autres mondes, est de nous demander s'ils sont gratifiés d'une atmosphère analogue à la nôtre. Cette tendance de notre espxùt n'est peut-être pas absolu- ment irréprochable, car nous n'avons aucune certitude que la vie ne puisse pas exister en des conditions tout à fait diiTèrentes de celles où elle se trouve ici-bas ; mais elle est naturelle et logique, puisque le système organique terrestre tout entier, aussi bien végétal qu'a-' nimal, a pour base essentielle l'air et la respiration. L'étude des atmosphères planétaires a donc un double intérêt pour nous : un in- térêt astronomique, d'une part, en ce qui concerne la connaissance que nous voulons avoir de la constitution physique des autres mondes; un intérêt physiologique, d'autre part, en ce qui concerne- l'analogie d'habitation humaine que ces mondes peuvent offrir avec celui que nous habitons en ce moment. Eh bien ! la première planète du système solaire, la plus proche de l'astre radieux, celle qui reçoit la plus grande somme de chaleur et de lumière, la planète Mercure, a-t-clle une atmosphère? l.'AT.MOSl'HKIiK DK MERT.CKE Aujourd'hui, nous pouvons répondre afBrm;itivement à cette in- téressante question, quoique sa solution ait été lente et traversée d'illusions de toutes sortes, semées sur son passage. L'observation de la planète est si difficile en effet que la constatation de son at- mosphère a été, comme on le devine sans peine, plus difficile encore. C'est pendant les passages de Mercure devant le Soleil, que le premier indice de l'existence de l'atmosphère de ce petit monde a frappé l'attention des astronomes. Un faible anneau nébuleux entourant la planète a été décrit par Plantade, lors du passage de 17.3G. Le même phénomène a été remarqué par Flaugergues, dans l'observation des passages de 1786, 1789 et 1799; il l'a signalé sous le nom d'anneau lumineux. Messier, Méchain et Schrœter rapportent avoir aper- çu dans ce dernier passage un anneau mince et lumineux, qu'ils ont attribué à l'influence d'une atmosphère. En 1832, le docteur Moll l'a aperçu comme un cercle gris d'une teinte som- bre un peu violette. Les uns l'ont vu plus lumineux , les autres moins lumineux que le Soleil lui-môme. Pendant le passage de 1868, l'astronome et physicien anglais Huggins, a décrit ce même anneau atmosphérique ('), et en a dessiné la figure ci-dessus. « En examinant attentivement, dit-il, le voisinage immédiat de la tache noire formée par Mercure, dans l'idée de rechercher s'il existe un satellite, je constatai que la planète était entourée d'une auréole de lumière un peu plus brillante que le Soleil. La largeur de l'anneau lumineux était environ le tiers du diamètre apparent de la planète. Elle ne s'évanouissait pas au bord, Fig, 168. l'Ole lumineuse observée autour de Mercure. (I) Monihly Notices of the Royal Astronoinical Socieli/, novembre 1868. LATMOSI'HÈUE DE MEKCUUE mais avait un contour bien arrêté, et était sans couleur aucun(;. Presque au même moment où je vis cet anneau, mon attention fut frappée par un point lumineux brillant vers le centre de la planète. » C'est le point dont nous avons parlé au chapitre précédent. Après avoir décrit longuement les phénomènes dont nous résu- mons ici la description, l'astronome anglais examine s'ils peuvent être causés par une illusion d'optique et conclut qu'ils sont bien réels. Combien la vision humaine est singulière ! Pendant que M. Hug- gins observait en Angleterre ce passage de Mercure devant le Soleil, je l'observais à Paris, comme je l'ai dit plus haut, avec toute l'at- tention possible également, et je n'ai pu apercevoir, ni point lumi- neux, ni trace d'atmosphère. Et cependant je les cherchais avec une idée préconçue. Cela ne veut point dire que l'astronome anglais et tous ses prédécesseurs se soient trompés ; mais ces différences nous apprennent à ne pas trop nous fier à la vue dans certains cas spé- ciaux, comme dans ceux où le contraste joue un grand rôle. Non seulement la vue, la sensation de la rétine, le jugement, différent d'un observateur à l'autre, mais l'instrument employé entre lui- même pour une large part dans les résultats de l'observation ('). (') Le passage de Mercure du jj novembre 1868 a été observé par plus de cinquante astronomes, en France, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, i Italie, en Espagne, et M. Iluggins est le seul qui ait vu l'auréole et le point lumineux. 11 en a été de même dans les passages antérieurs. Tandis que les astronomes cites plus haut décrivaient les piiénomènes en question, les autres affirmaient n'avoir rien vu. Ainsi, en 180i, William Herschel assura avoir constaté que le contour de Mercure resta parfaitement terminé pendant toute la durée du passage. Or, on sait que la lumière s'alTaiblit et se colore inévitablement en traversant une atmosphère. Le fait qu'on n'a pu apercevoir autour de la tache aucun anneau qui fût différent, par l'in- tensité ou par la teinte, du disque solaire, infirmerait l'existence d'une atmosphère un peu épaisse. .Mais il est bien probable que dans ces circonstances nous ne voyons pas l'atmosphère de Mercure elle-même, car elle doit être couverte de nuages, et au-dessus de ces nuages il ne doit rester qu'une couche aérienne trop peu sensible pour produire de notables effets de réfraction. Si cette atmosphère était pure et entourait le disque de la planète, les rayons lummeux éprouveraient en la traversant une déviation qui déformerait le bord du Soleil, .\ucune déformation de ce genre ne s'est fait remaniiier. .\u dernier passage de 1878, ce point lumineux a été revu et absolument constaté, notamment par mon savant ami .M. de Boé, astronome belge. Le fait le plus cujieux, c'e>t que, pendant les passages de Mercure qui arrivent en mai, ce point lumineux se trouve à l'ouest du centre de la plain'li", taudis que, pendant les observations faites en novembre, on l'a toujours vu à l'est. 11 n'est pas juste au centre, ce qui prouve que L'ATMOSPHÈKE DE MEIiCUIlE On a attribué l'auréole à une atmosphère immense et ce point lumineux à un volcan. 11 serait singulier qu'il y eût justement un volcan d'allumé sur Mercure vers le milieu de l'hémisphère tourné vers la Terre aux jours et aux heures des passages de cette planète devant le Soleil ; il ne serait pas moins étrange que cette planète fut environnée d'une enveloppe atmosphérique égale au tiers de son diamètre ; c'est comme si notre atmosphère avait plus de mille lieues de hauteur L'explication la plus simple est d'admettre que Mercure n'étant sur l'éblouissant Soleil qu'un mi- nuscule point noir invisible à Vœil nu, la difficulté de l'observa- tion dans un tel état de contraste produit des phénomènes pure- ment optiques. Quoi qu'il en soit, ces observations contradictoires, que nous signalons ici en toute sincérité, ne prouveraient rien sur l'existence d'une atmosphère autour de la planète Mercure, si nous n'en avions pas de plus convaincantes. Une des meilleures est celle qui nous montre que le cercle termi- nateur des phases de Mercure n'est pas net et arrêté comme sur la Lune, mais diffus et estompé, comme on l'a vu sur la figure 164 (p. 351). Cette pénombre ne peut être produite que par une atmos- phère. C'est le crépuscule du commencement et de la fin du jour que nous apercevons d'ici. L'atmosphère est éclairée par le Soleil, ce n'est pas un efifet optique dû à la dififraction. Une autre observation non moins curieuse, c'est l'auréole dont la planète paraît entourée pendant soa passage sur le Soleil. Parfois cette auréole est plus lumineuse que le Soleil lui-même et parfois elle est d'une teinte grise un peu violette. En général, le premier cas s'est présenté au mois de novembre et le second au mois de mai. (Le fait est assez bizarre. J'ai observé en ballon un effet analogue : plusieurs fois, l'ombre de l'aérostat voyageant sur les .'' prairies s'est montrée encadrée d'une auréole lumineuse) ('). Remarquons maintenant qu'à l'époque des passages du mois de mai Mercure est à sa plus grande distance du Soleil, tandis qu'au mois de novembre il est dans le voisinage de son périhélie, c'est-a-dire vers sa plus petite distance. 11 pourrait exister une relation entre cette distance et la position de la tache lumineuse et l'aspect de l'auréole. Sans doute l'ardeur du Soleil, quatre fois et demie plus grand et plus chaud que le nôtre lorsque Mercure est à son aphélie, et dix fois et demie plus immense et plus intense lorsqu'il est à son périhélie, produit-elle dans l'atmosphère de cette planète des phé. nomènes météorologiques, magnétiques et électriques tout à fait étrangers à ceux que nous connaissons sur la Terre. Mais ne nous hâtons pas d'expliquer des faits qui peuvent être purement subjectifs. (') Voy. mes Voyages aériens, troisième ascension. ... Les jeux d'oplique aérieaue se pioJaiieal sur Mercure avec intensité... TEr.ltES DU CILL 46 L'ATMOSPHEftE DE MEUCIIRE sans que le sol le soit, et produit cette légère lumière qui sépare l'hémisphère éclairé de l'hémisphère nocturne. D'un autre côté, le calcul d'une phase de la planète pour une date donnée (23 septembre 1832) a montré à Béer et Madier que cette phase calculée était supérieure à la phase visible. De là, en attribuant à un défaut de diaphanéité une plus grande influence qu'à la réfrac- tion, on est arrivé, par une voie totalement différente des déductions précédentes, à la conséquence que Mercure est entouré d'une atmos- phère assez épaisse. Un autre indice est fourni par ce fait que la lumière du disque de Mercure va en diminuant du centre vers les bords, diminution causée aussi par la présence de l'atmosphère autour de la planète. Une autre preuve encore résulte de la formation subite des bandes obscures, qu'on a quelquefois remarquées sur ce globe. Ces bandes occupent souvent des espaces considérables et présentent des varia- tions très sensibles d'éclat. Les premières observations qu'on en ait faites appartiennent à Schroter et Harding, et sont de l'année 1801. Elles ont été renouvelées depuis. Ainsi, le 11 juin 1867, par un ciel d'une grande pureté, M. Prince a constaté la présence d'un point brillant situé un peu au sud du centre de la planète, accompagné de légères traînées divergeant vers le nord-est et le sud. Le 13 mars 1870, M. Birmingham a observé une large tache blanche près du bord oriental. M.Vogel signale également l'observation de certaines taches aux dates des 14 et 22 avril 1871. Dans le grand télescope newtonien d'Oxford, de 13 pouces d'ouverture, construit par M. De La Rue, le disque de la planète a présenté une légère teinte rosée. L'atmosphère de Mercure doit être surtout composée de vapeur d'eau, ou, dans tous les cas, de vapeurs plutôt que de gaz, attendu que ses mers, ses lacs, ses rivières et ses sources doivent contenir, non pas de l'eau fraîche comme ici, mais de l'eau chaude. Si ce n'est pas de l'eau chimiquement identique avec la nôtre, les liquides qui la remplacent doivent être, quels qu'ils soient, à un état de température fort élevée. Ajoutons enfin que l'analyse spectrale a pu être appliquée à l'exa- men de l'atmosphère de Mercure. Il résulte des recherches de l'astro- nome Vogel, que les raies principales du spectre de Mercure coïn- cident absolument avec celles du spectre solaire. Ce fait n'a rien de L'ATMOSPHÈRE DE MERCURE surprenant, puisque cette planète ne l)rille que par la lumière qu'elle reçoit du Soleil. Mais à ces lignes s'en ajoutent d'autres qui lui appartionnônt en propre : « Certaines raies qui ne se produisent dans le spectre du Soleil que lorsque cet astre est très bas sur l'horizon, et que l'absorption par notre atmosphère est très considérable, se retrouvent en permanence dans le spectre de Mercure. On doit donc conclure de là à l'existence d'une enveloppe gazeuse autour de Mercure, exerçant sur les rayons solaires une action absorbante égale à celle de notre atmosphère, lorsqu'elle atteint son maximum. » Ainsi, ce petit monde est environné d'une atmosphère considé- rable, dans laquelle flottent des vapeurs absorbantes; son sol est très accidenté; ses années sont fort courtes et ses saisons rapides; ses journées sont relativement longues; et le Soleil^ beaucoup plus proche de lui que de nous, lui distribue une bien plus grande quantité de chaleur qu'il n'en donne à la Terre. Ce sont déjà là des notions remarquables sur un globe qu'il est si difficile d'étudier; mais allons plus loin encore, et utilisons ces notions pour essayer de déterminez les conditions de la vie apparue à sa surface. Nous avons vu que l'orbite suivie par la planète est très allongée, et que le Soleil est de près de six millions de lieues plus proche du foyer au périhélie qu'à l'aphélie : six millions sur quatorze de dis- tance moyenne 1 A l'aphélie, l'astre du jour offre à ces indigènes inconnus un disque quatre fois et demie plus étendu que le nôtre en surface, et 44 jours après, au périhélie, ce disque énorme s'est encore agrandi au point d'être dix fois et demie plus vaste que le nôtre, versant de ce ciel torride une lumière et une chaleur dix fois et demie plus intenses. La proportion des diamètres du Soleil est la suivante : Vu de Mercure périhélie iOV ou 1° 44' — distance moyenne 83' 1° 23' — aphélie 07' 1° 7' Vii de la Terre 32' La Ogure 170 en donne une idée : elle est construite à l'échelle (le 1""" pour 2'. Nous nous plaignons quelquefois de l'ardeur du Soleil; mais qu'est-ce que notre pauvre luminaire à côté de l'éblouissante fournaise de Mercure! C'est comme si dix soleils dar- CONDITIONS DE LA VIE SIU .MEKCl'UF. daient onsemblo leurs rayons au mois do juillet, à midi, sur nos tt''tcs. Si les habitants do Mercure ont cru comme nous que cet astre tournait autour d'eux, ils ont dû être bien embarrassés pour expliquer ces variations périodiques de sa grandeur, ses gonflements et dégon- flements successifs. L'astronome de Mercure peut, bien plus facilement que nous, tirer des variations incessantes du diamètre apparent du Soleil les valeurs comparatives des distances de cet astre pour chaque jour; -OS savants de ce monde inconnu sont sans doute arrivés plus tôt ^ ^^^^ i LE SOLEIL 1 ^V ^W vu 1 vu DE MEBCDRE ^^B; MERCURE 1 au périhélie ; ^^^k l'aphélie i lig. KO. — Grandeur comparée du Soleil vu de Mercure et de la Te que nous à découvrir que leur planète se meut dans une orbite elliptique dont le Soleil occupe un des foyers, et à connaître ainsi le premier élément du véritable système du monde. Nous concevrons peut-être mieux encore l'intensité de la lumière et de la chaleur envoyée par le Soleil à ce monde en jetant un coup d'œil sur le petit diagramme ci-dessus (fig. 171), qui représente l'in- tensité comparée de la lumière et de la chaleur reçues par Mercure et par la Terre pendant leurs années respectives. Les ordonnées ver- ticales sont en rapport avec cette intensité. A l'aphélie, cette quantité est quatre fois et demie supérieure à celle que nous recevons dans le cours de l'année, et au périhélie elle est dix fois et demie supérieure. Les efi"cts de lumière doivent être merveilleux dans cette atmos- phère, et incomparahlement plus intenses que les nôtres. Nos plus CONDITIONS I>E LA WV. Sllî MEUCUUK grandioses couchers de soleil, nos plus sublimes levers de soleil, sont pâles et ternes à côté de ceux de cette planète. La symphonie de l'aurore éclate là comme une éblouissante fanfare. Il n'est pas dou- teux que les jeux d'optique aérienne que nous admirons dans nos arcs-en-ciel, nos halos, nos anthélies, nos mirages, ne se produisent là comme ici (car les lois de la physique sont partout les mêmes), mais avec une intensité qui nous ravirait d'admiration. Ce ne serait pas sortir du cadre de la vraisem- blance, si nous voulions des- ^ siner, par exemple, un paysage . f de Mercure après la pluie, d'i- maginer que les arcs-en-ciel n'y sont pas ordinairement simples, comme ici, mais gé- néralement, triples et souvent | multiples, à cause de l'inten- sité de l'illumination solaire. En voyant le monde de ]\Ier- cure graviter comme la Terre autour du Soleil, porté sur l'ail ( • de la même force qui soutien i notre planète dans l'espace, régi par les mêmes lois, baigné dans les fécondes effluves de la lumière et de la chaleur solaires; environné d'une atnio;^pliére dans laquelle flottent des nuages, soufflent des vents, tombent des pluies; couvert d'un sol accidenté sur lequel de hautes montagnes dressent leurs cimes élancées; doué enfin de mouvements qui lui donnent des années, des saisons, des climats, des jours et des nuits, notre raison, notre logique veut que ces causes aient produit des effets; et quoique la position défavorable de ce monde à notre égard nous empêche de distinguer sa surface et nous interdise le captivant plaisir de dessiner sa carte géographique, cependant les yeux de l'intelligence complètent ceux du corps, et voient, au-dessous de cette couche de nuages que nos télescopes ne percent pas encore, une vie immense et agitée, se déployant sur toute la surface de cette Fii;. l'I. IiitL'iisili; comparée dû Ui liiinière et do la chaleur reçues par Mercure cl par la Terre. CONDITIONS DE LA VIE SUR MERCURE planète comme sur la nôtre, et accomplissant ses destinées dans le même temps que les nôtres s'accomplissent en ce monde-ci. Cette vie, nous la devinons sans la voir, de même qu'en voyant passer au loin dans la campagne un convoi de chemin de fer, nous devinons, sans les voir, que des voyageurs occupent ses différents wagons. Oui, sans doute, nous constatons avec assez d'évidence les témoignages de la vie physique sur cette planète Mercure pour supposer un seul instant que ce soit là un trompe-l'œil, et pour imaginer qu'un mi- racle permanent de stérilisation empêche l'air, l'eau, le soleil, le vçnt, la pluie, la chaleur du jour, le calme des nuits, la fraîcheur des matins, l'embrasement fécond des soirs, d'avoir produit sur ce globe comme sur le nôtre ces millions d'espèces vivantes qui se succèdent de générations en générations et pullulent sur la Terre entière. Mais cette vie éclose sur Mercure, quelle est-elle? Devons- nous y contempler des paysages semblables à ceux qui se bercent au miheu de nos belles campagnes? des arbres qui ressemblent aux nôtres? des fleurs pareilles à celles que nous respirons? des animaux analogues à ceux qui foulent le sol terrestre, nagent dans les mers ou volent sur nos têtes? enfin et surtout devons-nous y voir une humanité identique à la nôtre? — C'est là une question que nous pouvons étudier, et à laquelle l'analyse et la synthèse scientifiques nous permettront peut-être de répondre. Si l'opinion que nous pouvons nous former de l'importance des mondes était dictée par la considération de l'activité des forces qui peuvent agir à leur surface, et par celles de la distance du foyer central, qui distribue la lumière et la chaleur, nous en conclurions assurément que Mercure est la planète la plus favorisée et la plus importante de tous les séjours du système solaire. Mais d'un autre côté, si nous jugions de l'importance d'un monde par sa dimension. Mercure nous paraîtrait tout à fait insignifiant, car à cet égard il ressemble plus à la Lune qu'à la Terre, et le troisième satellite de Jupiter (Ganymède) est même plus volumineux que lui. (Voyez la figure suivante). Nous ne devons donc jamais, dans cette étude, nous laisser guider par des considérations isolées, et c'est sur l'ensemble des caractères d'une planète que nous devons baser notre mode de raisonnement. Parmi toutes les causes qui agissent sur chaque planète pour CONDITIONS DE I,\ VIE SI T, MERfURE dùLermiuer l'état et les formes do la vie à sa surface, il en est trois surtout dont l'action est essentielle, et qui sont spécialement dignes de notre attention. Ce sont : — 1° les dilîérences de chaleur et de lumière qu'elles reçoivent du Soleil; — 2" les différences dans la pesanteur des corps à leur surface; — 3° les différences de constitu- tion physique et de dcusiLé de la matière dont elles sont composées. L'intensité de la radiation solaire est presque sept fois plus grande pour Mercure que pour la Terre, et pour Neptune neuf cent fois moindre; la proportion entre les deux extrêmes étant celle de plus de 60Û0 contre 1 . Que l'on se représente l'état de notre globe, si le Soleil était sept fois plus volumineux, ou bien, en sens inverse, si Kig. 17-2. — Grandeurs comparées de Mars. GanymoJe, .Mercure et la Lune. sa puissance était réduite aux neuf centièmes de sa valeur actuelle! D'un autre côté, l'intensité de la pesanteur, ou son efficacité à contre- balancer la force musculaire et à contenir l'activité vivante, est environ trois fois plus forte à la surface de Jupiter qu'à la surface di' la Terre. Sur Mars, elle n'est que le tiers de ce qu'elle est ici; sur la Lune, le sixième; et sur plusieurs petites planètes le vingtième seulement : ce qui établit une échelle dont les extrêmes sont dans la proportion de 60 à 1. Enfin, la densité de Saturne ne va guère au delà de y de la densité moyenne de la Terre, en sorte que cette planète doit se composer de matériaux presque aussi légers que le liège, « Or, au milieu de tant de combinaisons variées d'élé- ments si importants pour la vie, dirons-nous avec Sir John Herschel, quelle imnifuse diversité ne devons-nous pas admettre SAISONS. CLIMATS. CONDITIONS DE LA Vit; dans les conditions du grand problème de l'existence et de la félicitù des êtres vivants, but qui semble, autant que nous pouvons en juger par ce que nous voyons autour de nous sur notre propre planète et par la manière dont chaque point y est peuplé, faire l'objet constant de la sollicitude d'une haute Sagesse qui préside à tout. » Mercure est le monde qui reçoit du Soleil le plus de chaleur et de lumière. Nous avons dit qu'il gravite autour de l'astre radieux dans la courte période de 88 jours : son année est donc moins longue que truis de nos mois; ses saisons, comme nous l'avons déjà vu, ne durent chacune que 22 jours. La meilleure série d'observations des taches de Mercure et d'essais de déterminations de la rotation est encore celle de l'astronome Schrôter, de Lilienthal, et elle date du commencement de ce siècle. ^ Il a notamment suivi avec soins une bande sombre entourant comme une ceinture le globe de la planète, depuis le 18 mai jus- qu'au 4 juillet 1801, et de ces observations il a cru pouvoir conclure que « l'inclinaison de l'équateur de Mercure sur son orbite est en- viron de 20" » . Interprétée d'une manière erronée par le premier traducteur des Hermographische Fragmente, cette mesure avait été générale- ment considérée comme indiquant, non l'inclinaison de l'équateur sur son orbite, mais l'inclinaison de l'axe, ce qui donnait 70° pour l'obliquité de l'écliptique sur cette planète, et par conséquent des sai- sons beaucoup plus disparates que celles de la Terre, et encore plus extrêmes que celles de Vénus, le Soleil devant éclairer en plein l'un des pôles à l'un des solstices et l'autre pôle au solstice opposé, et les régions polaires devant être tour à tour brûlantes et glaciales dans un intervalle d'une demi-année mercurienne ou de 44 jours seulement ! Nous devons à M. Niesten, astronome de l'Observatoire de Bruxelles, la rectification de cette interprétation erronée. L'incli- naison de 70° pour l'axe, ou l'angle de 20° pour l'équateur de Mercure sur son éclip tique, ramène, au contraire, les saisons de cette planète à une analogie presque complète avec les nôtres, et même à des saisons un peu plus douces, puisque chez nous cette obliquité est de 23° 27', 11 serait bien désirable que des observateurs vérifiassent de nos MERCUIlli. — SAISONS. CLIMATS. CONDlllUNS DE LA VIE jours CCS intérossautes ef. (litïicilos mesures de l'astronuine de Lilienfhal. Mais cette planète a un autre genre de saisons. Lors même que son axe serait perpendiculaire au plan dans lequel elle se meut, et lui donnerait par conséquent une égalité perma- nente de jours et de nuits et un équinoxe perpétuel, cependant la variation considérable de sa distance au Soleil pendant le cours de l'année serait suflisante pour lui causer des saisons très sensibles, et au moins aussi variées que celles que nous avons en France; il y aurait môme dans ce cas différents climats pour les différentes ré- gions de la planète. Près des pôles, l'astre lumineux, quoique visible pendant la moitié du jour, n'atteindrait qu'une faible élévation au-dessus de l'horizon, juste comme il le fait le jour du printemps pour nos cercles polaires. A l'équateur, le Soleil passerait tous les jours au zénith et verserait dans ces régions une quantité de lumière et de chaleur beaucoup plus intenses que celle qui inonde nos cli- mats tropicaux. Un Soleil ainsi vertical, dont le diamètre serait tantôt deux fois, tantôt trois fois plus grand que le nôtre, serait un noble mais terrible voyageur dans le ciel de Mercure. Nous avons vu que la distance de cette planète au Soleil varie consi- dérablement dans le cours de son année, à cause de l'excentricité de son orbite. Lorsqu'elle est à son périhélie, elle reçoit dix fois et demie plus de lumière et de chaleur que nous n'en recevons d'ici, et le disque solaire paraît dix fois et demie plus étendu en surface. Quel Soleil ! Mais lorsque Mercure se trouve à son plus grand éloignement, cette lumière et cette chaleur sont réduites à la moitié de ce qu'elles étaient dans le premier cas. Alors même, toutefois, l'astre du jour brille dans le ciel avec un disque quatre fois et demie plus étendu que celui qu'il nous présente. La principale différence qui distingue Mercure de la Terre paraît donc consister dans la température. Mais il ne faudrait pas croire i[ue cette température dépendit uniquement de la distance au foyer. Non; Mercure pourrait être un bloc de glace tourcà tour fondue et congelée, s'il était privé d'atmosphère. Nous l'avons déjà remarqué à propos des planètes Mars et Vénus, ce n'est pas tant la distance au Soleil que l'étendue et la transpa- rence de l'atmosplière qu'il faut coiisidcnn' pour juger d'un climat TERRES DU ^ IKI.. -ÎT MEUCIUE. — SAISONS. CLIMATS. CONDITIONS DE LA VIE planétaire. L'enveloppe aérienne agit autonr du globe comme une serre chaude qui l'envelopperait. Elle se laisse travi'rser pendant le jour par les rayons calorifiques lumineux qui viennent du Soleil, et elle s'oppose à la déperdition des rayons calmiliques obscurs pen- dant la nuit parle rayonnement nocturne. L'absence d'atmosphère donnerait à un globe les plus extrêmes contrastes de chaleur et de froid entre le jour et la nuit, entre l'équateur et les pôles, comme il arrive précisément pour la Lune, qui passe tous les mois par la température de l'eau bouillante et par celle de la glace, et plus en- core. D'un autre côté, l'atmosphère peut avoir une action toute diffé- rente en tempérant par ses nuages la trop grande ardeur du Soleil. Or, nous venons de voir que la planète Mercure est environnée d'une vaste atmosphère : essayons d'en analyser l'influence. Que le climat d'une planète considéré dans son ensemble soit largement influencé par la nature de l'atmosphère, nous le consta- tons directement par les effets que nous observons à la surface de notre propre terre. Lorsque nous nous élevons au sommet d'une haute montagne, nous trouvons l'air beaucoup plus froid qu'à sa base. Le sommet du mont Blanc est toujours glacé, même lorsque les plus fortes chaleurs de juillet et d'août sont intolérables à ses pieds. Aux tropiques même et à l'équateur, nous avons des villes comme Quito et Bogota, des villages et des pays habités, où la tem- pérature habituelle ne dépasse pas 15 et même 10 degrés, à cause de leur élévation au-dessus du niveau de la mer. J'ai toujours constaté en ballon qu'à de grandes hauteurs l'air est glacial, quoique le soleil soit brûlant; et j'ai vérifié que la différence entre la température de l'air à l'ombre et celle d'un thermomètre exposé au soleil s'accroît avec la hauteur et en raison inverse de l'humidité répandue dans l'air. Plus l'air est sec, moins il peut s'échauffer. Il ne serait pas impossible d'arriver à faire bouillir de l'eau au soleil à une certaine hauteur, quoique nous trouvant et respirant au milieu d'un air glacial, et cela d'autant mieux que la pression atmosphérique et le degré d'ébullition de l'eau diminuent avec la hauteur. L'air peut livrer passage aux rayons solaires sans s'échauffer lui-même, et sans donner à la planète une haute température ('). (') Voy. mon grand ouvrage l'ATMOspiiÊnE, liv. II!, ch. ii. M i; i; c i; K E. — saisons, climats, conditions de i,a vu; Ce n'est donc pas seulement la quantité de chaleur directement reçue du Soleil qu'il faut considérer pour se former une idée exacte de l'état de la température à la surface d'une planète, mais encore et surtout l'état physique de l'atmosphère, en ce qui concerne sa densité et son humidité. Nous ne devons pas nous tromper nous- mêmes, néanmoins, en calculant que la rareté de l'atmosphère pourrait à elle seule compenser pleinement l'augmentation de la chaleur solaire. Il ne serait pas exact de dire que le climat d'un point situé sur les sommets des Andes et des Gordillières correspondît tout à fait à celui d'une région inférieure qui aurait la même tem- pérature, caries circonstances sont très différentes. En bas, l'air est plus dense et plus humide, les nuits sont plus chaudes, parce que le ciel est moins clair et que la chaleur rayonnante de la Terre est con- servée, interceptée par les nuages ou par la vapeur d'eau qui existe toujours dans l'air, même à l'état transparent; ce qui n'a pas lieu dans les régions élevées, dont l'air raréfié laisse un libre passage à la déperdition de la chaleur. Si l'atmosphère de Mercure est assez rare pour lui donner un climat alpin ou himalayen, au lieu de la chaleur terrible qui semblerait devoir tomber sur cette planète, il n'en résulterait pas pour cela une organisation analogue à celle qui existe autour de nous sur la Terre. Dans notre anxiété de peupler ce monde d'êtres semblables à ceux que nous connaissons, nous ne devons pas pour cela nous aveugler sur les difficultés intrinsèques. Nous ne pouvons raréfier l'air de Mercure sans augmenter les effets directs de la chaleur solaire sur ses habitants; et les conditions ne paraîtraient pas préférables, puisque l'action directe des rayons solaires sur ses régions tropicales privées ainsi de la protection atmosphérique produirait une chaleur quatre ou cinq fois plus forte que celle de l'eau bouillante, et à laquelle succéderait pendant la nuit un froid glacial; condition fort inhospitalière, qui rappelle la peinture si sombre que fait le Dante dans son Enfer sur les mal- heureux condamnés à souffrir alternativement les tourments du feu et de la glace! 11 nous parait difficile d'imaginer des êtres orga- nisés pour vivre au sein de pareils contrastes. Examinons donc si une atmosphère construite différemment ne serait pas meilleure pour l'organisation générale de la planète : au lieu d'un air raréfié, supposons une atmosphère plus dense que la CONDITIONS !)E LA VIE SUR MKllClir.E nôtre. Les effets ordinaires d'une atmosphère très dense étant d'aug- menter la chaleur, il ne semble pas d'abord que l'idée soit ingé- nieuse, appliquée à Mercure, d'autant plus que sur la Terre nous n'avons pas d'excMiiple de contrées garanties des rayons so- laires par la densité de l'atmosphère. Pourtant il ne serait pas impossible qu'une atmosphère fût constituée de telle sorte qu'elle restât constamment couverte de nuages, car une faible différence entre la chaleur moyenne et l'humidité moyenne de l'atmosphère terrestre serait suffisante pour nous donner toute l'année un ciel constamment couvert, conservant éternellement la tristesse et la monotonie des sombres journées d'automne. La Terre eût facile- ment pu se trouver dans ce cas. Quelle différence en serait résultée dans l'histoire de l'humanité ! L'astronomie ne serait probablement pas encore née, l'humanité n'aurait jamais vu ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles, et les connaissances humaines, la philosophie, les re- ligions et la politique elle-même, seraient absolument différentes de ce qu'elles sont sur notre planète. Mais pour en revenir à Mercure, sans doute l'accroissement de l'humidité de l'air causerait jusqu'à un certain point une augmen- tation correspondante de température, parce que la vapeur aqueuse exerce un plus grand effet en empêchant le rayonnement de la cha- leur reçue qu'en arrêtant les rayons solaires à leur arrivée. Mais de même qu'un jour nuageux n'est pas nécessairement ni même ordi- nairement un jour de chaleur, il pourrait parfaitement arriver qu'une atmosphère assez dense pour être constamment couverte de nuages servît de toit protecteur contre l'intensité de la chaleur so- laire. Ces vues théoriques conduiraient non pas à assigner les at- mosphères les plus denses aux planètes les plus éloignées du Soleil, comme plusieurs astronomes l'ont fait, mais à voir au contraire dans une enveloppe atmosphérique de grande densité, les moyens de préserver les habitants de Mercure et de Vénus contre la force rayonnante d'un foyer trop voisin et trop brûlant ('). N'oublions pas toutefois de remarquer ici que dans toutes ces considérations, nous agissons en vertu de la méthode scientifique humaine, en nous met- tant à la place de la Nature, et qu'il est très possible (pour ne pas (0 Proctor, The Orhs aroimd us. CONDITIONS DE LA VIE SUR MliUCLKE dire certain) que la Nature agit sur les autres mondes par do.s moyens qui nous sont inconnus. Mais c'est la seule manière qui nous soit donnée d'étudier et de discuter les conditions de la vie à la sur- face des autres mondes, et quoique nos raisonnements ne puissent pas être absolus, eux seuls cependant peuvent nous faire approcher de la vérité. Quoique la planète Mercure ne suit pas facile à observer, parce qu'elle s'élève très peu au-dessus des brumes de l'horizon, et que d'ailleurs c'est la plus petite des planètes (exception faite des frag- ments qui gravitent entre Mars et Jupiter) ; cependant autant qu'on en peut juger par son aspect, son atmosphère est en réalité beau- coup plus dense que la nôtre, et elle paraît couverte de masses nuageuses considérables. On peut même déjà penser qu'il y a ordi- nairement dans cette atmosphère, non pas une seule, mais plu- sieurs couches de nuages, et que ces couches ne sont pas unies et fermées, mais composées d'éclaircies, les nuages supérieurs proje- tant de l'ombre sur les inférieurs; car la planète ne nous réfléchit pas autant de lumière que si elle était entièrement enveloppée dans une sphère de nuages se touchant. La lumière maximum que nous puissions recevoir d'un globe d'un volume déterminé, placé à telle ou telle distance du Soleil, serait celle qui proviendrait d'un globe environné de nuages blancs. Or Mercure ne nous réfléchit certaine- ment pas la même proportion de lumière que plusieurs autres planètes. Il devrait être, dans sa position la plus favorable, le plus brillant des astres planétaires, quoique vu comme il l'est toujours sur le fond éclairé du crépuscule ; car le calcul montre qu'au péri- liélie et à sa plus grande élongation du Soleil, il devrait offrir un l'clat deux fois plus grand que Jupiter lorsque celui-ci est à son op- position (en supposant aux deux planètes une égale faculté de réflexion); mais la planète Mercure est en réalité beaucoup moins lumineuse. On a pu le constater, entre autres, comme je l'ai fait moi-môme ('), dans la soirée du 17 février 18(58 : ce jour-là les deux planètes se sont trouvées voisines dans le ciel (en perspective), et quoique Jupiter ait été alors fort éloigné de sa période d'éclat maximum, cependant Mercure, qui était précisément à cette pé- (1) Voyez mes Études sur FAslrononiie, t. IM, p 1 j7. CONDITIONS DK LA VIF, SUR MERCURE riode d'éclat, était beaucoup moins brillant que Jupiter. A la même époque, Vénus vint à passer aussi près de ces planètes : elle les éclipsa toutes les deux par sa vive et blanche lumière : à côté de Ju- piter, elle faisait l'effet d'une lumière électrique à côté d'un bec de i^az. Elle était blanche et limpide comme un diamant lumineux; Jupiter, jaunâtre et presque rouge; Mercure, hipn moins brillant encore que Jupiter, et plus roux. Dans une autre circonstance, l'éclat de Mercure a pu être comparé à celui de Saturne : il est plus brillant que cette pâle et sombre planète. Ces deux astres sont passés l'un devant l'autre en 1832, et deux astronomes, Béer et Madler, ont comparé leur lumière. Sa- turne auprès de Mercure présentait un globe pâle et sans éclat. Celui-ci offrait un éclat inégal, et resta parfaitement visible après le lever du soleil, tandis que le premier disparut à la vue. Mercure était alors éclairé d'un peu plus de la moitié. Cette lumière conduit à penser que l'atmosphère de Mercure est parsemée de nuages qui forment écran au Soleil si voisin qui l'é- claire, et qui projettent de l'ombre les uns sur les autres. L'analyse des détails de l'organisme vital nous invite également à voir sur ce monde des êtres nécessairement différents de nous sous le rapport de la différence des milieux. Ainsi, par exemple, les yeux des Mercuriens s'étant formés au sein d'une intensité lumi- neuse beaucoup plus élevée que celle qui existe sur la Terre, sont moins sensibles que les nôtres, soit que l'ouverture de la rétine soit plus petite, soit plutôt que le nerf optique jouisse d'une moindre impressionnabilité. Il est probable qu'ils ne distinguent pas les étoiles de la cinquième et de la sixième grandeur, tandis que les habitants d'Uranus et de Neptune distinguent sans doute facile- ment celles de la septième et de la huitième. Ainsi, en résumé, quant aux conditions de la vie à la surface de la planète Mercure, elles sont fort différentes de celles de la Terre. La température doit y être pl^is élevée, malgré les nuages de l'at- mosphère ; les saisons y sont plus marquées et surtout plus rapides qu'ici : chaque année ne compte que 88 jours, et un centenaire n'a que vingt-cinq de nos années ; la planète est petite, et les provinces qui la partagent ne peuvent avoir qu'une faible étendue. Les maté- riaux dont sont composés les êtres et les choses sont un peu plus CONDITIONS DE LA VIE SUR MERCURE denses que les nôtres, mais la pesanteur y est presque moitié plus faible qu'ici. Ce monde présente donc de grandes différences avec le nôtre. 11 serait eu vérité difTicile qu'il en fût autrement. Mais ces différences doivent-elles nous conduire à l'idée que la vie ne puisse- pas exister à la surface de cette planète? Assurément non : le spec- tacle de la Terre seule suffit pour nous montrer que les formes de la vie dépendent des conditions au milieu desquelles elle se trouve, et qu'elle varie lorsque ces conditions diffèrent. La vie actuelle de la Terre n'est pas du tout la même qu'elle était pendant les époques géologiques, où la température était beaucoup plus élevée et l'at- mosphère beaucoup plus chargée que de nos jours. Aujourd'hui même elle varie singulièrement suivant les climats, et surtout sui- vant les milieux. : un être organisé pour vivre sur la terre ferme meurt s'il est plongé dans la mer; de même que l'habitant des eaux rend son dernier soupir lorsqu'il est sorti de son élément. Les forces de la nature produisent des effets différents suivant les cir- constances, et ce serait étrangement juger de leur puissance comme du but général de la création, que de prétendre que le globe de Mercure ne soit qu'un désert stérile parce que ses conditions vitales différent de celles de la Terre. CHAPITRE ÎV Les habitants de Mercure. — Les forces de la nature et les formes organiques. Les humanités planétaires. — Le séjour de Mercure. Le Ciel et la Terre vus de ce monde. La vie éclose sur Mercure est-elle partagée comme ici en deux rognes, et le règne animal comme le règne végétal y sont-ils eux- mêmes partagés comme ici en espèces aquatiques et en espèces continentales? C'est ce que nous ne pouvons décider, quoique jus- qu'à présent les naturalistes et les astronomes se soient accordés à penser que ces distinctions soient forcées et inévitables. Mais pour- quoi la Nature ne prodairait-elle pas des êtres absolument différents de tout ce que nous connaissons sur la Terre, et qui ne soient ni des animaux, ni des plantes? Ici les plantes ressemblent à des êtres endormis dans l'attente de la vie animale ; ailleurs ne sont-elles pas animées elles-mêmes ? Sur cette planète comme sur la nôtre, la division du travail dans la nature a-t-elle abouti à ces distinction'? si profondes entre les genres : insectes butinant sur les fleurs, oiseaux s'élevant jusqu'aux nues, poissons habitant sous les eaux? La vie s'y entretient-elle comme ici par la déplorable destruction mutuelle des proies? S'y transmet-elle comme ici par l'agréable séparation des sexes?... Nous avons discuté plus haut dans sa valeur physiologique générale le problème de la vie extra-terrestre, et nous avons comprisqueles causes étant différentes d'une planète à une autre, les effets y sont nécessairement différents eux-mêmes. Lors donc que nous parlons ici des hommes de Mercure, de Vénus ou d'uni; autre planète, nous n'entendons point que ces êtres soient LES HABITANTS DE MERCURE faits comme nous; qu'ils aient deux yeux, deux oreilles, deux bras et deux jambes, des poumons, un estomac, un tube digestif (I), ni que leur physionomie ressemble en aucune façon à la nôtre. Nous donnons dans chaque planète le nom de race humaine à la race ani- male supérieure et raisonnable qui s'est élevée au-dessus de ses an- cêtres et qui vit par l'intelligence. Les hommes des autres mondes ne peuvent pas nous ressembler. Si nous connaissions exactement les causes qui ont amené la vie terrestre à l'état où nous la voyons aujourd'hui, et les causes cor- rélatives existant sur les autres mondes, nous pourrions par l'ana- lyse et la synthèse commencera deviner l'état et les formes de la vie sur ces autres mondes. Pour Mercure en particulier, qui est une des planètes que nous connaissons le moins, nous pouvons seule- ment conjecturer que les conditions de la vie y étant moins favorables qu'ici, ses habitants doivent être inférieurs à nous comme sensi- bilité et comme intelligence, différer beaucoup de nous par leur forme, y être plus solidement construits et pourtant plus légers et plus agiles, et vivre plus rapidement. Toutefois la respiration a dû jouer comme ici un rôle dominant dans l'organisation des êtres. On n'a pas toujours compris ces différences inévitables. Dans son Cosmothéôros, l'illustre astronome Huygens, inter- prétant un peu trop à la lettre la philosophie de la Nature, siippose qu'il y a dans les planètes des plantes, des animaux et des hommes absolument organisés comme nous. On en jugera par les seuls tit7'es de ses chapitres, que nous traduisons ici. Ils sont curieux : « 1" Excellence des choses animées au-dessus des pierres, des mon- tagnes, des rochers, etc., etc. Les planètes doivent avoir des choses ani- mées aussi bien que la Terre, et qui soient de la même espèce que celles que nous voyons ici-bas. 2° L'eau est le principe de tout ce qui s'engendre sur la Terre. Il y a des eaux dans les planètes; leurs usages pour la production des choses animées. 3° Les animaux croissent, multiplient, dans les planètes, de la même manière qu'ils croissent et multiplient sur terre. La manière dont ils se meuvent d'une place à une autre. 4° Diiïérence des animaux, des arbres et des plantes qui sont dans les planètes, par rapport à ceux qui sont sur la Terre. 5° 11 y a des hommes qui habitent les planètes. Principes qui établissent TERRES DU CIEL 4S LES HABITANTS DE MERCURE cette vérité. L'homme, quoique vicieux, est toujours une créature consi- dérable et la principale du monde. 6° Les hommes qui habitent les planètes ont la raison, l'esprit, le corps de la même espèce que ceux qui habitent la Terre. 7* Les sens des animaux raisonnables et de ceux qui sont privés de la raison, qui vivent dans les planètes, sont semblables à ceux de la Terre. Explication des sens. 8° Les animaux ne doivent pas être de différentes tailles dans les pla- nètes, de celles qu'ils ont sur la Terre. La grandeur et l'excellence de l'homme. Il y a dans les planètes des hommes qui cultivent les sciences. 9' Les habitants des planètes doivent avoir des mains pour se servir des instruments de mathématiques ; l'usage et la nécessité des mains à l'homme raisonnable. Dextérité de l'éléphant à se servir de sa trompe comme d'une main. Supériorité de la main. 10° Ils otit comme nous besoin d habits. Nécessité et utilité des vête- ments. La grandeur et la forme du corps des habitants des planètes sont semblables au nôtre. 11° Le commerce, la société, la paix, la guerre, les autres passions et les charmes de la conversation existent là comme ici. 12° Us se bâtissent des maisons selon tart de F architecture^ connaissent la marine, la navigation, la géométrie, la musique, etc. » Un tel anthropomorphisme pèche par la base. Aller aussi loin que notre astronome et que d'autres colonisateurs sidéraux serait cer- tainement dépasser les limites de la science; loin de voir partout des hommes identiques à nous, nous devons, répétons le, être con- vaincus que la vie revêt toutes les termes imaginables — et même inimaginables. — Mais Huygens s'est occupé des habitants des pla- nètes avec autant de soins et de prévenances que s'ils étaient de sa famille ; il ne les laisse manquer de rien ; à tout prix il faut qu'ils soient heureux et qu'ils nous ressemblent (la première proposition lui paraît être la conséquence de la seconde). Il leur donne des navires avec « voiles, mâts, ancres, cordages, poulies, gouver- nails » ; mais il n'a pas songé à la vapeur, et peut-être aujourd'hui nous-mêmes, en les gratifiant de bateaux à vapeur, ne songerions- nous pas à les munir de moteurs électriques. Il est allé jusqu'à cher- cher quelles sortes d'instruments de musique a instruments à cordes, à vent ou à eau » ils ont du inventer, et conclut qu'ils doivent chanter autrement que nous, puisque les Allemands, les Italiens, les Grecs, les Chinois, ont des impressions musicales LES HABITANTS DE MERCURE différentos dos nôtres, mais que pourtant la nature de leurs instru- ments ne peut différer beaucoup de celle des nôtres. Il veut aussi que nos cousins des autres mondes aient du lin, du chanvre, de la laine, des chevaux et des voitures, ce qui le conduit insensible- ment à la création de mondes identiques à celui que nous habitons. Fontenelle avait supposé sur Mercure de petits êtres brûlés par le Soleil, vifs, agiles, toujours remuant, noirs comme les nègres de l'Afrique centrale, dépourvus de mémoire, et fous à force de viva- cité. Au XVIIP siècle, l'auteur anonyme d'un Voyage au monde de Mercure (1750) est entré dans des détails inattendus, et l'on croi- rait qu'il a longuement habité cette planète lorsqu'on lit, par exemple, la description suivante : Les plus hautes montagnes n'excèdent que de fort peu nos collines ; mais quelques-unes ne laissent pas d'avoir, dans cette hauteur moyenne, l'air sourcilleux des Alpes et des Pyrénées. Les arbres les plus élevés le sont à peu près comme nos orangers en caisse, il y a peu de fleurs plus grandes que la jonquille et la narcisse. Les montagnes nombreuses répandent une ombre nécessaire; elles sont presque toutes couvertes d'arbres chargés de fleurs éternelles. Les habitants sont moins grands que nos hommes de la plus petite taille, et ils atteignentau plusà celle d'un enfant de quinze ans. Ils ressemblent aux idées charmantes que nous nous faisons des zéphyrs et des génies. Leur beauté ne se fane qu'après plusieurs siècles : la fraîcheur, la santé et la délicatesse y paraissent comme inaltérables. S'il arrive pourtant, par quelque erreur de la nature, que quelqu'un ait sujet de n'être pas content de sa figure, ils peuvent en changer à volonté. Tout ce petit peuple a des ailes, dont il se sert avec une grâce et une agilité merveilleuses. Les femmes aiment beaucoup sortir avec leurs ailes, soit pour satisfaire un nouveau goût, soit pour chercher de nou- veaux plaisirs. Un seul souverain règne sur Mercure; les divers royaumes ne sont que des vice-royautés. La famille souveraine descend du Soleil, et la tradition conserve le souvenir de l'apparition du premier empereur : une ville capitale descendit des cieux sur un nuage éclatant, et sous les yeux des Mercurieus se fixa au centre du continent. Ces empereurs ne régnent ordinairement que cent ans. Ce teripe e.xpiré, ils retournent au Soleil, laissant sur Mercure leur corps pétrifié, dans l'attitude qui lui était la plus ordinaire. Ce corps incorruptible ne perd rien des agréments qu'il possédait étant animé; excepté la parole et le mouvement, il conserve tout le reste: le coloris, la fraîcheur, le brillant des yeux et l'éclat du teint. Tous les empereurs sont gardés dans une galerie destinée à ce seul usage. 380 LES IIABIlAiNTS DE MERCURE Ce qu'il y a de très remarquable dans la constitution des habitants de Mercure, c'est qu'ils sont absolument maîtres de tous les mouvements qui se font dans leur corps. Ils règlent la circulation de leur sang selon ce qu'ils ont dessein d'en faire; ils entretiennent leur estomac par l'usage de certains élixirs dont l'effet est immanquable. Tous les ressorts qui refu- sent si souvent de nous obéir, sont chez eux soumis à la volonté. Ces habitants ne dorment jamais : la proximité du Soleil entretient un mouvement perpétuel dans la planète, qui ne peut être ralenti que par de grands accidents, et alors tout ce qui tombe dans l'inaction se trouve dans un péril manifeste. C'est pourquoi l'un des plus grands supplices auxquels on condamne les criminels, c'est de dormir un certain nombre de jours. L'état de l'âme règle l'état du corps. Un présomptueux, par exemple, enfle comme nos hydropiques, etc. La nature a pris soin elle-même de préparer et d'assaisonner d'une manière exquise les repas de ces heureux habitants. Il n'en coûte point la vie aux animaux, comme dans notre monde; au contraire, ce sont eux qui ont soin de la nourriture des hommes. Sur le sommet de chaque montagne croissent des mets précieux. De grands oiseaux domestiques, sur un signe, partent à la recherche d'un fruit et le rapportent; de sorte qu'en se rangeant autour d'une table vide et en envoyant ces aigles avec la carte, ils rapportent immédiatement de quoi couvrir la nappe des primeurs les plus succulentes, etc., etc. On le voit, les colonisateurs de planètes ont beau vouloir s'affranchir des idées terrestres, leurs créations ne sont jamais que des dévelop- pements ou des transformations des choses de la nature terrestre. Heureux quand ce ne sont pas des déformations. Sans reproduire ici les images sous lesquelles ces colonisateurs ont essayé de représenter des conceptions qu'ils croyaient étrangères à notre planète, nos lec- teurs ne trouveront peut-être pas inopportun d'en voir figurer ici, cntr'autres, deux spécimens assurément fort originaux. Cet Aomme- plante et cet homme-guitare, sont, peut-être, parmi toutes les relations de voyages imaginaires, les types qui ont la prétention de s'éloigner le plus possible des formes physiologiques de l'homme terrestre; c'est à ce titre que nous les présentons ici. Le premier coup d'oeil suffit néanmoins pour établir que ce sont là de simples monstruosités ('). (') Ces deux figures d'hommes extra terrestres, sont tirées de l'ingénieux roman de Holberg, le Molière danois : Voyage de Nicolas Klimius dans les planètes souterraines. Copenhague, 1741. Cet ouvrage du baron Holberg est l'un de ceux qui ont eu le plus de succès au siècle dernier. C'est une fiction fme et profonde. LKS IIAIUTAMS DE MEUCUHE 11 nous est de toute impossibilité do deviner les formes organiques qui pi'iiveut peupler les autres planètes; mais ce que nous savons, c'est (|ue CCS l'ornies sont nécessairement appropriées aux conditions organiques spéciales de cliaquo monde, et ipie les (/i//crences inévitables de ces conditions ont amené des dicr/sifés corrélci" tices dans L'organisation des êtres. Les corps dill'érent des nôtres, mais non les âmes, ni les principes cOt^Ca/. ■^ 'êêMkà c^2^aU7'e ~(Ju7t<^'^ûtu.cai ■ - litz^àb itan t au, -pcus ItCOi Fig. 171. — litres imaginaires empruntes à un voyage dans les planètes (IIuldciig, l'il.) de la raison; car il ne peut exister entre les esprits que des degrés, et non des dissemblances. Tandis que partout les hommes ne man- gent pas, que partout ils ne marchent pas sur deux pieds, que partout ils n'ont pas nos dents, notre chevelure, nos oreilles ou nos yeux; partout au contraire ils raisonnent en vertu des mêmes principes absolus : sin- tous les mondes 2 et 2 font 4; partout les trois angles d'un triangle valent deux angles droits; partout aussi la conscience s'apiu'oche plus ou moins des mêmes vérités morales absolues. Si les corps différent, toutt^s les âmes pensantes de l'univers sont sœure. LKS HABITANTS IlE MERCCRK Les habitants de Mercure ont dû conclure des variations cons- tantes du disque solaire, l'opinion que l'astre du jiiur ne peut pas subir lui-même ces variations, mais que c'est sa distance qui varie d'un jour à l'autre. Ils auront admis que le Soleil tourne autour d'eux, non suivant une circonférence, îTiais suivant une ellipse, dans la période de 87 jours mercuriens dont se compose leur année. Fig. 175. — Le système du monde pour les habitants de Mercure. Pour les planètes, il les auront fait tourner régulièrement autour de leur monde pris pour centre. Et sans doute aussi, ils auront placé le trône du Très-Haut, et le « paradis » au delà de la sphère des étoiles fixes. Le ciel étoile est exactement le même, vu de Mercure et vu de toutes les planètes, que vu de la Terre. Les étoiles sont si éloignées du système solaire [la j^ht» J)roche gisant au delà de 8000 milliards de lieues), que les perspectives ne changent pas, qu'on les voie de la Terre, de Mercure, d'Uranus, ou même de Neptune. Les constellations LES UAlilTAMS DE MtllCUKb du ciel do Mercure, sont donc les mémos que les nôtres. Là comme ici on voit piimer au sommet des cieux les sept étoiles de la grande Ourse; là comme ici trônent au sein de la nuit silencieuse les splen- dides étoiles d'Orion, suivies par l'étincelant Sirius, précédées par les douces et contemplatives Pléiades; là comme ici Arcturus, Véga, Procyon, Capella, versent du haut des plaines éthérées leur mélan- colique pluie de lumière. Mais ce ne sont pas les mêmes noms qui les distinguent. Quelles formes a-t-on reconnues, quelles similitudes a-t-on trouvées, quelle histoire a-t-on conservée sur ces célestes archives? et quelle langue ou quelles langues parle-t-on en ce monde voisin du Soleil?... Lorsque Mercure se trouve sur son orbite entre le Soleil et nous, on ^. f - (■ » ■■;# V. . ... ... ...; ; , -4/ t' 1_ ■ Fig. I'6. — Marche de la pianote Terre dans le ciol des babibnls de Mercure. voit de là notre planète à 20 millions de lieues au minimum. A cette distance, la Terre est une belle étoile de première grandeur, brillant dans le ciel de Mercure exactement comme Jupiter brille dans notre ciel. L'étoile Terre est la seconde étoile de leur ciel, comme éclat, car Vénus la surpasse et Jupiter ne l'atteint pas; elle se déplace le long du zodiaque, et c'est ainsi que les astronomes de Mercure auront reconnu que c'est une planète. Pendant le cours d'une année merrurienne, elle décrit dans li' ciel la singulière route tracée ici (^,7. 17G.) Ainsi la Terre est pour les hal)itanfs de Mercure une planète extérieure, dont le maximum d'éclat et la meilleure condition de visibilité se présentent lorsqu'elle se trouve en opposition avec le LES HABITANTS DE MERCURE Soleil, c'est-à-dire lorsqu'elle brille au milieu du ciel à m'.nuit pour l'hémisphère nocturne de Mercure. Elle fait alors à l'œil nu l'effet d'une magnifique étoile. C'est ce que nous avons essayé de représenter par notre dessin {fig. 177) où l'observateur, transporté sur Mercure à minuit, peut chercher et reconnaître à son éclat notre planète brillant au milieu des constellations zodiacales. Tel est l'aspect de la Terre à l'œil nu, vue de Mercure. Que pensent de nous les philosophes de cette planète? Supposent-ils que cet astre soit habitable et habité? Ont-ils des savants qui démontrent que la Terre est un désert glacé et stérile à cause de son éloignement du Soleil? Ou bien permettent-ils à la Nature d'avoir une puissance suffisante pour peupler tous les mondes? Oui, sans doute, ils croient la Terre habitée, et comme elle est un astre brillant dans leur ciel, ils l'ont divinisée, comme nous avons divinisé nous-mêmes leur planète, et pensent que dans une telle splendeur cette terre céleste ne peut être que le séjour de la lumière, de la paix et du bonheur... ■Qu'ils seraient désabusés, s'ils pouvaient nous voir d'un peu plus prés ! Si la science de l'optique a fait sur cette planète les progrés qu'elle a accomplis sur la nôtre, les télescopes des astronomes de Mercure, grossissant l'image de la Terre, comme nous le faisons pour Mars et pour Jupiter, auront permis de découvrir nos taches permanentes, nos continents et nos mers, malgré les nuages qui les masquent si souvent. L'aspect des deux Amériques est celui qui aura le premier frappé les astronomes mercuriens. Ils auront pu dessiner peu à peu la géographie de la Terre, comme nous avons dessiné celle de la Lune et celle de Mars. Les bonnes vues doivent distinguer à l'œil nu, à côté de la Terre, la Lune comme un point lumineux oscillant de chaque côté d'elle, à l'est et à l'ouest. Mais l'astre le plus magnifique de leur ciel étoile est sans contredit la planète Vénus, dont l'éclat peut en certaines époques resplendir d'une lumière dix à douze fois plus grande que celle que Jupiter nous envoie. Mars y paraît moins brillant que vu d'ici; Jupiter et Saturne offrent à peu près le même aspect que vus de notre séjour. G' est ainsi que toutes les planètes gravitent simultanément dans le Ciel, et que leurs habitants contemplent, sans se connaître et sans se voir, leurs séjours célestes réciproques. Ces vérités modifient LE .MONDE DEM E II C i; I! E sensiblement les croyances fondées sur la prétendue dualité du Ciel et de la Terre. Il n'est pas tout à fait indifférent à la philosophie de savoir que nous sommes actuellement dans le Ciel, oui, actuelle- ment, tout aussi complètement que chacun de nous pourrait y être dans un siècle, après avoir quitté la Terre, ou que les êtres qui habitent Sirius ou les royaumes de la Voie lactée. En résumé, si nous récapitulons les conditions qui caracté- risent le si^jour mercurien, nous avons sous les yeux la situation suivante : ÉTAT l'AUTICrLIEIl DU MUXUK DE MERCltlE Durée certaine, de l'année. . . . 8S jours teiTestres, un inuiiis de trois mois. Durée probable du jour 24 heures 21 minutes. Nombre de jours dans l'année. 87. Saisons Analoi^iies aux nôtres, mais très rapides : 22 j;iurs. Atmosphère Probablement plus dense et plus élevée que la noir ;. Température moyenne Probablement plus chaude que la nôtre. Densité des matériaux j plus forte qu'ici = 1,37(), celle de la Terie étant 1,000. Pesanteur <à sa surface. .... -i^ plus faible qu'ici = (),.j2I, celle de l;i Terri' étant 1,000. Dimensions de la planète Inférieures à celles de la Terre. Diamètre = 0,378, ou 1200 lieues. Tour du monde de Mercure. . . . 3780 lieues. Diamètre moyen du Soleil. . . . Presque 3 fois plus large que vu d'ici. = 1° 23'. Diani. niaxinmm de la Terre. . . = 20". Brille dans le ciel comme une étoile de pre- mière grandeur. Tel est l'état particulier du monde de Mercure. Il est probable que la Nature a su approprier à cet état des êtres en harmonie avec ces conditions d'habitabilité. A chaque pas, sur la Terre, la contemplation de la nature nous offre des témoignages nouveaux en faveur de cette belle et grande doctrine de la vie universelle, témoignages qu'il est difficile de ne pas recevoir et de ne pas comprendre. Il y a quelques jours encore, il me semblait entendre une de ces voix de la Nature annonçant la vérité à tous ceux qui l'écoutent dans la simplicité de l'esprit. Dans une promenade solitaire le long des plages de la basse Bretagne, je contemplais l'Océan immense, ayant sous les yeux le golfe qui s'étend de l'embouchure de la Loire à celle de la Vilaine, et je m'étais assis au sommet d'un amoncellement de rochers que la LA NATURE, — CONTEMPLATION haute mpr couvre de ses flots, mais qui à marée basse restent sur la rive sablonneuse comme les témoins pétrifiés de; quelque antique cataclysme. La plage était couverte de coquillages, hier vivants, aujourd'hui vides; le sable lui-même fourmillait d'animalcules dan- sant aux rayons du soleil couchant; les flaques d'eau laissées par la mer entre les roches étaient peuplées de petils poissons, de cre- vettes sillonnant l'eau limpide, et de crabes qui se poursuivaient les uns les autres; quelques marsouins, annonçant une tempête qui éclata la nuit suivante au milieu des flammes d'une mer phospho- rescente, s'avançaient jusqu'aux derniers rochers battus par les vagues. On entendait au loin les petits oiseaux des bois gazouillant leurs dernières notes du soir... Il n'était pas difficile à l'imagination d'aller au delà du visible, et de contempler l'Océan tout entier peuplé d'espèces animales et végétales plus nombreuses que les étoiles que nous voyons au ciel. Les sondages merveilleux opérés depuis quelques années sous toutes les latitudes océaniques déroulèrent dans ma mémoire le riche tableau de leurs découvertes, apprenant à la science classique qu'elle s'est trompée jusqu'ici en imposant une limite au développement de la vie, et que les abîmes de la mer sont peuplés à toutes les profondeurs d'êtres organisés pour vivre dans leur sein... abîmes noirs, éternellement obscurs, où des mollusques fabriquent de la lumière et ont des yeux pour la sentir!... profon- deurs supportant des pressions inouïes capables de faire éclater de massives pièces d'artillerie ^ et habitées par de charmants êtres, délicats, frêles, décorés de légères broderies, et se jouant dans ce lourd milieu comme les papillons sur les fleurs! Et tandis que l'Océan immense m'apparaissait peuplé comme la terre et l'air d'êtres sans nombre, depuis la baleine jusqu'à l'infusoire micros- copique dont les légions brûlent le soir dans les vagues agitées, mes yeux s'arrêtèrent sur le rocher où j'étais assis, et s'aperçurent qu'il était vivant lui-même ! Oui, ce bloc de pierre était tout entier recouvert cV êtres vivants, de la grosseur de grains de chénevis, amoncelés sur toute sa surface : pas un centimètre carré n'était perdu, et c'étaient ces petits crustacés qui lui donnaient sa teinte grise. Mais ce rocher n'est pas unique : toutes les roches qui m'entouraient offraient le même tableau, étaient habitées par le LA NATURE. — CONTEMPLATION. même animal. Or, ces roches occupent tout le rivage, sur une lon- gueur de plusieurs kilomètres. En ne comptant que quatre coquilles par centimètre, soit 16 par centimètre carré, on en trouve 160,000 par mètre carré, c'est-à-dire que sur ces seuls rochers, cette espèce vivante règne sur une couche de milliards de milliards d'individus ! Et qu'est-ce, sur la Terre, que ce point d'un rivage solitaire, remar- qué par hasard? Un rien en vérité. Mais quoi ! ces rochers eux-mêmes renferment mille débris d'espèces fossiles qui se sont succédé pendant les longs siècles des périodes géologiques, et dont les squelettes entassés forment des montagnes telles que les Alpes et les Pyrénées ! « La pierre, la terre, l'eau, l'air, tout est plein d'êtres ! pensais-jc en me sentant ainsi entouré de toutes parts par la vie. Dans le temps comme dans l'espace, la vie règne en souveraine, et lors même que les corps célestes ne seraient que des rochers comme ceux-ci, la nature nous témoigne qu'elle ne les aurait point laissés stériles et déserts. Il faut que la vie apparaisse, il faut qu'elle s'éveille, il faut qu'elle éclate, il faut qu'elle s'élève dans le Progrès; car c'est elle vraiment qui existe, et le monde matériel n'est que son support... » Je pensais ces choses en reprenant le chemin des dunes, quand mes yeux, s'élevant vers l'occident encore rouge des dernières lueurs du soleil couché, y reconnurent Mercure, qui brillait comme un phare dans le crépuscule, où deux étoiles seulement, Arcturus et Véga, étaient allumées... «Tu nous regardes, m'écriai-je, ô silencieuse planète! et tu nous vois de loin briller dans ton ciel; mais tu te caches pour nous dans la lumière de ton beau soleil, et tu voiles discrètement pour nos yeux mortels la forme de ta patrie. Nous ne pouvons distinguer tes continents et tes mers, tes forêts et tes cam- pagnes, ni cueillir encore les fleurs enchanteresses de la vie qui palpite sur ton sein. Mais la Nature qui t'a enfantée est la même mère qui a enfanté la Terre, et les leçons qu'elle nous donne ici sont faites pour nous apprendre à apprécier toutes ses œuvres. En brillant ce soir au-dessus de cette plage inondée de vie, tu viens toi-même de compléier ma pensée, et de t'associer à la voix im- mense qui monte de l'Océan, des rivages et de la Terre vers le Ciel, pour célébrer V hymne universel de la vie infinie. » LIVRE IV LA PLANÈTE QUE NOUS HABITONS r i'' .f LIVRE IV LA PLANÈTE QUE NOUS HABITONS CHAPITRE PREMIER La Terre, astre du ciel. Apivs avoir visité les planètes Mars, Mei-curc et V(''nus, nous al- lons, sans nous arrêter au Soleil, qui n'est pas une « Terre du eiel » e^ dont la description a été donnée en détail dans V Astronomie popuhiirc, nnus diriger vers les planètes extérieures de notre sys- tème, en nuus arrêtant toutefois un instant sur la Terre et un peu plus longtemps sur la Lune. Il peut paraître surprenant aux yeux d'un grand nombre de voir figurer la Terre que nous habitons parmi les sujets d'un traité d'as- tronomie, et de la voir classée ici au milieu des astres du Ciel, comme toute autre planète. Cependant ricMi n'est plus logique, et cet ouvrage ne serait ni complet ni exact, si ikuis oubliions le globe qui porte nos destinées. Notre petit plan 17/7. 170) représente nos stations successives. 11 est tracéàl'échellrdi' 1""" jwiui •> millions de lieues. Lorsqu'on part du Soleil pour visiter successivement les provinces ^\^' sa répulilique, la Terre est la troisième province que l'on ren- contre. Elle marche accompagnée de la Lune. C'est uui" planèlr |.\ TEUlîK, ASÏll K l>r t.ltl- au .nèrne titre qu. l.s autres, ai plus m muu.s uuportante qu vo.'ue comme ses sœurs sous la puissante et douce mflueuce .l. a ..rivitati.,n universelle, vibre dans sa note particulière au milieu du '"l'M. Pj., ,:;i.-"iWle de la Terre et des planètes voisines. (Échelle l'»"'=:!™'l'">°"''^ ""'"*'■ divin concert, tressaille sous les ^-'-'''"f ""!■'": "^"Z^ tonmo avec rapidité dans Vespace, et d-'"»»»^ -^ "^^^'^/'i^ nt^s succession de ses mouvements, leurs années, leurs ^a,sons et . jours. LA TERUK, ASTllE DU CIEL Oui, ce globe autour duquel végètent un milliard quatre cents mil- lions de petits êtres humains prétendus raisonnables, est un astre du Ciel, isolé de toutes parts dans le vide infini, situé à 37 mil- lions de lieues du Soleil, et tournant autour de lui à cette distance, en une révolution qui demande 365 jours 6 heures 9 minutes 10 secondes pour s'accomplir. Il y a même une importance philosophique si capitale à considérer la Terre comme un astre, que ce fait renferme en lui la plus grande révolution que rimmanité ait jamais accomplie, et que le résumé des efforts faits par l'esprit humain pour le découvrir et s'en convaincre donnerait le tableau de toute l'histoire astronomique et religieuse de notre monde. La première défense que les représentants du dogme chrétien firent à Galilée, en commettant la faute si grave de le con- damner, fut de lui interdire de donner le nom d'astre à la Terre, car ils sentaient déjà que les sublimes vérités de l'astronomie al- laient modifier profondément les anciennes croyances fondées sur une prétendue supériorité de la Terre et de l'Homme dans la créa- tion. Toutes les idées vulgaires issues des apparences tombent devant ce simple changement de mot. Il est incontestable que le premier pas, et le plus difficile, que doit faire tout homme désireux de con- naître la vérité, c'est de s'efforcer de se représenter exactement comment la Terre est posée dans l'espace; de s'affranchir absolu- ment de son patriotisme de clocher; de ne plus se supposer habiter un séjour privilégié ; et de voir les choses de haut et dans leur en- semble, comme s'il arrivait d'une autre région de l'infini. Posons- nous donc ici ces deux grandes questions qui se complètent l'une l'autre : Qu'est-ce que la Terre et qu'est-ce que le Ciel ? Parmi les hommes, ou du moins parmi les hommes qui pensent et qui se sentent à certaines heures de la vie animés du noble désir de connaître, il en est peu qui ne se soient demandé avec une inquiète curiosité ce que c'est que ce Ciel dont notre habitation terrestre est couronnée. Soit au milieu de la splendeur des jours, lorsque ce ma- gnifique azur plane glorieusement sur nos têtes et qu'à peine de légers flocons d'argent y dessinent leur contraste ; soit au recueille- ment du soir, quand l'astre brûlant descend majestueux dans son lit de pourpre aux franges d'or, et que la lune rougissante apparaît TERI'.ES DU CIEL. 50 LA TElUtE, ASTQE DU CIEL au levant derrière les montagnes; soit au sein des nuits silen- cieuses, lorsque les étoiles scintillantes versent dans l'espace leur mélancolique pluie de lumière: en ces instants de contemplation et d'entretien avec la nature, l'âme se sent anxieuse de sonder les mys- tères de la création ; elle reconnaît que l'ignorance est un état in- férieur, et qu'il doit être doux et satisfaisant de savoir; elle de- mande à l'Être universel qui respire en toutes choses la révélation de ses œuvres, et la curiosité devient presque pour elle un énergique besoin de sortir des ténèbres et de saisir dans sa grandeur l'ordre et le cours de l'immense univers. Efforçons-nous donc de nous élever au-dessus des apparences, affranchissons-nous des illusions des sens, et apprenons à juger dans leur beauté les réalités absolues de la création. Les poètes de l'anti- quité et des temps modernes se sont imaginé que la fiction était plus belle et plus séduisante que la vérité ; ces poètes se sont trom- pés. Comme l'exprimait un mathématicien profond, Euler: pour celui qui sait comprendre la science, la nature telle qu'elle est dé- passe de cent coudées toutes les fables et toutes les créations hu- maines. Notre vue, bornée à la sphère oîi nous sommes, nous montre au- dessus de nos têtes un pavillon bleu, emnchi pendant les ténèbres d'une multitude de points brillants. Nous sommes portés à croire que c'est là une voûte surbaissée, formée d'une substance aèriforme et enfermant la surface terrestre comme le ferait une coupole im- mense. Tel est en esquisse le système des apparences. C'est celui que nous nous représentions lorsque, enfants, nous raisonnions d'après l'impression des sens. C'est celui que les peuples enfants avaient adopté, car l'humanité est comme un individu qui grandit successivement de la faiblesse ignorante au jugement analysateur. C'est celui qu'un grand nombre d'hommes gardent aujourd'hui même, parce qu'ils ne réfléchissent pas à sa naïveté et restent indif- férents aux progrès des sciences. Souvenons-nous des essais anti- ques de la pensée humaine, depuis les anciens Aryas qui portèrent leurs tontes de fleuve en fleuve au sein des vastes Indes ; depuis les Égyptiens dont les sphinx regardent pensivement l'horizon lointain des grands déserts ; depuis les pasteurs chaldéens veillant la nuit sur les montagnes, depuis les récits du Pentateuque, jusqu'à la LA TERKE, ASTIIE DU CIEL cosmogonie des Grecs, et jusqu'aux craintes léthargiques de notre somlire moyen âge. Dans cet immense panorama rétrospectif de l'hu- manilé, nous voyons dominer les idées fondées sur les apparences. Les systèmes astronomiques diffèrent, il est vrai, dans leur forme, selon les méthodes de raisonnement, selon les latitudes, les tempé- raments, les caractères, les croyances religieuses ; mais au fond on reconnaît que la charpente de tous ces systèmes, estle type que nous venons d'esquisser : la Terre est une surface place indéfinie, entou- rée au delà de ses limites inconnues par des abîmes de ténèbres; le Ciel est un dôme au-dessus duquel les religions ont générale- ment placé le séjour des récompenses après la mort, cumme elles ont placé le séjour des châtiments sous les profondeurs du sol : in inferis. La Terre était fixe et immobile, au bas du monde. De plus, chaque peuple avait naturellement la petite vanité de se croire au milieu de la surface habitée. Au-dessous de cette surface se perdaient les fondations mystérieuses dont parlait déjà Job il y a trois mille ans, lorsqu'il s'écriait : « Où étiez-vous quand je jetais les fondements de la Terre? » On était naturellement convaincu que cette terre était solide, qu'il n'y avait aucun danger à ce qu'elle s'enfonçât, et qu'elle était immuable. Quant à ses limites, les uns la voyaient en- tourée d'océans ou de marais ; d'autres parlaient de ténèbres mélangées avec du mouvement et du repos ; d'autres plus hardis, des moines du X* siècle de notre ère, déclarent que, en faisant un voyage à la recherche du paradis terrestre, ils avaient trouvé le point où le ciel et la terre se touchent et avaient même été obligés de baisser les épaules! Le dôme transparent posé sur le royaume des vivants devint assez sûr lui-même pour servir de base à un royaume de morts, ou plutôt d'âmes trépassées, et plus tard de ressuscites, qui devait durer toute l'éternité. iSos espérances sur la vie future, et notre conception de l'Être suprême, doivent aujourd'hui prendre une tout autre forme : empyrée, paradis, purgatoire, enfer, limbes, ont disparu depuis l'invention du télescope; il n'y a pas d'autre ciel que l'espace au sein duquel nous planons nous-mêmes, et pas d'autres lieux de séjour extra-terrestre que les astres qui gravitent dans l'infini. Comme Mercure, comme Vénus, notre planète plane dans lo Ciel. LA TERKE, ASTRE DU CIEL Il faut que nous voyions clairement eu elle un globe suspendu sans aucune espèce de support, au milieu du vide immense. Nous avons drja vu que pour les habitants de Mars, Vénus et Mercure, elle brille de loin comme une étoile. La, Terre est une sphère isolée dans V espace et cet espace se prolonge à Vinftni dans tous les sens et tout autour d'elle. A t'i/ifinil... et tout autour de nous ! en haut, en bas, de côté, partout. Comment concevoir une telle immensité ? Et qu'est-ce que le globe terrestre au sein d'un pareil abîme?... Supposons que, voulant mesurer cet infini, nous partions de la Terre comme point de dé- part, et que nous nous dirigions vers un jjoint quelconque du Ciel. Eh bien ! quelle que soit la région de l'espace vers laquelle nous nous dirigions en ligne droite et sans jamais interrompre notre course, — lors môme que nous nous enfoncerions dans ce vide avec la vitesse de la lumière, 75000 lieues par seconde, 450000 lieues par minute, 270 millions de lieues par heure, — quel vertige!... nous pourrions voler pendant des jours, des semaines, des mois, des années entières... avec cette vitesse constante... pendant des siècles, pendant des milliers et des millions de siècles... et nous n'atteindrions jamais, y«w«/,s, aucune limite à cette immensité... A mesure que les abîmes se refermeraient derrière nous, d'autres abîmes s'ouvriraient en avant, perpétuellement, sans fin ni trêve, quelque soit le nombre des siècles accumulés en notre voyage ; sans cesse l'immensité resterait béante ; et nous épuiserions plutôt la série des siècles possibles, nous absorberions le temps, nous nous identifierions avec l'éternité, plutôt que de vaincre cette puissance de l'infini, qui, inaccessible, fuirait toujours et toujours... Enfin, nous arrêtant, exténués, repliant nos ailes fatiguées de cet essor séculaire, désespérés du but, nous voulons mesurer du regard et de la pensée l'espace que nous avons parcouru; nous voulons deviner où nous sommes et nous reconnaître... Mais quoi ! nous voici seulement au... vestibule de l'Infini... Que disons-nous au ves- tibule! En réalité, notre long et incommensurable voyage, après des millions de siècles de ce vol insensé, serait identiquement comme si nous étions restés dans le repos le plus complet. Devant l'Infini nous n'aurions pas avancé d'un seul pas ! ! ! Si donc, considérant un instant le globe terrestre comme unique LA TEURE, ASTRE DU CIEL dans cet infini qui l'environno do toutes parts, nous supposions qu'il pût y tomber comme un boulet dans un abîme, ce globe tom- berait, tomberait pendant des siècles de siècles, et continuerait de tomber incessamment, toujours, sans que dans toute la durée de l'éternité il put jamais approclier du fond de l'abîme. Après mille siècles de chute, il continuerait de tomber pendant mille siècles encore, et pendant mille siècles, et cela sans jamais descendre en réalité ! Ce serait absolument comme s'il restait en repos, car, en fait, le chemin qu'il aurait parcouru ne serait jamais que zéro, comparé à l'Infini. Porté dans l'étendue par les lois mystérieuses de la gravitation universelle, notre globe court dans l'espace avec une rapidité que notre pensée la plus attentive peut difficilement saisir. Obéissant au Soleil, il tourne autour de lui à la distance moyenne de 37 millions de lieues, sur une orbite qui ne mesure pas moins de 232 millions 50O mille lieues à parcourir en 365 jours 6 heures. Pour accomplir cette translation, il faut voler avec une vitesse de 643000 lieues par jour, 23800 lieues à l'heure, 29450 mètres par seconde. Le train express le plus rapide, emporté par l'ardeur dévorante de la vapeur aux ailes de feu, ne peut parcourir au maximum plus de 100 kilomètres à l'heure, c'est-à-dire 25 lieues : sur les routes invi- sililes du Ciel, la Terre vogue avec une vitesse 1100 fois plus rapide. La différence est telle qu'on ne saurait l'exprimer géométriquement ici par une figure. Si l'on représentait par 1 millimètre seulement la longueur parcourue en une heure par la locomotive, il faudrait tracera côté une ligne de I mètre 10 centimètres pour représenter le chemin comparatif parcouru par notre planète pendant le même temps. Nulle vitesse appréciable ne peut nous donner une idée de celle, de la Terre. Ajoutons, comme point de comparaison, que la marche d'une tortue est environ 1 100 moins rapide que celle d'un fiain express. Si donc on pouvait envoyer un train express courir après la Terre, c'est exactement comme si l'on envoyait une tortue courir après un train express ! Nous volons, du reste, soixante- quinze fois plus vite qu'un boulet de canon !... Et c'est ce jouet dont les Bibles anciennes faisaient la base de toute la création ! Situés comme nous le sommes autour du globe, mollusques infi- niments petits collés à sa surface par son attraction centrale et -A TERHE, ASÏRt DU CIEL emportés par son mouvement, nous ne pouvons apprécier ce mou- vement ni nous en rendre compte directement. La seule méthode que nous puissions employer pour sentir exactement la condition cosmographique de la Terre, serait de nous supposer placés non plus sur elle, mais à côté, dans l'espace, et immobiles, au lieu d'être, comme nous le sommes, entraînés par son propre mouvement. Ainsi isolés de ce globe, nous pourrions l'observer sans parti pris, sans idée préconçue, et constater son mouvement, étant dans la situation de celui qui voit passer devant lui un train rapide sur une voie ferrée. Ainsi placés dans l'espace, non loin de la route céleste suivie par le globe dans son cours, nous verrions d'abord ce globe venir de loin, soies l'aspect d'u7ie étoile grandissante. Son volume appa- rent s'accroissant à mesure qu'il approche, nous le verrions ensuite avec le diamètre de la Lune dans son plein. Alors déjà nous pour- rions distinguer sa surface, les continents et les mers, le pôle écla- tant de blancheur, l'atmosphère marbrée de nuages. Bientôt le globe, s'entlant davantage, nous apparaîtrait grandissant toujours. Nous reconnaîtrions les diverses parties du monde, les deux vastes triangles verts de l'Amérique, l'Europe déchiquetée dans ses rivages, l'Afrique ocrée, les bandes nuageuses équatoriaies. Notre attention chercherait à distinguer les plus petits détails de sa surface, entre autres, sans doute, une région verdoyante qui n'en occupe que la millième partie et qu'on appelle la France... Mais quoi ! voilà ce boulet tourbillonnant qui grossit, qui grossit encore. Soudain il occupe le ciel entier, se dressant, monstre colossal, devant notre vision effrayée. Nous percevons un instant le vague tu- multe des bètes féroces des tropiques et aussi celui de l'artil- lerie toujours grondante de notre intelligente humanité... Mais l'immense sphère est passée avec la rapidité de l'éclair : la voilà qui s'enfonce dans les profondeurs béantes de l'espace; puis, se rapetissant à mesure qu'elle s'éloigne, elle s'enfuit, diminue, et disparait en se perdant dans l'infini... C'est sur ce boulet que nous rampons tous, disséminés autour de sa surface comme d'imperceptibles fourmis, et emportés dans l'es- pace insondable par la force vertigineuse de la gravitation uni- verselle. LA TlilîUE, ASTRE DU CIEL Ce boulet mesure 12732 kilomètres, ou 3183 lieues de largeur, et 40000 kilomètres, ou 10000 lienes de tour. Sa surface est de 509 millions de kilomètres carrés, ou environ 50 milliards (riiec- tares, terres et eaux comprises. Les terres n'occupent que 130 mil- lions de kilomètres carrés, c'est-à-dire 13 milliards d'hectares. Son volume mesure environ 1 000 milliards de kilomètres cubes. Sa densité surpasse de cinq fois et demie celle de l'eau. Le poids de ce globe, cinq fois et demie plus lourd qu'un globe d'eau de même dimension, est de 5 875 scxfiliions de kilogrammes : 5 875 000 000 000 000 000 000 000 . Ce volume et ce poids nous paraissent énormes! Et pourtant le volume du Soleil surpasse celui de la Terre de 1279000 fois, et son poids égale celui de 324000 globes terrestres réunis! L'atmosphère qui entoure la Terre pèse 6263 quatrillions de kilo- grammes, c'est-à-dire environ un million de fois moins que le globe. C'est sous cette couche d'air que nous rampons, comme les huîtres sous la mer, en supportant sur nos épaules une pression de 1000 ki- logrammes par mètre carré, ou de 15500 kilogrammes pour la surface tota^ de notre corps. Et nous ne pouvons pas, même seule- ment comme les oiseaux, nous élever au-dessus de ces bas-fonds, auxquels nous retient le boulet de la pesanteur. Q^ielquefois, il est vrai, l'aérostat céleste daigne nous transporter dans les régions aériennes, mais ce n'est que pour nous faire regretter davantage notre condition ordinaire. En outre du mouvement de tran^^lnfinn qui vient de s'oiïrir s nos regards, la Terre est le jouet d'un grand nombre d'autres mou- vements que nous pouvons résumer comme il suit : D'abord sa rotation la fait tourner sur elle-même, pirouottcr en quelque sorte, en 24 heures ('), donnant à ses diffpronfes latitudes une vitesse (') La Terre tourne sur ellp-môme en 23' .ïG" 4'. Ce serait In durée exacte du jour et de la nuit réunis, si notre îjlobe ne tournait pas autour du Soleil: mais comme il se déplace dans l'espace, lorsqu'un point quelconque du globe revient au liout de cet inlcrvalle dans la même position absolue qu'il occupait au comnieucenicnt, le Soleil parait s'être déplacé en sens contraire du mouvement de translation de la Terre, et pour (juc notre point arrive de nouveau devant lui, il faut que la Terre continue de tourner sur elle-même pendant encore 3™ 30'. C'est ce qu'il est très facile de saisir sur une figure. Considérons le glohe terrestre en un moment quelconque, et supposons que le point .V se trouve juste devant le Soleil LA TEIIKE, ASTliE DU CIEL ditl'ei'L'ute, suivant leur distance à luxe de rotation. A l'équateur, où. la vitesse est maximum , la surface terrestre est l'orcée de parcourir iOOOOÛOO de mètres par jour, ce qui donne iO'i mètres par seconde. A la latitude de Paris, où le cercle est sensiblement moins yrand, la vitesse est de 305 mètres par seconde; aux pôles mêmes elle est nulle. — L'n troisième mouvement luit osciller la Terre sur le plan de l'orbite qu'elle décrit autour du Soleil et diminue actuellement l'obliquité de técliptique pour la relever dans l'avenir. — Un quatrième fait varier la courbe que notre planète décrit autour du Soleil, et tempère Xexentricilé de cette ellipse pour la rapprocher d'un cercle, qui de nouveau s'allongera sous B^yy//yy/yy/?7'ww^/iiii:n;iTii)!iîii!iiMj!ijij'i:i:iTiTi'ra!i'i'\TïïAvmïVAïïmAA» Fig. 180. — Translation k-x rotation dp la Terre. — Jour siilé et jour solaire. les influences planétaires. — Un cinquième mouvement déplace lente- ment le périhélie, qui fait le tour de l'orbite en 21000 ans, si bien que dans cet autre cycle les saisons prennent .successivement la place l'une de l'autre. — Un sixième mouvement, celui (pii constitue Va prrces^iion àc-s ifia;iirc 180, position de gauchcV Lorsque la Torrc aura accompli sa rotation, elle se sera transportée à la position de droite, et le méridien .\ se retrouvera comme il était ; mais le Soleil aura reculé vers la gauche pendant que la Terre avançait dans son cours vers la droite, et jiour ([ue le point .\ revienne de nouveau devant le Soleil, il tant ajouter irilG" ; et cela, tous les jours de l'année, .\insi entre deux midis il y a 2V heures juste, ou 8G400 secondes ; tandis i[u'entre deux passages d'une étoile au méridien il n'y a que 2.S'' .')G" 4', ou 80164 secondes. Le jour de 24 heures est le Jour solaire ou civil. Le jour de 23"o0'"4' est le jour sidéral. Il en est de même pour tmiles les planètes : le l.A TKIÎ l!K, ASÏUK I) i: CIEL ef/tiinoxes, fait afcomplir à Taxe terrestre une rotation lente (jui ne dure pas moins de 25765 ans, et en vertu de laquelle toutes les étoiles du ciel chauffent chaque année de position apparente, pour ne revenir au même point qu'après ce grand cycle séculaire. — Un septième mouvement, dû à laction de la Lune et nommé nu/a/ion, fait décrire au pôle de l'équaleu) sur la sphère céleste une petite ellipse de 18 ans et 8 mois. — Un hui- tième mouvement, dû à la même attraction lunaire, accélère la mardi, de notre globe un peu plus vite lorsque la Lune est devant lui (premiei quartier) et la retarde lorsqu'elle est en arrière (dernier quartier). — U- neuvième mouvement, cause par l'attraction des planètes, et principa- ^ wlerpepnjçpMî, y pou' t'hemisphàre austral Ki^. 181. — 1..1 Tenr au miIsiui' de juin ; iluri'i' du jour >i'loii les lati'i nomhro de jours solairos dont se compose leur année est toujours infiTicur d'une unité à celui de leurs jours sidéraux. I.e globe terrestre ayant inodO lieues de circonférence, on voit qu'en vertu de sa rota- tion, un point de l'équateur court en raison de lf)70 kilomètres par heure. Surface du globe, mers, atmosphère, nuages, ioui ce qui appartient à la Terre est emporté par ce même mouvement diurne, et par conséquent tout parait en repos autour de nous. Cette force est si considérable, que si le mouvement de rotation de notre planète était cnniyé brusquement, si une main colossale Farrêtait, la catastrophe la jdus épouvantable en serait la conséquence. Tous les êtres vivants en seraient instantanément brisés par im choc sans cause matérielle apparente ; les mers se jetteraient sur les continents, qu'elles engloutiraient, et le iiunivement, arrêté, se transformant en chaleur, élè- verait le globe entier à une si haute température, qu'il brûlerait sur place, dans une chaleur rouge égale au l'eu d'une niasse de houille quinze fois plus grosse que le :.'lobe terrestre... Le mouvement de translation est beaucoup plus énergique et plus lormidable encore. Si une volonté suprême ordonnait à la Terre de s'arrêter dans son cours autour du Soleil, son mouvement de translation se transformant en chaleur, notre planète tout entière se volatiliserait et s'évanouirait à l'élat de vapeur, connue une nébuleuse. TF.r.RES DU CIEL 51 LA TF.Il r.E, ASTUE DU CIEL lement par le monde gigantesque de Jupiter et par notre voisine Vénus, occasionne des 7JP?'/; nous y avons toujours été, et nous ne pouvons pas en sortir. Telle est la vÉarrÉ, importante à plusieurs titres, que la connaissance de l'astronomie nous invite à comprendre et à méditer ('). Entrons maintenant dans quelques détails sur ces mouvements : L'obliquité de l'écliptique, c'est-à-dire l'inclinaison de l'équateur de la Terre sur le plan dans lequel notre planète se meut annuellement autour du Soleil, diminue actuellement, eu raison de i7" par siècle. Mais cette diminution s'arrêtera, et l'oscillation est renfermée entre des limites res- treiii es. L'amplitude n'est que de 2° 37' 22" et ses limites sont : 24" :i;i' o8" et 21 . ;;8 . 36 Priiiiinales meswes . ItOO ans avant J.-C. Thou-Kong à Loyang (ChinL"). . . 23'54'2" 3oO — — Pythoas ;i Marseille 23.10.20 140 — — Hipparque à Alexandrie 23. 5t. 20 890 ans après J.-C. .\lbategiii à Antioche 23.35.41 1430 — — Ulugh Beigh à Samarkande. . . 23.31.48 1655 — — Cassini à Bologne i!. 29.15 1757 — — Bradley. Obs. de Greenwich. . . 23.28.14 1841 — — Bouvard. Observatoire de Parus. 23.27.35 1868 — — Airy. Ohs. de Greenwich 23.27.22 Elle est actuellement (1883) d.' 2:j.2T. 7 Cette diminution ne se continuera pas, et nous n'aurons jamais de printemps perpétuel, de même qu'on en a jamais eu. Cette variation est due à l'attraction que les planètes exercent sur la Terre, et se trouve ainsi liée à un cycle de toutes leurs influences réunies. La mécanique céleste (') Cette VÉRITÉ est si capitale aa point de vue philosophique que le premier soin de la congrégation de VIndex, a été d'ordonner d'effacer des ouvrages de Copernic et de Galilée, le mot astre toutes les fois qu'il était appliquée la Terre, et que même au foyer de Paris, à la Sorbonne, il fut interdit de donner ce nom à notre planète et d'en- seigner son mouvement. Lorsque, sous la pression de la vérité démontrée, il fut impossible de continuer ce système, on permit d'enseigner le niouvement de la Terre comme une hypothèse commode mais fausse! LA TERRE, ASTRE DD CIEL démontre que cette diminution s'arrêtera dans les siècles à venir, et qu'un mouvement contraire du plan de l'écliptique succédera au premier. Cette variation n'est d'aucune influence sur les climats de la Terre ('). Nous avons vu que l'orbite terrestre n'est pas circulaire, mais ellip- tique. Son excentricité est de 0,01679. En effet, si nous prenons pour unité la distance moyenne de la Terre au Soleil, ou le demi-grand axe de l'orbite, nous avons : En kilomètres. nist:inci'pi'rih('lii' 0,98321 146 000 000 — moyenne 1,00000 148 000 000 — aphélie 1,01079 150 000 000 La Terre est donc de -j 000 000 de kilomètres, ou de 1 250 000 lieues plus près du Soleil lorsqu'elle passe à son périhélie que lorsqu'elle passe à son aphélie. La première position arrive le 1" janvier, et la seconde le 1" juillet. Cette différence d'éloignement n'empêche pas que la tempéra- ture ne soit moins élevée sur notre hémisphère boréal à la première de ces dates qu'à la seconde, parce que cette température est déterminée par l'inclinaison des rayons solaires et par la durée du jour. Toutefois, comme l'hémisphère austral a alors l'été, il reçoit plus de chaleur du Soleil que nous dans la proportion de la différence d'éloignement : environ un quinzième. Cette excentricité de t orbite terrestre ii'est pas constante non plus. Elle diminue lentement de siècle en siècle, \oici quelques chiil'res qui mon- trent la lenteur de sa variation séculaire : EXCE.MP.ICITÉ r)E I.'oniilTE TEnnESTr.K. Il y a 100000 ans (maxiinuiii, 0,0473 70000 ans 0,0.316 «ÎOOOO ans 0,0131 10000 ans. 0,01S7 .Viij mr.i'hui 0,0168 Dans 10000 ans 0,01ob 23900 ans (minimum) 0,0033 oKOOO ans 0,0173 70000 ans 0,0211 100000 ans . . 0,0189 (') Un de nos savants astronomes anyluis contemporains, M. Ilind, trouve {Solar System, p. 33) que ■• celle découverte des limites auxquelles elle est soumise s"accord(' avec la promesse que Dieu a faite à Noc après le déluge de ne plus rien changer désormais à la suiiate de la Terre, et qu'elle explique quels moyens le Créateur a employés pour réaliser sa volonté, moyens restés cachés jusqu'à ce que la science moderne les ait ainsi découverts.» C'est là assurément une singulière idée. Outre que Dieu n'a jamais « ouvert la bouche » pour parler à Noé, et que le genre humain n'a jamais été noyé comme le suppose la Bible, il est bien certain que l'obliquité de l'écliptique avait avant le déluge les mêmes éléments de stabilité qu'aujourd'hui, et LA TEr.Rt. ASTRE DU CIEL Arrivera-t-elle un jour à être nulle, et notre planète suivra-t-elle alors une circonférence parfaite autour du Soleil ? — Non. L'excentricité des orbites planétaires varie sous l'influence réciproque (jue les planètes exercent les unes sur les autres. Ce fait est d'une impor- tance capitale, car la longueur de l'année, le mouvement angulaire, la quantité de lumière et de chaleur reçues du Soleil varient avec le grand axe. Or, celui-ci s'allonge-t-il ou diminue-t-il avec l'excentricité ? Le sys- tème planétaire n'est-il donc pas stable ? La Terre et les autres planètes sont-elles destinées à voir leurs orbites s'accroître dans l'avenir, et à s'éloigner de plus en plus du Soleil pour aller mourir dans les déserts de l'espace ? ou doivent-elles se rapprocher peu à peu du Soleil, voir leurs années se raccourcir, et tomber un jour dans le foyer qui les attire ? Non. Le grand axe est invariable. De plus, les actions planétaires n'a- gissent pas constamment dans le même sens, et la combinaison de leurs révolutions neutralise bientôt les effets qu'elles avaient amenés. L'excen- tricité des orbites, la variation de la ligne des apsides, la marche des pé- rihélies, ne peuvent recevoir que des changements périodiques, et leur état moyen doit constamment rester le même tant que les planètes dure- ront. Si nous considérons par exemple les deux plus importantes planètes de notre système, Jupiter et Saturne, nous trouvons que leur attraction mutuelle produit une variation séculaire dans l'excentricité de l'orbite de Saturne depuis 0,08409 (son maximum) jusqu'à 0,01345 (son minimum), tandis que celle de Jupiter varie de 0,06036 à 0,02606 : la plus grande excentricité de Jupiter correspondant à la plus petite de Saturne, et vice versé. La période de cette variation totale est de 70414. 11 faudrait des millions d'années pour ramener le système planétaire dans son état pri- mitif, seulement en ce qui concerne l'excentricité des orbites. La triple période des excentricités de Jupiter, Saturne et Uranus prises ensemble embrasse 900000 ans. L'excentricité de l'orbite terrestre continuera de diminuer jusqu'à ce qu'elle soit descendue à 0,003314, ce qui n'arrivera qu'en l'an 25780 de notre ère. Loin d'être stable et toujours pareil à lui-même, l'univers subit, comme nous le voyons, des transformations incessantes. Mais les précédentes ne sont pas encore les plus importantes ni les plus fortes. 11 en est d'autres que cette stabilité ne date pas plus que l'arc-en-ciel de l'inondation rapportée par l'historion juif. C'est là une illusion religieuse analogue à celle de Milton, qui nous montre, dans le Paradis perdu (chant X), les anges poussant avec effort l'axe du globe pour l'incliner : « They with labour pushed oblique the centric globe », Jéhovah furieux de la faute d'Adam (ou d'Eve?), supprimant le printemps perpétuel dont la Terre aurait joui jusqu'alors; ce qui est contraire à la vérité, attendu que l'axe n'a jamais été perpendiculaire au plan do l'orbite. — Que d'astronomes de nos jours, dont on pourrait citer les noms, sont, comme M. Hind, inconséquents avec leur propre science! LA TElUili, ASTKE DU CIEL dont la connaissance résumée n'est [las moins intcressanlc jiour nutri' instruclion générale. La ligne idéale qui joint le périhélie à l'aphélie, et qu'on nomme ligne des apsides, se déplace, elle aussi, lentement ; ce qui fait changer la position du périhélie et celle de l'aphélie. Voici queli]:ues positions du périhélie qui montrent sa marche : Date de la mesure. Longitude. 140 (Ptolémco) 6.5-30' 1513 (Copernic; 96° 40' 1690 (Cassini) 97° 3.S' 1730 (liradley) 99° 3' 1800 (Delambrej 99° 30' 1850 (Leverrier) 10ii° 21' Elle est actiiellfiment (1883) do , . . KH' H' En l'an 1520 de noti-e ère le périhélie arrivait le jour du solstice d'hiver, le 21 décembre : il arrive maintenant le ]" janvier. A cette époque la durée du printemps était égale à celle de l'été, et la durée de l'automne égale à celle de l'hiver. En l'an 4000 avant notre ère, époque à laquelle plusieurs chronoiogistes avaient imaginé de fixer la création du monde, le périhélie coïncidait avec l'équinoxe d'automne. Il coïncida, disons- nous, avec le solstice d'hiver, en l'an 1250. Alors nos hivers arrivant dans la section de l'orbite la plus proche du Soleil, étaient les moins froids qu'ils puissent être, et nos étés, se trouvant dans la section de l'orbite la plus éloignée, étaient les moins chauds qu'ils puissent être. Comme la difiérence de distance est de plus d'un million de lieues et la difl'érence de chaleur reçue de un quinzième, cette variation doit avoir une influence réelle sur l'intensité des saisons. Le périhélie marche dans le sens des mois. Depuis l'an 1250, il a marché du 21 décembre au 1" janvier. II arrivera au 21 mars, à l'équino.xe de printemps, l'an 6590, et au 22 juin, au solstice d'été, en 11900. Alors nos étés seront les plus chauds, et nos hivers les plus froids qu'ils puissent être : ce sera l'opposé de notre situa- tion actuelle. Enfin l'an 17000 de notre ère, le périhélie sera revenu au point où il se trouvait quatre mille ans avant notre ère, c'est-à-dire à l'équino.xe d'automne. Le mouvement est de 61", 9 par an, ou 1 degré en 58 ans, et le cycle est de 21000 ans ('). (') Les traités d'astronomie mettent en général la plus grande confusion dans l'ex- posé de cette variation du périhélir. Tantôt ils ne la distinguent pas de la précession des équinoxes: tantôt ils n'envisagont que le mouvement apparent du périgée; tantôt ils se trompent de sens dans la direction. Ainsi, on lit dans les Uutliuei- de sir Joim Herschel, § 309 b, que le périhélie coïncidait avec l'équinoxe de prinlemps l'an 41" 0 avant J.-C. Cet erreur se retrouve dans Y Aslronomy de Clianibers, cliap. vi. On peut même remarquer que si l'on consulte à cet égard la lielle Aslronomie populaire d'Arago en (juatre volunies, un n'y trouve Tien, seulement le mouvement du périgée TERRES DU CIEL 5i3 LA TEllRK, ASTRE DU CIKL Ce mouvement de la lij^ne des apsides est dû priiK'ipalcmeiU à l'attrac- tion de Vénus et de Jupiter sur notre planète. examinons maintenant la variation séculaire (;clèbre, connue sous le nom de précession das équinoxes. L'équinoxe du printemps ne revient pas tous les ans au même moment, mais avance chaque année. Supposons qu'au moment de l'équinoxe on prolonge le ravon vecteur mené de la Terre au Soleil jusqu'à une étoile placée derrière le Soleil. L'année suivante, lorsque l'équinoxe reviendra, notre ligne idéale n'aura plus l'étoile à son extrémité, et la Terre devra continuer pendant quelque temps sa course pour que cette rencontre ait lieu c'est-à-dire pour que la révolution totale, ou l'année sidérale de la Terre, soit accomplie. Ainsi entre deux équinoxes de printemps il y a moins de temps qu'entre deux retours de la Terre au même point de son orbite. La difrérence est de 20 minutes 23 secondes. On donne le nom d'année tropique à ce retour de la Terre au même équinoxe : sa durée est de 365 jours 5 heures 48 minutes 47 secondes. C'est sur elle que le calen- drier est fondé, et c'est pour faire concorder l'année civile avec la marche apparente du Soleil, que tous les quatre ans l'année est bissextile, à l'ex- ception de trois années séculaires sur quatre (*). Chaque année, le Soleil paraissant avancer de la sorte sur les étoiles, il en résulte que les constellations du zodiaque rétrogradent sur lui. Ainsi, lorsqu'on a fixé son cours annuel apparent le long du zodiaque actuel, il v a environ 2000 ans , l'équinoxe du printemps arrivait lorsque le Soleil entrait dans la constellation du Bélier. Maintenant, le 21 mars, le jour de l'équinoxe du printemps, il se trouve devant les étoiles de la constellation des Poissons. Le ciel tout entier se déplace donc de l'ouest à l'est avec une o-rande lenteur. L'ascension droite de toute étoile, c'est-à-dire sa distance rapporté aux upparences, en supposant la Terre immobile! Il est facile lie s'assurer cependant que la longitude du périhélie de la Terre s'avance dans le sens de la numé- ration des degrés. Elle élait de 90° 30' en 1800, et de 100° 21' en ISiiO. Elle avance donc actuellement vers 180°. Or, 180°, c'est la longitude de la Terre à l'équinoxe diî printemps, paisqu'alors celle du Soleil est 0. Donc le périhélie vient de l'automne et marche vers le printemps, au lieu de venir du i)iinteinps et de uiarclier vers l'au- tomne. (*) Cet avancement séculaire de l'équinoxe n'est pas tout à fait uniforme, et il en résulte que l'année tropique n'est pas absolument invariable. Ainsi elle est maintenant plus courte de dl secondes que du temps d'Hipparque et de 30 secondes que du temps où la ville de Thèbes en Egypte était la capitale du monde. Au commencement de ce siècle, elle élait de 365 jours 5 heures 48 minutes 51 secondes. Sa plus longue durée a eu lieu l'an 3040 avant notre ère ; sa plus courte durée aura lieu en l'an 7600, avec 76 secondes de moins qu'en l'an 3040 avant J.-C. A notre époque, l'année perd en durée à peu près trois quarts de seconde par siècle. Un centenaire de nos jours a réellement vécu vingt minutes de moins qu'un centenaire du siècle d'Auguste, et une heure de moins qu'un centenaire égyptien du temps de l'érection des pyramides. LA TERRE, ASTRE DU CIEI. au méridien de l'équinoxe de printemps pris comme origine pour compter, augmente chaque annrc d'un peu plus de 3 secondes de temps. 11 en résulte qu'il faut à chaque instant recommencer les cartes célestes. En quelques siècles l'écart est considérable. Le meilleur exemple à citer serait celui-là même qui a fait découvrir la précession des équinoxes par l'astronome Hipparque. L'an 128 avant notre ère, il observa la position de l'étoile nommée l'Épi de la Vierge, et trouva qu'elle avait avancé de 'leaucoup sur la position observée par les astronomes antérieurs. Il put même fixer avec une étonnante précision l'amplitude de ce mouvement. .V cette époque la longitude de cette étoile était de 174 degrés ; aujourd'hui elle est de 202 degrés. Elle a donc avancé de 28 degrés en 2000 ans. 11 est probable qu'Hipparque n'a pas découvert la précession des équi- noxes, mais qu'il en a seulement calculé la valeur. Ce mouvement était connu longtemps avant lui par les astronomes indiens et chinois, qui se sont même servis de cette connaissance pour supposer des états du ciel antérieurs à ceux qu'ils avaient observés, et créer ainsi à leurs sciences et à leurs patries une antiquité fabuleuse. Il en résulte que le pôle céleste change d'année en année, et que le ciel entier parait tourner lentement autour du pôle de l'écliptique. Actuelle- ment la ligne des pôles terrestres aboutit dans le ciel près de l'étoile a de la constellation de la Petite Ourse, nommée à cause de cela l'étoile polaire. Mais ce pôle ne restera pas toujours là. Il tourne dans le ciel, suivant un cercle de 't7 degrés de diamètre, en 2.j76.jans. Continuant de s'approcher de l'étoile a de la Petite Ourse, le pôle, qui en est encore éloigné de 1° 23', c'est-à-dire de trois fois environ la largeur de la Lune, arrivera tout près d'elle l'an 2105. A partir de cette époque, il s'éloignera de cette étoile, passera successivement dans le voisinage de plusieurs autres plus ou moins brillantes, qui recevront tour à tour le nom d'étoiles polaires par les générations futures, jusqu'à ce que dans douze mille ans environ il arrive vers l'éclatante Véga, de la Lyre, qui pendant mille ans au moins marquera dans le ciel la place du pôle, comme elle l'a déjà maniué il y a quatorze mille ans. Si nous avions des observations qui eussent consigné la place de cette étoile au pôle, ou qui eussent placé l'équinoxe du printemps près d'une étoile de la Balance, nous pourrions en conclure que ces observations datent de quatorze mille ans. Malheureusement, quoique bien des his- toires politiques et religieuses aient prétendu à une antiquité plus haute encore, nous n'avons aucune observation astronomique qui l'affirme. J'ai fouillé un grand nombre de vieux documents pour en découvrir, mais je n'ai rien trouvé d'aussi reculé. Les annales chinoi.ses nous ont conservé des observations d'éclipsés de Soleil depuis Tan 2158 avant notre ère. La grande Encyclopédie chinoise récemment publiée en cent volumes peut maintenant être consultée par LA TEKKE, ASÏKE DU CIEI. tous les Européens. jSous avons une observation chinoise de l'étoile -/i des Pléiades comme marquant l'équinoxe du printemps l'an 2357 avant notre ère, et des observations d'éclipsés faites en Egypte depuis l'an 2720. Les Pléiades sont pour eux, comme pour les Chinois, comme pour Hésiode, les premières étoiles de l'équinoxe. La constellation du Taureau, dont elles font partie, est celle qui ouvre l'année dans les anciens zodiaques. Le bœuf Apis en était un symbole en Egypte. Chez les Hébreux, la belle étoile Aldébaran, l'œil du Taureau, représente X'aleph, l'œil de Dieu, et Jéhovah lui-même. Mais nous n'avons rien de plus ancien. Malgré l'autorité de Laplace et de Dupuis, il ne semble pas qu'on puisse scientifiquement faire remonter la construction du zodiaque à plus de trois mille ans avant notre ère, à l'époque où la précession place l'équinoxe dans le Taureau. Aucun zodiaque connu n'a commencé au signe suivant : aux Gémeaux. La précession des équinoxes a pour cause l'attraction combinée de la Lune et du Soleil sur le renflement équatorial de la Terre. Si la Terre était parfaitement sphérique, ce mouvement rétrograde séculaire n'exis- terait pas. Mais elle est aplatie à ses pôles et renflée à son équateur. Les molécules de ce bourrelet équatorial retardent un peu le mouvement de ro- tation : l'action du Soleil et de la Lune les fait rétrograder, et elles entraînent dans leur mouvement rétrograde le globe auquel elles sont adhérente ('). Telles sont les grandes inégalités séculaires et périodiques qui affectent le mouvement de la Terre. La combinaison des masses planétaires ajoute encore à ces inégalités des perturbations de moindre valeur qui dérangent l'ellipticité de l'orbite, font onduler la courbe , attirent même parfois le centre de gravité du système planétaire en dehors du Soleil, et modifient ainsi la forme elliptique des orbites. Notre globe si .massif n'est qu'un jouet léger dans l'éther, balancé de mille façon par les forces cosmiques. Ce n'est pas tout. Nos lecteurs ont déjà pu voir, dans notre ouvrage (') La plupart des traités d'astronomie enseignent à tort que la précession des équi- noxes est due à l'action du Soleil seul. Arago, Astronomie populaire, tome IV, p. 101, s'exprime ainsi : « Tandis que le Soleil agissant sur la partie renflée de la Terre produit la précession, la Lune, par une action analogue, produit la nutalion. » Dclauntiy, dans son Cours d'astronomie, p. 5o9, dit à son tour : « L'action du Soleil sur les dillérentes parties du renflement occasionne un mouvement rétrograde de l'intersection du plan de l'équateur avec le plan de l'écliptique, c'est-à-dire de la ligne des équinoxes. I^a Lune, en agissant comme le Soleil, tend à produire un effet analogue ; mais le change- ment assez rapide de la position du plan de son orbite fait que le résultat de son action ne suit pas les mêmes lois. En un mot, tandis que le Soleil produit la précession des équinoxes, la Lune, par une action analogue, produit lanutation. >> C'est là une erreur. La précession est due aux deux astres réunis, et la nutation à la Lune seule. Notre satellite entre pour les deux tiers dans la précession et le Soleil seulement pour un tiers, à cause de son éloignement. Si la Lune n'existait pas, la précession annuelle ne serait que de 16" au lieu de 50", 3. Les planètes agissent aussi, mais en sens contraire et faiblement. Elles enlèvent 0",3 à cette tiuantite, qui sans elles serait de 50",6. LA TEIîUE, ASrr.E DU CIKL 113 Les Étoiles, qu'au lieu d'être fixes comme ou le pensait autrefois, les étoiles sont animées chacune d'un mouvement propre. Celle-ci marche dans un sens, celle-là dans un autre. Ce mouvement est très lent pour chacune; mais enfin il est sensible. Ainsi la belle étoile double 61' du Cygne se déplace de la largeur apparente de la Lune (31') en 350 ans, 0 Eridan en 440 ans, p Cassiopée en 483 ans, a du Centaure en 500 ans, Arcturus en 800 ans, Sirius, en 1300 ans, etc. Ces mouvements propres sont dirigés dans tous les sens, il est vrai; mais, à travers toutes ces directions, il en est une qui domine et qui est due au changement de perspective céleste causé par notre propre déplacement dans l'espace, — non pas notre déplacement annuel sur notre orbite (74 millions de lieues) qui n'est qu'un point en comparaison des distances stellaires. — mais un déplacement séculaire continuel dû au mouvement propre du Soleil dans l'espace. De même qu'en traversant en wagon les paysages d'une vaste campagne, nous voyons les perspectives changer, les arbres, les habitations, les bois, les collines, être emportés par un mouvement ap- parent en sens opposé au nôtre, de même ce déplacement général de.s étoiles nous a appris que le Soleil nous emporte, nous et toutes les planètes de son système, vers la constellation d'Hercule. Nous arrivons des parages étoiles où scintille Sirius, et nous voguons vers ceux où brillent les astres de la Lyre et d'Hercule. On peut, assez facilement, se représenter cette chute dans l'infini. Comme il n'y a ni haut ni bas dans l'univers, nous pouvons pour mieux sentir cette translation au milieu des étoiles, et pour l'orienter relative- ment au plan général du système planétaire, prendre pour point de comparaison l'écliptique. Toutes les planètes et les satellites tournant autour du Soleil dans le zodiaque, avec une faible inclinaison sur l'éclip- tique, nous pouvons nous demander si le système solaire, comparable à un disque lancé dans l'espace, voyage dans le sens de son étendue, dans son horizon, pourrions-nous dire, ou bien s'il tombe à plat, ou s'il glisse obliquement. Si donc nous prenons pour horizontale le plan de l'écliptique, et pour verticale le pôle de l'écliptique, nous pouvons tracer la figure de notre chute dans l'espace, — chute réelle, puisque c'est la pesanteur qui la produit. Or ce point fait un angle de 38 degrés avec le pôle de l'écliptique. La direction du mouvement du système solaire dans l'espace est représentée par la grande flèche (fi^. 184 . On voit que nous ne tombons pas à plat, ni dans le sens du disque pla- nétaire, mais obliquement. — (Le plan de l'écliptique étant supposé horizontal, on ne devrait pas voiries orbites planétaires; mais on a un peu incliné le système et dessiné à leur distance mutuelle du Soleil les orbites des quatre planètes extérieures. Mars, la Terre, Vénus et Mercure sont trop près du Soleil pour avoir pu être dessinés à cette échelle.) Aux complications précédentes de l'orbite terrestre, il faut donc en I.A TKKl'.K. ASrr.K |i| ajoutci- im;j iucomparabk'iiK-nt plus importante et plus gigantesque, quoi- qu'elle soit restée jusqu'il ce jour étrangère aux ralculs de la mécauitiue c-éleste. Au lieu de décrire une ellipse fermée el de revenir tous h^s ans au point où elle se trouvait l'année précédente, la Terre décrit une hélice sans tin. tournant autour de la flèche de la figure précédente considérée comme axe de ces spires hélicoïdales. Si nous plaçons iiorizonlalemenl devant nous la flèche de la figure précédente et que nous dessinions l'hélice réelle décrite par la Terre $, ainsi que par Jupiter ^, Vesta $, Mars c/, Vénus 2 et Mercurt> ?. nous trouvons la fiuure 185. Le Soleil Fig. ISl. — Chute du systèmo solairo clans rospa avance dans l'espace suivant la ligne droite AH, et les planètes tournent en hélices autour de cette flèche. ^laintenant, cette orbite du Soleil dans l'espace est-elle une courbe fermée? Tourne-t-il lui-même autour d'un centre? Ce centre inconnu est- il fixe à son tour, ou se déplace-t-il de siècle en siècle, et fait-il aussi ilécrire au Soleil et à tout autre système plan(''taire des hélices analogues à celles que nous venons de trouver pour la Terre? Ou bien, le Soleil, qui n'est qu'une étoile, fait-il partie d'un système sidéral, d'un amas d'étoiles animé d'un mouvement commun. — C'est ce que nous ne pouvons encore décider. Mais quoi qu'il en soit, le Soleil dans son cours doit subir des influences sidérales, de A'éritables perturbations qui ondulent sa marche, et compliquent encore sous des formes inconnues le mouvement de notre petite planète. LA r K n li i; , astiii: uu cikl Telle est l'uranûgraphie de la Terre. Rutatiuu diurne sur son axe — révolution annuelk' autour du Snleil, — balancement de leeliji tique, — variation de rexeentricité, ■ — déplacement du [x'-rihélic ■ — précession des équino.xcs, — iiutatioUj — perturbations plan;' Fig. 183. — Hélices parcourues par Jupiter, Vcsta, Mars, la Terre, Vénus el Mercure, dam leur mouvement annuel autour du Soleil. tairas, — translation du système solaire. — actions sidérales incon- nues,— font pirouetter notre petit globe, qui roule avec rapidité dans l'espace, perdu dans les myriades de mondes, de soleils et de systèmes dont l'immensité des cieux est peuplée. L'étude de la Terre vient de nous faire connaître le Ciel, et dans l'atome microscopique que nous habitons se sont révélées les vibrations de l'inRni. CHAPITRE II La Terre, séjour de vie. Notre planète vogue dans Tespace en emportant avec elle un immense rayonnement de vie. Cinq cent mille espèces végétales tapissent les continents de leur parure verdoyante et parfumée. Les eaux océaniques sont imprégnées d'une translucide gelée vivante (jiii domine dans l'étrange faune des mobiles profondeurs. Les fo- rêts continentales et insulaires sont peuplées de milliers d'espèces animales, les airs sont animés de toutes parts par le bruissement des insectes multicolores et par le vol des oiseaux. Et tout autour du globe régne la race dite raisonnable, actuellement composée de 1400 millions d'iiumains irrégulièrement distribués sur la sur- face terrestre. Tous ces èti'es, plantes, animaux et hommes sont les enfants de la même mère; tous sont les fils de la Terre; tous se succèdent de générations en générations, avec une rapidité qui tient du prodige, les uns vivant quelques heures, les autres quelques jours, quelques mois, quelques années, aucun ne dépassant un siècle, à part de rarisimes exceptions, tous frères par la vie comme par la mort, tous composés des mômes atomes d'oxygène, d'hydrogène, d'azote, de carbone, de phosphore, de calcium, etc., échangeant entre eux leurs molécules constitutives, réincorporant les molé- cules abandonnées par les êtres antérieurs, se formant de la cendre des morts et de la poussière des siècles disparus, se décomposant et retombant eux-mêmes par atomes dans la circulation générale, et obéissant perpétuellement, soit qu'ils le sachent, soit qu'ils TERHES DC CIEL. 53 LA TEHRE, SÉJOUR DE VIE l'ignorent, à tous les mouvements et à toutes les lois qui emportent notre planète dans les abîmes de l'infini. C'est l'atmosphère qui fait vivre la multitude des êtres; c'est en elle que le nouveau-né puise son premier souffle, et c'est en elle que le moribond exhale son dernier soupir. Nos corps, ceux des animaux, ceux des plantes, ne sont, pour ainsi dire, que de l'air solidifié. Les végétaux se nourrissent d'acide carlionique et exhalent de l'oxygène; les animaux respirent par un mode contraire; mais la molécule d'acide carbonique ou d'oxygène qui a été, un instant fixée dans la fleur, le fruit, l'arbre de la forêt, va s'incorporer dans l'enfant, la femme, le vieillard, et réciproquement le même échange s'opère entre l'homme et la plante; ce que nous respirons, mangeons, buvons, a déjà été respiré, bu, mangé des raillions de fois. Perpétuellement, sans arrêt ni trêve, tout passe de vie en vie, de mort en mort, la vie et la mort se succédant dans la même circulation. Sans l'atmosphère terrestre, la vie disparaîtrait sur notre planète avec l'arrêt de la circulation générale; le cœur de la Terre ne battrait plus; le silence et la mort régneraient désormais sur un éternel tombeau. Par l'assimilation et la distribution de la lumière et de la chaleur solaires, l'atmosphère entretient la fécondation terrestre. Sans elle, le Soleil se lèverait et se coucherait durement dans un ciel noir, sans être précédé ni suivi des gloires de l'aurore et des splendeurs des crépuscules. Le globe, désert et silencieux, passerait chaque jour de la chaleur équatoriale au froid polaire, sans jamais être charro.è par les lumières et les ombres des nuages parsemant le ciel, par les perspectives ondoyantes de l'atmosphère, par l'appa- rition de l'arc-en-ciel succédant à l'orage, du mirage sur le sol échauffé des tropiques, ou de l'aurore boréale déployant son éventail fluide dans le ciel électrisé et frémissant. Adieu le ciel bleu, adieu toute circulation aérienne et aquatique, adieu la verdure des prai- ries et l'ombre des bois, adieu les ruisseaux, les fleuves et les mers, adieu le mouvement, adieu la vie. Cette enveloppe atmosphérique diminue rapidement de densité avec la hauteur : dés 6000 mètres d'altitude en ballon, nous laissons sous nos pieds la moitié du poids de l'atmosphère; à 7 000 mètres, on en a laissé les trois cinquièmes, et à 11 000 mètres LA TKRRE, SÊJOIIK DE VIR les quatre cinquièmes. Toute vie est devenue impossiljle à ces hau- teurs; et l'on peut considérer l'atmosplière effective de la planète comme s'èvanouissant à quinze ou vingt kilomètres. Toutefois, tout en devenant de plus en plus raréfiée, elle s'étend plus loin encore tout autour du globe. Les observations d'étoiles filantes et celles des crépuscules élèvent cette limite jusqu'à 100, 200 et même 300 kilomètres, et certaines aurores boréales la porte- raient même à 700. — Ce n'est qu'à 42000 kilomètres de hauteur que la force centrifuge développée par la rotation du globe s'oppo- serait à l'adhérence des dernières couches atmosphériques. Oui, c'est le rayonnement solaire qui, par l'intermédiaire de l'atmosphère, fertilise et féconde, et c'est à lui que plantes, animaux et hommes, doivent la vie. Le Soleil est le grand moteur. C'est lui qui souffle dans le vent, zéphir ou tempête, car le vent n'a pour cause que des différences de température. C'est lui qui coule dans l'eau, car sans lui l'eau serait pierre. C'est lui qui verdoie dans la forêt, qui rayonne dans la rose ou le camélia, qui embaume dans la violette ou la fleur d'oranger, car c'est sa chaleur qui fixe la molécule de carbone dans le végétal. C'est lui qui brûle en hiver dans la cheminée du foyer, car le bois, c'est du soleil emmagasiné. C'est lui qui brille dans la lampe, la bougie, le gaz ou la lumière électrique, car c'est l'énergie solaire que l'industrie humaine remet en liberté. C'est lui qui nous conduit par la locomotive; c'est lui qui chante par la fauvette et le rossignol, et c'est lui aussi, ce sont les climats, ce sont les saisons, ce sont les fruits du Soleil, qui ont organisé la distribution géographique des plantes, des animaux et des hommes à la surface de la planète. Si la Terre était un globe d'une régularité parfaite, la température serait réglée pur la latitude, maximum à l'équateur, minimum aux pôles, dimi- nuant harmuiiieusement de l'équateur aux pôles. D'après la formule cal- culée par le mathématicien Lambert, en représentant par le nombre 1000 la température à l'équateur, celle des tropiques serait représentée par le nombre 923 et celle des cercles polaires par 500. Mais l'existence des mers, dont l'absorption diflère de celle des terres, la direction des rivages, les reliefs du sol, les chaînes de montagnes, la direction des vents domi- nants, la distribution des pluies, les variétés de sol et de culture agissent pour modifier cette régularité théorique et produire des climats qui sont LA TEIUiE, SÈJUll; DE VIE loin de suivre servilement la distance à l'équateur ou la latitude des di- verses contrées. Si l'on réunit par une même ligne tous les points sur lesquels les ob- servations ont établi une égalité de température moyenne, on obtient une carte géographique de lignes isothermes. La ligne qui unit les contrées de température maximum a reçu le nom d'équateur thermique : elle ne suit pas l'équateur géographique, mais oscille de part et d'autre en se tenant surtout au nord de la ligne équatoriale ; au centre de l'Afrique et dans la mer des Indes, elle dépasse même le 15° degré de latitude boréale. Cette ligne de température ma.ximum atteint 24* pour la moyenne de l'année. Les autres lignes d'égale température montrent des inflexions analogues, plus ou moins prononcées ; la ligne de 0°, par exemple, des- cend à travers l'Amérique du Nord, remonte ensuite sur l'Atlantique, au- dessus de l'Islande et jusqu'au-dessus de la Suède et de la Norwège, pour redescendre par la Russie et la Sibérie. Les terres refroidissent, les mers égalisent la température ; plus on avance dans l'intérieur des continents, vers l'est, plus le froid s'accentue. On se rendra compte de cette distri- bution de la température et la surface de notre planète par l'examen de la carte ci-dessous qui représente les lignes isothermes tracées de 4° en 4° sur l'ensemble du globe. Ce sont là les températures moyennes de l'année. Comme valeurs extrêmes mesurées au thermomètre, on peut signaler le froid de — 62°5 observé à Nijniy-Oudinsk, en Sibérie, par le voyageur russe Kropotkin et la chaleur de + 67°, 7 observée dans le pays des Touareg, par M. Duvey- rier : c'est une échelle de 130° supportés et mesurés par l'homme. La France est située sur la ligne moyenne de 11° : c'est sa température annuelle ; la moyenne de l'été est de 19°, et celle de l'hiver de 4°. La chaleur intérieure du globe n'a aucune action sur la surface : c'est le Soleil seul qui régit les phénomènes de la végétation comme ceux de l'animalité. Les plantes se distribuent, se propagent, se fixent, suivant les moyennes et les extrêmes de la température en chaque lieu et suivant la climatologie qui en résulte, et il en est de même des espèces animales. Chaque plante demande pour arriver à maturité une certaine somme de chaleur que l'on peut évaluer pour chaque espèce en additionnant les Heures pendant lesquelles la température s'est maintenue au-dessus du degré qui est pour chaque plante le point initial de son développement. Ainsi, par exemple, l'orge entre dans sa période de croissance lorsque la température a dépassé 6°; mais il lui faut un total de 1000 degrés pour arriver à maturité et on trouve toujours cette somme de chaleur en comp- tant chaque jour les degrés de température moyenne qui ont dépassé G degrés et en faisant le total de toutes ces chaleurs quotidiennes. Le blé commence sa végétation à 7° et demande 2000 degrés pour arriver à ma- turité; le mais a son point de départ à 13° et demande 3500 degrés accu- 'mw -ur ■Cî ^ Pv 'ï ^ LA TERRE, SÉJOUR DE VIE mules avant de pouvoir être moissonné ; la viyae commence à 10' et exige une accumulation de 2900 degrés ; le dattier en demande 5000 ; etc. Les aires végétales sont réglées par la nature sur cette distribution des tem- pératures. Trois causes principales agissent de concert pour abaisser la tempéra- ture reçue du Soleil : la distance à l'équateur, l'éloignement des mers et l'élévation du terrain. Plus on s'élève, plus la température diminue. Au point de vue de la climatologie et de la botanique, l'ascension du Mont Blanc est un voyage analogue à celui de l'Italie au pôle nord. La distribution de l'humidité de l'air et des pluies ne joue pas un rôle moins important que celui de la température au point de vue de la vie végétale et animale sur la planète que nous habitons. Il y a des contrées, telles que l'Egypte, le Sahara, l'Arabie, la Mongolie, où la pluie est presque inconnue, où il ne tombe pas une couche de 5 centimètres d'eau pendant toute la durée d'une année. Il en est d'autres, telles que l'est des Etats-Unis, le Mexique, la Perse, le Turkestan, la Sibérie, où la couche d'eau moyenne est inférieure à 20 centimètres. En France, la couche d'eau annuelle varie depuis 0"'30 jusqu'à 1°"50, suivant les régions, le minimum se manifestant en Champagne, le maximum sur les rives de l'Océan et dans les montagnes. Mais il y a des contrées incomparablement plus inondées, telles que Sumatra, Java, Bornéo, le golfe du Bengale et les côtes de Malabar : il parait qu'on a recueilli au pluviomètre jusqu'à 15'° d'épaisseur d'eau pour la moyenne annuelle (à Gherra-Ponjie). La dis- tribution des pluies est réglée par les courants aériens. En Europe, par exemple, ce sont les vents océaniques d'ouest et du nord-ouest qui régnent de préférence ; ils versent d'abord une certaine quantité d'eau le long des rivages, en distribuent moins dans l'intérieur des terres qui sont au niveau de la mer ; mais à mesure que le relief des terrains s'accentue, les vents retardés dans leur marche et refroidis — laissent tomber leurs nuages sous forme de pluies, et lorsqu'ils sont arrêtés par des montagnes, telles que l'Auvergne, les Ardennes, les Gévennes, les Vosges, le Jura, les Alpes, les Pyrénées ou les Apennins, la précipitation est considérable et verse l°50ou 2"" d'eau sur des paysages à la végétation opulente, sur des pâturages toujours verts. Plus haut encore, c'est sous forme de neige que la précipitation aqueuse s'eiïectue. La chaleur solaire régit ainsi la vie du globe par la distribution des pluies fécondes répandues sur toute la surface de la planète, par les har- monies et les contrastes des températures et par la marche des courants aériens à travers toutes les latitudes. Ces pluies — et nous pouvons dire toute la météorologie du globe — ont pour origine primordiale l'évapo- ration des eaux océaniques sous l'influence de cette chaleur solaire. Silencieusement, insensiblement et perpétuellement, tandis que la Terre tourne dans la lumière et présente tour à tour ses divers méridiens au LA TEP.RE, St:.10llî DE VIE rayonnement de l'astre radieux, l'énergie solaire cueille, en quelque sorte, les eaux de la surface océanique et les élève dans les airs, à la hauteur moyenne des nuages. Chaque molécule d'eau monte dans l'atmosphère, voyage sur l'aile du vent, devient nuage, pluie, neige ou glace, et redescend à la mer par les sources, les ruisseaux et les fleuves, en achevant son grand circuit. « En admettant que sous les tropiques la couche superficielle qui s'évapore pendant l'année soit de l" seulement, la quantité de liquide enlevée à l'Atlantique dans la zone tropicale, serait approximativement de 27 trillions de mètres cubes et représenterait une masse cubique d'eau de près de 30 kilomètres de côté» [Elisée Reclus]. Dans les régions équatoriales, l'évaporation enlève à l'Océan plus d'eau que ne lui en rendent les nuages du ciel, et il se produit ainsi perpétuel- lement dans l'Océan un abaissement de niveau que viennent combler les masses liquides des froides régions boréales et australes. C'est ce qui donne naissance, dans le bassin delà zone torride, aux deux grands cou- rants qui, des pôles opposés du globe, vont à rencontre l'un de l'autre, dans l'Atlantique et le Pacifique, et marchent sans cesse en décrivant un orbe régulier comme celui des corps célestes. A cette différence de niveau causée et entretenue par l'évaporation s'ajoutent les différences de densité dues à la température des eaux et à leur salure. La rotation diurne du globe vient ensuite modifier elle-même la direclion des courants en portant les eaux dans le sens du mouvement de la terre. Le Gulf-stream, qui prend naissance dans le golfe du Mexique, se dirige vers le nord-ouest, coulant à la surface de la mer comme un fleuve écumeux et intarissable, se divise avant d'atteindre l'Europe, en deux fleuves océaniques, dont l'un coule vers le nord en baignant les côtes de l'Irlande et de l'Ecosse, et dont l'autre se dirige vers le sud en baignant les rives du Portugal, du Maroc et de l'Afrique. Il mesure, à sa sortie du golfe, 52 kilomètres de largeur et 370 mètres de profondeur, et coule avec la vitesse des grands fleuves continentaux : 7 à 8 kilomètres à l'heure, débitant une masse d'eau de 40 millions de mètres cubes par seconde. A mesure qu'il avance, l'épaisseur de cette nappe d'eau chaude diminue, et elle s'étale en quelque sorte à la surface de l'Océan. On le reconnaît à la couleur de ses eaux, azur foncé, à sa salure et à sa tempé- rature ; parfois sa limite est aussi précise que celle d'un fleuve terrestre. Ces grands courants océaniques jouent un rôle important dans les har- monies générales de la vie terrestre, dans l'établissement des climats sur- tout, en tempérant les influences continentales parfois un peu rudes. Chacun sait, par exemple, que c'est au Gulf stream que l'Islande, l'Irlande, Jersey, Guernesey et les côtes occidentales de notre Bretagne, doivent la douceur relative de leur climat et la végétation magnifique qui les enri- chit même pendant les mois les plus froids de l'hiver. Les marées ajoutent leur action à celle des courants océaniques pour ani- LA TERRE, SÉJOUR DE VIE mer perpétuellement les mers et modifier la forme des rivages. L'attraction de la Lune produit une double vague de marée qui fait le tour du globle en 24'' 50" (durée du jour lunaire), et l'attraction du Soleil donne naissance à une double vague, beaucoup moins forte, qui fait le tour du monde en 24'' 0"" (durée du jour solaire) ; mais ces deux flots d'origine distincte ne se séparent point dans leur marche autour du globe, et les deux intumes- cences réunies font le tour de la planète de l'est à l'ouest, en sens inverse du mouvement de rotation du globe, en 24'' 50°, ce qui donne pour le retour de chaque marée la période de 12'' 25". A peine sensible au milieu de l'Océan, la hauteur de la marée s'accroît sur les rivages selon leurs directions et en subissant l'influence des obstacles apportés à sa marche. A Taïti, par exemple, les influences se neutralisent et la marée n'a pas plus de 30 centimètres de hauteur ; elle est également presque nulle à Gourtown, en Irlande, tandis qu'elle atteint 1"° tout près de là, à Arklow, près de 4" à Dublin, 6" à l'ile de Man, 7" à Granville et au Mont-Saint- Michel, 8°" à Santa-Cruz, dans le détroit de Magellan, et 10" dans la baie de Fundy : c'est donc ici une différence de 20" entre la haute et la basse Nier. Les marées, en se propageant de l'est à l'ouest, en sens contraire du jaouvement de rotation diurne de la Terre, agissent comme un frein pour ralentir ce mouvement. II en résulte que la durée du jour augmente len- tement de siècle en siècle. Anciennement, il y a des millions d'années, à l'époque de la naissance de la Lune, notre globe tournait probablement en trois heures au lieu de vingt-quatre. Le temps viendra où, sous l'action continuelle de cette influence, la Terre finira par être arrêtée et par tourner constamment la même face à la Lune. A cette époque, bien lointaine assurément — dans cent cinquante millions d'années si aucune autre cause ne vient déranger cette opération — le jour serait près de 70 fois plus long que maintenant, il n'y aurait plus que cinq jours un quart par an. La Lune tournerait autour de nous en cette même période, à la distance de 160000 lieues d'ici, au lieu des 96000 qui nous en séparent actuellement. Mais c'est peut-être dans les intenses et mystérieux courants magnéti- ques qui la parcourent que notre planète manifeste le mieux encore la vie astrale dont elle est animée. Nul n'ignore qu'une aiguille aimantée libre- ment suspendue se dirige d'elle-même vers un point voisin du nord. Comme un doigt inquiet et agité elle montre sans cesse, dans la nuit, dans la tempête, le pôle invisible qui l'attire. Palpitante, nerveuse, elle oscille sans repos. Enfermée dans une cave de l'Observatoire de Paris, si une aurore boréale s'allume eu Suède ou en Norwège, elle la sent, elle tressaille, elle semble s'étonner, craindre une catastrophe et on la voit trembler comme la feuille au souffle du vent.... Prenez une boussole, étu- diez ses oscillations au moindre dérangement, retournez-la le sud au TERRES DU CIEL 5« LA TEURE, SEJOl'R DE VIE nord, approchez d'elle un morceau de fer, posez une seconde boussole sur la première ;... si après avoir suivi pendant quelques minutes les mou- vements de cet être minéral, vous n'êtes pas intéressé au mystère que ces mouvements décèlent; si vous n'êtes pas, disons même, sans méta- phore, ému en songeant à ce système nerveux d'un genre spécial, c'est que... le livre de la nature est encore fermé pour vous. Et comment n'être pas impressionné par cette sorte de frisson électri- que qui parcourt la Terre d'un pôle à l'autre et qui paraît en correspon- dance immédiate avec l'état de santé du Soleil ? Tous les jours, l'aiguille aimantée s'écarte de sa ligne moyenne, tourne légèrement du côté de l'est ou h droite de cette ligne (S"" du matin), revient sur cette ligne, la dépasse pour aller à l'ouest (l*" lo" de l'après-midi). Cette excursion de l'est à l'ouest s'opère donc en 5 heures environ, plus ou moins, selon la saison. L'aiguille revient ensuite vers l'est, s'arrête vers 8 heures du soir, re- brousse chemin jusqu'à 11 heures et repart vers l'est jusqu'à 8 heures du malin. Ce phénomène est absolument général; il se présente sur toute la Terre, en suivant les mêmes lois; seulement, l'amplitude de l'oscillation, qui est en moyenne de 10' à Paris, se réduit à 1' ou 2' entre les tropiques, et va croissant au contraire vers les pôles. En outre, la marche de l'ai- guille, ordinairement très régulière, est parfois troublée accidentellement par des perturbations qui se font sentir au même moment sur de très grands espaces. En chaque lieu, les heures auxquelles l'aiguille atteint le maximum de son excursion, soit à droite, soit à gauche, sont si constantes, que l'observateur pourrait s'en servir pour régler sa montre. Cette oscillation diurne de l'aiguille aimantée est produite par la varia- tion diurne de la température, à laquelle se surajoutent celles de l'électri- cité, de la vapeur d'eau, de la pression atmosphérique, etc. Si l'on examine la varialion mensuelle, on arrive à la même conclusion: l'oscillation est plus faible en hiver, plus forte en été. La variation thermométrique est également plus faible en hiver, plus forte en été. Cette même variation va également en croissant des régions tropicales vers les régions polaires. On peut donc affirmer que cette ocillation diurne dépend en première ligne de la variation de la température, due au Soleil, et agissant, par l'intermédiaire de l'électricité atmosphérique, sur le magnétisme ter- restre, dont l'aiguille aimantée indique les variations. L'amplitude des oscillations diurnes varie chaque jour, chaque mois, chaque année. Si l'on prend la moyenne des observations d'une année entière, on constate que cette oscillation peut s'étendre du simple au double, dans une période de onze ans environ, laquelle correspond à celle des taches solaires, le maximum des oscillatioiis comcidaîit avec le maxi- mum des taches, et le minimum avec le minimum. Il y a plus : l'aiguille LA TERRE, SEJOUR DE VIE aimantée manifeste de temps à autre des agitations anormales, des per- turbations causées par des orages magnétiques ; ces •perturbations coïnci' dent aussi avec les grandes agitations observées dans le Soleil! Ce sont les années où il y a le plus de taches, le plus d'éruptions, le plus de tempêtes dans le Soleil que ces oscillations sont les plus fortes, les plus ardentes; et les années où son balancement diurne est le plus faible sont celles où l'on ne voit dans l'astre du jour ni taches, ni éruptions, ni tempêtes! Existe-t-ildonc un lien magnétique entre l'immense globe solaire et notre ambulant séjour? Le Soleil est-il magnétique? Est-ce un influx électrique qui se transmet du Soleil à la Terre à travers un abime de 37 millions de lieues ? L'électricité s'envole-t-elle du Soleil avec l'hydrogène des explo- sions solaires, des nuages roses, de la Couronne, et avec les rayons de gloire qui partent de l'astre du jour? L'analyse spectrale nous a appris que le fer domine dans les vapeurs de l'atmosphère incandescente du Soleil, et nous savons que le même métal, si éminemment magnétique, domine aussi dans les uranolithes qui se volatilisent en tombant dans le foyer central, ainsi que dans la constitution interne du globe terrestre. Quoi qu'il en soit, l'influence magnétique vient certainement du Soleil. Aimantation du Soleil et de la Terre ; courants d'électricité circulant autour du globe de l'est à l'ouest ; rotation diurne de la Terre sur elle-même et action directe du Soleil par la température de l'air et du sol; révolution annuelle de notre planète ; froids de l'hiver, chaleurs de l'été ; différences de vitesse de rotation aux diverses latitudes; variations de la vitesse de la Terre sur son orbite, au périhélie et à l'aphélie; variations de la chaleur solaire elle-même selon le nombre de ses taches, selon l'état des flammes solaires et l'électricité versée par torrents dans l'espace : telles sont les causes principales de production et de variation du magnétisme terrestre. Nous avons dit tout à l'heure que la boussole ne se dirige pas juste au nord. C'est ce qui déjà avait tant effrayé les matelots de Christophe Colomb qui craignaient qu'ayant » perdu le nord » le navire ne fût des- tiné à s'égarer tout à fait en des abîmes inconnus. La boussole pointe (à Paris, actuellement, 1883), à gauche ou à l'ouest du nord géographique et astronomique, avec un angle de 16 degrés d'écart. Cet écart se nomme la déclinaison magnétique. L'écart est le même, observé à Lille, Orléans, Limoges, Périgueux, Pau, c'est-à-dire le long d'une ligne tracée non pas juste du nord au sud, mais un peu obliquement au méridien (les deux lignes faisant entre elles un angle de 16°). Si l'on réunit par une courbe tous les points pour lesquels la déclinaison est la même, on construit une carte des hgnes dites « isogones » ou de même déclinaison. C'est ce que l'amiral Duperrey a fait en 1825, en construisant la carte reproduite ici [fig. 188). A cette époque, la déclinaison était de 22* à Paris. On voit que les pôles magnétiques du globe ne correspondent pas avec les pôles géo- LA TEP.UE, SEJOUR DE VIE graphiques, le pôle magnétique nord se trouvant par 70° de latitude et 100° de longitude ouest, près de l'ile Boothia Félix, et le pôle magnétique sud se trouvant par 76" de latitude et 135° de longitude est, au sud de l'Australie. Depuis cette époque, ces pôles ont certainement changé, le premier a dû se déplacer vers l'est et le second vers l'ouest. En effet, et ce n'est pas là le moindre phénomène, la déclinaison de l'aiguille aimantée varie d'une année à l'autre. Tandis qu'elle était de 22° [il Paris) en 1825, elle est maintenant de 16°. Cette variation a été observée sur une grande partie du globe, mais non partout; car il y a des contrées où elle ne change pas : par exemple, l'Amérique du Nord et la Chine. Dans nos contrées, la variation est rapide. Voici les observations qui ont été faites à Paris jusqu'à l'époque actuelle : VARIATION SECULAIRE DE LA DECLINAISON DE L AIGUILLE AIMANTEE A PARIS ANNÉE CÉCUNAISON AN NÉE DÉCUNAISON ANNÉE IlÉCUNAISON ANNÉE DÉCLINAISON ANNÉE DÉCUNAISON 1550 8* ■ i' S? 1704 9° .20' O 1737 14°.45'o 1781 20». 47' O 1835 220. 4' c 1580 11 .30 " 1705 9 .35 S 1738 15 .10 i — 20. 57 5 1848 20 .41 S 1610 8 . 0 1706 9 .48 " 1739 15 .20 " 1782 21 . 1 " 1819 20 .34 " 1622 6 .30 1707 10 .10 1740 15 .30 1783 21 .12 1850 20 .32 1630 4 .30 1708 10 .15 1741 15 .40 1781 21 .27 1851 20 .25 1634 4 .16 1709 10 .30 1742 15 .10 1785 21 .35 1852 20 .19 1610 3 . 0 1710 10 .50 1743 15 .10 1786 21 .36 1853 20 .17 1660 1 . 0 1711 10 .50 1741 16 .15 1789 21 .56 1854 20 .11 1661 0 • 40 i 1712 11 .15 1715 16 .15 1790 22 . 0 18.Ï8 19 .35 1G66 0 . 0 1713 11 .12 1716 16 .15 1791 22 . 4 1859 19 .29 1667 0 .15 o 1714 11 .30 1747 16 .30 1798 22 .15 ISCO 19 .23 1670 1 .30 g 1715 Il .10 1718 16 .15 1806 21 .51 18G1 19 .16 1680 .30 " 1716 12 .30 1749 16 .30 1807 22 .25 1862 19 . 8 1681 c .30 1717 12 .40 1750 17 .15 1808 22 .19 1863 19 . 1 1682 2 .30 1718 12 .30 1751 17 . 0 1809 22 . n 186J 18 .53 1683 3 .30 1719 12 .30 1752 17 .15 1810 22 .16 1865 18 .46 1684 4 .10 1720 13 . 0 1753 17 .20 1811 22 .25 1866 18 .39 16S5 4 .30 1721 13 . 0 1754 17 .15 1812 22 .29 1867 18 .32 1687 5 .12 1722 13 . 0 1755 17 .30 1813 22 .28 1868 18 .21 1688 4 .30 1723 13 . 0 1756 17 .45 1814 22 .34 1869 18 .16 1689 6 . 0 1724 13 . 0 1757 18 . 0 1816 22 .25 1870 18 . 7 1691 4 .40 1725 13 . 0 1758 18 . 0 1817 22 .19 1871 17 .58 1692 5 .50 1726 13 .45 1759 18 .10 1818 22 .26 1872 17 .49 1693 6 .20 1727 14 . 0 1760 18 .30 1S19 22 .29 1873 17 .40 1695 6 .48 1728 13 .50 1765 19 . 0 1821 22 .25 1874 17 .32 1696 7 . 8 1729 14 .10 1770 19 .55 1822 22 .11 1875 17 .24 1697 7 .40 , 1730 14 .25 1771 19 .50 1823 22 .23 1870 17 .17 1698 7 .40 1731 14 .45 1772 20 . 2 1821 22 .23 1877 17 .10 1699 8 .10 1732 15 .15 1773 20 . 0 1825 22 .22 1878 17 . 3 1700 8 .12 1733 15 .45 1777 20 .27 1826 22 .20 1879 16 .56 I70I S 48 1734 15 .35 1778 20 .41 1828 22 . 6 1880 16 .49 170Î 1703 8 9 .48 ° . 6 s 1735 1736 15 .45 ? 15 .40 S 1779 1780 20 .32 ? 20 .35 1 1829 1832 22 .12 ° 22 .13 1 18S1 1882 1883 16 .41 16 .33 S 16 .25 £ LE MAOM-rriSME TKUIiESTnE Un voit que la boussole se dirigeait à l'est du nord à l'époque des premières observations. Cet écart a diminué jusque vers IGGG : alors l'aiguille pointait juste au nord; puis elle a marché du côté de l'ouest jusqu'au commencement de notre siècle, en ralentissant sa marche vers la fin, car de 1790 ii 1835 la déclinaison est restée aux environs de 22°. Le maximum parait avoir eu lieu vers 1814, à 22°|-. Fig. 180. — Déclinaison de raiguille aimantée. Depuis lors l'aiguille se rapproche du méridien. Notre petite carte [fuj. 189) représente la déclinaison magnétique actuelle (1883) pour les [trincipales villes de la France et des environs. Cette oscillation séculaire nous montre un cycle évidemment pério- dique. L'aiguille aimantée va se rapprocher graduellement du méridien, et reviendra probablement vers l'an 196."j dans la direction du nord géogra- phique. L'intervalle lOôfi-lSl't pourrait être considéré comme représen- tant environ la moitié d'une demi-oscillation, ou le quart de la période totale, qui serait ainsi de 592 ans environ, si Ton admettait que l'axe LE MAGNETISME TEUUESTRE du cône décrit soit parallèle à l'axe du monde; mais il doit être incliné un peu vers l'ouest, car il ne semble pas que l'incursion à l'est s'étende jusqu'à 22° : elle n'était qu'à 12* en 1580. La période véritable doit êtra de 500 ans; mais l'oscillation occideuLale est plus longue que l'orientale. Ajoutons que l'aiguille aimantée n'est pas dirigée horizontalement par les courants magnétiques du globe, mais que sa pointe nord descend, plonge au-dessous de l'horizon, de 65° (à Paris, actuellement). En 1675 elle plongeait davantage encore : 75°. Cette inclinaison a régulièrement diminué depuis cette époque. Au pôle magnétique du globe elle plonge verticalement. A l'équateur magnétique (qui ondule de part et d'autre de l'équateur géographique) elle demeure horizontale. Il y a évidemment là un mouvement conique. Ce n'est pas tout. Que l'on fasse dévier l'aiguille de sa direction nor- male : pour y revenir, elle oscillera plus ou moins rapidement, suivant les pays. Ces oscillations, analogues à celles du pendule, sont en rapport avec l'intensité des courants, et elles varient comme la déclinaison et l'inclinaison. Cette vie magnétique du globe (dont nous pourrions peut-être retrouver bien des indices chez les êtres vivants : exemple, la « lumière odique » de Reichenbach) se manifeste visiblement dans les aurores boréales. Ces illuminations de l'atmosphère se montrent rarement à l'équateur ou sur les tropiques, quelquefois aux latitudes tempérées, et d'autant plus fréquemment qu'on s'avance davantage vers le pôle. Nos lecteurs peuvent avoir été témoins d'un certain nombre, entre autres de celles des 13 mai 1869, 24 octobre 1870, 4 février 1872, 17 avril, 14 mai et 2 octobre 1882, qui ont été fort belles en Europe. Cet écoulement silencieux des orages atmosphériques supérieurs revêt toutes les formes imaginables. Tantôt l'œil étonné saisit à peine des ondoiements rapides, blancs et roses, parcourant le ciel comme un frémissement. Tantôt c'est une draperie de moire, d'or et de pourpre qui semble tomber des célestes hauteurs. Tantôt c'est une rosée de feu accompagnée d'un lointain bruissement. Tantôt encore ce sont des gerbes de zones en- flammées s'élançant du nord dans toutes les directions. C'est surtout vers les cercles polaires, où les orages sont si rares, que, par contraste, ces manifestations de l'électicité terrestre déploient leurs douces splen- deurs. Les courants magnétiques venus du pôle et de l'équateur se ren- contrent là dans une lumineuse effusion; il semble que ce soit l'âme même de la planète qui s'y révèle. Au pôle même, et au nord du Groenland, ces phénomènes paraissent complètement absents. D'après une statistique (faite par M. Loomis) des aurores vues à Newhaven (Gonnecticut) depuis 1785 jusqu'en 1854, leur distribution s'étend le long de la zone circumpolaire représentée figure 191. Elles paraissent se développer en un immense anneau de LK MAfiNÉÏlSME TEIIRESTRE lumière, à 700 kilomètres de hauteur en moyenne, autour d'un foyer qui ne doit pas être éloigné du pôle magnétique. Oueltiuefois elles sont beaucoup plus basses. Parfois aussi elles n'ont de boréal que le nom. Celles du 2 septembre 1859 et du 4 février 1872, par exemple, illuminaient à la fois le globe tout entier ! Ces phénomènes sont en relation intime avec les mouvements de l'ainuille aimantée et en rekdiuu lointaine avec l'aclivité du Soleil. Fis. l'JO. — l'ue aurore boréale. Terminons cet exposé général de l'état physiologique de notre planète en ajoutant que, selon toute probabilité, ce globe est, non pas liquide, mais pàtcu.\ jusqu'en son centre, et que la chaleur interne n'augmente pas, comme on l'enseignait, jusqu'à une grande profondeur. Immédiate- ment au-dessous du sol, la proportion d'accroissement est de l°par 30°; mais cet accroissement parait s'arrêter à ([uehiues kilomètres. Les volcans et les trendilements de terre sont des phénomènes locaux et ne provien- nent pas des profondeurs du globe, lc(iuel est ainsi plus solide qu'on ne l'admettait à l'époque où les géologues le comparaient à une coquille d'œuf. LA TKlir.t. SKJOLU DE VIE IVUe est, exposée dans ses grandes lignes, la physiologie générale de notre planète. Il nous reste maintenant à juger les conditions de la vie qui la caractérisent. Quoi qu'on en dise, notre planète ne se trouve pas dans les meil- leures conditions imaginables d'habitabilité; bien des lacunes, bien des défauts, bien des obstacles se font reconnaître à l'œil philoso- phique qui analyse l'état vital de ce globe; et si la Terre est habitée, ce n'est pas qu'elle fasse exception au milieu de ses compagnes, mais c'estparce qu'il est dans la nature des planètes d'être habitées. Il est bien probable, pour ne pas dire certain, que les astronomes de Saturne et de Mars déclarent la Terre inhabitable, et ils ont d'excellentes raisons pour cela. Supposons-nous un instant habiter la première de ces deux planètes. Quel effet produit la Terre vue de là? Sur Saturne, globe magnifique, 675 fois plus gros que la Terre, on se croit au centre même de l'univers. Des anneaux radieux se suc- cèdent dans le ciel, paraissant créés exprès pour soutenir les voûtes célestes. Le Soleil, astre fort petit, mais source de la lumière et de la chaleur, parcourt sa route apparente au delà de ces anneaux. Huit satellites énormes, beaucoup plus gros en apparence que le Soleil lui- même, tournent dans le même sens, se diversifiant par mille phases variées. Le ciel étoile enferme tout cet immense système en accom- plissant chaque jour son rapide mouvement diurne. A travers ce ciel circulent trois belles planètes : Jupiter, Uranus et Neptune. Là, dans cette noble sphère, chaque année surpasse trente fois celles de la Terre en durée, et se compose de 25069 jours saturniens! Ces êtres ne connaissent probablement même pas l'exis- tence de la Terre, attendu qu'elle est invisible pour eux. Elle a beaucoup moins d'importance optique pour eux que les satellites de Jupiter n'en ont pour nous. Ce n'est qnhm point, à peine lumineux, situé à plus de 300 millions de lieues d'eux, et tout à fait impercep- tible, même en leur supposant des télescopes beaucoup plus puissants que les nôtres. Ce point erre à gauche et à droite du Soleil, sans jamais s'en éloigner à plus de 6 degrés, c'est-à-dire à plus de douze fois la largeur que nous présente cet astre : il est donc constamment éclipsé dans ses rayons, et par conséquent invisible. Seulement, de temps en temps, ce petit point passe sur le Soleil, comme une piqûre d'aiguille, et c'est le seul cas dans lequel LA IKUlii;, s K. unit 1)K VIE on puisse lo voir et constater son existence. Nous sommes dniir pour Jes Saturniens un petit point noir passant de temps en Iciups devant leur Soleil. Et encore, quand nous disons pour les Salur- nit'iis, nous forifuis mionx de dire sculiMuont pour li's astronomes do Fig. illl. — Uistributioii circoinpolairo des aurores boréales. Saturne, car pour le reste de la population notre planète tout entière n'a pas la moindre importance : nous ne signifions rien. Tel est l'effet que notre orgueilleuse Terre, si avidement partagée par les conquérants, produit à la distance de cette planète. Qne serait-ce si nous nous demandions ce qu'elle devient, vue d'Uranus, de Neptune, et surtout xue des étoiles ! Et c'est sur ce petit point noir que les religions avaient prétendu concentrer toute la pensée du Créateur ! ! TERRES DU CIEL 55 LA TERRE, SÉJOUR DE VIE Cette vue astronomique de la Terre est bien propre à modérer l'admiration et l'estime que nous pouvions avoir à son égard, et à nous affranchir de ce faux patriotisme qui fait croire aux citoyens de chaque pays que leur patrie est la première nation du monde. Les comparaisons faites en voyage sont utiles pour corriger cette myopie, et vues de loin, surtout en astronomie, ces illusions perdent vite leur fausse grandeur. Comme dimensions, comme poids, comme densité, comme dis- tance au Soleil, comme durée de l'année, comme saisons, comme situation astronomique particulière, la Terre n'a reçu aucun avan- tage, et d'autres planètes sont à plusieurs égards beaucoup mieux privilégiées. La vie, telle qu'elle est à la surface de notre planète, est en parfaite harmonie avec les conditions d'habitabilité du globe : il n'en pouvait être autrement, puisque ce sont ces conditions-là elles-mêmes qui ont fait la vie ce qu'elle est. Cette vie terrestre ne pourrait être transportée à la surface d'une autre planète sans y subir des transformations radicales. Aussi devons-nous prendre soin de ne pas tomber dans l'erreur générale où tombent presque toujours ceux qui établissent des comparaisons entre les autres planètes et la nôtre. 11 y a ici un effort d'esprit à faire sous peine de ne rien comprendre à la question. C'est au point de vue général qu'il faut envisager la physiologie d'un autre monde, et non au point de vue particulier de l'état de la vie terrestre transportée ailleurs. Et la Terre elle-même, c'est au point de vue général qu'il faut l'examiner pour la juger, et non au point de vue particulier de l'adaptation des espèces aux conditions qui leur ont donné naissance. Ainsi, considérons d'abord l'intensité des saisons. Il est incontes- table que l'hiver est aussi nécessaire que l'été pour que le blé, les céréales, la vigne, les diverses plantes, germent, fleurissent et arrivent à maturité. Mais conclure de cet arrangement terrestre, comme le faisait mon ancien maître et ami Babinet, de l'Institut, que Jupiter n'est pas habitable parce que le blé n'y pourrait pas former d'épis, et qu'on y mourrait de faim, c'est évidemment trop se resserrer dans le mesquin cercle terrestre, et faire une faute de traduction des paroles de la nature. L'influence des saisons est assurément favorable à la végétation LA TERRE, SÉJOUR DE VIE aussi bien qu'à l'animalité terrestres. Mais les trop grands froids comme les trop grandes chaleurs ne sont pas utiles et ne sont au contraire que trop souvent funestes. Supposons un instant que l'axe de la Terre soit moins oblique sur l'écliptique. Le règne végétal comme î le règne animal se seraient organisés plus délicatement. Les espèces, n'ayant pas à supporter de pareilles alternatives de tempé- rature, seraient moins rudes et plus sensibles. Il y aurait moins d'âpreté dans le régime de la planète, et les choses n'en iraient que mieux. A ce point de vue si important, puisque ce sont les saisons et les climats qui règlent en partie l'état de vie, notre planète est bien loin d'être excellente ; et les habitants de la Terre en avaient conçu eux-mêmes une mieux organisée, en inventant, au berceau des sociétés, Vâge d'or, avec le printemps perpétuel et l'axe perpen- diculaire à l'écliptique. La distribution des eaux à la surface de notre monde n'est pas moins imparfaite que celle des températures. Il y a des contrées où la pluie est trop abondante et presque toujours diluvienne. Il en est d'autres où il ne pleut jamais. Dans les régions tempérées et privi- légiées elles-mêmes, comme la France, l'Italie ou la République argentine, des années entières sont parfois d'une sécheresse qui stérilise tout, tandis qu'en d'autres temps des inondations épouvan- tables fondent sur une province, la dévastent de fond en comble, jonchant de cadavres les rives des fleuves, et ne laissant après elles que la ruine et la mort. Les trois quarts du globe terrestre sont couverts d'eau ! Un quart seulement de la planète est habitable, et sur ce quart de terre ferme, que de régions sont encore vouées à la solitude, ici par les glaces polaires, là par les dévorantes ardeurs d'un soleil tropical? Le but général des'planètes est d'être habitées. Mais combien peu habitable était la Terre à l'époque déjà oubliée où la vie commença d'y apparaître ! et combien ses conditions d'habitabilité sont encore médiocres aujourd'hui! Notre pauvre mère ne nourrit pas ses enfants. Il faut par un tra- vail opiniâtre lui arracher l'alimentation fatalement nécessaire à nos organismes, et pour vivre, il faut, dans ce singulier monde, que tous les êtres se mangent entre eux ! Le fait qui peut le mieux frapper peut-être ici l'esprit du penseur. LA TERRE, SEJOUR DE VIE c'est de songer que sur cette planète on peut nioiu'ir de faim. Il n'est malheureusement pas contestable que sur les 'JOOÛO humains qui meurent chaque jour à la surface de la Terre, plusieurs cen- taines meurent d'inanition. Pourquoi? Parce que ce globe a tou- jours été stérile et qu'il ne peut pas nous donner de lui-même ce qui nous est nécessaire. Combien toute l'économie vitale serait simplifiée si l'atmosphère elle-même était nutritive ('). Déjà l'oxygène de l'air, mélangé à l'azote qui en tempère l'activité, nous nourrit aux trois quarts. Par son action incessante, notre sang renouvelle constamment ses propriétés vitales, et entretient gratui- tement le fond même de notre existence. Seulem^ent, la respiration seule ne suffit pas pour nourrir entièrement l'être vivant; elle laisse une lacune qu'il nous faut impérieusement combler par le pain quotidien. Cette lacune n'était pas nécessaire. Que l'atmosphère contienne en elle les principes que nous sommes obligés d'aller chercher dans les aliments, et elle nous nourrissait entièrement. La faim n'existant plus, n'ayant jamais existé sur cette planète! le régne animal se serait développé sous une forme bien différente de celle qu'il a revêtue, et eût été moins opposé au doux règne des plantes et des fleurs qui l'a précédé aux époques géologiques. Le ventre qui digère, l'estomac qui broie, la mâchoire qui déchire la proie, ne se fussent point formés dans ces organismes plus purs, que l'air lui-môme eût silencieusement nourris. Les êtres ne res- sembleraient point à ce qu'ils sont ici. Nous n'aurions ni ventre, ni estomac, ni mâchoires. Nous serions organisés autrement que nous ne le sommes, et certes dans une condition incomparablement pré- férable, à tous les points de vue ('). Utopie! chimère! rêverie! se disent certainement, en lisant ces lignes, plusieurs de mes lecteurs. Eh non ! Détrompez-vous. Il n'y a dans ces études de physiologie astronomique ni utopie, ni chimère. (') C'eût été un avantage considérable pour les âmes incarnées sur la Terre. Plus de ces besoins matériels et grossiers qui courbent toutes les tètes vers le sol, et condamnent l'humanité à gratter la terre pour arracher de son sein l'alimentation de chaque jour! Plus de ces massacres perpétuels d'animaux immolés au dieu du ventre! Ils se tairaient, ces perfides conseils de la faim qui conduisent au vol et à l'assassinat! Quelle transformation, quelle transfiguration ce simple perfection- nement de l'atmosphère terrestre n'aurait-il pas établie à la surface de notre monde! On vivrait plus simplement et plus longuement. Les maux provenant de la singulière LA TERRE, SÉJOUR DE VIE ni rêverie. Parce que vous n'avez vu que votre villcagc, vous voulez que tous les ^dllages ressemblent au vôtre, et qu'à Constantinople on construise les maisons sur le modèle de la vôtre ! Parce que vous vous noyez dans la mer, vous supposez que la vie y est impossible ! Mais songez donc que là où vous mourez, d'autres êtres vivent, et que là où vous vivez d'autres meurent. Songez donc que déjà sur notre propre planète (où la vie est organisée dans le système de la nutrition féroce) il y a des êtres qui vivent sans manger, nourris par le fluide ambiant : tels sont les mollusques récemment découverts au fond des mers. Quoi ! parce que nous mangeons de la sorte ici, nous voudrions que la nature incommensurable eut cons- truit tous ses enfants sur le modèle de notre fourmilière!... Et pour- quoi?... Pour que dans tous les mondes de l'espace on ait faim ? pour que partout on ait soif? pour que partout on tue? pour que partout on digère?... Ah! c'est un singulier spectacle que l'on développe ainsi dans l'étendue des cieux. On mange ici, parce que la planète n'est pas parfaite. Mais, d'ail- leurs, elle pourrait être à ce point de vue beaucoup plus imparfaite encore. Nous avons dit plus haut que l'atmosphère nous nourrit aux trois quarts en régénérant constamment notre sang et nos tissus. Or, cette alimentation par l'air, cette respiration se fait toute seule, automatiquement, gratuitement, constamment, nuit et jour, sans que nous ayons rien à faire pour la conquérir. Mais de quel droit respirons-nous ainsi gratuitement? De quel droit, bons ou méchants, savants ou ignorants, riches ou pauvres, recevons-nous, sans même y penser et en dormant, cette alimentation pulmonaire gratuite? Nous pourrions être beaucoup plus malheureux, et con- damnés à accomplir un certain travail pour dégager cette nourri- Juré fluidique et l'assimiler. Et qui nous assure qu'il n'y a pas, non îonformation des dents, ainsi que de celles de l'estomac et des entrailles n'eussent jamais existé. Le mens sana in corpore sano serait la règle et non l'exception. (') La science physiologique nous permet même de concevoir comment l'entretien des corps vivants pourrait s'opérer de la sorte. La nutrition s'effectue ici à l'aide du tube digestif, que les aliments traversent dans toute sa longueur, en laissant à l'organisme, par le travail de l'estomac, les produits assimilables. Or, au lieu de s'effectuer du dedans au dehors, l'assimilation pourrait se faire du dehors au dedans, par les pores, intussusception ou endosmose. L'échange des molécules, le rempla- cement des anciennes par les nouvelles, n'en serait pas moins accompli. Un tel régime serait sans contredit moins grossier et plus parfait que celui qui domine ici. LA TERRE, SËJOCR DE VIE loin de nous peut-être dans l'espace, de malheureuses planètes privées d'air respirable, où l'on n'a rien gratuitement, où il faut tout conquérir par le travail, non pas seulement comme ici le quart de son entretien organique, mais les quatre quarts... et où tous les êtres se combattent sans trêve dans un perpétuel et incessant com- bat pour la vie? Si l'entretien de nos corps ne s'effectuait pas par la méthode d'alimentation vulgaire que nous connaissons, nos corps n'auraient pas la même forme. Nous pouvons donc être assurés que les hommes des autres planètes n'ont pas les mêmes corps que nous ('). Non, l'humanité terrestre n'est pas la plus idéale des humanités, et la Terre n'est pas le meilleur des mondes. Un monde où l'on mange, où l'on se vole, où l'on se bat; un monde où «la force prime le droit » ; un monde où règne l'hydre infâme de la guerre; un monde de soldats, où les nations sont incapables de se gouverner elles-mêmes; un monde où cent religions qui se prétendent révélées enseignent l'absurde et se contredisent mutuellement : un tel monde n'est pas parfait. Formée, à l'origine d'un petit nombre d'individus, l'espèce humaine n'a cessé de s'accroître en nombre et en puissance, malgré de nombreuses défaillances circonscrites à certains temps et à certains pays. Quel est le nombre actuel des habitants de notre (•) Le sentiment du beau est par conséquent essentiellement relatif; s'il varie déjà d'un peuple à l'autre sur la Terre, à plus forte raison varie-t-il d'une planète à une autre. Le beau est constitué par l'harmonie des formes, dans leur adaptation au but pour lequel elles existent. Sans doute pour nous, habitants de la Terre, l'Apollon que l'on admire au Belvédère du Vatican, l'Antinoïis du même musée, la Vénus de Médicis de la tribune de Florence, celle du Capitole à Rome, ou la Vénus Callipyge de Naples, sont de véritables types de beauté qui nous frappent et nous charment. Mais c'est la beauté humaine terrestre, beauté qui serait monstrueuse dans un monde où l'on ne mange pas. Et même, considérée en elle-même, cette organisation humaine terrestre laisse bien un peu à désirer. N'est-il pas singulier en effet — avouons-le entre nous — que les organes auxquels la nature a confié le rôle le plus important pour la conser- vation de l'espèce, et qu'elle a gratifiés (avec une habileté providentielle) de la sensa- tion des plus vifs plaisirs, soient précisément placés vers dbes régions du corps incontestablement fort peu poétiques, et tout à fait rebelles à l'idéalisme? N'y a-t-il pas là une anomalie bizarre, nous montrant que la race humaine terrestre n'est pas angé- lique, et que, malgré les plus pures aspirations du sentiment, elle est condamnée à rester toujours un peu trop grossière?... L'homme, itnage de Dieu!... Peu pro- bable. ^ LA TERKE, SEJOUR DE VIE planète? A défaut de dénombrements exacts qui manquent dans beaucoup de contrées, les calculs les plus probables que l'on ait pu faire donnent le résultat approximatif de 1430 millions d'hu- mains distribués à peu près comme il suit sur les 136 millions de kilomètres carrés continentaux (l'eau en occupe 374) : En Asie ISS millions. En Europe 328 En Afrique 206 \ 1430 millions. En Amérique. . .' 101 En Océanie 31 En adoptant pour la population totale de la Terre ce chiffre de 1430 millions d'habitants, et une vie moyenne de 39 ans, il meurt : Chaque année 33133 000 individus. Chaque jour 90 720 Chaque heure 3 780 Chaque minuti' 63 Chaque seconde, un peu plus de 1 Ainsi, à chaque seconde, du tronc de l'humanité une feuille se détache, remplacée aussitôt par une feuille nouvelle. Entre le monde visible et le monde invisible s'établit une procession continue de vivants et de morts, où la vie gagne cependant de jour en jour un peu de terrain sur la mort, puisque le chiffre des naissances dépasse celui des décès. Nous ne naissons ici que pour mourir, et pour mourir vite, quelle que soit l'heure. Aussi ne s'explique-t-on pas que tant d'hommes se tourmentent du désir de la fortune, de l'am- bition, de la gloire, ou de la vaine et éphémère fumée des pré- tendues grandeurs terrestres. Notre monde pourrait facilement nourrir dix fois plus d'habitants, soit quatorze milliards et davantage. Mais l'homme n'est pas mieux réussi que sa planète : il ne sait pas vivre. Chaque individu se suicide plus ou moins vite, et chaque peuple se stérilise et se tue lentement. Si l'homme était sage dans sa conscience, raisonnable dans ses volontés, bon dans ses actions, sa vie, si courte et si toiirmentée ici-bas, serait plus longue et plus heureuse ; les lois sociales seraient plus simples et plus équitables, et l'on ne ren- contrerait pas à chaque instant, dans les sociétés humaines, des anomalies et des absurdités légales, respectables mais insensées. Nous devons croire et espérer que le Progrès, force si incontes- LA TEFIRE, SEJOLK DE VIE tablement agissante dans la succession des espèces végétales et animales, se manifestera un jour dans le règne humain. Déjà la condition de notre race n'est plus ce qu'elle était du temps de l'âge de pierre; déjà nos sentiments sont plus élevés, nos goûts moins barbares, notre esprit plus éclairé. Oui, le progrès marche. Nos cœurs- ne bondissent-ils pas au- jourd'hui d'indignation et d'horreur, ' lorsque nous lisons le récit des tortures que les prêtres et les moines de la sainte Inquisition faisaient subir aux infortunés qui vivaient sous leur régne ? Deux siècles seulement se sont passés depuis que, sous un prétexte chrétien, au nom d'un Dieu de paix et de miséricorde, on Ijrùlait vif à Rome l'infortuné Jordano Bruno, parce qu'il enseignait la pluralité des mondes; depuis qu'on versait du plomb fondu dans les plaies déchirées, depuis qu'on rôtissait la plante des pieds d'un accusé, depuis qu'on emplissait d'eau un homme jusqu'à ce que mort s'en suivit, depuis qu'on chaussait les jambes de brodequins de fer rougis au feu, depuis qu'on écartelait lentement les membres disloqués, depuis que les auto-da-fé tordaient les victimes sous les yeux des pontifes et des rois... Les esprits les moins tolérants ne se sentent-ils pas aujourd'hui révoltés jusqu'au fond de l'âme, lorsqu'ils se souviennent que l'immortel et vénérable Galilée a été condamné parle pape Urbain VIII à mentir à sa conscience et à la vérité, sous peine de la torture et du sort de Bruno?... Oui; il y a du progrés dans l'humanité. Mais il faut la soutenir courageusement cette cause sacrée du progrés, car nos défaillances pourraient fa- cilement la laisser sombrer encore ('). Malheureusement, le progrès n'est pas continu, et il y a de temps en temps d'inexplicables oublis , de profondes défaillances dans l'intelligence des peuples. 11 est donc probable que ce n'est ni (') Quel chomiii nous reste encore à faire! Quand on songe que le premier ministè:?a de chaque nation est le ministère de la guerre, ne se sent-on pas honteux d'ètn: citoyens d'une telle planète! On connaît l'emploi intelligent qui est actuellement fait en Europe des fruits du travail : BUDGET ANNUEL DE LA TUERIE INTERNATIONALE Russie 603 millions Angleterre . . . 387 millions Allemagne ... 600 — Autriche 3ii;; — France' S71 — Italie 2i:i — Ce sont là les dépenses annuelles du militarisme sur le pied de paix, lorsqu'on en Le Champ d'honnecr de l'humanité terrestrt TERRES DC CIEL 5C LA TERRt, SEJOUR DE VIE dans ce siècle, ni dans le prochain, que nos aspirations philoso- phiques et politiques seront réalisées. Mille ans même ne sont rien dans la vie d'une humanité. Il y a peut-être cinquante mille ans que l'espèce humaine s'est dégagée de l'espèce simienne, et nous ne sommes encore guère avancés! Elle n'atteindra pas son apogée avant cent mille ans peut-être. Et encore, arrivée à la cîme de sa grandeur, sera-t-elle hien loin de la perfection, notre monde ne le permettant pas. Tel est, simplement et mathématiquement, notre petit monde. Nous l'avons constaté tout à l'heure, son organisation est loin d'être parfaite, et jamais, dans les rudes conditions d'e.xistence qui lui ont été départies, la vie terrestre n'atteindra le degré d'élévation qu'elle occupe sur les mondes supérieurs. Et pourtant, quel enseignement nous donne ici la Nature ! La Terre est stérile, elle est petite, elle est dans le voisinage du Soleil, elle subit des alternatives funestes de température, elle est axix trois quarts couverte d'eau et inhabitable, etc. ; et malgré cette situa- tion d'insuffisance et de médiocrité, non seulement elle est habitée, mais elle l'est encore au-delà de toute expression. Le sol, les eaux, l'air, fourmillent d'êtres vivants. On ne peut analyser un litre d'air, en quelque heure du jour ou de la nuit, en quelque saison de l'année que ce soit, sans trouver dans les résidus mille témoignages de la vie, êtres microscopiques vivants ou morts, germes animaux ou végétaux, débris de toute sorte (que nous respirons sans cesse). L'Océan avait été déclaré par les naturalistes dépourvu de vie à partir d'un faible niveau au-dessous de la surface, et les sondages récents ont ramené la vie de toutes les profondeurs. Depuis le fond des vallées jusqu'aux neiges perpétuelles des montagnes, depuis les abîmes des mers jusqu'aux rivages, depuis l'équateur jusqu'aux fait rien. Quand on « travaille » on se ruine et on s'extermine tout à fait sur le Champ d'honneur de l'humanité terrestre. Et l'homme a osé se qualifier d'animal rai- sonnable! Et l'on prétendrait qu'il n'y a pas d'êtres mieux réussis que nous dan> l'Univers!... Actuellement (an de grâce 1883} toute la jeunesse valide de l'Europe est consciencieu- sement occupée, du mutin au soir, et sans une minute de répit, à faire l'exercice, net- toyer dos fusils, frotter les cuirs, balayer des casernes, panser des chevaux, etc., et c'est ans ces nobles devoirs que les gouvernements du XIX" siècle font consister l'honneur des nations!.. C'est à se demander si l'on ne rêve pas tout éveillé. — 11 est juste de reconnaître que l'on fait de temps en temps un peu de musique. C'est une excuse. LA TEURE, SÉJOIK DE VIE régions polaires, partout, dans le sol, dans l'eau, dans ratmosphère, partout abonde la vie, à tous les degrés, sous toutes les formes, dans toutes les conditions : elle palpite dans la Nature comme la pous- sière dans un rayon de soleil; elle remplit tout, elle couvre tout, naît de la mort elle-même, et s'entasse à l'état parasite sur les êtres vivants, se consumant pour ainsi dire aveuglément elle-même plutôt que de s'arrêter dans son expansion infinie. La Terre est une coupe trop étroite pour contenir cette surabon- dance d'activité, et la vie déborde de toutes parts, se perdant en flots inutiles. Telle est notre planète, quoique pauvre et désbé- ritée à bien des égards; quoique improductive, quoique imparfai- tement développée. Et non seulement elle déhorde actuellement d'existences, dans les conditions de tranquillité auxquelles elle est aujourd'hui parvenue, mais encore, dans des conditions tout autres, absolument différentes, moins propices à la conservation des éires, au milieu des flammes de l'époque primaire, dans les eaux cliaudes et tumultueuses, sous une atmosphère épaisse, lourde et empoi- sonnée, avant la formation de la terre ferme, déjà elle s'était vêtue d'une toison d'êtres vivants, végétaux et animaux se développant et se succédant pour obéir à la loi de vie et de Progrès, qui est inscrite en caractères ineffaçables au fronton du temple de la création. Telle est, telle a été, telle sera la Terre, astre médiocre jeté au milieu des mondes de la grande république solaire. Son spectacle nous apprend à juger celui des autres « terres du Ciel », que nous ne voyons pas d'aussi prés, et son infériorité organique rehausse encore la conclusion qu'il nous inspire en nous conduisant à voir dans ces autres patries une création vitale en harmonie avec leur grandeur, leur importance et leur beauté. Mobile et minuscule dans Vespace, notre planète n'a pas plus d'importance au point de vue du temps. Pendant une série de siècles si innombrables qu'ils équivalent pour nous à l'éternité, elle n'existait pas, ni la Lune, ni le Soleil, ni les planètes de notre système. Et pourtant, alors comme aujourd'hui l'immen- sité était peuplée d'astres éclatants, de soleils, de systèmes et d'hu- manités. L'humanité terrestre n'aura elle-même, au surplus, qu'une durée I,A itIîKli, SEJOUIl DE VIE ùpliémère. Combien est insignifiant l'intervalle écoulé depuis que l'homme a ici-bas sa tlcmoure ! Nous contemplons avec une silen- cieuse admiration ce que les musées conservent des restes de rilgypte et de l'Assyrie, et nous désespérons de pouvoir reporter nos pensées jusqu'à des époques si reculées. Cependant la race humaine doit avoir existé et s'être multipliée pendant bien des siècles, antérieurement à la fondation des Pyramides. Lors même qu'on estimerait à cinquante mille années le passé de l'existence di^ l'homme, si vaste que ce temps puisse nous paraître, qu'est-ce en comparaison des périodes durant lesquelles la Terre a nourri des séries successives de plantes et d'animaux gigantesques, qui ont précédé l'homme? périodes qui ont duré des millions d'années. Or, tous ces siècles de vie sont eux-mêmes un temps singulière- ment court, lorsqu'on leur compare la période primitive pendant laquelle la Terre n'était qu'un amas de roches fondues : les expé- riences sur le refroidissement des minéraux semblent prouver que pour se refroidir de 2000 degrés à 200, notre globe a eu besoin de 350 millions d'années ! L'histoire de l'humanité terrestre n'est qu'une petite vague à la surface de l'immense océan des temps. La persistance d'un état de la nature favorable à la continuation du séjour de l'homme sur la Terre semble assurée pour une période de temps bien plus longue que celle durant laquelle ce monde a déjà été habité, de sorte que nous n'avons rien à craindre pour nous-mêmes ni pour de longues générations après nous. Mais ces mômes forces qui ont produit la vie et l'ont déjà tant de fois transformée, s'épuisent et changent et le Soleil lui-même voit sa chaleur se disséminer dans l'espace. Le temps viendra où nous disparaîtrons à notre tour pour céder la place à des formes vivantes nouvelles et plus parfaites, comme Ticlithyosaure et le mammouth ont été remplacés par nous et nos contemporains, et où les hommes futurs disparaîtront fina- lement eux-mêmes... Qui sait ce qui sommeille dans les espaces reculés de l'avenir ? Le globe a été des millions d'années avant d'être habité par l'hu- manité, et lorsque la dernière paupière humaine se sera fermée, il restera des millions d'années à tourner autour du Soleil éteint. La durée de l'habitation de la Terre par l'intelligence ne formera peut- ■r-«.w>*^.^,.v..u\>;L^Tfe\;^jai«5ap?,y^-^tj?.x^--:^.y viff^^ Et d .iilj; et Je faux dépouillé désormais, Sur les mondes détruits le Temps dort immobile. LA TEKRE, SÉJOl li HE VIE être pas plus de la millième partie de la durée totale du globe : ce n'est donc qu'un instant dans l'éternité etqu'un point dans l'espace. Et c'est dans cet instant et dans ce point que nos ccntradicteurs vou- draient renfermer l'infini ! !... quand des milliards de soleils brillent, brillaient avant nous, et brilleront toujours dans l'immensité sidé- rale, et quand nous recevons seulement aujourd'hui la lumière qu'ils émettaient avant la création de l'homme ! Le jour viendra où toute la vie terrestre aura disparu, où l'his- toire de notre humanité sera fermée et scellée, où la nuit éternelle enveloppera notre antique système solaire : Et d'ailes et de faux dépouillé désormais, Sur les inondes détruits le Temps dort immoliile écrivait le poète Gilbert dans son ode du jugement dernier. Et pourtant aussi, alors comme aujourd'hui, des milliards d'autres soleils verseront dans l'infini les rayons d'or de la vie — sur de nou- veaux printemps, • — sur de nouveaux regards heureux de s'ouvrir vers le ciel, — sur de nouveaux cœurs palpitant des émotions de la jeu- nesse, — sur des humanités arrivant à l'apogée de la force et de la grandeur... La Terre entière, de son premier à son dernier jour, n'aura été qu'un chapitre passager, rapidement lu, de la « Divine Comédie. » Mais c'est assez nous occuper de cette médiocre planète. Conti- nuons notre voyage uranographique, et arrêtons-nous un instant sur notre inséparable compagne la Lune, qui nous regarde du haut de la nuit en attirant sympathiquement nos pensées vers sa candeur. LIVRE V LA LUNE, SATELLITE DE LA TERRE LIVRE V LA LUNE, SATELLITE DE LA TERRE CHAPITRE PREMIER La Lune dans le ciel. Sa distance. Son diamètre. Son volume. Son poids. Mouvement autour de la Terre et autour du Soleil. 3 Roine mystérieuse de la nuit, toi dont la blanche lumière des- cend comme un rêve sur le sommeil de la Nature ; toi qui glisses au sein des vagues éthérées plus doucement que la gondole sur l'onde de Venise, et qui demeures suspendue entre le Ciel et la Terre comme un point d'interrogation appelant nos regards vers les cé- lestes énigmes, combien je voudrais connaître les mystères cachés dans ta gracieuse auréole ! Soit que tu trônes solitaire au sommet. des cieux, soit que tu mires ta blonde image sur la mer transpa- rente, soit que tu reposes, globe immense et empourpré, dans les vapeurs de l'horizon terrestre, tu te distingues de tous les astres par ton apparente grandeur et par ta lumière, et tu planes comme une mélodie au-dessus du silence attentif de la nuit. Appartiens-tu au Ciel ou à la Terre? Marques-tu la limite entre les deux sphères, comme le supposait la divination de nos pères? ou bien es-tu ber- TERRES DU CIEL &y LA LL'rK I.A TKRRE particularité qui affecte très légèrement l'année terrestre et la diminue de 20 minutes, quant au cours réel des saisons, sur la durée précise de la révolution autour du Soleil, affecte beaucoup plus l'année lunaire (quant au cours des saisons également, c'est-à-dire à l'année civile), etladimi- Fig. 108. — Etendue du globe lunaire que nous connaissons. nue de 19 jours, de sorte qu'elle n'est que de 340 jours (3iGJ l'i*" S'»""). Le mouvement rétrograde de l'axe terrestre demande 25765 ans pour s'ac- complir ; celui de l'axe lunaire s'effectue en 18 ans 7 mois. La Lune pèse 81 fois moins que la Terre. atmosphère ainsi que tous les éléments de la vie v('i,'i'talii et animale, » attendu qu'il est situé au-dessous du niveau Vnoycn. — Sur ce point-là, il n'y a rien de certain. Nous avons dit tout à l'heure que la Lune nous présente toujours la même face; mais c'est seulement en gros, car elle éprouve un balancement ou libratio/i qui nous laisse voir tantôt un peu de son côté f;aurhe, tantôt un peu de son côté droit, tantôt un peu au delà de son pôle supérieur, tantôt un peu au delà de son pôle inférieur. Il en résulte que la partie toujours cachée est à la partie visible dans le rapport de 420 à d80. (L'évaluation d'Arai,'o, 430 à 570, est un peu trop faible; nous en voyons un peu plus.) Proclor en a fait le dessin, que nous reproduisons ici {fig. 198). La topographie lunaire est la même sur ces huit centièmes de l'autre hémisphère que sur toute la surface de celui-ci. II est donc probable que cet autre hémisphère ne dif- fère pas essentiellement du nôtre comme géologie. CHAPITRE II Aspect général de la Lune. Sa lumière. — Ses taches principales. — Les plaines grises ou mers. Géographie de la Lune ou sélénographie. Le premier regard humain qui s'éleva vers les cieux à l'heure silencieuse où l'astre solitaire des nuits verse sa froide lumière, ne put contempler ce globe suspendu dans l'espace sans remarquer les teintes singulières qui le parsèment d'un dessin énigmatique. C'est par l'observation de la Lune que l'astronomie a commencé. Il y a bien des milliers d'années que les hommes ont remarqué cette bizarre figure de Phœbé regardant la Terre, et ont constaté qu'elle reste constante, n'est pas produite par des brouillards dans cet astre, mais est causée par l'état du sol lunaire, invariable lui- même. La première carte de la Lune fut certainement une repré- sentation grossière de la figure humaine, attendu que la position des taches correspond suffisamment à celle des yeux, du nez et de la bouche pour justifier cette ressemblance. Aussi voyons-nous partout et dans tous les siècles cette face humaine reproduite. Cette ressemblance n'est due qu'au hasard de la configuration géogra- phique de notre satellite ; elle est d'ailleurs fort vague et disparaît aussitôt qu'on analyse la Lune au télescope. D'autres imaginations ont vu, au lieu d'une tête, un corps tout entier, qui pour les uns représente Judas Iscariote et pour les autres Caïn portant un fagot d'épines. Nos ancêtres, les Âryas, y voyaient un chevreuil ou un lièvre (les noms sanscrits de la Lune sont les mots mrigadnhra , l-T A ininiMl. il.iijs 1,'s TERr.ES DU CIEL ihl;iir."î, l:i l.iiMi' f,i s il «'irlir des tombeaux les ombres réïeill''e5, qui se prccipilaicut vers sa lumière. 5S LA LUNE. — ASPECT GÉNÉRAL qui signifie porteuse du chevreuil, et sa'sabhrit, qui signifie porteuse du lièvre). Les Chinois mettent un lièvre dans son disque, et c'est sous cette forme qu'on la trouve représentée sur les brode- ries des anciens costumes. Mais, évidemment, des diverses ressem- blances imaginées, c'est celle du visage humain qui est la plus naturelle. L'astre de la nuit a joué un grand rôle dans la mythologie et dans l'histoire de tous les peuples. On lui attribuait des influences de toutes sortes sur les hommes, les animaux et les plantes, et même de nos jours ces croyances imaginaires n'ont pas encore complète- ment disparu, soutenues qu'elles sont par les influences réelles de notre satellite sur les éléments mobiles de notre planète, sur la Mer et sur l'atmosphère. Les heures nocturnes du clair de lune, l'obscurité, la solitude, le silence, l'enveloppent d'un certain mystère. Isis, Diane ou Phœbé, elle était à la fois admirée et redoutée. A minuit, dans les ruines solitaires, elle faisait sortir du tombeau les ombres réveillées, qui se précipitaient vers sa lumière en souvenir de la vie et des soleils d'autrefois... On croyait que la Lune exerçait une influence occulte, mais réelle, sur le genre humain. Tandis que les hommes subissaient principale- ment l'action du Soleil, les femmes subissaient celles de la Lune, qui réglaitune partie de leurs fonctions. Toutefois, leshommes qui nais- saient le lundi et à l'époque de la pleine lune étaient prédestinés à un caractère mélancolique, taciturne, flegmatique. Sa conjonction avec Vénus était très favorable et produisait les meilleurs effets; mais avec Saturne, elle était si fatale qu'elle pouvait conduire à l'échafaud. On avait partagé le corps humain en sept parties, ayant chacune un astre protecteur : le Soleil gouvernait la tète, la Lune le cou et le bras droit, Vénus la poitrine et le bras gauche (la main gauche égale- ment), Jupiter l'estomac et l'ensemble du torse ; Mars était confiné aune région plus spéciale; enfin Mercure tenait la jambe droite et Saturne la jambe gauche. Ces diverses parties du corps étaient en même temps soumises aiix douze signes du zodiaque. Le Bélier gou- vernait la tête, — le Taureau le cou, — les Gémeaux les bras et leâ épaules, — le Cancer la poitrine et le cœur, — le Lion l'estomac, — la Vierge le ventre et la Balance les reins. Le Scorpion avait les mêmes attributions que Mars ; le Sagittaire dirigeait les jambes LA LUNE. — ASPECT GÉNÉRAL jusqu'aux genoux, le Verseau pouvait agir au-dessous des genoux et les Poissons, plus humbles, n'avaient d'influence que sur les pieds. C'est par toutes ces influences combinées que l'on expliquait les chances ou les périls de la vie, et même les maladies. Morin, médecin de Louis XIII et du jeune Louis XIV ne se dirigeait guère que d'après ces préceptes, — qui étaient d'ailleurs, presque aussi efficaces que ceux de la médecine actuelle. Mais revenons à la Lune. Pour saisir à l'œil nu l'ensemble du disque lunaire, c'est l'époque de la pleine Lune qu'il faut choisir de préférence. Il importe d'abord de bien s'orienter. Supposons pour cela que nous regardions la Lune à cette époque, vers minuit, c'est-à-dire au moment où elle passe au méridien, et trône en plein sud. Les deux points extrêmes du diamètre vertical du disque donnent les points nord et sud; le nord étant en haut et le sud en bas. A gauche se trouve le point est, et à droite le point ouest. Si l'on observe à l'aide d'une lunette astronomique, l'image est renversée : le sud se trouve en haut et le nord en bas; l'ouest à gauche et l'es^ à droite. Cette dernière orientation est celle de toutes les cartes de la Lune, et de la nôtre en particulier (pi. IV). Il n'y a guère que deux siècles que nous avons des cartes de la Lune un peu détaillées (mais il y a des humains tellemeut en retard sur la marche du progrès, qu'on les étonnerait encore aujourd'hui en leur di- sant que la carte géographique de la Lune est déjà faite). La première des- cription systématique de la surface de la Lune a été donnée par Hévélius dans sa Sélénographie (1647). Nous la reproduisons ici (fig. 201). L'auteur baptisa les diverses contrées lunaires de désignations tirées de la géogra- phie terrestre : mer Méditerranée — mer Adriatique, — Propontide, — Pont-Euxin, — Mer Caspienne, — Sicile, — Palestine, — Mont Sinaï, etc. L'ouvrage d'Hévéhus, avec ses nombreuses figures télescopiques, est encore aujourd'hui, malgré son âge, l'un des plus curieux que l'on ait écrits sur la Lune. Comme comparaison avec cette carte antique, nos lecteurs pourront examiner aussi [fig. 202) celle de Riccioli, Ahnagestum novum (1651) de la même époque comme on le voit , sur laquelle les configura- tions lunaires portent une nouvelle nomenclature : les plaines appelées mers, sout nommées d'après les idées anciennes sur les influences lunaires : mers du Sommeil, des Songes, du Nectar, de la Fécondité, des Humeurs, des Tempêtes, de la Sérénité, de la Tranquillité, des Crises, etc. ; ANCIENNES CARTES DE LA LLNE terres de la Santé, de la Chaleur, de la Sécheresse, de la Vie, de la Vigueur, delà Stérilité, etc.; monts Tycho, Copernic, Kepler, Archi- mède, Platon, Aristote, Eudoxe, Aristarque, Eratosthènes , Ménélas, Zoroastre, Hypathia, Posidonius, Pythagore, Pythéas, Hyginus, Galilée, Cardan, Bayer, Kircher, etc., sans compter plusieurs saints chrétiens : S" Catherine, S' Cyrille, S' Théophile, S' Isidore, S' Denis l'aréopagite, Bède le vénérahle, Alcuin, Raban Lévi": il y a là un éclectisme qui fait du reste le plus grand honneur au libéralisme de l'auteur. On lit en tête de cette carte du savant jésuite : « Il n'y a pas d! hommes dans la Lune ; — les âmes n'y émigrent pas non plus. » Précaution prise d'avance contre l'hérésie de la pluralité des mondes. Ces deux cartes indiquent les librations ou balancements de la Lune, dont nous avons parlé plus haut. L'usage a fait adopter la nomenclature de Riccioli de préférence à celle d'Hévélius, à l'exception cependant des « terres » dont les noms sont tombés en désuétude. Quant aux montagnes, à part quelques noms comme ceux des Alpes, des Apennins et des Pyrénées, qui rappellent les chaînes de montagnes terrestres, on a continué à leur donner ceux des astronomes et des savants. On peut dire que la Lune est le cimetière des astronomes. C'est là qu'on les enterre: lorsqu'ils ont quitté la Terre, on inscrit leurs noms sur les terrains lunaires comme sur autant d'épi- taphes... Sur notre carte, les grandes plaines grises sont désignées sous les noms de mers, qu'elles portent depuis plus de deux siècles, et les principales montagnes sont marquées par des chiff./;s correspondant aux noms qu'on trouvera plus loin. Il ne faut attacher à ce nom de mers aucun sens spécial : c'est la dénomination commune sous laquelle les premiers obser- vateurs ont désigné toutes les grandes taches grisâtres de la Lune : ils prenaient ces espaces pour des étendues d'eau. Mais aujourd'hui nous savons qu'il n'y a pas plus d'eau là que dans les autres régions lunaires. Ce sont de vastes plaines. Examinons rapidement cette surface générale. Remarquons d'abord que les grandes taches grises et sombres occupent surtout la moitié bo- réale du disque, tandis que les régions australes sont blanches et monta- gneuses ; cependant, d'un côté, cette teinte lumineuse se retrouve sur le bord nord-ouest, ainsi que vers le centre, et, d'autre part, les taches en- vahissent les régions australes du côté de l'orient, en même temps qu'elles descendent, mais moins profondément, à l'ouest. Suivons d'abord sur la carte la distribution des plaines grises ou mers, et esquissons la géographie lunaire, ou pour mieux dire, la sélénographie [aslrivri , lune). Commençons notre description par la partie occidentale du disque lunaire : celle qui est éclairée la première après la nouvelle Lune, lorsqu'un mince croissant se dessine dans le ciel du soir et s'élargit de -.\v^ -"^'i .<^ t :?t¥l PREMIÈRES CARTES DE LA LUXE Hcvclius, iC4j. DESCRIPTION GÊNÉKALE DE LA LUNE jour en jour, pour devenir le premier quartier au septième jour de la lunaison. Là, non loin du bord, on distingue une petite tache, de forme ovale, isolée de toutes parts au milieu d'un fond lumineux. On lui a ionné le nom de mer des Crises. La situation de la mer des Grises, sur le contour occidental de la Lune, permet de la reconnaître dès les premières phases de la lunaison, et jusqu'à la pleine Lune; pour la même raison, elle est la première à disparaître à l'origine du décours. A l'est de la mer des Crises, un peu au nord, se dessine une tache plus grande et de forme irrégulièrement ovale, que l'on reconnaît facile- ment aussi à l'œil nu : c'est la mer de la Sérénité. Entre ces deux plaines grises, au-dessus, on en remarque une autre, dont les rivages sont moins réguliers, qui se nomme la mer de la Tran- quillité. Elle jette vers le centre du disque un golfe qui a reçu le nom de mer des Vapeurs. La mer de la Tranquillité se sépare en deux branches qui représentent les jambes du corps humain que l'on imagine quelquefois. La branche la plus voisine du bord forme la mer de la Fécondité ; la plus rapprochée du centre est la mer du Nectar. On distingue encore, au-dessous de la mer de la Sérénité, et dans le voisinage du pôle boréal, une tache étroite, allongée de l'est à l'ouest, et connue sous le nom de mer du Froid. Entre les mers de la Sérénité et du Froid s'étendent le lac des Songes et le lac de la Mort. Les marais de la Putréfaction et des Brouillards oc- cupent la partie